Suspension et référé en droit belge

Suspension et référé (contentieux administratif en Belgique)

I. Raisons d’être et historique

En raison du privilège du préalable, l’administration peut exécuter ses actes même lorsqu’ils font l’objet d’un recours au CE. Le problème est qu’un tel recours met plus d’un an pour aboutir, ce qui signifie qu’un acte illégal peut être appliqué pendant un temps assez long et de façon parfois très préjudiciable.

C’est pourquoi la doctrine a assez vite soulevé la nécessité de mettre en place un contentieux de la suspension. Mais le gouvernement s’y opposait, craignant que ça ne paralyse l’administration.

Les choses ont cependant progressivement évolué :

1°. Au départ, certaines dispositions à portée très limitée ont attaché un caractère suspensif à l’introduction d’un recours devant le Conseil d’Etat. Ca ne visait cependant que :

– le contentieux de la cassation administrative sur certains points

– le contentieux de l’annulation en matière fiscale sur un point très limité

2°. Puis, la jurisprudence a elle-même décidé de donner un effet suspensif limité à certains recours en annulation. En effet, certaines autorisations (ex. permis d’urbanisme) sont accordées à l’administré pour un délai déterminé et parfois, si l’autorisation en question est attaquée, ce délai est expiré le temps que le Conseil d’Etat rende son arrêt. C’est pourquoi le Conseil d’Etat a estimé que le délai attaché à l’autorisation serait suspendu jusqu’à ce que le Conseil d’Etat rende son arrêt.

3°. Puis, en 1980, la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers a prévu que les arrêtés de renvoi ou d’expulsion des étrangers pourraient être assortis d’un sursis à l’exécution en cas de recours.

Le législateur s’est en fait rendu compte qu’en cas d’exécution immédiate, un préjudice irréparable pourrait être causé.

4°. Ensuite, en 1983, la loi portant organisation, compétence et fonctionnement de la Cour d’arbitrage a instauré une procédure en suspension pour les normes législatives faisant l’objet d’un recours devant le Cour d’arbitrage et invoquant :

– des moyens sérieux

– un risque de préjudice grave et difficilement réparable en cas d’exécution immédiate

5°. Ensuite, les juges judiciaires des référés se sont basés sur l’article 584 C.J. (pouvoir de statuer au provisoire dans les cas d’urgence) pour adresser à l’administration des injonctions, positives (obligation d’agir) ou négatives (interdiction d’agir).

– au départ, ils ne l’ont fait que lorsque l’administration agissait de manière manifestement et gravement illégale, en causant aux administrés un préjudice irrémédiable

– puis, ils ont élargi leur champ d’action :

· en ce qui concerne la gravité de l’illégalité : à la base, elle devait être grave et manifeste, puis on a accepté de simples apparences de droit suffisantes.

· en ce qui concerne la nature des agissements de l’administration : à la base, il fallait une voie de fait évidente et grave, puis on a accepté des décisions causant simplement un préjudice disproportionné par rapport à l’avantage qu’elles sont censées apporter à l’administration et aux citoyens.

Ces injonctions n’étaient cependant pas encore, à proprement parler, des suspensions : entre parties, leur effet était le même, mais elles n’avaient pas d’effets pour les tiers et elles n’étaient que provisoires.

La suspension restait donc nécessaire puisqu’elle pouvait apporter un effet erga omnes et une cohérence du fait qu’elle serait prononcée par le même juge que l’annulation.

6°. Le législateur a donc fini, en 1989, par prévoir une procédure en suspension pour les actes administratifs faisant l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat. Pour obtenir la suspension, il fallait remplir 3 conditions :

– convaincre la chambre saisie à l’unanimité

– invoquer un risque de préjudice grave et difficilement réparable

– invoquer des moyens sérieux liés à la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution : cette condition était assez aberrante et aboutissait à ce que tous les requérants aient recours à des acrobaties juridiques pour tenter de rattacher les irrégularités de l’acte attaqué à la violation de ces articles

L’introduction d’un recours en suspension était suspensive, ce qui posait aussi pas mal de problèmes : il y avait beaucoup d’abus.

7°. En 1991, la procédure en suspension a été améliorée :

– on a supprimé le caractère suspensif du recours et prévu à la place une procédure en extrême urgence

– on a supprimé la condition que les moyens sérieux soient liés à la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution

– on a instauré la possibilité d’obtenir des mesures provisoires et des astreintes

– on a supprimé l’exigence d’unanimité (sauf pour les mesures provisoires)

8°. En 1993, on a supprimé le sursis à l’exécution dans le contentieux des étrangers et on l’a soumis à la procédure ordinaire de suspension, ce qui a simplifié les choses.

9°. En 1996, on a confié le contentieux de la suspension à un juge unique.

II. La suspension

  • Conditions

1. L’acte dont l’exécution peut être suspendue

a) Les actes et règlements

En vertu de l’article 17 LCCE, sont susceptibles de suspension les règlements et actes administratifs annulables visés par l’article 14 LCCE.

Implicitement, on peut en déduire que les décisions contentieuses ne sont pas susceptibles de suspension.

b) L’exclusion des décisions contentieuses

Aucune explication n’a été donnée du fait que l’article 17 LCCE exclue les décisions contentieuses. Peut-être était-ce parce qu’à l’époque, la suspension ne pouvait être obtenue qu’en cas de violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution et qu’on estimait que les décisions contentieuses risquaient peu de violer ces articles.

Toujours est-il qu’aujourd’hui, ça ne se justifie plus vraiment car :

– la suspension peut être obtenue pour des moyens autres que la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution, or il est tout à fait possible qu’une décision contentieuse viole gravement une disposition autre que ces articles.

– l’exclusion vise aussi les actes administratifs qui exécutent les décisions contentieuses, et ces actes peuvent parfois causer un préjudice grave et difficilement réparable.

c) Les décisions expressément exclues

La loi peut exclure certaines décisions du recours en suspension pour peu que ça ne soit pas discriminatoire.

Dans cette optique, certaines décisions en matière d’étrangers avaient été exclues du recours en suspension, mais la Cour d’arbitrage a annulé les dispositions qui le prévoyaient car elles étaient disproportionnées.

 

d) Les décisions négatives

1) Les décisions implicites de rejet

L’article 17 LCCE dispose que ne sont susceptibles de suspension que les règlements et actes administratifs annulables visés par l’article 14 LCCE.

