La définition du Service public en droit administratif

Le service public

La notion de service public est polysémique, englobant deux grandes dimensions :

  • Dimension organique : Le service public peut être perçu comme une institution ou un organe spécifique, incarnant une entité administrative ou publique. Cette approche, dite organique, correspond par exemple à des institutions comme la SNCF, qui exerce ses fonctions au nom de l’État.
  • Dimension matérielle : Il peut également être vu comme une mission, c’est-à-dire une activité menée dans l’intérêt général, indépendamment de la structure qui la réalise. Cette perspective matérielle définit le service public par l’objet même de l’activité, visant à satisfaire les besoins collectifs essentiels.

En droit, la notion de service public se rattache généralement à une activité d’intérêt général, organisée ou supervisée par une personne publique. Cependant, les dimensions organique et matérielle influencent fortement cette définition, notamment lorsqu’il s’agit de qualifier juridiquement une activité en tant que service public. Cette dissociation entre les aspects organiques (liés à la structure) et matériels (liés à la fonction) a été à l’origine de diverses crises au XXᵉ siècle, au fur et à mesure que la conception et les responsabilités des services publics ont évolué.

Définition du service public

Service public et missions d’intérêt général

Le service public représente une activité d’intérêt général assurée par des personnes morales publiques (administrations, entreprises publiques, établissements publics) ou, dans certains cas, confiée au secteur privé. Les services publics répondent aux besoins essentiels de la population, évoluant en fonction des choix des pouvoirs publics et des transformations sociétales. Les services publics se répartissent traditionnellement en quatre fonctions principales :

  • Ordre et régulation : assurant la défense nationale, la justice, la sécurité civile, et la régulation professionnelle, les services de cette catégorie maintiennent l’ordre public et la régulation de certains secteurs.
  • Protection sociale et sanitaire : comprend la sécurité sociale et le service public hospitalier, répondant aux besoins en matière de santé et de sécurité sociale.
  • Éducation et culture : services éducatifs, culturels, et de recherche, comme l’enseignement et le service public audiovisuel, contribuent à la formation et au développement intellectuel de la population.
  • Économie : cette fonction couvre les services économiques, notamment le transport et les services de distribution d’énergie, nécessaires pour le bon fonctionnement des activités économiques et l’accessibilité des biens et services.

Les principes de fonctionnement des services publics : les lois de Rolland

Les services publics sont régis par trois principes fondamentaux – également appelés lois de Rolland – qui encadrent leur fonctionnement en garantissant leur efficacité et leur équité :

  • Principe de continuité : inscrit dans le bloc de constitutionnalité, il exige que les services publics répondent aux besoins d’intérêt général de manière ininterrompue. Pour certaines activités, comme les urgences médicales, ce principe implique une permanence totale, tandis que pour d’autres, des plages horaires régulières suffisent. Le Conseil d’État a clairement établi que le non-respect des horaires annoncés, qu’il s’agisse d’ouvertures tardives ou de fermetures prématurées, peut entraîner des sanctions judiciaires. Ce principe doit également être concilié avec le droit de grève, qui peut être restreint pour certains agents (par exemple, policiers et militaires) et assorti de dispositifs de service minimum dans des secteurs clés comme le transport ferroviaire ou l’audiovisuel public.
  • Principe d’égalité : à valeur constitutionnelle, ce principe découle du principe général d’égalité devant la loi, proclamé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il garantit l’accès égal aux services publics pour tous les usagers, indépendamment de leurs caractéristiques personnelles. L’égalité tarifaire s’applique en général, bien que des variations puissent être tolérées pour certains services optionnels. Par ailleurs, ce principe implique la neutralité des agents du service public : tout comportement discriminatoire, par exemple une attitude raciste d’un agent envers un usager, constitue une faute grave au regard des principes de déontologie et de service public.
  • Principe d’adaptabilité (ou mutabilité) : les services publics doivent s’ajuster aux évolutions des besoins de la société et aux avancées technologiques. En matière de besoins, les services doivent adapter leur organisation pour mieux répondre aux attentes de leurs usagers. Les évolutions technologiques nécessitent également une mise à jour continue des infrastructures et des prestations (comme le passage des infrastructures de gaz à celles de l’électricité). Ce principe implique une flexibilité d’organisation qui permet au service public de rester pertinent et de maintenir sa mission d’intérêt général face à des changements rapides, comme ceux observés dans les technologies de l’information.

