Le service public obligatoire ou facultatif

Le service public obligatoire et facultatif : création, gestion, suppression

Certaines contraintes limitent la capacité des autorités publiques dans la création ou suppression des services publics. Ces restrictions s’intensifient lorsque des textes légaux rendent la création de certains services publics obligatoire. En dehors de ces cas, un principe de liberté prédomine, conférant au législateur ou aux autorités réglementaires une latitude significative pour décider de la mise en place ou de la suppression de services publics. En effet, selon le Conseil constitutionnel, « la détermination des activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas » (décision des 25 et 26 juin 1986).

En matière de suppression, le Conseil d’État admet également la flexibilité pour les autorités compétentes, qui peuvent renoncer à créer un service public (Conseil d’État, 9 mars 1951, Ville de Villefranche-sur-Saône) ou décider de sa suppression (Conseil d’État, 27 janvier 1961, Sieur Vannier). Cette distinction entre les contraintes et la liberté de création ou suppression met en évidence la dualité entre les services publics obligatoires et les services publics facultatifs.

Bien que le principe de liberté offre une marge d’action, cette liberté est souvent plus apparente que réelle, étant en pratique soumise à de nombreuses restrictions. Les autorités publiques, même en présence de pouvoirs discrétionnaires, sont tenues de respecter des impératifs juridiques qui encadrent leurs décisions. Ce pouvoir discrétionnaire, s’il existe, ne se traduit donc pas par une liberté arbitraire mais s’inscrit dans le respect d’un cadre juridique défini.

I) les services publics obligatoires

Certaines contraintes s’imposent aux personnes publiques lorsqu’elles créent ou suppriment des services publics. Ces obligations peuvent être renforcées par des textes qui, parfois, rendent la création d’un service public obligatoire. En dehors de ces obligations, le principe de liberté gouverne la mise en place ou la suppression de services publics. En effet, le législateur et les autorités réglementaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour créer des services publics, sous réserve de respecter les impératifs juridiques qui s’imposent à eux. Selon le Conseil constitutionnel, la détermination des activités devant être érigées en services publics nationaux relève de l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire (décision des 25 et 26 juin 1986). Cependant, le Conseil d’État reconnaît à l’autorité compétente le pouvoir de renoncer à la création d’un service public (Conseil d’État, 9 mars 1951, Ville de Villefranche-sur-Saône) et, de manière tout aussi discrétionnaire, de décider de sa suppression (Conseil d’État, 27 janvier 1961, Sieur Vannier).

La distinction entre services publics obligatoires et services publics facultatifs

La différence entre contraintes et libertés conduit à distinguer les services publics obligatoires des services publics facultatifs. Cette liberté, bien que réelle, est en pratique encadrée. Lorsqu’une autorité publique est libre d’instituer un service public, elle doit respecter divers impératifs juridiques, qui restreignent son pouvoir discrétionnaire, ce qui le distingue d’un pouvoir arbitraire.

Les services publics obligatoires

Dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire des autorités est remplacé par une compétence liée pour la création de services publics. Cette obligation peut découler de règles juridiques supérieures qui imposent à la personne publique de créer des services essentiels.

  • Obligations constitutionnelles : L’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 impose le maintien dans le secteur public de toute activité qui présente les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait. Bien que cette disposition n’impose pas directement la création de nouveaux services, elle garantit le maintien public de certains services nationaux, empêchant ainsi leur privatisation. Le Conseil constitutionnel a interprété cette règle de manière restrictive, en protégeant uniquement les services publics nationaux jugés nécessaires par des principes constitutionnels, comme les services régaliens.
  • Engagements internationaux : L’obligation de créer certains services publics peut également découler de conventions internationales. Par exemple, des secteurs comme le contrôle aérien et la protection des réfugiés sont parfois visés par des engagements internationaux, qui imposent la mise en place de dispositifs de service public.
  • Obligations législatives pour les collectivités territoriales : Plus fréquemment, la loi impose la création et la gestion de services publics, notamment au niveau infra-étatique, en particulier pour les collectivités territoriales. Le législateur peut ainsi imposer des obligations spécifiques, sans pour autant remettre en cause le principe de libre administration des collectivités. Par exemple, les communes doivent gérer l’entretien de la voirie et les services de collecte des ordures, tandis que les départements sont tenus de s’occuper de l’aide sociale, de la construction et de l’entretien des collèges.

II) les services publics facultatifs

Les services publics facultatifs et la liberté encadrée des personnes publiques

Dans la majorité des cas, la création de services publics repose sur un principe de liberté, aboutissant à ce que l’on appelle des services publics facultatifs. Contrairement aux services publics obligatoires imposés par des règles spécifiques, la création de ces services relève d’une initiative volontaire de la part des personnes publiques. Cette liberté, bien que réelle, n’est cependant pas absolue et se confronte à des contraintes juridiques applicables tant aux services publics nationaux qu’aux services locaux.

