Les sources du droit public des biens (Constitution, CEDH…)

Les sources du droit public des biens

Les sources mutent et s’enrichissent. Dans l’ordre, la Constitution, les sources européennes (enrichissement le plus récent et le plus novateur, tant de l’Union européenne que de la Convention EDH), le cadre prétorien (la mutation se justifie ici, au départ le droit a été forgé par le juge administratif, des conflits, voire judiciaire). Egalement le droit positif soit découlant des normes européennes, soit par la codification visant à embrasser de manière globale et cohérente le régime juridique des biens publics. 2006 par la publication du CG3P est une charnière.

Sources constitutionnelles

De la décision Cons. Const. 25 juin 1986, on tire un principe d’incessibilité à vil prix. Ce n’est pas tant une nouveauté mais un renvoi à l’interdiction des libéralités. Les personnes publiques n’ont pas la complète autonomie de leur volonté, elles sont cantonnées à des finalités particulières. La complète autonomie est une hérésie si l’on imagine encore la personne publique comme dépositaire d’une charge, des deniers publics. La décision de 1986 n’est pas la première à clamer l’incessibilité à vil prix. Y. Gaudemet n’y voit que « l’expression dans le droit des biens la règle selon laquelle les personnes publiques ne peuvent consentir de libéralités ». L’interdiction des libéralités est issue de l’arrêt de 1893, Chemins de fer de l’Est (avant Mergui).

Y. Gaudemet continue : la prohibition des libéralités a été relayée par la jurisprudence constitutionnelle, mais préexistait dans d’autres sources. La protection des sources constitutionnelles ne joue que dans une certaine mesure : s’il n’y a en face de personnes publiques, s’il n’y a pas de considération d’intérêt général (v. Commune de Mer et Commune de Fougerolles).Cf. Article Cahiers du Conseil constitutionnel 2012, Y. Gaudemet.

Dans la décision Const. Const. 8 avril 2011, n°2011-118 QPC, sur les biens des sections communes, la protection dont jouit la propriété publique n’est pas équivalente à celle de la propriété privée dont la protection est affirmée dans toute hypothèse. S’agissant de la cession de propriété entre personnes publiques, les exigences sont moins strictes. « que le droit au respect des biens garanti par ces dispositions ne s’oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un objectif d’intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques ».

Voir également la décision Cons. Const. 3 décembre 2009.

 

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen

  • Articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 :
  • Article 2 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression »
  • Art. 17 DDHC : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »
  • Article 544 du code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
  • Article 545 du code civil : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Sources européennes

Tout d’abord, la Convention européenne des droits de l’Homme et particulièrement l’article 6 et l’article 1P1. L’article 6 conduit à imposer des exigences procédurales renforcées.

La protection conventionnelle de la propriété protège de manière très extensive la notion de biens, comme une créance ou même une espérance légitime. Le Conseil constitutionnel refuse de s’aligner sur ce degré supplémentaire de protection visant les créances/droits patrimoniaux et non la seule propriété.

La Cour EDH et la Convention vise dans les « particuliers » (personnes physiques ou morales) les titulaires des créances, les Etats les débiteurs de leur respect. La notion de particuliers suppose donc l’exclusion des personnes publiques. Dans la décision CEDH 1994, les saints monastères c/ Grèce, un certain nombre d’hypothèses conduit la Cour à admettre qu’une personne publique puisse être protégée et invoquer la protection de la Convention, d’une part en l’absence de prérogatives de puissance publique, d’autre part en raison de son autonomie.

Dans un arrêt CE 23 mai 2007, Département des Landes, le Conseil d’Etat estime que l’article 1P1 ne créée pas de droits dont les collectivités locales peuvent se prévaloir à l’encontre de l’Etat.

Il n’existe donc pas de protection conventionnelle de la propriété des personnes publiques à raison du champ d’application de la Convention.

Ce n’est qu’une espèce de droit administratif des biens relative à une jurisprudence constante d’invocation de la Convention EDH par les collectivités territoriales. Notamment, CE 23 septembre 2003, Commune d’Etampes. Nota : « ne saurait utilement invoquer » renvoie à l’inopérance du moyen, à une norme qui n’est pas applicable.