Or, une décision implicite de rejet n’est annulable que si elle a été obtenue au terme de la procédure prévue par l’article 14, §3 LCCE qui implique un délai de 4 mois. On estime sans doute ce délai inconciliable avec l’urgence sous-jacente à une demande de suspension et c’est pour ça qu’on ne peut obtenir la suspension d’une décision implicite de rejet.

Notons cependant qu’une partie de la jurisprudence est assez souple et admet parfois la suspension.

2) Les décisions négatives expresses

En ce qui concerne les décisions négatives expresses, aucun texte n’exclut leur suspension. Elle est donc techniquement possible. Il faut cependant distinguer 2 types de situations :

1°. Celles où l’administration avait une compétence liée: dans ces cas, si elle a refusé d’exercer sa compétence, la suspension se justifiera puisqu’elle permettra au CE, indirectement (voire directement, via des mesures provisoires), d’enjoindre l’administration à exercer sa compétence.

2°. Celles où l’administration avait une compétence discrétionnaire: dans ces cas, si elle a refusé d’exercer sa compétence, la question se pose de l’intérêt pour le requérant à obtenir la suspension. Elle risque de ne lui apporter aucune satisfaction autre que morale. En effet, la suspension d’une décision négative (tout comme son annulation d’ailleurs) n’implique pas nécessairement une décision positive contraire : par ex., ce n’est pas parce que le Conseil d’Etat suspend un refus de permis de bâtir qu’on pourra bâtir.

Le Conseil d’Etat va-t-il déclarer irrecevable la requête en suspension ?

– à la base, on a eu 2 courants jurisprudentiels :

  • certains arrêts suspendaient, même sans intérêt pour le requérant
  • d’autres ne suspendaient que dans les rares cas où ça avait un intérêt pour le requérant (ex. la suspension d’un refus d’autorisation de séjour permet d’éviter une expulsion)

– en 1999, l’AG de la section A a tranché cette controverse en admettant la recevabilité des demandes de suspension même quand elles n’ont pas d’intérêt pour le requérant.

Elle s’est basée sur le fait que la suspension aurait l’autorité de la chose jugée et permettrait donc d’influencer le cours ultérieur de la procédure. C’est discutable.

  1. La suspension se greffe sur le recours en annulation

  1. a) La nécessité d’un recours en annulation

Le recours en suspension est considéré comme l’accessoire du recours en annulation. Ca implique qu’on ne peut introduire un recours en suspension que si on introduit aussi un recours en annulation :

– soit simultanément

– soit après, mais dans le délai de recours

pasavant : une fois qu’on a demandé l’annulation, on ne peut plus demander la suspension

Si ce n’est pas fait, le recours en suspension sera irrecevable, et si le Conseil d’Etat avait déjà admis la suspension, elle sera levée. Le juge civil des référés, lui, restera cependant compétent.

  1. b) L’existence et l’apparente recevabilité du recours en annulation

Comme la suspension suppose un recours en annulation, quand un requérant demande la suspension, le Conseil d’Etat contrôle déjà si son recours ou futur recours en annulation n’est pas irrecevable. En effet, si le recours en annulation semble irrecevable, le recours en suspension le sera aussi.

Cette appréciation n’est cependant que provisoire et ne préjuge pas de ce qui sera véritablement décidé au contentieux de l’annulation.

  1. c) Le recours en annulation peut rester virtuel

Parfois, la suspension suffit et l’annulation n’a plus aucun intérêt. C’est le cas quand l’acte administratif visé à une durée limitée dans le temps et qu’il ne sortirait de toute façon plus ses effets lorsqu’il serait statué sur l’annulation.

Dans ce cas, on admet que le recours en suspension ne soit pas suivi de recours en annulation.

Ex. : une décision interdit le déroulement d’un concert de hard rock car on craint des émeutes. Le Conseil d’Etat la suspend et le concert a lieu. Ensuite, l’annulation n’a plus aucun intérêt.

  1. L’invocation de moyens d’annulation sérieux

Pour être accueillie, une requête en suspension doit invoquer des moyens sérieux, c’est à dire des moyens paraissant suffisamment recevables et fondés pour entraîner l’annulation de l’acte.

Le sérieux d’un moyen s’apprécie d’après la vraisemblance :

– des faits allégués : à ce sujet, notons que, quand la partie adverse n’a pas déposé de dossier administratif (ce qui est le cas dans les procédures en extrême urgence), les faits allégués par le requérant sont réputés prouvés tant qu’ils ne semblent pas manifestement inexacts.

– de l’illégalité invoquée : l’argumentation doit donc déjà sembler suffisamment fondée.

Dans l’absolu, on peut dire que le requérant en suspension se trouve dans une position plus inconfortable que le requérant en annulation :

– vu la rapidité de la procédure, souvent, la partie adverse remet un dossier administratif incomplet. Ca rend donc la tâche du requérant plus ardue au niveau de la preuve, sauf quand aucun dossier n’est remis car, dans ce cas, comme on l’a vu supra, les faits allégués par le requérant sont réputés prouvés.

– les moyens invoqués dans la requête ne peuvent être affinés ou étoffés ultérieurement.

  1. Le risque de préjudice grave et difficilement réparable (PGDR)

  1. a) Nécessité

En principe, on estime qu’un arrêt d’annulation suffit pour redresser une illégalité. Il faut respecter le privilège du préalable et, s’il y a annulation, il est toujours temps d’effacer les effets de l’acte a posteriori.

Cependant, dans certains cas, l’annulation ne suffirait pas à effacer ces effets. Ce sont les cas où l’exécution de l’acte en vertu du privilège du préalable causerait un préjudice grave et difficilement réparable. Là, la suspension est nécessaire.

Le risque de PGDR est apprécié de manière assez empirique. Il n’y a pas de véritable théorie générale. Tout au plus peut-on dégager quelques critères de la jurisprudence.

  1. b) Le risque de préjudice

Le contentieux de la suspension suit une logique préventive. Il sert dans les cas où l’effacement a posteriori des effets de l’acte ne serait pas suffisant.

Résultat : il ne faut pas que le dommage soit déjà consommé. Au contraire, il faut qu’il puisse encore être évité. Il faut donc un risque de dommage, une probabilité vraisemblable.