En ce qui concerne les services publics locaux, leur création dépend généralement d’une évaluation des besoins locaux réalisée par les collectivités territoriales. Ces collectivités ont le choix entre deux principaux modes de gestion :

  • Gestion directe ou régie, où la collectivité gère elle-même le service ;
  • Gestion déléguée, via une convention de délégation de service public avec des opérateurs privés ou associatifs.

Le principe de non-concurrence avec le secteur privé

  • Limites à l’intervention des collectivités territoriales

Bien que les collectivités territoriales aient la faculté de créer des services publics, elles doivent respecter le principe de non-concurrence avec les personnes privées. Ce principe, inspiré de la liberté du commerce et de l’industrie, consacre l’idée que les personnes publiques ne doivent pas créer de concurrence déloyale envers les entreprises privées en intervenant sur des marchés concurrentiels.

Le Décret d’Allarde de mars 1791, qui est l’un des fondements juridiques de cette liberté, stipule que chaque citoyen est libre d’exercer le commerce ou l’activité de son choix, sans ingérence injustifiée de la part des pouvoirs publics. La jurisprudence du Conseil d’État a initialement suivi cette ligne restrictive envers l’intervention économique des personnes publiques. Toutefois, cette position a évolué, et l’approche est devenue progressivement plus flexible, tout en continuant à encadrer les interventions des collectivités territoriales, surtout lorsqu’elles créent des services publics concurrents à ceux du secteur privé.

  • Les interventions publiques sous contrôle jurisprudentiel

Malgré un assouplissement dans la jurisprudence, les interventions économiques des collectivités territoriales sont encore aujourd’hui soumises à des règles. Celles-ci imposent que l’action publique ne soit pas palliative, mais qu’elle intervienne seulement pour combler un besoin d’intérêt général en cas de carence de l’initiative privée. Par conséquent, lorsqu’un service privé est en mesure de répondre à un besoin public de manière satisfaisante, il est illégal pour une collectivité publique de créer un service public concurrent.

Ce cadre s’applique aussi bien aux services publics nationaux qu’aux services publics locaux, bien que les décisions du Conseil d’État soient souvent plus nombreuses en ce qui concerne les interventions des collectivités territoriales.

Historique

  • Les restrictions initiales

À la fin du XIXème et au début du XXème siècle, les communes ont largement investi dans la création de services publics, incluant des professions libérales et des activités à caractère industriel et commercial. Ce mouvement, souvent appelé « socialisme municipal », a conduit le Conseil d’État à réagir en adoptant une position très restrictive. Ancrée dans un contexte libéral, la jurisprudence du Conseil d’État exigeait des circonstances exceptionnelles pour justifier légalement la création de services publics concurrents des entreprises privées, comme le montre l’arrêt Casanova de 1901, où le Conseil d’État jugea illégale la création d’un poste de médecin communal, financé par le budget de la commune d’Olmeto.

  • Les décrets Poincaré et la jurisprudence restrictive du Conseil d’État

La tendance aux interventions économiques des communes a été renforcée par les décrets de 1926, dits décrets Poincaré, en réponse aux difficultés économiques de l’après-guerre. Ces décrets ont ouvert la voie à l’exploitation par les communes de services d’intérêt général, même à caractère industriel et commercial. Cependant, en 1930, le Conseil d’État a donné une interprétation très limitée à ces décrets. Dans l’affaire Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, il a été jugé que les activités commerciales devaient en principe rester dans le domaine privé et que la création de services publics à caractère commercial par les communes nécessitait des circonstances particulières de temps et de lieu justifiant l’intérêt public.

Les exceptions au principe de non-concurrence

  • Les critères établis : besoin public et carence de l’initiative privée

L’arrêt Nevers a marqué une avancée significative en admettant la création d’activités commerciales par les communes à titre exceptionnel, sous deux conditions :

    • L’existence d’un besoin public à satisfaire : Ce besoin doit correspondre à une demande sociale justifiant l’intervention publique.
    • La carence de l’initiative privée : Il faut démontrer que le secteur privé n’est pas en mesure de répondre de manière adéquate aux besoins identifiés.
  • Assouplissements progressifs de la jurisprudence

Avec le temps, la jurisprudence du Conseil d’État s’est assouplie. Le critère de besoin public a été interprété plus largement, incluant non seulement les besoins des résidents permanents, mais aussi ceux des populations temporaires, comme les vacanciers (arrêt Commune de Merville-Franceville de 1964). En outre, pour certains besoins essentiels, l’exigence de la carence de l’initiative privée a été jugée non indispensable. Par exemple, la Commune de Montmagny en 1970 a pu créer un service de consultations juridiques gratuites pour ses habitants sans devoir prouver l’insuffisance de l’offre privée.

