Droit constitutionnel en Belgique (syllabus, cours belge)

Cours complet de droit constitutionnel en Belgique

Le droit constitutionnel belge est la branche du droit qui régit l’organisation, le fonctionnement et les relations entre les institutions publiques en Belgique, ainsi que les droits et libertés des citoyens. La Constitution belge, adoptée en 1831, est le texte fondamental qui organise ces principes, bien qu’elle ait subi plusieurs révisions importantes, notamment avec la transformation de l’État en une fédération.

Structure de l’État

La Belgique est un État fédéral composé de trois Communautés linguistiques (française, flamande, germanophone) et de trois Régions (Région wallonne, Région flamande et Région de Bruxelles-Capitale). Chaque entité dispose de son propre parlement et gouvernement, responsables de compétences spécifiques.

  • Compétences fédérales : L’État fédéral reste compétent en matière de justice, sécurité, défense, sécurité sociale et politique monétaire.
  • Compétences régionales : Les Régions sont responsables des matières territoriales, telles que l’aménagement du territoire, l’économie, l’environnement et la mobilité.
  • Compétences communautaires : Les Communautés s’occupent principalement de la culture, de l’éducation, et des matières liées aux personnes, comme la santé.

Pouvoirs en Belgique

La Belgique est une monarchie constitutionnelle et parlementaire. Elle repose sur la séparation des pouvoirs :

  1. Le pouvoir législatif est exercé par le Parlement fédéral (composé de la Chambre des représentants et du Sénat) et le Roi.
  2. Le pouvoir exécutif est exercé par le Roi, agissant avec ses ministres, et les gouvernements régionaux et communautaires.
  3. Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et tribunaux, indépendants des pouvoirs législatif et exécutif.

Principes constitutionnels

  1. La séparation des pouvoirs : Elle garantit que les trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) soient autonomes pour éviter les abus.
  2. L’État de droit : Toute action gouvernementale doit être fondée sur des lois, et l’administration peut être contrôlée par les juridictions.
  3. Les droits fondamentaux : La Constitution consacre des droits et libertés tels que la liberté d’expression, le droit de vote, et la liberté de religion, tout en prévoyant des mécanismes de protection.

Sur le lien suivant, un autre cours belge de droit constitutionnel et ses fiches

INTRODUCTION GÉNÉRALE – LES MOTS CLEFS DU DROIT CONSTITUTIONNEL

Qu’est-ce qu’une Constitution ?

La Constitution est le texte fondateur du droit constitutionnel d’un État, établissant les règles fondamentales qui déterminent la structure de l’État, les droits des gouvernants, ainsi que ceux des citoyens. Elle constitue la base du système juridique en régissant l’ensemble des normes et en définissant les rapports entre les institutions de l’État.

Deux types de régimes politiques peuvent être distingués en fonction de la Constitution :

  1. Systèmes à Constitution écrite : Dans ces systèmes, comme aux États-Unis, en France ou en Belgique, les règles fondamentales sont fixées par un texte constitutionnel unique et prédominant.
  2. Systèmes de Constitution non écrite : On retrouve ici des pays comme le Royaume-Uni, où il n’existe pas de Constitution formelle unique. Le cadre constitutionnel repose sur des lois, des conventions, et des principes juridiques qui ont une portée équivalente à une Constitution écrite, mais sont plus flexibles et adaptables.

Qu’est-ce que l’État ?

La notion d’État possède plusieurs acceptions en droit belge :

  1. Au sens large : L’État est défini comme une société organisée politiquement et comprenant trois éléments constitutifs : un territoire, une population (groupement humain), et une autorité souveraine. La Constitution belge l’utilise dans ce sens à l’article 10, affirmant : « Les Belges sont égaux devant la loi ».
  2. Au sens restreint : L’État désigne les institutions politiques fédérales. L’article 170, par exemple, distingue l’État fédéral des entités fédérées (régions et communautés). On distingue également l’État fédéral de l’État global, ce dernier englobant à la fois l’État fédéral et les entités fédérées. L’État fédéral agit tantôt comme régulateur commun pour l’ensemble de l’État global, tantôt comme un partenaire des entités fédérées.
  3. Au sens territorial : Le terme État fait référence à l’espace géographique sur lequel s’exerce la souveraineté. L’article 7 de la Constitution précise que « Les limites de l’État ne peuvent être changées ou modifiées qu’en vertu d’une loi ».

Que signifie le « Pouvoir » selon le droit constitutionnel ?

La notion de pouvoir est fondamentale pour l’organisation de l’État, qui repose sur une séparation des pouvoirs à deux niveaux :

  • Pouvoirs supérieurs : Les trois pouvoirs classiques — législatif, exécutif et judiciaire — qui constituent les branches principales du gouvernement au niveau national.
  • Pouvoirs subordonnés : Les pouvoirs locaux, tels que les pouvoirs communaux et provinciaux, qui exercent des compétences propres tout en étant soumis aux lois et règlements de l’État.

Le terme pouvoir est également utilisé pour désigner la finalité politique, c’est-à-dire la prise, l’exercice et la perte du pouvoir dans une société organisée. Ce concept reflète les enjeux juridiques et politiques du fonctionnement de l’État.

Quelle est la signification de « Politique » ?

Le droit constitutionnel est intimement lié à la politique, qu’il encadre et organise. La politique influence la création du droit constitutionnel (« en amont »), tandis que le droit constitutionnel définit le cadre dans lequel elle opère (« en aval »). En effet, le droit constitutionnel pose les règles de fonctionnement des institutions politiques, tandis que la science politique analyse le fonctionnement réel de ces institutions.

Le droit constitutionnel a pour objet de structurer la vie politique. Cela implique la reconnaissance de partis politiques en tant qu’éléments clés du processus démocratique. La Constitution belge, à travers ses articles 27, 61, et 67, garantit le droit d’association et la représentation proportionnelle dans les assemblées. Cependant, elle ne définit pas explicitement le rôle des partis. La loi de 1989 sur la limitation et le contrôle des dépenses électorales a introduit un statut particulier pour les partis politiques en Belgique. Les partis sont définis comme des associations participant aux élections en présentant des candidats, avec pour objectif d’influencer l’expression de la volonté populaire.

En conclusion, selon Ganshof van der Meersch, le droit constitutionnel est un cadre statique que la politique doit suivre, mais qui limite parfois son action. La science politique est alors le complément essentiel du droit constitutionnel, en permettant d’adapter et d’interpréter les institutions au regard des réalités sociales et politiques changeantes.

En droit constitutionnel, que signifie la Démocratie ?

La doctrine en matière de droit constitutionnel distingue démocratie libérale et démocratie populaire (ou marxiste), ces deux modèles ayant des fondements philosophiques et des structures de pouvoir très différentes.

La démocratie moderne exige non seulement une infrastructure juridique adéquate (règles et institutions garantissant le pluralisme et l’État de droit), mais aussi une participation citoyenne réelle et des systèmes de contrôle pour assurer sa pérennité. En outre, le respect de la transparence et de la responsabilité des gouvernants est fondamental.

Démocratie libérale versus démocratie populaire

La démocratie libérale repose sur le principe de séparation des pouvoirs et la participation citoyenne par le suffrage universel, visant à limiter l’arbitraire et à garantir les libertés individuelles. En revanche, la démocratie populaire, inspirée de la philosophie marxiste, tend à rejeter le suffrage universel. Dans cette optique, le processus révolutionnaire doit être conduit par une avant-garde minoritaire, qui centralise le pouvoir en éliminant les contre-pouvoirs et en unifiant les structures de gouvernance. Ce modèle constitue une négation de la séparation des pouvoirs, car il concentre les prérogatives au sein d’un parti unique ou d’un petit groupe dominant.