Ce risque s’apprécie en général au pifomètre. Dans certains cas cependant, on peut raisonnablement l’écarter, par ex. :

– quand l’auteur de l’acte s’est formellement engagé à ne pas l’exécuter

– quand l’acte a fait l’objet, au référé civil, d’une mesure équivalent à une suspension

– quand le dommage est déjà totalement consommé

  1. c) La gravité du préjudice

1) La gravité intrinsèque

Le préjudice doit d’abord être évalué abstraitement, hors de son contexte.

Il doit léser un intérêt objectif. Il ne suffit donc pas de créer une association avec un objet social saugrenu pour prétendre subir un préjudice.

Certains préjudices peuvent être considérés comme graves dès ce stade (ex. démolition d’un ancien bâtiment, révocation d’un agent, expulsion d’un candidat réfugié politique,…).

2) La gravité liée aux moyens

En principe, les conditions de moyen sérieux et de risque de PGDR doivent être bien dissociées. Cependant, parfois, les circonstances font qu’elles sont imbriquées et que le risque de PGDR peut se déduire du moyen sérieux.

Exemples :

– quand un moyen reconnu sérieux invoque le détournement de pouvoir, la jurisprudence a tendance à considérer que la malveillance qui s’attache au détournement de pouvoir est de nature à conférer une certaine gravité au préjudice.

C’est parfois justifié, mais pas toujours : par ex., si X a été nommé à ma place par favoritisme, mon risque de préjudice n’est pas plus grave que s’il a été nommé dans une décision entachée d’un vice de forme.

Il faut donc éviter d’attacher de telles conséquences au détournement de pouvoir.

– quand un moyen est reconnu sérieux pour une illégalité interne, il y a plus de chances qu’on ait un risque de PGDR que quand le moyen est reconnu sérieux pour une illégalité externe (ex. vice de forme).

En effet, si l’acte est annulé pour vice de forme, il y a de fortes chances qu’il soit refait à l’identique, en corrigeant simplement le vice de forme. Il finira donc de toute façon par produire ses effets et il ne sert à rien de le suspendre. Par contre, si l’acte est annulé pour une illégalité interne, c’est qu’il ne pouvait vraiment pas être pris et donc, le dommage découlant de son exécution immédiate risque d’être plus grave.

– quand un moyen est reconnu sérieux parce qu’on n’a pas respecté l’obligation de faire une étude d’incidence sur l’environnement, il y a de fortes chances que le risque de PGDR soit reconnu car, quand une telle obligation existe, c’est que l’acte est présumé présenter un risque pour l’environnement.

– parfois enfin, le moyen sérieux implique nécessairement le risque de PGDR : ce sont les cas où dans le contentieux des étrangers, le Conseil d’Etat reconnaît comme moyen sérieux qu’en cas d’expulsion, l’étranger aura à redouter des persécutions.

3) La gravité du préjudice et la nature de l’acte attaqué

Une certaine doctrine estime que la suspension doit être plus facilement accordée quand l’acte attaqué est une autorisation, surtout si elle est délivrée à une personne privée.

En effet, dans un tel cas, on ne risque pas de nuire à la continuité du SP et à l’intérêt général.

C’est une doctrine qui a été peu suivie par la jurisprudence et qu’il faut rejeter car elle ne tient pas compte du fait qu’une suspension peut causer un dommage très lourd, même à un particulier.

4) La mise en balance des préjudices

Parfois, le dommage subi à cause de la suspension d’un acte risque d’être encore plus grave que celui qui serait subi si l’acte n’était pas suspendu. Dans ces cas, le Conseil d’Etat les met en balance et refuse parfois la suspension, même si le requérant a pu prouver un risque de PGDR.

  1. d) L’imputabilité du préjudice à l’acte attaqué

Le requérant ne peut invoquer un risque de PGDR que si ce préjudice :

– est imputable à l’acte attaqué, du moins en partie (l’acte attaqué doit être l’un des principaux éléments dans l’enchaînement des causes génératrices du préjudice)

– n’est pas imputable à son attitude

  1. e) Le préjudice ne peut avoir été prévu

Le préjudice doit être très inattendu et improbable. S’il était de l’ordre du prévisible, il ne sera pas reconnu, même s’il est grave.

Ex. : perdre son emploi est un préjudice, mais il ne sera accepté comme cause de suspension que si l’emploi était stable (statutaire) et non précaire (contractuel, temporaire ou stagiaire).

  1. f) Le caractère difficilement réparable du préjudice

Le caractère difficilement réparable du préjudice s’apprécie d’après une réparation en nature. En effet, tout préjudice peut être réparé par équivalent (même la mort !) et, si on choisissait ce critère, aucun préjudice ne serait difficilement réparable.

Ne sont donc pas considérés comme difficilement réparables :

– les préjudices pécuniaires: ils se réparent de toute façon par équivalent. Le fait que les juridictions aient tendance à accorder des D.I. insuffisants n’est pas reconnu comme risque de PGDR.

En fait, les seuls préjudices pécuniaires reconnus comme PGDR sont la faillite, la déconfiture et l’exclusion sociale.

– les préjudices moraux: ils sont en principe réparés par l’arrêt d’annulation, sauf s’ils sont doublés d’un préjudice matériel ou s’il a un véritable risque d’atteinte à la réputation du requérant.

  1. g) Les victimes du préjudice

Le risque de préjudice doit affecter le requérant : autrement, il n’aurait pas d’intérêt à agir.

Mais en raison du caractère objectif du contentieux de la suspension, le Conseil d’Etat peut aussi prendre en compte le préjudice que l’acte risque de faire subir à d’autres personnes.

Ex. : dans ses arrêts SPRL Sound and Vision (concert du groupe Slayer), le Conseil d’Etat a reconnu le risque de PGDR alors que le requérant invoquait un préjudice grave mais facilement réparable car des tiers, à savoir les fans du groupe, risquaient, eux, un préjudice peu grave mais difficilement réparable.

  1. h) La nature juridique du préjudice n’est pas un critère

Certains ont dit que, quand le préjudice risqué était l’atteinte à un droit purement civil, le Conseil d’Etat était incompétent pour suspendre l’acte.

En fait, c’est faux, car la compétence du Conseil d’Etat doit s’apprécier en fonction de l’objet véritable du recours, et cet objet est la suspension et non la réparation d’un préjudice civil.