Jurisprudence sur les exceptions aux principes

Consécration jurisprudentielle de l’intervention des personnes publiques pour leurs besoins propres : l’arrêt Unipain et ses prolongements

Le Conseil d’État, dans l’arrêt Société Unipain de 1970, a affirmé la capacité des personnes publiques à répondre directement à leurs besoins, sans être entravées par le principe de liberté du commerce et de l’industrie. Cela s’est illustré avec la boulangerie militaire, qui fut autorisée à fournir du pain aux établissements pénitentiaires. Ce principe a été renforcé en 2011 dans l’arrêt Association pour la promotion de l’image et autres : il y est stipulé que ni la liberté de commerce ni les règles de la concurrence n’interdisent aux personnes publiques de prendre en charge les activités nécessaires à la satisfaction de leurs besoins, même si cela affecte le secteur privé. Cet arrêt permet par exemple aux agents d’instruction des passeports de réaliser eux-mêmes des photographies, une activité qui autrement bénéficierait aux photographes professionnels.

Les critères de 1930 toujours en vigueur pour l’évaluation des interventions locales

Pour les interventions économiques locales, le juge administratif applique encore les critères énoncés en 1930. Dans l’affaire Ville de Nanterre (1964), la création d’un cabinet dentaire municipal fut validée par le Conseil d’État, qui identifiait un intérêt public local : des carences de l’offre privée de soins dentaires et des moyens limités pour de nombreux habitants justifiaient cette intervention publique. Ces principes, issus de l’arrêt Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, restent d’actualité. Ils obligent les personnes publiques souhaitant intervenir dans des secteurs normalement réservés au privé à démontrer un besoin public et l’insuffisance des offres privées.

Exigence de carence et de besoin public : application stricte mais parfois adaptable

Le Conseil d’État rappelle régulièrement les conditions de légalité des interventions locales, notamment en matière d’infrastructure sociale et de services essentiels. Ainsi, en 1984 dans l’affaire Département de la Meuse contre Poilera, la Haute Juridiction a rejeté la création d’un service public départemental d’assurance, notant que plusieurs compagnies privées opéraient déjà dans le secteur, éliminant tout besoin public spécifique. Par cette décision, le Conseil d’État confirme que la création de services publics dans le domaine économique est légitime uniquement en l’absence d’une offre privée suffisante pour satisfaire aux besoins de la population, tant du point de vue quantitatif que qualitatif.

Évolution jurisprudentielle : affinement du critère de carence de l’initiative privée

La jurisprudence récente du Conseil d’État reflète une approche plus nuancée concernant la création de services publics, en ajustant l’interprétation du critère de carence de l’initiative privée à des besoins plus spécifiques. Ce critère, historiquement appliqué dans une perspective quantitative, s’étend désormais à une dimension qualitative. Par exemple, dans l’arrêt Département de la Corrèze de 2010, le Conseil d’État a validé la mise en place d’un dispositif de téléassistance pour les personnes âgées et handicapées. Bien que des entreprises privées offrent des services similaires, le Conseil a reconnu que le service public proposé remplissait un intérêt public local, en étant accessible à toutes les personnes dépendantes du département, indépendamment de leurs ressources.

Nouveaux fondements pour l’intervention publique : au-delà de la carence privée

L’analyse moderne du juge administratif tend à considérer que tout intérêt public peut légitimer l’intervention d’une personne publique sur un marché, indépendamment de la carence de l’initiative privée. Dans l’affaire Ordre des avocats au barreau de Paris de 2006, le Conseil d’État a précisé que les personnes publiques doivent non seulement respecter leurs compétences, mais aussi démontrer un intérêt public pour intervenir. La carence de l’offre privée peut justifier cette intervention, mais elle n’est plus un prérequis absolu. Cette approche élargie permet une flexibilité accrue dans l’évaluation de l’intérêt public.

Vers une égale concurrence entre les acteurs publics et privés : intégration du droit européen

Les interventions économiques des personnes publiques doivent aujourd’hui respecter le principe de concurrence équitable, influencé par les règles européennes de concurrence. Désormais, les collectivités publiques qui participent à des activités économiques doivent opérer au même titre que les opérateurs privés. En conséquence, elles doivent éviter d’utiliser leurs prérogatives de puissance publique (PPP) d’une manière qui leur donnerait un avantage concurrentiel injustifié sur le marché. Cette approche reflète une évolution : du principe de non-concurrence au principe d’égale concurrence entre les acteurs publics et privés.

Consécration du principe d’égale concurrence : l’arrêt de 2006

Ce principe, bien que présent en filigrane depuis l’arrêt Société aérienne de recherches minières de 1965, trouve une formulation plus explicite dans l’arrêt de l’Assemblée du Conseil d’État de 2006 (Ordre des avocats au barreau de Paris). Dans cette décision, le Conseil a posé que les personnes publiques, lorsqu’elles interviennent dans le secteur concurrentiel, doivent agir sans fausser les règles du jeu et en veillant à ce que leur participation respecte les mêmes contraintes que celles des acteurs privés. Cette orientation juridique souligne une harmonisation progressive des principes français de droit administratif avec les exigences de la concurrence européenne.