Le sort des contrats en cours en droit marocain des entreprises en difficulté
1. Régime général des contrats en cours
Les dispositions de l’article 573 et de l’article 574 règlent le sort des contrats en cours. Nous avons déjà noté que le jugement d’ouverture n’entraîne pas la déchéance du terme des contrats en cours et des engagements à terme. La règle a une portée rigoureuse car elle ne frappe pas seulement le cours des délais. C’est ainsi que nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle contraire, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l’ouverture du redressement judiciaire. Le cas d’indivisibilité expressément retenu par le texte s’attache aux situations complexes comportant un lien entre des transactions prolongées dans le temps et des opérations instantanées. Le créancier ne peut point invoquer ce lien pour justifier une déchéance du terme implique aussi une continuation desdits contrats dans leur ensemble. Dans ce sens la loi nuance la force obligatoire de cette prescription en aménageant le pouvoir de décision contraire entre le syndic et les créanciers.
Dans ce cadre, le syndic n’est pas forcé de continuer les contrats en cours. Mais il a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours. Le créancier ne bénéficie guère du pouvoir d’imposer la continuation. Mais en contrepartie de l’exclusivité, le syndic doit fournir la prestation promise au cocontractant concerné de l’entreprise. L’équilibre est ainsi assuré entre les parties. Mais le défaut d’exécution des engagements antérieurs au jugement d’ouverture, par le débiteur, ne fonde pas le cocontractant à conditionner la poursuite du contrat par leur exécution de la part du syndic. Il ne peut opposer l’exception de non-exécution du contrat. Il doit remplir ses obligations malgré cette défaillance du débiteur, sauf décision contraire du syndic. Autrement, il ne bénéficie que du droit de déclarer son dû au passif conformément aux règles de déclaration des créances.
Mais le syndic peut rester passif et ne rien décider. Le créancier peut alors lui adresser une mise en demeure pour prendre une décision explicite dans un sens ou un autre. Faute d’une réponse dans un mois par le syndic, le contrat en question est résilié de plein droit. De plus si le syndic n’use pas de la faculté de poursuivre le contrat, l’inexécution peut causer préjudice au créancier. La réparation de cette dernière donne lieu le cas échéant a des dommages intérêts dont le montant ne sera pas encaissé immédiatement. Il devra être déclaré au passif au profit du créancier concerné. Dans le cas où celui-ci aurait reçu des versements excédants ce à quoi il a droit en vertu de l’exécution antérieure du contrat en question, il peut user du droit de rétention du supplément reçu, en différant sa restitution jusqu’à ce qu’il soit statué sur les dommages intérêts éventuels. Il ne peut se l’approprier directement comme moyen de compensation.
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2. Cas particuliers de certains contrats
Les textes envisagent les cas particuliers du bail et des comptes bancaires qu’ils soumettent à des dispositions spéciales. L’article 574 dispose qu’en cas de cession du bail, toute clause imposant au cédant des engagements solidaires avec le cessionnaire est inopposable au syndic. Cette rège renforce la préservation du patrimoine de l’entreprise en écartant l’aggravation de ses charges notamment par une solidarité passive avec le cessionnaire. Elle ne manque pas de compliquer encore plus le droit du bail déjà bien problématique en lui-même. La résiliation du contrat de travail par le syndic demeure possible. Elle ne doit cependant pas traduire d’abus contre les salariés.
En matière bancaire, l’article 577 précise que le syndic peut en toute circonstance faire fonctionner les comptes bancaires et postaux dans l’intérêt de l’entreprise. A priori , ce texte ne fait que confirmer le principe de continuité de la gestion posé par l’article 571 déjà cité et le dernier alinéa de l’article 573 écartant la résiliation et la résolution automatiques des contrats en cours ou à terme . Cependant certains auteurs n’hésitent pas à le comprendre différemment en raison d’abord de sa contradiction avec d’autres dispositions du code de commerce. L’article 503 du C.C décide que le compte à vue est clôturé notamment par le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire du client. L’article 525 en fait de même de manière plus intéressante dans les ouvertures de crédit. Enfin l’article 593 ajoute que lorsque l’entreprise a fait l’objet d’une interdiction d’émettre des chèques en raison de faits antérieurs au jugement d’ouverture, le tribunal peut prononcer la suspension des effets de cette mesure pendant la durée d’exécution du plan et du règlement passif.