  1. La suspension n’est pas automatique : la balance des intérêts

Quand les conditions de la suspension sont réunies, le Conseil d’Etat doit il l’ordonner ou bien est-ce une simple faculté laissée à son pouvoir d’appréciation ?

Les termes de la loi indiquent que c’est une simple faculté. Le Conseil d’Etat peut donc décider de ne pas suspendre s’il estime que la suspension causerait un préjudice encore plus grave que l’exécution immédiate de l’acte.

Il peut le faire de 3 manières :

– soit en appliquant explicitement la théorie de la balance des intérêts et en disant que la suspension causerait un préjudice pire que l’absence de suspension

– soit en appliquant implicitement la théorie de la balance des intérêts : ça peut se faire de 2 manières :

  • en refusant la suspension parce que, bien que le moyen soit sérieux, il n’empêcherait pas l’administration de refaire le même acte en le corrigeant
  • en accordant la suspension, mais assortie de mesures provisoires en faveur de la partie adverse, de la partie intervenante ou de tout tiers intéressé, dans le but d’atténuer les effets de la suspension

Cette application implicite a le mérite de ne pas montrer explicitement que le Conseil d’Etat statue en opportunité.

  1. L’astreinte

En principe, une décision de suspension se suffit à elle-même, mais parfois, on peut craindre une mauvaise volonté ou une lenteur de l’administration.

Donc, comme au contentieux de l’annulation, le Conseil d’Etat peut assortir ses décisions de suspension d’une astreinte. Elle doit être demandée par le requérant qui doit préciser son montant et ses modalités.

Elle est prononcée par le Conseil d’Etat en même temps que la suspension et est versée au Fonds de gestion des astreintes.

  1. La procédure

Il existe 2 procédures en suspension :

– une procédure ordinaire qui permet d’obtenir une suspension dans les 45 jours.

– 2 procédures d’extrême urgence qui permettent d’obtenir une suspension en quelques jours, voire en quelques heures.

  • l’une s’applique quand la partie adverse a pu être entendue
  • l’autre s’applique quand la partie adverse n’a pas pu être entendue

Les procédures en extrême urgence permettent de pallier à la suppression de l’effet suspensif du recours en suspension (v. supra).

  1. La procédure ordinaire

  1. a) La demande de suspension

La requête en suspension doit consister en un acte distinct de la requête en annulation.

Elle doit remplir des conditions :

– de forme :

  • elle doit être envoyée par pli recommandé
  • elle doit respecter les formes habituelles des pièces de procédure

– de fond :

  • elle doit contenir un exposé des faits
  • elle doit exposer des moyens sérieux, c’est à dire susceptibles d’entraîner une annulation
  • elle doit justifier un risque de PGDR

Dans l’absolu, on peut dire que le Conseil d’Etat n’est pas excessivement formaliste et accepte avec indulgence les requêtes rédigées maladroitement pour peu qu’on y retrouve les éléments essentiels.

La requête n’a pas d’effet suspensif, mais elle crée une incertitude. L’auteur de l’acte sait donc que, s’il exécute son acte, il le fait à ses risques et périls. En effet, il risque :

– que sa responsabilité soit engagée

– que le Conseil d’Etat soit plus sévère quand il appréciera l’opportunité dune astreinte ou de mesures provisoires

  1. b) Notification et publicité de la demande

– en tout état de cause, le greffier en chef s’occupe de :

  • notifier la requête à la partie adverse, sans délai
  • avertir les tiers intéressés susceptibles de se porter parties intervenantes

Ca se fait par pli recommandé ou par porteur.

– quand l’acte attaqué est un règlement, en plus, un avis est publié au MB

  1. c) Interventions

La procédure n’autorise explicitement à intervenir que :

– pour les règlements, tout intéressé

– pour les actes individuels, les personnes averties de la requête par le greffier en chef

Mais en pratique, àpdu moment où une personne a un intérêt, sa requête sera recevable.

La requête en intervention s’introduit dans les formes habituelles des actes de procédure. Elle ne vaut que pour la suspension et pas pour l’annulation. C’est le seul écrit que devra déposer l’intervenant.

  1. d) Dossier administratif et note d’observations éventuelle

La partie adverse envoie dans les 8 jours 2 documents par porteur :

– le dossier administratif (obligatoire) : s’il est déposé en retard, aucune sanction n’est prévue

– une note d’observations (facultative) qui sert de mémoire en réponse : si elle est déposée en retard, elle doit être écartée des débats

  1. e) Rapport de l’auditeur

Il n’y a pas de réplique du requérant et donc, l’auditeur est saisi dès le dépôt du dossier administratif.

Il a 8 jours pour faire son rapport, avec les mêmes pouvoirs d’instruction que dans un recours en annulation, mais c’est un délai d’ordre.

2 situations peuvent se présenter :

– soit il estime que la requête est manifestement irrecevable ou non fondée : dans ce cas, il peut limiter son rapport à cet aspect

– soit ce n’est pas le cas et alors, il doit faire un rapport plus complet (même s’il peut se contenter d’examiner le moyen qu’il estime séreux)

  1. f) Fixation et audience

Il y a 2 procédures :

– une procédure simplifiée pour quand l’auditeur a estimé la requête manifestement irrecevable ou non fondée

– une procédure normale pour les autres cas

1) Procédure normale

1 – Composition du siège (à titre indicatif)

Avant 1996, c’était la chambre compétente pour statuer sur l’annulation qui statuait sur la suspension.

Depuis 1996, c’est uniquement le président de cette chambre (ou tout conseiller d’Etat qu’il désigne à cette fin) qui statue sur la suspension. On est passé à un siège à magistrat unique afin de désengorger le Conseil d’Etat.

Le problème que pose cette composition est que, comme c’est le même magistrat qui est censé siéger au provisoire et à l’annulation, on a un risque de partialité.