Les jurisprudences de la Cour EDH et du Conseil d’Etat sont fermes sur l’impossibilité pour les personnes publiques d’invoquer la Convention EDH, hormis la très réservée espèce de 1994.

Le Conseil constitutionnel dans la décision de 2011 sur les sections de commune refuse de voir le droit de jouissance des habitants communaux comme protégé au titre de la propriété. La Cour EDH au contraire estime que l’article 1P1 est invocable aux habitants ayant la jouissance de biens communaux. Not. dans un arrêt de 2004. Le Conseil d’Etat s’est aligné dans un arrêt CE 26 mai 2008 : la jouissance des biens communaux est protégé par la Convention mais non pas la Constitution.

La protection conventionnelle est de plus grande portée (jusqu’à l’espérance légitime) et de moindre étendue (les personnes publiques ne peuvent invoquer la Convention).

L’arrêt CEDH 29 mars 2010, Brosset et Triboulet c/ France concerne une maison construite sur le domaine public maritime et vouée à la destruction. La Cour s’interroge sur la possibilité d’identifier des biens sur le domaine public et si oui quel est l’étendue de la protection de ces biens. La notion de bien ne se limite pas aux biens actuels mais peut recouvrir des créances en vertu duquel le particulier a une espérance légitime (cf. Önerizdiyz c. Turquie). La Cour EDH ne modifie pas le cadre juridique de principe : elle relève notamment l’acquisition de bonne foi de la maison, mais de manière réaliste la Cour doute que les personnes aient pu continuer à jouir de leur maison car les autorisations d’occupation domaniale mentionnaient la révocabilité. Cependant, le temps écoulé a fait naitre un intérêt patrimonial constitutif d’un bien, une espérance légitime. Et l’arrêt Önerizdiyz s’applique. Dans l’arrêt de 2010 : alors même que la Cour relève que les occupants ne pouvaient se croire propriétaires, mais elle reconnait que la jouissance durable a fait naitre un intérêt patrimonial. Distinction propriété et bien dans la réflexion de la Cour.

Au cas d’espèce, l’application reste raisonnable et la Cour ne condamne pas la France. Elle rappelle la non contestation au domaine public maritime, et relève que l’injonction et le non renouvellement de l’occupation ne sont pas une privation de propriété mais une règlementation de l’usage des biens. En conséquence, l’ingérence est moindre et tout autant sa justification doit l’être. Elle vérifie alors les finalités : protection du littoral, ouvert à tous, politique d’aménagement … pour conclure à une adéquation entre l’atteinte, ses raisons, et les intérêts protégés.

Dispositif qui ne présente pas du tout les mêmes caractéristiques que la protection constitutionnelle qui est beaucoup plus large. La portée est aussi différente : conception du droit de propriété beaucoup plus stricte par le Conseil constitutionnel par rapport à la CEDH qui considère qu’une jouissance ou qu’un intérêt patrimonial peut constituer un bien.

CE, 22 juillet 2011, Commune de Saint Martin d’Arrossa, n°330481 : transfert à la commune d’un bien appartenant à une section de commune (hameau). S’est posée la question de savoir si le droit de propriété protégé par la Convention EDH (1P1) pouvait être invoqué par les membres de la section et non pas par la section elle-même. Le Conseil d’État dit que la jouissance des biens communaux est protégée par 1P1 et se met en harmonie avec la jurisprudence de la Cour. Le 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel avait dit que les membres de la section de commune ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur ces biens dès lors qu’ils ne disposent que de la jouissance de ceux de la section. La seule jouissance d’un bien n’entraine pas la protection constitutionnelle du droit de propriété. Dans Commune de Saint Martin d’Arrossa, le Conseil d’État dit : considérant que les membres de la section ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur les biens ou droits de la section qui est une personne publique titulaire elle même de ce droit (la le Conseil d’État s’aligne sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel). Toutefois le droit de jouissance peut être regardé comme un droit patrimonial protégé par le premier protocole additionnel de la Convention européenne (conformité avec la jurisprudence de la Cour EDH). Double mise en conformité.

Autre problème : l’insaisissabilité des biens des personnes publiques qui est susceptible de heurter le droit européen : potentiellement une aide d’état.

Autre problème : les autorisations domaniales. Et la jurisprudence Jean Bouin qui fait que publicité et concurrence ne s’appliquent pas à aux conventions d’occupation domaniale.

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