Le cas des pays de l’Est après la chute du communisme illustre l’ironie de cette situation, certains partis communistes revenant au pouvoir par des élections démocratiques. Cela montre que, bien que la démocratie populaire ait marqué l’histoire, elle a souvent servi des intérêts stratégiques, comme en France après la Seconde Guerre mondiale où il s’agissait de concilier une partie de l’opinion publique favorable au communisme, tout en maintenant des relations diplomatiques avec l’URSS.

Les éléments essentiels d’une démocratie moderne

Une démocratie moderne repose sur trois piliers : l’infrastructure démocratique, la réalité démocratique, et un système d’autodéfense démocratique.

  • (1) Infrastructure démocratique

L’infrastructure démocratique inclut les partis politiques et le pluripartisme, garantis par des règles formelles, telles que celles prévues par l’article 6 de la Constitution espagnole, qui établit le pluripartisme et le respect de la démocratie par les partis. Ce pluralisme politique permet l’existence de compétitions électorales où les partis s’affrontent, offrant aux citoyens le droit de choisir leurs dirigeants.

Dans une démocratie, l’opposition et les minorités doivent avoir la possibilité de s’exprimer, de contester le pouvoir et de proposer des alternatives politiques. Un régime démocratique implique ainsi :

  • Des élections libres permettant aux citoyens de choisir leurs dirigeants à intervalles réguliers.
  • Le droit des minorités de participer au processus politique et de s’opposer aux décisions majoritaires.
  • Des procédures institutionnelles définissant l’accès au pouvoir et son transfert, en protégeant contre toute forme d’arbitraire.

Le lien entre démocratie et État de droit est fondamental. Contrairement à un État de police, où l’autorité publique est sans limites et sans contrôle, un État de droit subordonne l’action des gouvernants à des règles préétablies pour prévenir les dérives. En effet, si tous les États de droit ne sont pas des démocraties, une démocratie ne peut exister sans État de droit, car ce dernier offre les mécanismes de garanties et de contrôles indispensables à la préservation des libertés et à la responsabilisation des dirigeants.

  • (2) Réalité démocratique

L’infrastructure démocratique doit être complétée par une réalité démocratique, c’est-à-dire une participation active des citoyens à la vie publique. L’apathie politique constitue un danger pour la démocratie, car elle affaiblit les mécanismes de contrôle citoyen. Pierre Mendès France soulignait que la démocratie est en péril lorsque les citoyens se désintéressent des affaires publiques.

Cela se manifeste lorsque le droit de vote est reconnu, mais n’est que partiellement exercé. Par exemple, lors des élections européennes de 2004, la participation en Pologne était de seulement 20 %, ce qui montre un désengagement qui fragilise la démocratie. De la même façon, un contrôle parlementaire de l’exécutif qui existe sur le papier mais n’est pas appliqué dans les faits, reflète un manque d’engagement démocratique. Pour qu’une démocratie soit véritablement efficace, il est donc indispensable que les citoyens et les institutions mettent en œuvre activement les mécanismes démocratiques qui leur sont offerts.

  • (3) Système d’autodéfense dans une démocratie

Une démocratie véritable doit non seulement promouvoir la participation citoyenne et la séparation des pouvoirs, mais également disposer d’un système d’autodéfense pour se protéger contre des mouvements ou des partis politiques cherchant à exploiter ses mécanismes dans le but de la détruire. En effet, l’histoire a montré que des régimes totalitaires peuvent émerger au sein de systèmes démocratiques en utilisant les institutions et les processus de la démocratie elle-même pour s’installer au pouvoir.

Exemples historiques de dérives totalitaires

Les révolutionnaires de 1917 en Russie, bien qu’invoquant la volonté populaire, ont imposé un régime communiste qui a rapidement centralisé le pouvoir. De même, des régimes comme celui de l’Allemagne nazie ou de l’Italie fasciste se sont formés à partir d’élections organisées librement. Plus récemment, en Autriche en 2000, une coalition gouvernementale incluant le FPÖ (parti à tendance néo-nazie dirigé par Jörg Haider) est arrivée au pouvoir par des moyens démocratiques, suscitant des inquiétudes quant à la résilience des démocraties face à de tels mouvements. Ces exemples montrent que les mécanismes de la démocratie peuvent être exploités par des partis antidémocratiques.

Cadre juridique pour l’autodéfense démocratique

Certaines Constitutions, comme celle de l’Allemagne, intègrent des dispositions explicites pour contrer ces dérives. L’article 21 de la Constitution allemande interdit les partis dont les objectifs sont de porter atteinte à l’ordre démocratique ou de compromettre l’existence de la République fédérale. En 1956, le Tribunal constitutionnel fédéral a appliqué cette disposition pour interdire le Parti communiste allemand (KPD). La Commission européenne des droits de l’homme a soutenu cette interdiction, invoquant l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui empêche l’utilisation des droits protégés par la Convention pour saper les valeurs démocratiques.

La position de la Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a affiné son approche concernant la dissolution des partis politiques, notamment dans son arrêt du 13 février 2003 concernant la Turquie. Dans cette affaire, la Cour a confirmé la dissolution du Parti de la prospérité (Refah Partisi) par la Cour constitutionnelle turque, ce dernier ayant violé le principe de laïcité en Turquie. Le Refah avait préconisé des politiques visant à instaurer la charia et n’excluait pas l’usage de la force pour imposer son programme.

Pour justifier la dissolution de Refah, la Cour européenne a posé deux conditions :

  1. Moyens légaux et démocratiques : Les partis politiques doivent proposer des changements législatifs ou constitutionnels en utilisant des moyens pacifiques et conformes aux règles démocratiques.
  2. Compatibilité avec les principes démocratiques : Les objectifs du parti ne doivent pas menacer l’essence même de la démocratie. Par exemple, un parti qui promeut un système fondé sur des principes contraires aux droits fondamentaux pourrait être interdit.

La Cour a précisé que l’évaluation des intentions d’un parti ne se limite pas à ses statuts et programmes ; elle doit également prendre en compte les actes et discours de ses membres, afin de déterminer l’orientation réelle du parti. Dans le cas du Parti de la prospérité, les actes et prises de position des dirigeants révélaient un projet à long terme de mise en place d’un système juridique fondé sur la charia, justifiant la dissolution du parti au regard de la protection de l’ordre démocratique.

La protection des démocraties modernes

L’interdiction du Refah Partisi n’a toutefois pas empêché l’ascension de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement), qui a gagné les élections de 2002 en Turquie. Cet exemple montre que, bien qu’un système d’autodéfense soit nécessaire pour protéger la démocratie contre les partis ou mouvements visant à instaurer des régimes non démocratiques, ces mécanismes doivent s’accompagner d’une vigilance continue et d’une éducation à la démocratie pour éviter les dérives.

Ainsi, un système d’autodéfense démocratique implique non seulement des règles formelles pour interdire les partis antidémocratiques, mais également une mobilisation citoyenne et des institutions fortes pour garantir que les valeurs démocratiques soient soutenues non seulement dans la lettre, mais aussi dans l’esprit.

  • 4) Les mécanismes d’autodéfense démocratique en Belgique

En droit belge, les mécanismes d’autodéfense démocratique ont été mis en place relativement récemment, et leur mise en œuvre reste limitée. Ils visent à protéger la démocratie contre les partis et mouvements qui menacent les droits fondamentaux et les libertés publiques, bien que leur efficacité soit parfois remise en question en raison d’une application timide ou incomplète.

1. Dotations publiques et engagement à respecter les droits fondamentaux

L’article 15bis impose aux partis politiques qui souhaitent bénéficier de financements publics d’inclure dans leurs statuts un engagement explicite à respecter les droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Cependant, cette disposition n’a eu que peu d’impact pratique, car les partis aux orientations liberticides se sont conformés à cette exigence de manière déclarative, sans réelle intention de respecter ces principes.

