L’affirmation progressive d’un principe de séparation des pouvoirs :
Le principe de séparation des pouvoirs est admis depuis longtemps comme une condition essentielle de la réalisation de la démocratie et de l’ État de droit. Il s’est affirmé de manière progressive, en France comme à l’étranger, et il peut faire l’objet de plusieurs modalités possibles d’aménagement. Généralement, les différents régimes politiques libéraux existant dans le monde peuvent être classés en fonction de la nature de la séparation des pouvoirs sur laquelle il repose.
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&1 : les origines du principe de la séparation des pouvoirs :
A] Les apports de l’Histoire constitutionnelle britannique :
Jusqu’en 1066, l’Angleterre est organisée sous la forme d’un régime aristocratique, dans lequel c’est le roi qui gouverne, avec l’assistance des chefs les plus influents du royaume, siégeant au sein du conseil des notables : on se situe ici dans le cadre d’une véritable monarchie absolue, dans laquelle seule l’existence du grand conseil était susceptible de tempérer l’autorité du roi. Dans cette perspective, le roi prendra de plus en plus l’habitude de consulter cette institution sur un nombre toujours plus élevé de questions. Parallèlement, la Noblesse supporte de plus en plus mal l’arbitraire du pouvoir exercé par le roi, et au début du XIIIe siècle, le roi est contraint de s’engager au respect d’un pacte établissant les droits et les devoirs réciproques du roi et de ses vassaux : c’était la magna carta (= la grande charte). Cette charte prévoyait notamment qu’aucune contribution financière ne pourrait être versée sans l’approbation préalable de Clergé et de la Noblesse. En cas de litige entre un roi et un vassal, un tribunal arbitral était chargé de statuer. Ce texte sera fréquemment méconnu par le roi, mais à travers celui-ci, le grand conseil affirmera peu à peu son pouvoir financier et son droit d’initiative législative (= le pouvoir de proposer les lois). En 1603, Jacques 1er succède à la reine Elizabeth, et les trois couronnes, d’Angleterre, d’Ecosse, et d’Irlande, sont réunies. A sa mort, en 1685, son successeur, Jacques II, défend ouvertement les positions absolutistes. Il est alors chassé du trône par les membres du parlement, et doit s’enfuir à Paris en 1688. Le nouveau roi est Guillaume d’Orange, et une seconde charte est élaborée en 1688, « Bill of rights ». Elle garantie de nouveaux droits au parlement, tout en élargissant leurs libertés individuelles. Cette déclaration sera suivie par un nouvel acte en 1701, que l’on appelle l’ « act of settlement », qui consacre en fait, les principes du consentement du parlement avant toute déclaration de guerre. Il creuse aussi les principes d’incompatibilité entre les fonctions d’officier public et de membre du parlement (notamment la chambre des communes). L’indépendance du juge à l’égard du pouvoir exécutif est également posée, de même que l’obligation de contreseing des décisions royales par un membre du conseil privé. Ces deux derniers textes ont véritablement tracés les limites du pouvoir royal dans la conduite des affaires publiques, et ainsi donné naissance au principe de séparation des pouvoirs.