A la base, on s’arrangeait pour qu’un même juge ne puisse pas siéger dans les 2 aspects de l’affaire, mais aujourd’hui, on ne le fait plus, d’où des demandes de récusation. A leur propos, il faut distinguer entre plusieurs situations :

– quand le recours ne porte pas sur des droits et obligations à caractère civil, il ne pourra pas y avoir de récusation

– quand le recours porte sur des droits et obligations à caractère civil, ça dépend :

  • si le président statuant sur la suspension a simplement refusé de reconnaître l’irrecevabilité ou l’absence de fondement manifeste proposée par l’auditeur, il ne pourra pas y avoir de récusation
  • s’il a refusé la suspension pour défaut de risque de PGDR, il ne pourra pas y avoir de récusation
  • mais s’il a refusé la suspension pour défaut de moyen sérieux, il pourra y avoir récusation car il s’est déjà prononcé au provisoire sur ce qu’il devra examiner au fond

2 – Déroulement

Dès que l’auditeur a rendu son rapport, une ordonnance notifie aux parties :

– le rapport

– la date de l’audience, qui ne pourra pas être reportée

A l’audience, toutes les parties doivent être présentes ou représentées. A défaut, il y aura une sanction :

– pour le requérant, ce sera le rejet automatique de sa demande de suspension

– pour la partie adverse ou intervenante, ce sera la présomption qu’il acquiesce à la demande. Mais attention : le Conseil d’Etat garde son pouvoir d’appréciation et n’est en rien obligé d’accorder la suspension.

Pour le reste, la procédure se déroule comme au contentieux de l’annulation.

Le Conseil d’Etat doit rendre son arrêt dans les 45 jours du dépôt de la demande mais c’est un délai d’ordre rarement respecté.

3 – Instruction

Au contentieux de la suspension, le Conseil d’Etat a les mêmes pouvoirs d’instruction qu’au contentieux de l’annulation, avec quelques nuances.

4 – Questions préjudicielles

Quand une question préjudicielle est posée dans le cadre d’un recours en suspension, le problème est que le délai de réponse à une telle question n’est pas conciliable ave l’urgence du référé administratif.

Que faire alors ?

1°. Pour les questions à la Cour d’arbitrage, le législateur a prévu qu’il ne fallait les poser que s’il existait un doute sérieux sur la constitutionnalité d’une norme législative.

Mais ça reste problématique si la question doit être posée. Donc, le Conseil d’Etat a créé une règle prétorienne selon laquelle, quand il pose une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage, il accorde la suspension à titre provisoire. Elle vaudra jusqu’à ce que la Cour d’arbitrage ait statué.

2°. Pour les questions à la CJCE, on peut les poser et, en attendant la réponse, prendre toute mesure utile pour sauvegarder les droits des parties.

On peut se demander si le Conseil d’Etat doit ou a simplement la faculté de poser la question. En fait, ça dépend de savoir si le Conseil d’Etat statuant sur la suspension peut être considérée comme une juridiction dont les décisions sont susceptibles de recours interne. Cette question n’a pas encore reçu de réponse car elle na encore jamais été posée à la Cour de Strasbourg.

2) Procédure simplifiée

Quand l’auditeur a estimé la requête manifestement irrecevable ou non fondée, la solution ne prête apparemment pas à discussion et la question d’une instruction ou d’une question préjudicielle ne se pose pas. L’affaire est donc immédiatement fixée par une convocation.

A l’audience, les débats ne portent que sur le caractère manifeste de la solution :

– soit le juge suit le rapport de l’auditeur et rejette la demande

– soit le juge estime que la solution n’est pas si manifeste : dans ce cas, 2 possibilités

  • normalement, les débats seront rouverts et on retournera à la procédure ordinaire
  • exceptionnellement, si la réouverture des débats et l’établissement d’un rapport complémentaire par l’auditeur risquent de causer un retard préjudiciable, le juge peut immédiatement examiner la demande de suspension
  1. Les procédures d’extrême urgence

  1. a) Conditions de recevabilité

Le recours à la procédure d’extrême urgence doit rester exceptionnel, car elle limite fort les droits de la défense et l’instruction du dossier.

Elle ne peut donc être utilisée que si 2 conditions sont remplies :

– l’exécution immédiate de l’acte attaqué doit causer un péril imminent ou du moins susceptible de se réaliser avant 45 jours

– le requérant doit avoir agi avec la plus grande diligence (et le fait que les voies de recours n’étaient pas indiquées dans l’acte n’excuse pas l’absence de diligence)

  1. b) Les procédures sont-elles cumulables

Peut-on cumuler un recours en extrême urgence et un recours ordinaire ?

– simultanément, non : si on introduit les 2 en même temps, le Conseil d’Etat ne pourra en traiter qu’une, celle qui a été introduite à titre principal.

– successivement, parfois : si on a introduit un recours en extrême urgence qui a été rejeté, on peut en introduire un nouveau pour peu qu’il ne remette pas en cause l’autorité de ce qui a été jugé lors du 1er recours.

  • si un recours a été rejeté pour défaut d’extrême urgence, on ne pourra pas plus introduire un recours en extrême urgence mais bien un recours ordinaire
  • si un recours a été rejeté pour défaut de risque de PGDR ou de moyens sérieux, on pourra encore introduire un recours en extrême urgence ou ordinaire pour peu qu’on invoque des moyens nouveaux
  • si un recours a été rejeté pour défaut du requérant, on ne pourra plus en introduire aucun

  1. c) Et si l’urgence apparaît subitement ?

Quid si on a déjà introduit un recours en suspension ordinaire et que le péril imminent ne se manifeste qu’après ?

La situation risque d’être très inconfortable pour le requérant. En fait, il n’a qu’une seule solution : il doit introduire en extrême urgence une demande, non pas de suspension, mais de mesures provisoires tendant à ce que l’acte attaqué ne puisse, en tout ou en partie, être exécuté.

Attention : ça ne peut se faire qu’après, en cas de survenance d’un péril imminent. Il n’est pas possible, dès le départ, d’introduire simultanément une requête en suspension ordinaire et une demande de mesures provisoires en extrême urgence. Ce serait contradictoire.

  1. d) Procédure

La procédure a pour but d’être la plus rapide possible tout en respectant le principe du débat contradictoire :

– la requête doit être adressée au CE par pli recommandé, porteur, ou fax. Elle doit contenir les mêmes mentions qu’une requête en suspension ordinaire + un exposé des circonstances justifiant l’extrême urgence (sous peine d’irrecevabilité).

– dès réception de la requête, l’affaire est fixée à très bref délai (parfois quelques heures) et les parties adverses et intervenants potentiels sont avertis (ils peuvent introduire leur demande en intervention à l’audience).