En réponse à l’inefficacité de cette première mesure, le législateur a adopté en 1999 l’article 15ter, qui permet de réduire ou de supprimer la dotation publique d’un parti politique en cas de manquements manifestes aux droits fondamentaux, commis par le parti ou ses membres. Toutefois, cette disposition n’a pas été réellement appliquée, et la Cour d’arbitrage (aujourd’hui Cour constitutionnelle) en a donné une interprétation restrictive, limitant ainsi sa portée. De plus, aucune mesure d’exécution concrète n’a été prise pour permettre la mise en œuvre de cette disposition, rendant cette initiative inefficace en pratique.

2. Système de composition des assemblées et contrôle du financement des partis

Dans un effort pour contenir la progression du Vlaams Blok en Région de Bruxelles-Capitale, un mécanisme a été mis en place par une législation spéciale, ajoutant cinq membres au groupe linguistique néerlandais du Parlement bruxellois, désignés en fonction des résultats des élections au Parlement flamand. Cependant, la Cour d’arbitrage a annulé cette mesure, la considérant contraire à un principe fondamental de la démocratie : la composition des assemblées parlementaires doit refléter les choix des électeurs de la région concernée, sans être influencée par les résultats d’autres entités fédérées.

En 1999, l’article 150 de la Constitution a été modifié pour permettre la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste ou xénophobe. Les délits de presse relèvent normalement de la compétence de la Cour d’assises, mais cette modification a facilité la poursuite des propos discriminatoires, en particulier ceux diffusés par des partis d’extrême droite. Grâce à cette réforme, des actions ont pu être intentées par le Centre pour l’égalité des chances et la Ligue des droits de l’homme contre des associations proches du Vlaams Blok pour incitation à la discrimination et au racisme.

3. Jurisprudence et poursuites contre les délits politiques

Les décisions judiciaires ont aussi joué un rôle dans la lutte contre les partis liberticides :

  • En 2001 et 2003, le Tribunal de première instance et la Cour d’appel de Bruxelles se sont déclarés incompétents pour juger des actes de discrimination raciale du Vlaams Blok, considérant ces actes comme des délits politiques relevant de la Cour d’assises.
  • La Cour de cassation, dans son arrêt du 18 novembre 2003, a exigé que les tribunaux motivent de manière plus détaillée leur qualification de « délit politique ». Dans cette affaire, la Cour a renvoyé le dossier devant la Cour d’appel de Gand, qui, le 21 avril 2004, a condamné les associations proches du Vlaams Blok pour violation de la loi contre le racisme et la xénophobie.
  • En novembre 2004, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du Vlaams Blok, affirmant que les partis politiques doivent respecter les mêmes lois que les citoyens et ne peuvent pas invoquer la liberté d’expression pour justifier des actes discriminatoires. La Cour a également rappelé que la CEDH permet de limiter certaines libertés (d’expression, d’association, de réunion) pour protéger les principes démocratiques.

Suite à cette condamnation, le Vlaams Blok a modifié son programme et s’est rebaptisé Vlaams Belang, adaptant ainsi son discours pour éviter les accusations de discrimination directe.

4. Refus de tribune électorale pour des partis antidémocratiques

En 1999, lors des élections, le Conseil d’État a donné raison à la RTBF pour avoir refusé de diffuser une tribune électorale du Front national belge (FNB), un parti d’extrême droite. Le Conseil a jugé qu’un service public peut légitimement refuser de fournir une tribune électorale à une organisation qui ne respecte pas les principes démocratiques. Cette décision marque une étape importante, en autorisant les institutions publiques à restreindre l’accès aux ressources publiques pour les partis qui menacent la démocratie.

Conclusion

Les mécanismes d’autodéfense démocratique en Belgique visent à préserver les fondements de la démocratie, mais leur efficacité reste limitée par des interprétations restrictives et une mise en œuvre incomplète. Les modifications constitutionnelles, les décisions judiciaires, et les actions de services publics (comme le refus de tribunes pour les partis extrémistes) reflètent une volonté de protéger la démocratie tout en respectant les libertés fondamentales. Cependant, une application plus proactive et systématique de ces mécanismes serait nécessaire pour renforcer la résilience de la démocratie belge face aux menaces liberticides.

LIVRE Ier – LES FONDEMENTS DU DROIT CONSTITUTIONNEL – L’ÉTAT ET LE SYSTÈME NORMATIF

CHAPITRE 1er – L’Etat – Essai de définition théorique

Le terme État provient du latin status, signifiant « être debout », reflétant l’idée de stabilité et de permanence du pouvoir.

Origine de l’idée d’État :

  • L’État se développe avec la dissociation du pouvoir entre les gouvernants et les gouvernés, ce qui marque le processus d’institutionnalisation du pouvoir.
  • Les gouvernants exercent le pouvoir au nom de l’État, qui devient alors un centre permanent de pouvoir et d’autorité.
  • L’État est conçu comme un artifice social, destiné à maintenir l’ordre et la stabilité dans la société.

L’État et le pouvoir de contrainte :

  • En tant que centre de pouvoir, l’État dispose de la faculté d’imposer sa volonté à travers des commandements unilatéraux.
  • Cette contrainte légitime permet d’assurer le respect de ses décisions et ordres, ce qui fait de l’État un appareil de contrainte capable d’imposer sa loi.

Relation entre l’État et le droit :

  • L’État est à la fois créateur et garant du droit : il édicte des règles juridiques et veille à leur application.
  • Sans structure étatique, la portée et l’application des règles de droit seraient indéterminées, car le droit nécessite un cadre territorial et une population pour être effectif.
  • Réciproquement, le droit encadre l’État, définissant comment il doit fonctionner et limitant ses actions dans le respect des libertés fondamentales.

L’État comme centre d’imputation juridique :

  • Les actes des gouvernants sont attribués à l’État et non à eux personnellement. Par exemple, la perception des impôts est réalisée par des agents de l’État, mais la créance revient à l’État lui-même.
  • De même, la responsabilité d’une faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions incombe à l’État, en tant que personne morale de droit public.

Caractéristiques juridiques de l’État :

  • L’État est une personne morale de droit public, avec un patrimoine propre (domaines public et privé).
  • Il peut ester en justice, être poursuivi, acquérir et aliéner des biens, et est soumis aux juridictions comme tout autre acteur de la vie juridique.
  • L’État vise à poursuivre des objectifs d’intérêt général, organisant et régulant la société à travers des politiques et des lois.

Section 1er – Les composantes de l’État au sens traditionnel du terme

Sous section 1ère – Généralités

Traditionnellement, l’État se compose de trois éléments fondamentaux :

Une population :

  • Les individus constituant l’État sont liés par la nationalité ou la citoyenneté, qui définissent leur appartenance et leur participation à la vie politique de l’État.

Un territoire :

  • Il s’agit d’une aire géographique délimitée sur laquelle l’État exerce son autorité. Ce territoire constitue une frontière physique et juridique, au sein de laquelle s’appliquent ses lois et règlements.
  • Le territoire étatique n’a jamais coïncidé parfaitement avec les frontières naturelles du monde, ce qui souligne la dimension évolutive et politique des frontières.

Une relation entre gouvernants et gouvernés :

  • Ce lien repose sur le consentement des gouvernés ou leur soumission aux gouvernants, qui administrent l’État au nom de l’intérêt commun.
  • Cette relation est encadrée par des institutions politiques qui assurent la gestion de l’État et la mise en œuvre des lois.

Évolution historique de l’État

  • Discontinuité dans le temps :
    • L’État, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est une construction relativement récente. La Grèce antique fut l’un des premiers exemples de structure étatique, avec la formation des cités-États.
    • Pendant le Moyen Âge, cette structure a disparu, marquée par le système féodal qui a dominé jusqu’au XIIᵉ siècle.
    • Les États modernes se sont progressivement développés en Europe entre les XIIIᵉ et XVIᵉ siècles, particulièrement en France, en Angleterre et en Espagne. Cependant, la consolidation de l’État en tant qu’entité souveraine nécessitera le recul des idées féodales, un processus qui ne s’achèvera véritablement qu’au XVIIIᵉ siècle.
  • Discontinuité dans l’espace :
    • La carte politique des États diffère de la carte physique du monde. Les frontières étatiques se sont redéfinies au fil du temps, souvent par le biais de guerres, de traités et de conquêtes.
    • Les variations historiques des frontières montrent que l’État est un phénomène géopolitique évolutif.