- [PDF] Cours gratuit de Droit constitutionnel
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- Le régime présidentiel, la séparation stricte des pouvoirs
B] Les enseignements tirés des conceptions théoriques et philosophiques du principe de séparation des pouvoirs :
- a) La conception de John Locke :
La philosophie de John Locke repose sur l’idée selon laquelle il existe un État de nature, dans lequel les hommes auraient été à l’origine, libres et égaux. Par ailleurs, si l’homme se met en société, c’est pour améliorer ses conditions d’existence, sans pour autant renoncer à sa liberté originelle. L’auteur défend ici l’existence d’un contrat social qui est donc le fondement et l’acte institutif de l’ État, sans pour autant constituer une renonciation totale des hommes à leurs droits et à leurs libertés. L’auteur met ici en garde sur la nécessité de préserver les droits et les libertés individuelles, et c’est la raison pour laquelle ils préconisent de modérer la puissance du souverain, par la théorie des checks and balances (= freins et contrepoids). L’auteur distingue d’abord trois pouvoirs : législatif, exécutif, et confédératif. Le pouvoir législatif, selon Locke, a pour objet de déterminer les objectifs de la société, tout en organisant les institutions permettant de préserver cette société et d’assurer sa cohésion. Ce pouvoir doit être le premier des pouvoirs politiques, car il appartient au parlement, qui est l’organe représentant le mieux les citoyens. Le pouvoir exécutif pour Locke, a pour tâche de gérer quotidiennement l’ État en mettant en exécution les lois. Enfin, le pouvoir confédératif est chargé de présider à l’instauration des relations internationales et à ce qui s’ensuit. Locke considère que le pouvoir législatif et le pouvoir confédératif doivent être concentrés dans les mains d’une même autorité pour assurer une certaine cohérence de l’action publique. L’auteur n’envisage pas de pouvoir judiciaire distinct et autonome, mais il considère plutôt ce pouvoir comme une dépendance directe du pouvoir législatif. Il préconise enfin la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, car dans le cas contraire, le risque serait que les personnes qui ont le pouvoir de faire les lois pourraient se dispenser d’y obéir.
- b) La vision de Montesquieu :
Montesquieu distingue trois pouvoirs correspondant à trois fonctions distinctes de l’ État : pouvoir législatif, exécutif, et judiciaire. Par rapport à Locke, le philosophe français se distingue sur deux points : premier point, d’une part, il ne fait aucune distinction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir confédératif, selon l’expression de Locke, si bien que selon lui, la conduite des relations extérieures de l’ État doit appartenir au pouvoir exécutif. Montesquieu estime que la justice constitue un domaine bien distinct des autres car elle correspond à une fonction particulière de l’ État. Par ailleurs, il est nécessaire selon l’auteur que la justice soit indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif pour assurer l’impartialité des décisions de justice rendues, et pour garantir l’exercice des droits et des libertés citoyens. Montesquieu préconise un exercice séparé des trois pouvoirs, de sorte que chacun d’entre eux doit être placé dans les mains d’une autorité bien distincte des deux autres.
C] L’influence des révolutions américaine et française au XVIIIe siècle :
La déclaration d’indépendance de 1776 s’est rapidement attachée à légitimer une nouvelle organisation politique au nom des droits naturels. Parmi ces droits figurait notamment le droit pour chaque individu à la recherche du bonheur, ce qui supposait notamment l’exercice du droit naturel de se gouverner soi-même. Selon Saint Thomas Jefferson, le « self government » est dans la nature des choses, de sorte que le peuple est non seulement la source, mais aussi l’unique dépositaire du pouvoir. Toutefois, le système défendu est un système représentatif par lequel la volonté du peuple s’exprime par l’intermédiaire de représentants librement choisis par les citoyens. La nouvelle organisation politique américaine nécessite la conjonction de deux éléments, une Constitution et un gouvernement équilibré qui ne peut reposer que sur le principe de séparation des pouvoirs. Aux États-Unis, c’est l’affirmation des droits naturels qui allait légitimer tout un système constitutionnel de séparation des pouvoirs, l’idée étant de faire en sorte qu’aucun de ces pouvoirs ne puisse empiéter sur la sphère des droits de chaque individu. La Révolution française, quant à elle, a reposé à sa façon la question relative à la relation existante entre séparation des pouvoirs et garantie des droits. En liant séparation des pouvoirs et souveraineté, les révolutionnaires ont imposé une conception à la fois plus abstraite et plus réductrice du principe. Ainsi, les pouvoirs sont considérés comme des composantes de la souveraineté, chacun d’entre eux relevant en quelque sorte d’une délégation de la nation pour accomplir une fonction précise ou déterminée. Par ailleurs, la DDH conditionne la réalisation de la démocratie, et l’existence d’une Constitution à une association entre la garantie des droits et la séparation des pouvoirs (Article 16). Toutefois, la consécration du principe de souveraineté nationale allait jouer nettement en faveur du représentant de la volonté nationale, à savoir le pouvoir législatif.
