Les serfs au Moyen-âge

Les serfs, une formation historique

  • I) De l’esclavage antique au servage médiéval
  • II) L’entrée dans la condition servile
  • A) La naissance
  • B) Le mariage
  • C) La soumission d’un homme libre au servage
  • D) La résidence en « lieux serfs »
  • E) La tenure servile
  • III) Les droits sur la personne du serf
  • IV) Les corvées
  • A) Droits du seigneur sur le patrimoine du serf
  • B) La taille servile
  • C) L’incapacité servile
  • V) Affranchissements et déclin du servage
  • A) Modes d’affranchissement
  • B) Mouvement de libération des serfs

I) De l’esclavage antique au servage médiéval

Servus: « esclave » en latin.

Il existe des liens entre esclavage de l’antiquité qui survivait à l’époque franque et le servage médiéval. Il est vraisemblable que des descendants de servi des 8ème et 9ème siècles se retrouvent encore au 11ème et 12ème sur le même domaine.

Le problème est que la condition juridique des servi s’est lentement améliorée sous l’influence de l’Eglise et en raison de l’évolution des conditions de travail. En effet le servus du droit romain n’était qu’une chose dans le patrimoine de son maître alors que le servus du 12ème possède le statut d’une personne humaine : famille légitime, droits et patrimoine.

Le glissement de l’esclavage au servage est donc loin de rendre compte de l’importance de la population servile dans les campagnes aux 11ème et 12ème siècles. Dans la région parisienne il existe des villages où tous les habitants sont serfs alors que dans les mêmes villages il n’y avait au 9ème que quelques servi parmi une majorité d’hommes libres.

Comment explique que la majorité des paysans encore libres à l’époque franque soient tombés dans le servage entre le 12ème et le 13ème ?

L’extension de la condition servile est due à plusieurs facteurs convergents :

A la fin de l’époque franque se produit un mouvement de convergence des diverses catégories de paysans dépendants (les colons, les affranchis) qui se confondent avec les servi.

En définitive toutes les catégories vont s’amalgamer en une condition unique, celle des serfs à laquelle vont venir s’ajouter les descendants.

Les coutumes locales qui se constituent durant cette période ont tendance à définir le statut des personnes d’après la condition la plus habituelle dans la région. Là où les hommes libres étaient minoritaires, le statut de serf va s’étendre à toute la région.

La constitution du régime seigneurial va contribuer à la généralisation du statut servile. Il est fréquent que le seigneur impose à tous les habitants de la seigneurie des charges nouvelles qualifiées de servitudes. A la longue les charges en question s’étant multipliées et les concessions héréditaires des tenures ayant fixé au sol les habitants ont fini par considérer que tous les paysans soumis à ces charges sont dans une condition servile.

Aux 12ème et 13ème s, il existe un statut des serfs dans les coutumes et donc la distinction entre serfs et roturiers libres est devenue très nette (aussi nette que la distinction dans l’antiquité entre esclaves/hommes libres).

Le phénomène d’extension du servage s’est poursuivi jusqu’à son terme logique de telle sorte qu’au cours du 12ème s tous les paysans sont devenus serfs à moins d’obtenir du seigneur un terme de liberté.

Dans la région parisienne et le centre les serfs et hommes libres coexistent. Dans les pays de l’Ouest c’est moins difficile, l’amélioration de la condition rurale est plus précoce. En Normandie le servage disparait dès le début du 12ème sans s’être complètement constitué.

Dans le sud-ouest l’évolution vers le servage est plus tardive mais l’expansion se poursuit plus longtemps. Malgré tout il reculera assez vite.

En définitive dès début ou milieu 12ème le servage est en régression dans l’ensemble de la France. Sa progression s’est heurtée à de nouvelles évolutions favorables à la liberté. Le besoin de mains d’œuvre pour défricher les terres. La croissance des villes peuplées d’anciens serfs. Développement de l’activité économique dans les villes qui offrent des occasions de quitter les tenures.

II) L’entrée dans la condition servile

A) La naissance

Dans cette société où les structures permanentes sont la règle, le servage est avant tout héréditaire. Résultat, les serfs de naissance car statut héréditaire du même seigneur que leur parent.

Si un seul des parents est serf la solution la plus fréquente attribue à l’enfant la condition de la mère. Dans d’autres coutumes « le pire emporte le bon » : la condition la plus mauvaise l’emporte sur la condition la meilleure. Quand les parents sont deux serfs relevant de deux seigneurs différents la situation est réglée par des coutumes ou des accords entre seigneurs. Parfois les enfants mâles seront sous l’autorité d’un seigneur et les filles d’u autre. Parfois l’un des deux seigneurs exercera ses droits sur des enfants de rang impair.