Sous section 2 – Une composante collective – La nation – La notion de souveraineté

§ 1er – La composante collective et la nation

Le terme État vient du latin status, qui signifie « être debout », et il évoque l’idée d’une institution permanente assurant l’ordre social.

  • Concept d’État : L’idée d’État émerge avec la distinction entre les gouvernants et les gouvernés. Cette séparation implique une organisation des relations de pouvoir, où les gouvernants agissent au nom de l’État, centre de pouvoir institutionnalisé. L’État se présente ainsi comme un artifice politique, destiné à maintenir un ordre stable au sein de la société.
  • Pouvoir de contrainte : En tant qu’entité de pouvoir, l’État est doté de la faculté de contraindre. Il peut imposer des commandements unilatéraux et, en cas de besoin, recourir à la force pour faire respecter ses décisions. Cette autorité le distingue des autres entités sociales.
  • État et droit : L’État est la source du droit en ce sens qu’il édicte les règles juridiques et en garantit le respect. Il est également le cadre dans lequel s’applique le droit, car sans l’État, il serait impossible de définir les limites d’application des règles juridiques. En retour, le droit structure et encadre les actions de l’État, établissant des normes pour son fonctionnement.

L’État agit aussi comme un centre d’imputation juridique. Les actes accomplis par les gouvernants, qu’ils soient de nature législative ou administrative, sont attribués à l’État. Par exemple, la perception des impôts est effectuée par des agents du ministère des Finances, mais le créancier est l’État. De même, la responsabilité d’une faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions est imputée à l’État.

Sur le plan juridique, l’État est une personne morale de droit public, disposant de son propre patrimoine, qui comprend des biens publics et privés. Il peut ester en justice, être poursuivi, aliéner des biens, et agir dans la vie juridique comme tout autre sujet de droit, mais avec des objectifs d’intérêt public.

Les composantes traditionnelles de l’État

L’État repose sur trois composantes essentielles : une population, un territoire et un lien d’autorité entre gouvernants et gouvernés.

  1. Population : L’État inclut une collectivité de masse qui se compose de nombreux individus. Toutefois, certains États de petite taille, tels que Monaco ou le Liechtenstein, dépendent d’un soutien externe pour survivre en raison de leur faible population et de leurs ressources limitées. La population étatique est également une collectivité de superposition : elle coexiste avec des structures de droit privé (comme la famille et les associations) et de droit public (comme les régions et communautés).
  2. Territoire : L’État exerce son autorité sur un territoire défini, qui constitue une aire géographique dans laquelle s’appliquent ses lois. Les frontières de l’État ne coïncident pas toujours avec celles des zones géographiques naturelles ; elles ont évolué en fonction des contextes politiques et historiques.
  3. Lien d’autorité entre gouvernants et gouvernés : Ce rapport implique un engagement des gouvernés vis-à-vis des gouvernants, qui administrent l’État pour le bien commun. Ce lien d’autorité est structuré par des institutions politiques et légales.

Nation et État : Deux concepts distincts mais souvent liés

  • La nation se caractérise par un sentiment d’appartenance collective des individus qui, malgré des différences de langue, de religion ou de culture, partagent la volonté de vivre ensemble. Un État qui se fonde sur cette population constitue un État-nation. La France en est un exemple classique.
  • À l’inverse, certains États, dits plurinationaux, incluent plusieurs groupes nationaux distincts. Par exemple, l’URSS avant sa dissolution était composée de multiples nations. La Turquie et la Russie actuelles sont également des États plurinationaux. Dans ces États, des groupes nationaux cohabitent sans pour autant fusionner en une seule nation.
  • L’existence d’un sentiment national peut également être distincte de l’existence de l’État. Avant la création d’Israël, les Juifs ressentaient un sentiment d’unité nationale sans pour autant disposer d’un État. La nation est donc avant tout une notion sociologique qui n’a pas de définition juridique fixe, contrairement à l’État.

Le cas belge : Une identité nationale en débat

La Belgique illustre la complexité des liens entre État et nation. Dès l’origine, des tensions communautaires et linguistiques ont montré une faible identité nationale belge. Léopold Ier observait d’ailleurs que la Belgique manquait de nationalité unique, et des personnalités comme Jules Destrée soulignaient l’existence de deux peuples distincts : les Wallons et les Flamands.

Les conflits linguistiques et communautaires ont contribué à la transformation de la Belgique en un État fédéral. Cette évolution découle d’un affaiblissement du sentiment national, les divisions internes rendant difficile le fonctionnement d’un État unitaire. Cependant, aucun groupe n’a souhaité se séparer de manière définitive, et l’option fédérale est apparue comme la solution la moins conflictuelle.

Le décès du roi Baudouin en 1993, ainsi que des événements comme le mariage du prince Philippe en 1999, ont constitué des moments d’unité, illustrant l’attachement des Belges à la monarchie, l’un des rares symboles unificateurs dans un pays aux identités multiples. Ces événements témoignent de l’importance de la monarchie comme facteur de cohésion dans un contexte de diversité régionale et linguistique.

§ 2 – La souveraineté nationale

Le terme nation est parfois utilisé en droit belge dans un sens juridique, notamment aux articles 33, 42 et 193 de la Constitution. Il y incarne le concept de souveraineté nationale, où la nation représente une entité abstraite, titulaire du pouvoir suprême.

A. Définition de la souveraineté nationale

L’article 33, alinéa 1er de la Constitution établit que « tous les pouvoirs émanent de la Nation ». Cela reflète l’idée que la souveraineté nationale est détenue par une entité collective abstraite, et non par les individus en tant que tels. Cette théorie, bien que symbolique, consacre la souveraineté nationale comme une fiction juridique ; la nation n’existe pas de manière tangible et, par conséquent, ne peut exercer directement le pouvoir. En pratique, elle en délègue l’exercice à différentes autorités de l’État, qui agissent en son nom.

Selon l’article 42 de la Constitution, « les membres des deux chambres représentent la nation et non seulement ceux qui les ont élus », illustrant une conséquence directe de cette théorie : les élus ne sont pas les représentants de leurs seuls électeurs, mais de la nation dans son ensemble. Cela permet aux députés et sénateurs de légiférer au-delà des intérêts spécifiques de leurs électeurs, en fonction de l’intérêt général.

La notion de souveraineté

  • La souveraineté a été théorisée par Jean Bodin au XVIe siècle pour affirmer l’autorité du Roi de France face aux grands féodaux, et l’indépendance de la France par rapport à la papauté. En relations internationales, la souveraineté signifie l’indépendance de l’État ; en politique interne, elle désigne l’autorité suprême au sein de l’État.
  • Souveraineté populaire :
    • Selon cette théorie, chaque citoyen détient une parcelle de souveraineté, rendant le peuple collectivement détenteur du pouvoir suprême. Cette idée, défendue par Jean-Jacques Rousseau, fonde la démocratie directe et l’instauration du suffrage universel où l’électorat est considéré comme un droit, et non une fonction déléguée.
    • Ce modèle accorde une importance primordiale à la majorité parlementaire, mais tend à négliger les droits de la minorité, entraînant souvent des abus de majorité et une absence de mécanismes de protection pour l’opposition.
  • Souveraineté nationale :
    • Ici, la nation est considérée comme une entité abstraite, détentrice du pouvoir suprême. Elle délègue ce pouvoir aux représentants, qui agissent pour le compte de cette entité collective. Cette conception de la nation ne requiert pas nécessairement le suffrage universel ; l’électorat est vu comme une fonction exercée par ceux que la loi juge dignes de représenter la nation.
    • En Belgique, le vote obligatoire découle de cette vision : en tant que fonction civique, le vote peut être imposé pour garantir que tous ceux qui en sont investis s’expriment.
    • Cependant, la souveraineté nationale peut aussi donner lieu à des abus de minorité. Une petite fraction de la population, prétendant incarner la nation, peut imposer sa volonté à la majorité, justifiant ainsi ses décisions au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Ce phénomène peut être tout aussi dangereux que les abus de majorité issus de la souveraineté populaire.