– à l’audience, l’affaire est en principe examinée par un conseiller unique. Lui et l’auditeur instruisent la cause et consultent les pièces qui sont déposées. Ils peuvent éventuellement suspendre l’audience pour prendre connaissance de certaines pièces.

– en cas de défaut :

  • si c’est le requérant qui fait défaut, le rejet de la demande est automatique.
  • si c’est la partie adverse (ou intervenante) qui fait défaut, elle est censée acquiescer à la demande, mais le Conseil d’Etat peut malgré tout la rejeter. Cependant, l’arrêt ne sera rendu qu’à titre provisoire et devra être confirmé dans les 3 jours par une chambre à 3 conseillers.

– après l’instruction, les parties plaident, l’auditeur donne son avis et la cause est mise en délibéré.

  1. e) L’arrêt

L’arrêt statue sur la suspension et l’éventuelle astreinte. Il peut être immédiatement exécutoire.

Il doit être :

– notifié aux parties

– publié dans la même forme que l’acte suspendu, en tout ou en partie (en général en partie)

  1. f) La confirmation des arrêts de suspension rendus par défaut

Quand la partie adverse ou intervenante a fait défaut à l’arrêt de suspension, ce dernier est provisoire et fixe une nouvelle audience dans les 3 jours.

Vu la brièveté des délais, les parties n’ont pas le temps de s’échanger des écrits de procédure. Tout au plus la partie qui a fait défaut peut-elle déposer une note d’audience qui reprend l’argumentation qu’elle va développer oralement.

Les débats se déroulent comme lors du 1er arrêt, sous réserve que, cette fois-ci, on a une chambre à 3 conseillers et que le débat est censé être contradictoire.

L’affaire est mise en délibéré puis, dans un délai rapide (non prévu par la loi mais en général respecté), le Conseil d’Etat :

– soit confirme ou infirme le 1er arrêt

– soit constate qu’il n’y a plus lieu de statuer car l’acte suspendu a de toute façon sorti tous ses effets

  1. Renvoi éventuel du recours en annulation à l’AG

Dans 2 cas, l’affaire peut être renvoyée devant l’AG du Conseil d’Etat suite à un arrêt de suspension :

– quand la suspension a été ordonnée sur base d’un moyen pris du détournement de pouvoir : dans ce cas, le renvoi à l’AG est automatique.

– quand la suspension a été ordonnée sur base d’un moyen pris de la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution (cf. guerre scolaire) : dans ce cas, le renvoi à l’AG doit être demandé par le requérant.

L’AG examine ces moyens et :

– soit les estime fondés : dans ce cas, il y aura annulation.

– soit les estime non fondés : dans ce cas, la suspension cesse ses effets et l’affaire est renvoyée devant une chambre ordinaire qui examinera les autres moyens et décidera s’il y a lieu ou non d’annuler (notons que, dans ce cas, l’arrêt attaqué sera suspendu, puis en vigueur, puis encore éventuellement annulé, ce qui ne simplifie pas la clarté).

  1. Objet et effet de la suspension

  1. La suspension porte sur l’exécution et non sur l’acte

Ce n’est pas l’acte qui est suspendu, mais son exécution.

Dans la grande majorité des cas, l’effet est exactement le même.

Mais parfois, la nuance a un intérêt. C’est le cas quand des effets sont attachés à l’absence d’acte : comme il y a un acte, ils ne pourront pas sortir, bien que l’exécution de l’acte soit suspendue (ex. un permis de bâtir suspendu ne peut pas être exécuté mais continue à exister en lui-même et donc, le bénéficiaire de ce permis ne pourrait pas se prévaloir d’une absence de décision pour passer à l’exécution des travaux).

  1. La suspension n’a pas d’effet rétroactif à proprement parler

La suspension a un effet erga omnes et ex nunc.

Le recours en suspension n’est pas suspensif et, tant que la suspension n’a pas été prononcée, l’administration peut tout à fait exécuter l’acte.

Cependant, la suspension a aussi un effet déclaratif : quand un arrêt suspend un acte, il constate qu’il est probablement illégal et qu’il l’a toujours été. Ca aura une autorité sur d’autres mécanismes de contrôle (ex. si l’illégalité d’un acte administratif est invoquée sur base de l’article 159 de la Constitution devant une juridiction judiciaire pour la période située entre l’adoption de l’acte et sa suspension, la juridiction en question pourra se prévaloir de la suspension pour déclarer l’acte illégal).

  1. L’arrêt a autorité de chose jugée provisoirement

1°. L’arrêt qui se prononce sur un recours en suspension a une autorité de chose jugée:

– relative (inter partes) quand c’est un arrêt de rejet : il empêche simplement qu’une même demande soit réintroduite

– absolue (erga omnes) quand c’est un arrêt de suspension : il empêche

  • toute autre demande de suspension
  • que l’administration refasse l’acte attaqué sans corriger son illégalité

2°. Cette autorité de chose jugée est provisoire: elle demeure

– soit jusqu’à ce que le Conseil d’Etat se prononce sur la suspension : dans ce cas, 4 cas de figure peuvent se présenter

  • le Conseil d’Etat annule l’acte suspendu : dans ce cas, la suspension est absorbée par l’annulation rétroactive
  • le Conseil d’Etat rejette le recours en annulation : dans ce cas, la suspension est levée
  • le Conseil d’Etat n’a plus d’intérêt à annuler car la suspension a suffi à priver l’acte de tous ses effets : dans ce cas, la suspension n’a plus d’intérêt non plus
  • le Conseil d’Etat n’a été saisi d’aucun recours en annulation dans les temps : dans ce cas, la suspension est levée

– soit jusqu’à ce qu’il y ait rétractation ou modification de l’arrêt de suspension

  1. Rétractation et modification

  1. Défaut de recours en annulation

Le recours en suspension n’est que l’accessoire du recours en annulation. C’est pourquoi, si la suspension a été prononcée et si aucun recours en annulation n’a été introduit en temps utile, la suspension devra être levée.

Notons que, si l’acte attaqué avait été notifié sans mentionner les voies et délais de recours, son destinataire a 30 ans pour agir et donc, dans ce cas, la suspension pourra valoir 30 ans sans qu’un recours en annulation ne soit introduit.

  1. Rejet du recours en annulation

Le recours en suspension n’est que l’accessoire du recours en annulation. C’est pourquoi, si le recours en annulation est rejeté (ou qu’il y a désistement ou biffure du rôle), la suspension prend fin.