Histoire du service public

La notion de service public, loin d’être récente, est intimement liée à l’intervention étatique depuis longtemps, s’attachant aux activités régaliennes telles que la justice, les impôts ou la monnaie, qui échappent par nature à la sphère privée. Historiquement, c’est l’Église qui, au Moyen Âge, assumait des missions comparables à celles de l’État moderne en matière d’éducation, d’aide aux pauvres et de soins. Mais avec la période post-révolutionnaire, un mouvement de laïcisation des services publics s’opère, marquant la transition vers une gestion étatique de ces fonctions.

L’age d’or du service public

Aux débuts du XXᵉ siècle, Gaston Jèze qualifie le service public de « pierre angulaire » du droit administratif français, position déjà en gestation dès la fin du XIXᵉ siècle. Le service public émerge alors comme une notion centrale du droit administratif, dessinant ses frontières.

  • L’arrêt Blanco de 1873, souvent présenté comme la consécration de cette notion, joue un rôle fondamental dans la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Cependant, cette décision est souvent interprétée avec réserve, car elle n’a pas eu immédiatement la postérité doctrinale que certains lui attribuent.
  • Sa réinterprétation par René Chapus en 1953 l’oriente davantage vers la gestion publique, en ligne avec la jurisprudence antérieure comme l’arrêt Rothschild de 1855, qui contenait déjà des principes similaires.

La reconnaissance de la notion de service public a en grande partie été d’abord doctrinale.

  • Dès le début du XXᵉ siècle, l’École du service public, avec des figures comme Léon Duguit et Gaston Jèze, s’attache à faire du service public le cœur du droit administratif. À leurs yeux, le service public devient le fondement et la limite de l’action publique, justifiant la spécificité du droit administratif. Duguit, notamment, affirme que le service public est « le fondement et la limite du pouvoir gouvernemental ». Ils voient dans la décision Blanco un mythe fondateur qui, bien que construit a posteriori, soutient l’idée que le service public régit l’ensemble du droit administratif.

La doctrine est ensuite appuyée par des décisions juridiques successives, qui renforcent le rôle essentiel du service public en droit administratif.

  • L’arrêt Thérond de 1910 illustre cette évolution. Le Conseil d’État y décide que les litiges relatifs à l’exécution des missions de service public par des entités privées relèvent de la compétence du juge administratif.

La crise de la définition du service public :

Pour une fiche plus complète sur la crise du service public :

La crise du service public

Résumé :

  • Évolution du service public au XIXe siècle : Les services publics administratifs étaient principalement gérés par des entités publiques. L’École du service public soutenait que seuls les organismes publics pouvaient administrer ces services, justifiant ainsi l’application du droit administratif. Cependant, avec l’augmentation de l’intervention publique dans l’économie, cette vision a été remise en question.
  • Crise de la définition matérielle : La décision du Tribunal des conflits dans l’affaire du Bac d’Eloka (1921) a marqué un tournant, permettant à certains services publics d’être soumis au droit privé malgré leur gestion par des personnes publiques. Cette décision a contribué à l’émergence de services publics à gestion privée, soustrayant ainsi certains services au droit administratif.
  • Crise de la définition organique : La jurisprudence du Conseil d’État a progressivement dissocié le service public de son lien exclusif avec les personnes publiques. En 1935 (arrêt Vézia) et 1938 (arrêt Caisse primaire), il a reconnu que des organismes privés pouvaient être chargés de missions de service public, introduisant des règles administratives pour certains services gérés par des entités privées.
  • Conséquences : Ces évolutions ont engendré une dualité paradoxale, où des services publics sont soumis au droit privé et des organismes privés relèvent du droit administratif. Aujourd’hui, la notion de service public reste cruciale pour définir les compétences du juge administratif et structurer certaines catégories juridiques.