Comparaison des deux modèles de souveraineté

Les deux théories de la souveraineté — nationale et populaire — ont des implications différentes sur la conception de la représentation politique et de l’exercice du pouvoir :

  • Souveraineté populaire : Elle se traduit souvent par une démocratie directe ou un suffrage universel, où chaque citoyen est un acteur direct de la décision publique. Cependant, ce modèle présente un risque d’abus de majorité en concentrant le pouvoir de décision dans les mains de la majorité parlementaire, parfois au détriment des droits de la minorité.
  • Souveraineté nationale : Reposant sur une entité collective abstraite, elle permet une délégation de l’exercice du pouvoir à une minorité qui agit en son nom. Ce modèle tend à ignorer les droits individuels au profit d’une vision collective de la représentation et peut donner lieu à un abus de minorité, cette minorité se prévalant de l’autorité de la nation pour imposer ses vues

B. Critique du concept de souveraineté

La notion de souveraineté a été conçue au XVIe siècle pour affirmer l’autorité du roi sur les puissances féodales et garantir l’indépendance de l’État. Cette idée de pouvoir souverain, même en perdant son lien avec la monarchie absolue, a continué d’imprégner la pensée politique en devenant un pilier des systèmes modernes. Cependant, le concept de souveraineté soulève plusieurs critiques dans le contexte des États démocratiques contemporains.

Critiques de la notion de souveraineté en contexte démocratique

  1. Fiction du détenteur de la souveraineté :
    • Avec la fin de la monarchie absolue, la souveraineté est théoriquement passée au peuple ou à la nation. Toutefois, ni le peuple ni la nation ne sont des entités concrètes capables d’exercer un pouvoir de manière continue et organisée.
    • Les gouvernants sont les détenteurs provisoires du pouvoir, mais ils n’agissent qu’en vertu de mécanismes juridiques spécifiques. Ces mécanismes, prévus par la Constitution, organisent non seulement leur accession au pouvoir mais également les conditions de leur responsabilité et de leur éventuelle révocation.
    • En ce sens, la souveraineté populaire et la souveraineté nationale sont des fictions qui ne correspondent pas réellement à la manière dont le pouvoir est exercé et transmis dans les démocraties modernes.
  2. Obsolescence du concept face aux contre-pouvoirs :
    • Dans les démocraties actuelles, l’exercice du pouvoir s’accompagne de contre-pouvoirs institutionnalisés (comme le pouvoir judiciaire, les organes de contrôle et la presse).
    • Le concept de souveraineté, qui implique un pouvoir suprême et indivisible, est dépassé par la nécessité d’un système de garanties destiné à prévenir l’arbitraire.
    • Ce fractionnement du pouvoir est inspiré des institutions britanniques et vise à garantir la protection des droits des minorités et de l’opposition, des aspects que la souveraineté ne prend pas en compte.
  3. Déplacement de la souveraineté vers l’État de droit :
    • L’article 33 de la Constitution belge est souvent interprété comme une articulation entre la notion de souveraineté nationale et celle d’État de droit. Tandis que le premier alinéa proclame que « tous les pouvoirs émanent de la Nation », le deuxième précise que ces pouvoirs « sont exercés de la manière établie par la Constitution ».
    • Ce deuxième alinéa introduit l’idée que les pouvoirs organisés par la Constitution sont encadrés par des règles juridiques, ce qui subordonne la souveraineté nationale à l’État de droit. En d’autres termes, le concept de souveraineté est supplanté par celui de l’État de droit, qui impose des limites claires à l’exercice du pouvoir.
  4. Souveraineté et délégation de pouvoir :
    • La Constitution prévoit que le pouvoir confié par le peuple ou la nation à un organe est inaliénable et intransmissible, mais admet des délégations limitées. Par exemple, bien que le Parlement ne puisse céder son pouvoir législatif, il peut déléguer certaines tâches d’exécution au pouvoir exécutif sous des formes strictement encadrées.
    • Ainsi, le référendum décisionnel n’est pas possible en Belgique sans une révision constitutionnelle préalable, car le Parlement ne peut abdiquer son pouvoir législatif en faveur du corps électoral.

C. La souveraineté nationale et le droit international public

  1. Article 34 de la Constitution et transfert de compétences :
    • L’article 34 de la Constitution permet à la Belgique de déléguer l’exercice de certains pouvoirs à des institutions internationales (comme l’Union européenne), mais pas les pouvoirs eux-mêmes. Il s’agit d’une attribution de compétences et non d’une cession de souveraineté.
    • Cette disposition permet à la Belgique de transférer temporairement des compétences tout en préservant sa capacité de les reprendre, par exemple en cas de dissolution de l’institution internationale concernée ou par dénonciation du traité.
  2. Retour possible des compétences :
    • En théorie, la Belgique conserve toujours la possibilité de réviser ou abroger l’article 34, de retirer son engagement à l’égard d’une organisation internationale, ou de dénoncer les traités qui encadrent ces délégations.
    • Ce mécanisme permet à l’État belge de participer aux institutions internationales tout en maintenant sa souveraineté juridique intacte.

Conclusion sur la souveraineté

La souveraineté nationale, bien qu’importante historiquement pour justifier l’indépendance et l’autorité d’un État, est un concept qui devient théorique dans un cadre démocratique moderne fondé sur le pluralisme et l’État de droit. En Belgique, l’article 33 de la Constitution semble représenter la transition entre ces deux visions du pouvoir, avec un premier alinéa héritier de l’idée de souveraineté nationale et un second qui préfigure l’ordre juridique moderne, encadré par des normes et des procédures garantissant la séparation et la limitation des pouvoirs.

Dans ce contexte, la souveraineté est désormais plus symbolique qu’opérationnelle, et elle est progressivement supplantée par des notions de responsabilité, de délégation encadrée, et de respect des engagements internationaux

Sous-section 3 – Une composante géographique – Le territoire

Le territoire d’un État comprend toutes les zones terrestres, fluviales, maritimes, et aériennes où les gouvernants exercent leur autorité. Ce territoire délimite généralement l’étendue de l’action de l’État, marquant les frontières au sein desquelles ses lois et règlements s’appliquent. Cependant, certains États exercent leur souveraineté sur des territoires discontinus, composés de zones géographiquement séparées, souvent en raison d’anciennes colonies ou de possessions spécifiques.

Territoires continus et discontinus

  • Exemples de discontinuité :
    • France : Au-delà de la France métropolitaine, le territoire inclut la Corse et plusieurs départements et territoires d’outre-mer, comme la Guadeloupe et la Martinique.
    • Danemark : Ce pays intègre le Groenland sous sa souveraineté, bien qu’il soit séparé de la métropole.
    • Belgique : Le village de Bar-le-Duc, enclavé aux Pays-Bas, est un exemple de territoire discontinu.

L’évolution du territoire belge

Le territoire de la Belgique a connu des modifications importantes au cours de son histoire.

  • Pertes territoriales :
    • Au moment de son indépendance, la Belgique incluait le Limbourg hollandais et le Grand-Duché de Luxembourg. Ces territoires ont été cédés en 1839 par un traité avec les Pays-Bas.
    • Ce traité de cession a été controversé, certains le jugeant inconstitutionnel, car la Constitution belge, selon eux, aurait imposé une révision constitutionnelle pour modifier la composition du territoire. Les Chambres belges ont toutefois considéré que les articles 7 et 167 de la Constitution permettaient de modifier les frontières par une simple loi, sans nécessiter de révision constitutionnelle.
  • Acquisitions territoriales :
    • En vertu du Traité de Versailles de 1919, la Belgique a reçu les cantons de l’Est (cantons rédimés), initialement allemands, ainsi que le Moresnet-Neutre, ce qui a étendu son territoire après la Première Guerre mondiale.