Le Conseil d’Etat peut :

– soit la lever (ex nunc)

– soit la rapporter (ex tunc)

  1. Levée ou modification de la suspension

Parfois, après que le Conseil d’Etat ait prononcé la suspension, les circonstances changent et font que la suspension met en péril l’intérêt général auquel doit veiller l’administration.

Dans ce cas, toute partie (en général la partie adverse ou intervenante) peut demander une levée ou modification de la suspension. Ce n’est pas une voie de recours mais bien une modification sur base de circonstances nouvelles.

La procédure est la même que dans le recours en suspension, si ce n’est que les rôles des parties sont inversés.

  1. Dépens(à titre indicatif)

Pour introduire un recours en suspension, il faut payer 175 € de timbres.

Le paiement se fait différemment selon la procédure :

– si on est dans une procédure en suspension ordinaire, les timbres doivent être payés lors de l’introduction de la requête.

– si on est dans une procédure en suspension en extrême urgence, les timbres doivent être payés plus tard,

  • soit à l’audience
  • soit, au plus tard, jusqu’au prononcé de l’arrêt de confirmation (s’il y en a un, c’est à dire si la suspension a d’abord été prononcée par défaut)

– si on est dans une procédure en annulation qui suit une procédure en suspension:

  • soit le recours en suspension a été rejeté et c’est le requérant qui demande la poursuite de la procédure : dans ce cas, c’est lui qui devra payer des timbres pour introduire sa requête en annulation.
  • soit le recours en suspension a été accueilli et c’est la partie adverse ou intervenante qui demande la poursuite de la procédure : dans ce cas, c’est elle qui devra payer les timbres.

S’il y a eu plusieurs requérants, l’application littérale de la loi aboutit à ce qu’il faille payer autant de fois les timbres qu’il y a de requérants. Ca peut aboutir à un montant énorme, contraire au principe de l’égal accès à la justice. Pour l’instant, la jurisprudence n’est pas fixée et, en attendant, le greffe se contente de demander de payer une fois les timbres.

Remarque : pour intervenir, il faut payer 125 € de timbres.

  1. Dispositions particulières relatives aux communes à facilités et à Bruxelles(à titre indicatif)

La LS du 13/07/01 a régionalisé la loi communale. Comme on craignait que ça ne permette au gouvernement flamand de porter atteinte aux droits des francophones des communes à facilités de la périphérie bruxelloise, on a institué diverses garanties de protection des minorités.

Ces garanties ont une double influence sur le Conseil d’Etat :

1°. Si le Conseil d’Etat (ou la Cour d’arbitrage) est saisi d’un recours en suspension et qu’un moyen pris de la violation des garanties de protection des minorités (v. supra) est reconnu sérieux, il peut suspendre l’acte sans devoir également constater un préjudice grave et difficilement réparable.

2°. Si un bourgmestre d’une des communes visées fait l’objet d’une sanction disciplinaire pour avoir violé une norme législative ou réglementaire et introduit un recours contre cette sanction devant le Conseil d’Etat, ce recours subira 2 spécificités :

– il est suspensif de plein droit

– si le bourgmestre soutient que la règle qu’on lui reproche d’avoir violé est contraire aux garanties de protection des minorités, il peut demander au CE de poser à ce sujet une question préjudicielle :

  • à la Cour d’arbitrage si la règle en question est législative
  • à l’AG du Conseil d’Etat section A si la règle en question est réglementaire

L’instance saisie de la question préjudicielle devra se prononcer dans les 60 jours et ensuite, le Conseil d’Etat devra également se prononcer dans les 60 jours.

III. Les mesures provisoires

  1. Objet

Le législateur a mis en place le contentieux des mesures provisoires lorsqu’il a retiré le pouvoir de suspendre au juge judiciaire des référés. Le but était que le justiciable puisse obtenir auprès du Conseil d’Etat la même protection que celle dont il bénéficiait auprès des juges judiciaires.

Quand il prononce la suspension, le Conseil d’Etat peut donc ordonner toute mesure nécessaire afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes ayant intérêt à la solution de l’affaire.

Deux limites :

– la mesure ne peut avoir pour objet un droit civil (cf. art. 144 de la Constitution)

– la mesure doit respecter le pouvoir d’appréciation de l’administration, et donc, s’il s’agit d’une injonction, ça ne peut être qu’une injonction à agir, mais pas une injonction à agir dans tel ou tel sens

Le Conseil d’Etat peut donc prendre des mesures très diverses.

Ex. : défense d’exécuter l’acte suspendu, injonction visant à assurer l’efficacité de la suspension, injonction d’exécuter une obligation qui renaît suite à la suspension de l’acte,…

  1. Conditions

La demande de mesures provisoires est l’accessoire d’une demande de suspension. Pour qu’elle soit recevable, il faut donc :

– qu’une demande de suspension ait été introduite

– que la demande de suspension soit recevable (càd qu’il y ait un moyen sérieux et un risque de PGDR)

– que la personne qui l’introduit ait un intérêt à la solution de l’affaire : ça peut donc être le requérant mais aussi la partie adverse, la partie intervenante, ou même toute autre personne ayant intérêt à la solution de l’affaire

Pour accorder des mesures provisoires, le juge devra faire une balance des intérêts.

  1. Procédure

La procédure de demande de mesures provisoires est, en gros, calquée sur les procédures en suspension :

– les 2 demandes doivent être introduites dans des actes distincts, mais elles peuvent être introduites simultanément. La demande de mesures provisoires doit être introduite au plus tôt en même temps que la demande de suspension et au plus tard jusqu’à ce que le Conseil d’Etat ait statué sur la suspension.

– la demande doit comprendre :

  • une description des mesures demandées, leur nécessité, voire leur urgence
  • des moyens sérieux et un risque de préjudice

– les mesures provisoires peuvent être assorties d’astreintes

– elles peuvent être modifiées ou rapportées comme la suspension

  1. La procédure d’annulation après un arrêt statuant sur une demande de suspension

Une fois que le Conseil d’Etat a statué sur la demande de suspension, il faut une demande de poursuite de la procédure.

– si le Conseil d’Etat a suspendu, elle doit émaner de la partie adverse ou intervenante.