B) Le mariage

En cas de mariage mixte dans de nombreuses coutumes jusqu’au 13ème l’époux libre devient serf du seigneur de son conjoint. A partir du 13ème ce principe ne sera maintenu qu’à l’encontre de la femme libre épousant un serf

C) La soumission d’un homme libre au servage

Certaines coutumes maintiennent la réduction à l’état servile comme sanction du service militaire par un roturier. Un homme libre peut être réduit au servage pour non-paiement des règles anciennes. Elle peut résulter d’actes volontaires qui ont contribué très sensiblement au développement de la condition servile.

Un individu offre sa personne, ses biens et ses descendants à un établissement ecclésiastique (acte de piété). Ces oblations tombent en désuétude au 13ème, en île de France par contre elles survivent jusqu’au 16ème. L’entrée volontaire en servage peut être constatée par un simple aveu devant témoin. Mais elle peut aussi donner lieu à une véritable cérémonie formaliste (corde de la cloche de l’Eglise autour du cou)

D) La résidence en « lieux serfs »

Il y a des régions où le statut de serf est si habituel que celui qui s’installe dans cette région «lieu serf» devient serf. Le plus souvent il faut y résider 1 ans et 1 jour.

Au 13ème l’homme libre qui s’établit au milieu des serfs peut écarter cette conséquence en s’avouant dès son arrivée sujet libre du seigneur.

E) La tenure servile

Certaines tenures sont considérées comme serviles car toujours cédées à esclaves et serfs chargés d’obligations très lourdes. Les individus libres entrent alors en servage, malgré tout ils perdront le statut de serf lorsqu’ils quitteront cette tenure : serfs d’héritage

III) Les droits sur la personne du serf

Le serf est l’homme de corps du seigneur. Il est soumis personnellement à l’autorité de son maître, il n’est justiciable que de son maître aussi bien en matière civile que criminelle.

Si le serf se sauve le seigneur peut le réclamer ou le reprendre.

En règle générale le serf n’a pas de recours contre la sentence de son seigneur. « Entre mon serf et moi il n’y a de juge que Dieu ». Exception pour les affaires religieuses: le serf relève des tribunaux ecclésiastiques.

Le serf de corps est attaché à la seigneurie par le serf d’héritage selon le droit commun le serf de corps est tenu de demeurer dans une seigneurie déterminée. Les droits du seigneur sur les serfs constituent l’un des éléments du fief. On donne ou on vend un fief avec les droits sur les serfs, droit de poursuite.

Le formariage est le mariage en dehors de la seigneurie. Le seigneur craint le mariage du serf en dehors de la seigneurie car il risque de perdre ses droits sur le serf et toute partie des enfants. La condition du serf formarié a longtemps été incertaine, le droit laïc est hostile à ce type de mariage en revanche le droit canonique y est favorable.

Le droit canonique ancien défend au seigneur de rompre le mariage lorsque le seigneur a donné son accord en même temps le droit canonique ne reconnait ce mariage que si il est autorisé par le seigneur. Au milieu du 12ème la papauté va dégager une solution : les êtres humains doivent accéder librement aux sacrements. Le formariage est valable même sans accord du seigneur, le seigneur ne doit pas dissoudre ce mariage ni même le juge ecclésiastique.

Le seigneur ne peut plus obtenir l’annulation, au 13ème le seigneur exige du serf un droit de formariage, il accorde à ses serfs une exemption totale de formariage ou alors il conclut des accords avec ses voisins permettant à leurs serfs de se marier.

Les corvées ne sont pas absolument caractéristiques du servage, tous les paysans doivent des corvées sur la réserve. Les serfs doivent cependant des corvées beaucoup plus lourdes, jusqu’à 3 jours par semaine habituellement les coutumes fixent les charges de travail ou bien les remplacent par des redevances monétaires.

IV) Les corvées

A) Droits du seigneur sur le patrimoine du serf

La dépendance entraine assouvissement à différents types de prestations, chaque serf doit verser chaque année une somme assez faible : reconnaissance publique du statut servile. Lorsque les serfs d’un village obtiennent l’allègement de leurs charges sans être affranchis le seigneur maintient expressément le chevage.

B) La taille servile

Comme tous les hommes libres de la seigneurie les serfs sont eux aussi soumis à la taille, à l’origine les serfs sont taillables à merci. Cette règle a pour origine le droit romain dans lequel le maître pouvait reprendre les biens de ses esclaves en cas de besoin. En général dans leur propre intérêt les seigneurs vont être conduits à limiter leurs exigences.

Beaucoup de coutumes vont finalement fixer le montant de la taille et les périodes auxquelles elle pourra être exigée. Le statut des serfs se rapproche de celui des paysans libres qui ont obtenu plus tôt l’abonnement à la taille.

La « main morte » traduit le fait que le serf n’avait pas originairement le droit de transmettre après sa mort. A l’origine le seigneur a le droit de reprendre à la mort du serf ses biens et notamment la tenure. En pratique la tenure sera transmise aux descendants en ligne directe du serf contre paiement d’un rachat.