Maintien de l’intégrité territoriale

  • L’article 91 de la Constitution belge impose au Roi de jurer de maintenir l’intégrité du territoire lors de son serment d’accession au trône, marquant ainsi l’importance de l’intégrité territoriale pour la souveraineté belge.

Subdivisions administratives du territoire belge

La Belgique est divisée en différentes entités administratives, en fonction de critères linguistiques et politiques :

  1. Régions linguistiques :
    • La Constitution (article 4) divise le territoire en quatre régions linguistiques : la Région flamande, la Région wallonne, la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, et la région de langue allemande.
    • Ces régions ne possèdent pas d’entité politique propre, mais elles définissent l’aire de compétence des communautés linguistiques. Elles sont donc essentielles pour l’organisation des institutions fédérées belges.
    • Les limites de ces régions linguistiques ne peuvent être modifiées que par une loi spéciale, nécessitant une majorité renforcée.
  2. Provinces :
    • Selon l’article 5 de la Constitution, la Belgique est subdivisée en 10 provinces. Celles-ci ont un double rôle : elles fonctionnent comme des collectivités politiques autonomes avec leurs propres institutions, et elles définissent le territoire des régions flamande et wallonne.
    • La Région de Bruxelles-Capitale, quant à elle, ne fait partie d’aucune province. Elle se compose des 19 communes bruxelloises et constitue une entité distincte dans l’organisation territoriale belge.
  3. Communes :
    • La Belgique compte 589 communes, qui représentent l’échelon le plus local d’administration, avec des compétences à la fois administratives et politiques. Ces communes sont regroupées au sein des provinces, à l’exception des communes bruxelloises.

Le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale

  • La Région de Bruxelles-Capitale est unique, car elle ne se confond avec aucune province. Elle est délimitée de manière linguistique (région bilingue) et géographique (19 communes de Bruxelles).
  • Cette région fonctionne avec un statut particulier, en raison de son caractère bilingue et de son importance en tant que centre administratif national et européen.

Conclusion sur le territoire belge

Le territoire d’un État est fondamental pour définir les limites d’exercice de la souveraineté de ses gouvernants, bien que des particularités existent. En Belgique, le territoire a évolué avec l’histoire et a été modelé par des traités internationaux et des aménagements constitutionnels. L’organisation actuelle du territoire belge, en régions linguistiques, provinces, et communes, reflète la volonté de concilier les différentes identités régionales et linguistiques du pays

Sous-section 4 – Une composante dynamique et politique – Les rapports entre gouvernants et gouvernés

Dans un État, la population se divise en deux groupes principaux : les gouvernants, qui détiennent la puissance publique et prennent les décisions, et les gouvernés, qui se conforment aux règles imposées. Pour gérer efficacement la société, l’État dispose d’un minimum d’organisation lui permettant de commander unilatéralement et, si nécessaire, de recourir à la coercition.

Prérogatives et contraintes de l’État

D’un côté, l’État bénéficie de prérogatives spéciales, lui conférant des pouvoirs plus étendus que ceux des individus. D’un autre côté, il est soumis à des contraintes spécifiques :

  • Les gouvernants doivent utiliser le pouvoir public dans l’intérêt des gouvernés, principe central de la notion de service public, qui peut être abordée de deux façons :
    • Sens fonctionnel : Un service public désigne une mission d’intérêt général indépendamment de l’organisme qui l’accomplit. Par exemple, la mission de construction de logements sociaux ou celle des universités privées, comme l’Université Libre de Bruxelles (ULB), qui, bien qu’étant de droit privé, remplit une mission de service public fonctionnel.
    • Sens organique : Le service public se rapporte à un organisme public chargé d’une mission d’intérêt général, et soumis à l’autorité de l’État, comme l’ONSS, le FOREM ou des entreprises comme la SNCB.

Les trois grandes lois des services publics

  1. Loi de continuité :
    • Elle garantit un fonctionnement ininterrompu des services publics, même dans des circonstances exceptionnelles.
    • Exemples :
      • Un gouvernement démissionnaire continue à expédier les affaires courantes.
      • Des autorités non investies peuvent agir en cas d’impossibilité des autorités constituées, comme la Cour de cassation l’a confirmé en 1919 pour le Roi.
      • Certains services essentiels, tels que la sécurité, doivent maintenir une permanence, malgré l’existence du droit de grève, ce dernier étant restreint pour certaines catégories de personnel, comme les militaires.
  2. Loi de mutabilité :
    • Le principe de mutabilité autorise l’État à modifier unilatéralement l’organisation et le fonctionnement d’un service public pour répondre aux exigences de l’intérêt général.
    • Par conséquent, les fonctionnaires n’ont pas de droit au maintien de leur statut ; celui-ci peut être ajusté par l’autorité. Ce principe a été réaffirmé par un arrêt du Conseil d’État en 2000.
  3. Loi d’égalité :
    • Un service public doit traiter équitablement tous les usagers sans discrimination. Toutefois, il peut y avoir des différences de traitement justifiées par des critères objectifs.
    • Exemple : Le Conseil d’État, dans un arrêt de 2003, a statué que la RTBF n’était pas tenue de fournir un temps d’antenne égal à tous les partis pendant les élections, en raison de la rareté du temps d’antenne. La différenciation était permise par la représentation parlementaire obtenue lors des élections précédentes.

Privilèges de l’autorité publique

Les lois du service public confèrent à l’État des privilèges spécifiques :

  • Privilège du préalable :
    • Les décisions de l’État s’imposent immédiatement aux administrés, même si leur légalité est contestée, et ce, jusqu’à ce qu’elles soient suspendues ou annulées par une autorité compétente.
    • Exemple : Dans une affaire impliquant Monsieur Taymans, le Conseil d’État a confirmé qu’un fonctionnaire, bien qu’en désaccord avec une décision administrative, doit se conformer aux instructions de son employeur, en vertu de ce privilège.
  • Privilège de l’immunité d’exécution :
    • Ce privilège protège l’État de l’exécution forcée (comme la saisie) de ses biens pour garantir la continuité des services publics.
    • L’article 1412 du Code judiciaire précise que, bien que les biens de l’État soient insaisissables, une liste de biens saisissables doit être établie. En l’absence de cette liste, seuls les biens non essentiels aux missions publiques peuvent être saisis.

Le territoire et ses subdivisions

  • Le territoire de l’État belge comprend un espace terrestre, maritime et aérien, ainsi que des territoires discontinus, comme Bar-le-Duc, village enclavé dans les Pays-Bas.
  • Article 91 de la Constitution : Le Roi doit prêter serment pour préserver l’intégrité territoriale de la Belgique.
  • Organisation territoriale :
    • Régions linguistiques : Définies à l’article 4 de la Constitution, elles divisent la Belgique en zones unilingues (flamande, wallonne, germanophone) et bilingue (Bruxelles-Capitale).
    • Provinces : Ce sont des entités dotées d’organes propres et d’un rôle politique, délimitées par l’article 5 de la Constitution.
    • Communes : Il existe 589 communes, gérées de manière autonome, sauf pour Bruxelles-Capitale qui, avec ses 19 communes, constitue une région distincte et non provinciale.

Section 2 – Les différents types d’États (4)

Sous-section 1ère – L’État unitaire

L’État unitaire se définit comme un modèle d’organisation politique où un seul pouvoir souverain gouverne une communauté nationale en s’appuyant sur une Constitution unique. Son fonctionnement repose sur une logique moniste : un seul État, une seule population et une structure de pouvoir unique. Cette unité se manifeste à travers trois éléments : le territoire, la structure politique et les rapports avec les citoyens. Cependant, les États unitaires modernes s’appuient également sur des techniques de déconcentration et de décentralisation pour adapter la centralisation à la gestion des affaires locales.