L’article 577 renforce aussi la perplexité à la lumière de l’article 63 de la loi bancaire de 1993 , abrogée et remplacée par la loi n°34-03 du 14 février 2006 sur les établissements bancaires et le crédit , permet à la banque de clôturer le compte courant , sans préavis quand la situation du bénéficiaire est irrémédiablement compromise .
Observons, en premier lieu, que les articles 503 et 525 du code de commerce visent à l’existence des comptes alors que l’article 593 ne concerne que l’utilisation du chéquier. L’interdiction d’émettre des chèques ne signifie point fermeture des comptes. En second lieu, les dispositions de la loi bancaire concernent le débiteur dont la situation est irrémédiablement compromise et par conséquent qui doit subir la liquidation judiciaire et non bénéficier du redressement. La sanction frappe le débiteur, elle ne touche pas le syndic sensé résoudre les problèmes. Son application suppose que la période de continuation provisoire a expiré ou n’a pas eu lieu. Elle se situe dans l’optique d’une liquidation judiciaire. Par ailleurs le texte visé se situe dans le cadre des conditions professionnelles régissant l’exercice de l’activité bancaire. Sans se substituer aux dispositions du code de commerce, il n’en perturbe pas moins l’application.
Mais, le problème d’interprétation ne se poserait pas si la loi retenait ce concept sans précision. Dans une telle hypothèse on pourrait dire que seule une décision judiciaire est susceptible de constater que la situation est irrémédiablement compromise. Par conséquent la banque n’a point de compétence pour le faire et décider unilatéralement la clôture du compte en dehors de jugement spécifique l’autorisant à mettre fin au contrat ou d’un jugement prononçant la liquidation judiciaire.
Malheureusement, la loi bancaire étant antérieure au nouveau code de commerce, ses rédacteurs ont estimé prudent de confier cette attribution à la banque lorsqu’elle pense que la situation de son client est irrémédiablement compromise « notamment à la suite de l’accumulation des créances impayées, de la détérioration sensible de la situation financière ou de la cessation d’activité prolongée sans perspective de reprise dans un délai raisonnable ». Bien que le principe soit l’application de la loi postérieure, en l’occurrence le code de commerce, partant de la nécessité de reléguer la disposition de la loi bancaire aux cas où il n’y a pas de procédure judiciaire de difficultés d’entreprise, nous pensons que le recoupement de ce texte avec les prescriptions en matière d’incident de paiement, des précisions expresses et précises des articles 503 et 525 du code de commerce et de devoir d’information postérieures à la loi bancaire , incitent à donner la préférence au code de commerce tout en astreignant la banque et les tribunaux a beaucoup de vigilance et de prudence . Ces considérations ont perdu d’intérêt avec la nouvelle loi bancaire de 2006 qui ne reproduit pas ces dispositions. L’application des règles posées par le Code de Commerce devient obligatoire sans nul besoin de la fonder sur des raisonnements rationnels ou de bon sens.
Dans cet esprit la banque doit arrêter le compte, non le clôturer, avant la saisine du tribunal d’une demande d’ouverture des procédures. En cas de contestation du débiteur, elle doit provoquer une décision du tribunal et si le jugement d’ouverture est déjà prononcé, elle saisit le syndic ou le juge commissaire en vue d’un arrêté compte provisoire a la date du jugement et éventuellement l’ouverture d’un autre compte que le syndic pourrait faire fonctionner conformément à l’article 577 du code de commerce.
Ainsi on peut dire qu’il y a une conciliation entre les dispositions légales imposant la continuation des contrats en cours et celles qui prescrivent la clôture des comptes bancaires. En vertu d’une interprétation large de l’article 578 du code de commerce, le juge commissaire est habilité à autoriser ce type d’arrangement d’autant plus que ce dernier s’avère une solution raisonnable pour la protection de tous les intérêts en présence.