A partir du 13ème, ce droit de main morte est plus exigé, dans les régions où statu de serf est la condition générale se développe une pratique qui supprime l’usage de la main morte. Les parents et les enfants vivent en commun sur la même tenure. Lorsqu’un membre de cette communauté familiale.

Les biens sont des biens communs, il n’y a pas ouverture de succession et donc pas de droit de main morte. Dans d’autres régions le seigneur intervient à l’ouverture de la succession de chaque serf mais il réinvestit immédiatement les plus proches parents de la tenure et ne garde pour lui qu’une part des meubles : droit de meilleur catel. Malgré l’atténuation du droit de main morte ce droit continue à entrainer l’interdiction pour un serf de faire un testament.

Exception, possibilité de faire un legs pieux par le serf dans la limite de 5 sous. Dans le midi les serfs vont pouvoir à partir du 13ème faire un testament.

C) L’incapacité servile

En matière judiciaire, sauf privilège particulier le serf ne peut témoigner contre un homme libre, témoignage valable que contre un autre serf. A partir du 13ème il ne peut pas témoigner dans un procès où son maître se trouve engagé ni pour lui ni contre lui.

– Incapacité d’entrer dans les ordres, il ne peut devenir ecclésiastique.

Au temps de l’Empire romain l’Eglise avait considéré que les esclaves ne pouvaient recevoir les ordres sacrés tant qu’ils n’étaient pas affranchis. En effet la dignité et l’indépendance du clerc étaient incompatibles avec la soumission personnelle à un maître.

A l’époque féodale l’incapacité est étendue au serf, en pratique l’incapacité est souvent méconnue et il est difficile de connaitre le statut d’un individu. Le droit établit une solution de compromis, le seigneur a le droit de reprendre le serf si ce dernier n’a reçu que les ordres mineurs (ex: portier, exorciste) s’il a reçu les ordres majeurs (sous diacre, diacre et prêtre) simple indemnité.

De plus la pratique a imaginé une forme particulière d’affranchissement en vue de la tonsure cléricale. Le serf reçoit la pleine liberté pendant sa vie mais à sa mort le seigneur exerce un droit de main morte sur le patrimoine.

Pour pouvoir être armé chevalier le serf doit être affranchi.

V) Affranchissements et déclin du servage

A) Modes d’affranchissement

Affranchissement par charte, il suffit de la volonté du seigneur constatée par un document écrit.

L’affranchissement fait disparaitre les caractéristiques du servage, mais affranchi il paye la redevance des paysans libres. Ces actes d’affranchissement évoquent toujours des motifs de piété cependant très fréquent que le seigneur remplace les anciennes obligations serviles par versement d’une taxe régulière. Le seigneur se fait payer un capital important.

L’abandon de la tenure servile pour serfs d’héritage uniquement. Subsiste la règle selon laquelle un serf retrouve sa liberté en reniant solennellement sa dépendance devant le seigneur. Il doit alors abandonner sa tenure et la totalité de son patrimoine.

Résidence en lieu de liberté, l’affranchissement intervient alors contre la volonté du seigneur. En effet dans beaucoup de villes la coutume accorde la liberté à celui qui s’établit à l’intérieur du territoire de la ville ou à l’intérieur des murs de la ville. Le but est de peupler une agglomération. Parfois affranchissement intervient après résidence paisible (sans contradiction) pendant un an et un jour. L’air rend libre.

B) Mouvement de libération des serfs

Les affranchissements peu nombreux et individuels au 11ème s.

A partir fin du 12ème s, ils sont plus fréquents et concerne des groupes.

Durant la 2nd moitié du 13ème s, des villages entiers en bénéficient.

Ce mouvement constitue un des aspects principaux de l’évolution des structures sociales. Les fondations de villes nouvelles et le mouvement de défrichement des terres incitent des serfs à chercher une condition plus favorable loin de leur seigneurie d’origine. De leur côté les seigneurs appauvris acceptent souvent de concéder la liberté moyennant finance. Le développement de l’économie monétaire, l’amélioration des campagnes permettent au serf de réaliser des économies qui vont permettre aux communautés d’acheter leur liberté.

Dans la 2nd moitié du 13ème la multiplication des affranchissements provoque un recul général du servage en France. Philippe Le bel accorde la liberté à tous les serfs de la sénéchaussée idem en 1303 pour le Rouergue et l’agenais.

Malgré tout il existe variations géographiques. Au début 14ème s, le servage a disparu du Languedoc, du Sud-est et de l’Ile de France. A la fin du moyen âge la géographie du servage est stabilisée jusqu’ à la révolution. Juste quelques groupes de serfs dans sud-ouest et Bourgogne, Champagne…

Variations chronologiques particulières, les serfs royaux avaient connu des conditions particulièrement rudes et ont été les premiers affranchis parce qu’ils ont cherché à obtenir leur liberté. En revanche serfs des établissements ecclésiastiques n’ont pas revendiqué la liberté. De plus droit canonique rend difficile toute aliénation.

Le servage va subsister plus longtemps qu’ailleurs mais sous des formes très atténuées.