L’unité du territoire

Dans un État unitaire, les organes supérieurs du pouvoir exercent leur autorité sur l’ensemble du territoire national :

  • Cette autorité peut être exercée directement ou indirectement.
  • Les techniques de déconcentration et de décentralisation permettent de répartir les tâches sur tout le territoire tout en maintenant l’unité étatique.

Structure unique et centralisée de l’État

L’État unitaire repose sur une structure politique pyramidale :

  • À son sommet, les institutions supérieures élaborent et appliquent un droit unique, dominant tout le système politique.
  • Cette structure implique un ordre constitutionnel centralisé, avec une hiérarchie forte où les organes inférieurs sont subordonnés aux autorités supérieures.

Relations avec les citoyens

Dans un État unitaire, les citoyens partagent une nationalité unique et constituent une collectivité homogène :

  • Cela signifie qu’il n’y a pas de différences légales ou constitutionnelles entre les citoyens en fonction de leur localisation, contrairement aux États fédéraux où chaque entité peut disposer d’une législation propre.
  • La relation directe entre citoyenneté et nation renforce le caractère unitaire de l’État.

Organisation de l’État unitaire moderne

Bien que l’État unitaire soit centralisé, il n’est pas nécessairement uniforme dans l’exercice du pouvoir. Des adaptations ont été mises en place pour répondre aux défis d’administration d’un vaste territoire et d’une population importante :

  • Déconcentration :
    • La déconcentration consiste à décomposer le territoire en unités administratives sans autonomie propre, pour que des représentants du pouvoir central puissent prendre des décisions locales.
    • Dans ce cadre, des agents de l’État exercent leur compétence dans des divisions territoriales, sous l’autorité hiérarchique directe des organes supérieurs.
    • Le pouvoir hiérarchique s’exerce notamment par des ordres et des corrections :
      • Pouvoir d’ordonner : L’autorité supérieure donne des directives à l’agent local qui agit en son nom.
      • Pouvoir de correction : L’autorité supérieure peut intervenir pour réformer ou substituer une décision, seule cette intervention ayant valeur juridique.
  • Décentralisation :
    • Contrairement à la déconcentration, la décentralisation confère à certaines collectivités territoriales une autonomie administrative et une personnalité juridique propre.
    • Les collectivités décentralisées peuvent être des municipalités ou des régions, souvent dotées de conseils élus par les citoyens.
    • Ces entités exercent des compétences déléguées dans des domaines limités, mais elles ne sont pas souveraines :
      • Elles sont soumises à la tutelle de l’État, qui contrôle leurs décisions. Ce contrôle se manifeste par une supervision des actes et des organes locaux.
      • Cette tutelle distingue la décentralisation du fédéralisme : dans un système fédéral, chaque entité fédérée possède son propre gouvernement et ses propres lois, tandis que dans un État décentralisé, les décisions locales nécessitent l’accord du pouvoir central pour être valides.

En résumé, l’État unitaire centralise le pouvoir, mais il peut l’adapter à des réalités locales par le biais de la déconcentration, qui maintient l’autorité hiérarchique de l’État central, et de la décentralisation, qui accorde une autonomie limitée à des entités locales sous la surveillance du gouvernement central. Ces mécanismes permettent de concilier une unité de pouvoir avec des besoins locaux, sans porter atteinte à l’intégrité de l’État unitaire

Sous-section 2 – L’État régionalisé

L’État régionalisé se distingue par des caractéristiques uniques qui le placent à mi-chemin entre l’État fédéral et l’État unitaire décentralisé.

  • Premièrement, contrairement à l’État fédéral, les entités régionales dans un État régionalisé n’interviennent généralement pas dans l’élaboration des lois au niveau national. Dans un système fédéral, les entités fédérées, telles que les provinces ou les États, participent directement à l’exercice de la fonction législative de l’État central, souvent par l’intermédiaire d’une chambre haute représentant les régions. Cependant, dans un État régionalisé, cette interaction législative entre les régions et l’État central est absente, ce qui constitue une différence majeure avec le modèle fédéral.
  • Deuxièmement, l’État régionalisé se distingue également de l’État unitaire décentralisé par le degré d’autonomie accordé aux régions. Dans un État régionalisé, les régions sont dotées d’un pouvoir décisionnel propre, leur permettant de prendre des normes et décisions dans des domaines spécifiques avec une certaine indépendance. Elles disposent d’attributions propres et de structures institutionnelles distinctes, telles qu’une assemblée régionale élue au suffrage universel et un exécutif choisi en son sein. Cette capacité de gestion autonome contraste avec les États unitaires décentralisés où les collectivités locales sont souvent soumises à un mécanisme de tutelle administrative, un processus par lequel l’État central exerce une forme de contrôle ou de validation des décisions locales. Dans un État régionalisé, ce mécanisme de co-décision ou de tutelle est largement inexistant, renforçant l’autonomie des régions.
  • Enfin, chaque région bénéficie en principe d’une légitimité institutionnelle particulière, reposant sur un système de gouvernance où l’assemblée régionale est élue directement par les citoyens et où l’exécutif est issu de cette assemblée. Toutefois, cette configuration institutionnelle, bien qu’elle confère aux régions une certaine indépendance, n’est pas exclusive aux États régionalisés. Par exemple, en Belgique, des entités administratives telles que les communes ou les provinces sont également dotées de ces organes démocratiquement élus, malgré leur appartenance à un modèle de décentralisation administrative. Cela montre que ce type de structure n’est pas uniquement propre aux États régionalisés, mais peut également exister dans des États unitaires sous une forme décentralisée.

En conclusion, l’État régionalisé peut être perçu comme un modèle intermédiaire entre l’État unitaire et l’État fédéral. Il est souvent décrit comme étant le plus fédéral des États unitaires ou, à l’inverse, le moins unitaire des États fédéraux. Ce modèle repose sur un équilibre subtil entre autonomie régionale et unité nationale, permettant aux régions de disposer d’une marge de manœuvre importante tout en restant sous l’autorité ultime de l’État central.

Sous-section 3 – L’État fédéral

L’État fédéral est une forme d’organisation politique qui combine deux niveaux de pouvoir : le pouvoir fédéral, qui agit pour l’ensemble de la fédération, et le pouvoir des entités fédérées, qui disposent d’une certaine autonomie. Le fédéralisme peut émerger de différentes manières, soit par l’union d’États indépendants, soit par la dissociation d’un État unitaire.

Origine et nature de l’État fédéral

  • Fédéralisme par intégration : Ce type de fédéralisme résulte de l’union volontaire de plusieurs États souverains. Les États contractants concluent un traité d’union pour former une entité fédérale avec des organes communs. Ces organes ont pour première tâche d’élaborer une Constitution fédérale. L’union des États-Unis et de la Suisse s’inscrit dans ce modèle.
  • Fédéralisme par dissociation : Ici, l’État fédéral se forme à partir d’un État unitaire qui décide unilatéralement de se scinder en entités autonomes. Cela se fait par une révision constitutionnelle qui maintient la continuité de l’ancien État sous une nouvelle forme fédérale, sans création d’un nouvel État. Exemples notables : la transformation de la République fédérale d’Allemagne après 1947 et de la Belgique dans la seconde moitié du XXe siècle.