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&2 : la consécration du principe dans les régimes politiques libéraux contemporains :
A] Le modèle américain de séparation des pouvoirs :
Ici, ce modèle repose sur une division tripartite des pouvoirs, avec l’existence d’un véritable pouvoir judiciaire, indépendant et équivalent aux deux autres pouvoirs. Ce pouvoir judiciaire est ici dévolu à une cour suprême, et aux cours suprêmes des États fédérés. Ce pouvoir revêt une importance centrale, fondamentale, aux États-Unis, car il est à la fois nécessaire pour protéger le pouvoir exécutif des empiètements éventuels de la part du pouvoir législatif, et pour prévenir toute dérive du pouvoir exécutif. Le pouvoir judiciaire joue quelque peu un rôle de régulateur en s’efforçant de supprimer toute part d’arbitraire du pouvoir, au moyen de mécanismes constitutionnels adaptés et par l’intermédiaire d’un organe institutionnel capable de résoudre les conflits entre les institutions politiques, et de garantir les droits fondamentaux. Dans cette optique, le contrôle de constitutionnalité exercé par la cour suprême et les autres juridictions, se révèle ici indispensable. Cette fonction régulatrice du pouvoir a été exercée à plusieurs reprises par la cour suprême, qui veille au bon respect par chacun des trois pouvoirs, des prérogatives et des domaines d’attribution dévolus aux deux autres. Ici, il y a trois décisions particulièrement importantes. Dans un arrêt de 1983, l’arrêt Chadha, la cour suprême a déclarée inconstitutionnelle la procédure de veto législatif par laquelle le Congrès s’était octroyé un pouvoir d’annulation des décisions prises par l’exécutif (= le président) dans le cadre de l’application des lois. De même, la cour a rappelé que le principe de séparation des pouvoirs ne permettait pas au président des États-Unis de se situer au-dessus des lois, aussi bien dans l’exercice de ses fonctions, qu’à l’occasion d’actes strictement privés. De la même manière, la cour suprême n’hésite pas à sanctionner un éventuel empiètement du Congrès sur la sphère d’interprétation constitutionnelle du pouvoir judiciaire.
B] Le modèle européen :
Hormis le cas de la Grande-Bretagne, les États d’Europe ont souvent conçus la séparation des pouvoirs comme un face à face entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Généralement, le modèle européen de séparation des pouvoirs se caractérise par la place résiduelle du pouvoir judiciaire. Par exemple, l’actuelle Constitution française ne fait pas référence à un pouvoir judiciaire, mais seulement à une autorité judiciaire. Malgré cela, le modèle européen a connu une double évolution : en premier lieu, le pouvoir juridictionnel s’est progressivement renforcé et développé par la généralisation des mécanismes de justice constitutionnelle, avec notamment la possibilité pour le juge constitutionnel, de sanctionner les lois violant les dispositions constitutionnelles. Des revendications de plus en plus fortes sont alors apparues en vue de renforcer l’indépendance de la justice. Aujourd’hui, se pose la question de l’existence d’un troisième pouvoir incarné par les cours constitutionnelles, voire d’un quatrième pouvoir consistant à contrôler le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, et le pouvoir incarné par les juridictions ordinaires. En second lieu, le modèle européen de séparation des pouvoirs semble avoir subi un certain infléchissement, du fait de l’effacement progressif de la confrontation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, au profit d’une autre confrontation, celle entre la majorité et son opposition. Ici, aussi bien en France qu’en Grande-Bretagne, le régime constitutionnel se caractérise par une opposition très marquée entre deux camps antagonistes : celui de l’exécutif soutenu par une majorité au parlement, et celui de l’opposition incarné par une minorité de parlementaires issus de tendances politiques diverses.