Le Conseil d’Etat doit alors statuer sur l’annulation dans les 6 mois de l’arrêt de suspension. C’est cependant un délai d’ordre et les quelques dispositions visant à assurer son respect sont insuffisantes : il n’est donc pas toujours respecté.

Si la partie adverse ou intervenante n’introduit pas de demande, on aboutira vite à une annulation.

– si le Conseil d’Etat a rejeté la demande de suspension, elle doit émaner du requérant.

La CE doit alors statuer selon la procédure normale, sans délai spécifique.

Si le requérant n’introduit pas de demande, il sera présumé se désister.

  1. Référé administratif et référé judiciaire

  1. Position du problème

A la base, la suspension et les mesures provisoires étaient accordées par les juridictions judiciaires en référé. Mais, avec la création du contentieux de la suspension, la compétence est passée au CE. Les juges judiciaires ont tout de même conservé certaines compétences, mais le problème est que leur délimitation n’est pas claire.

En gros, on peut dire que le juge judiciaire reste compétent dans les cas suivants :

– quand on peut appliquer la théorie des compétences parallèles

– quand on est dans l’une des 3 circonstances de nature à rendre le juge judiciaire compétent, c’est à dire :

  • l’incompétence du CE
  • l’introduction d’un recours en annulation (ou en suspension, en ce qui concerne les mesures provisoires)
  • l’application de la théorie de la voie de fait administrative

  1. La théorie des compétences parallèles

  1. Exposé

La théorie des compétences parallèles est une théorie selon laquelle le juge judiciaire peut prendre des mesures concurremment avec le Conseil d’Etat quand un acte administratif lèse des droits subjectifs.

En effet, quand un acte administratif illégal lèse des droits subjectifs, il peut être critiqué sous 2 angles :

– l’angle objectif : on critique son illégalité. Ca se fait devant le Conseil d’Etat.

– l’angle subjectif : on critique son atteinte à un droit subjectif. Ca se fait devant le juge judiciaire et plus précisément le Président du tribunal de 1ère instance siégeant en référés.

  1. Sources et champ d’application

La théorie a été développée par certains juges des référés à l’époque où la compétence du Conseil d’Etat en matière de suspension était limitée au contentieux des étrangers puis aux recours invoquant dans leurs moyens la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution

Mais elle s’est maintenue quand la compétence de suspension du Conseil d’Etat s’est généralisée. La Cour de Cassation elle-même l’a consacrée, dans sa conception la plus large, et en la doublant d’une conception très extensive de la notion de droit subjectif.

Toutes les juridictions judiciaires ne la suivent cependant pas.

  1. Critique(à titre indicatif)

L’article 17 LCCE dispose que le Conseil d’Etat est seul compétent pour prononcer la suspension. A l’origine, le projet d’article ajoutait même « à l’exclusion de toute autre juridiction ». Il y avait donc une volonté manifeste du législateur de retirer toute compétence aux juridictions judiciaires.

Pourtant, elles ont continué à prendre des mesures similaires à la suspension.

Ce n’est pas une bonne chose. En effet, ça crée une voie de recours innommée qui permet d’obtenir d’un juge ce qu’on n’a pas pu obtenir d’un autre. Or, une telle possibilité ne devrait pas exister en dehors des voies de recours officielles car c’est contraire à l’autorité de chose jugée et est, au final, source d’insécurité juridique.

  1. L’incompétence du CE

Pour certains actes, un recours administratif est organisé et il faut l’utiliser avant de pouvoir aller devant le Conseil d’Etat. Le problème est que ces recours administratifs ne sont pas toujours suspensifs. L’acte ne peut donc pas être suspendu par le Conseil d’Etat, mais en même temps, il n’est pas suspendu par le recours préalable.

Dans un tel cas, on peut demander une suspension ou des mesures provisoires au juge des référés.

  1. L’introduction d’un recours en annulation

Une fois saisi d’un recours en annulation, le Conseil d’Etat ne peut plus connaître de la suspension de l’acte. Mais quid si un risque de PGDR surgit seulement après l’introduction du recours en annulation ?

Comme le Conseil d’Etat ne peut plus être saisi de la suspension, le juge des référés pourra l’être.

  1. La théorie de la voie de fait administrative

  1. Conception française

En France, on a des juridictions :

– administratives : elles connaissent des litiges impliquant l’administration

– judiciaires : elles connaissent des autres litiges

L’administration a donc une sorte de privilège de juridiction, mais elle le perd quand elle commet une voie de fait administrative, c’est à dire quand elle commet une irrégularité grave et manifeste qui porte atteinte aux droits des citoyens.

  1. Transposition en Belgique

En Belgique, la théorie ne peut pas s’appliquer de la même manière puisque l’administration n’a pas de privilège de juridiction.

On a commencé à l’appliquer sérieusement àpdes années ’50 et elle a permis au juge des référés de suspendre :

– les actes matériels de l’administration

– impliquant une irrégularité grave et manifeste

Puis, peu à peu, les critères d’application se sont assouplis :

– on n’a plus exigé que l’irrégularité soit grave et manifeste car on s’est rendu compte que l’article 159 de la Constitution permettait au juge judiciaire de suspendre tout acte simplement irrégulier. Il a donc suffit qu’il y ait des apparences de droit suffisantes.

– on n’a plus exigé que l’acte à suspendre soit matériel et on a également suspendu :

  • des décisions administratives quand elles ne pouvaient pas être suspendues par le CE
  • des actes ne constituant pas l’exécution d’une décision administrative ou constituant une mauvaise exécution d’une décision administrative (ex. construire sans permis de bâtir ou construire sans respecter son permis de bâtir)

  1. Les mesures provisoires

Le juge des référés pourra, dans 2 cas, ordonner des mesures provisoires :

– quand aucun recours en suspension n’a été introduit devant le Conseil d’Etat : en effet, le Conseil d’Etat ne peut ordonner des mesures provisoires que dans le cadre d’un recours en suspension. Mais parfois, les parties peuvent avoir besoin de mesures provisoires sans avoir besoin d’une suspension. Dans ce cas, c’est le juge des référés qui sera compétent.

– quand les mesures ont pour objet des droits civils (cf. art. 144 de la Constitution) : il est difficile d’imaginer des mesures ayant pour objet des droits civils et nécessaires pour sauvegarder les intérêts des parties, mais il se peut que le cas se présente un jour.