Caractéristiques essentielles de l’État fédéral

  1. Superposition des niveaux étatiques
    • L’État fédéral combine deux ordres juridiques distincts et superposés : celui de la fédération et celui des États membres.
    • Chacun de ces niveaux dispose de compétences spécifiques, souvent définies par la Constitution fédérale, garantissant une division claire des pouvoirs entre l’autorité fédérale et les entités fédérées.
  2. Participation des entités fédérées aux décisions fédérales
    • Les États fédérés ont un rôle dans le processus de décision fédérale, généralement à travers un système bicaméral.
    • La seconde chambre du parlement fédéral, comme le Sénat américain ou le Conseil des États en Suisse, représente les entités fédérées et leur permet de participer à l’élaboration des lois fédérales. Ce système assure une démocratie duale : une chambre représentant les citoyens en tant qu’individus (première chambre) et une autre représentant les collectivités fédérées (seconde chambre).
    • La composition de la seconde chambre reflète parfois une égalité entre les États, comme aux États-Unis, ou prend en compte la taille démographique des entités, comme dans d’autres États fédéraux.
  3. Autonomie des entités fédérées
    • Chaque entité fédérée jouit d’une autonomie en termes de compétences législatives, réglementaires et administratives.
    • Cette autonomie se traduit par :
      • Fonction constituante : Les entités fédérées disposent souvent d’un pouvoir d’auto-organisation, leur permettant de définir leur propre cadre institutionnel.
      • Fonction législative : Elles peuvent adopter des lois indépendantes, qui ne sont pas subordonnées aux lois fédérales, ce qui les distingue des entités décentralisées dans un État unitaire.
      • Garantie de l’autonomie : Un organe juridictionnel suprême (comme une cour constitutionnelle) tranche les conflits de compétences entre l’État fédéral et les entités fédérées, préservant ainsi leur autonomie.

Fédéralisme et garantie d’autonomie

L’autonomie des entités fédérées requiert la mise en place d’un système de protection juridique :

  • Les entités fédérées peuvent légiférer et administrer dans leurs domaines de compétence, mais l’État fédéral conserve souvent des pouvoirs dans des domaines stratégiques tels que la défense et les relations internationales.
  • Une juridiction suprême assure la répartition équitable des compétences et veille à ce que ni l’État fédéral ni les entités fédérées ne dépassent leurs prérogatives. Ce rôle est souvent rempli par une cour constitutionnelle, qui statue sur les litiges entre ces différents niveaux de pouvoir.

Comparaison avec l’État unitaire

L’État fédéral se distingue de l’État unitaire par sa structure décentralisée, qui confère des pouvoirs significatifs aux entités fédérées. Contrairement à la décentralisation dans un État unitaire, les entités fédérées d’un État fédéral exercent une autorité qui n’est pas subordonnée au gouvernement central, mais qui existe en parallèle, contribuant à la cohésion de l’ensemble tout en respectant les spécificités locales.

Sous-section 4 – La confédération d’États

Le terme État confédéral est en réalité un oxymore. Une confédération désigne une association durable d’États souverains qui coopèrent sur des objectifs communs (tels que la sécurité ou la paix), tout en maintenant leur souveraineté. Contrairement à un État fédéral, une confédération ne constitue pas un État en soi, mais un regroupement d’États indépendants, régie par un traité international qui établit les règles de fonctionnement et les objectifs de l’association.

Caractéristiques principales de la confédération

  • Droit de sécession : Chaque État membre conserve le droit de se retirer de la confédération à tout moment, retrouvant ainsi sa pleine souveraineté.
  • Compétences limitées : Les compétences confiées aux organes communs sont restreintes et dépendent des domaines convenus par les États membres. Les organes confédéraux n’exercent pas de pouvoirs étendus, contrairement aux institutions fédérales dans un État fédéral.
  • Principe de médiateté : Les organes de la confédération n’interagissent pas directement avec les citoyens des États membres ; ils ne traitent qu’avec les gouvernements des États participants.
  • Prise de décision à l’unanimité : Les décisions dans une confédération nécessitent généralement l’accord de tous les États membres, ce qui peut ralentir le processus décisionnel.

Évolution et comparaison avec l’Union européenne

Les confédérations traditionnelles ont pour la plupart disparu, remplacées par des structures supranationales plus intégrées, comme l’Union européenne (UE), qui présente des similitudes avec une confédération, mais avec des particularités :

  • L’UE repose sur des traités fondateurs et, dans certains domaines, le principe de l’unanimité s’applique pour la prise de décision, ce qui ressemble aux confédérations classiques.
  • Toutefois, l’UE diffère par des caractéristiques qui tendent vers un modèle fédéral : lien direct avec les citoyens (par exemple, élection directe des membres du Parlement européen) et des initiatives d’intégration politique, comme la monnaie unique et la Constitution européenne. Ce rapprochement vers un modèle fédéral est également visible dans la remise en question progressive de l’unanimité pour certaines décisions.

Sous-section 5 – La distinction entre Etat global et Etat fédéral

Le fédéralisme repose sur une structure où coexistent plusieurs niveaux de gouvernement, chacun exerçant des compétences spécifiques. Dans un État fédéral, comme la Belgique, le pouvoir est réparti entre l’autorité fédérale et les entités fédérées (Régions et Communautés), créant ainsi une structure multi-niveaux qui régule les relations entre ces entités.

Caractéristiques de l’État fédéral

  • Territoire et nationalité :
    • Un État fédéral possède un territoire commun et des territoires spécifiques assignés aux entités fédérées.
    • Les citoyens bénéficient d’une nationalité commune, mais également d’une citoyenneté liée à leur entité fédérée respective.
  • Organisation du pouvoir :
    • L’État fédéral dispose de trois branches de pouvoir (exécutive, législative, et judiciaire), présentes également au niveau des entités fédérées.
    • Cette duplication des organes permet aux entités fédérées de gérer leurs propres affaires tout en participant au fonctionnement global de l’État fédéral.
  • Hiérarchie des normes :
    • Dans une fédération, la Constitution fédérale est la norme suprême, à laquelle toutes les entités fédérées doivent se conformer. Les constitutions ou statuts des entités fédérées, lorsqu’ils existent, sont subordonnés à cette Constitution.
    • En Belgique, par exemple, la Constitution domine le droit interne et s’impose tant aux autorités fédérales qu’aux Régions et Communautés. Les lois spéciales, prises dans le cadre de cette Constitution, sont elles aussi supérieures aux normes des entités fédérées.
  • Dédoublement fonctionnel des organes fédéraux :
    • Les organes fédéraux peuvent agir en tant qu’autorités globales de l’État ou exclusivement pour le niveau fédéral. Lorsqu’ils adoptent des normes au nom de l’État global, celles-ci priment sur les normes des entités fédérées et nécessitent souvent des majorités renforcées pour leur adoption.
    • En revanche, les normes purement fédérales s’appliquent uniquement au niveau fédéral et peuvent ne pas avoir de supériorité sur les normes des entités fédérées, soulignant l’autonomie de celles-ci.

Section 3 – L’agencement des pouvoirs dans l’État et les différents types de régimes politiques

Sous–section 1ère – Le principe de la séparation des pouvoirs – Définition théorique et critique

Le défi des systèmes politiques contemporains est d’intégrer de nouveaux contre-pouvoirs, comme la société civile, les médias et les acteurs internationaux, tout en maintenant les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs pour renforcer la démocratie et l’État de droit.

Définition théorique

Historiquement, les États ont souvent commencé par un régime de confusion des pouvoirs, où un seul organe cumulait toutes les fonctions de l’État. L’évolution des tâches de l’État et les besoins des régimes démocratiques ont progressivement conduit à un système de répartition des pouvoirs entre plusieurs acteurs. Cette division permet d’assurer une meilleure gestion et un équilibre du pouvoir.

L’idée de la séparation des pouvoirs, théorisée par Aristote et perfectionnée par Montesquieu au XVIIIᵉ siècle, repose sur trois types de pouvoirs :

  • Le pouvoir législatif, chargé de faire les lois.
  • Le pouvoir exécutif, responsable de la mise en œuvre des lois.
  • Le pouvoir judiciaire, qui veille à l’application de la loi et à la résolution des conflits.

Selon Montesquieu, il est fondamental que ces trois pouvoirs soient confiés à des organes distincts pour prévenir tout risque de despotisme. Il précise : « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Ainsi, le système de freins et contrepoids est la clé de voûte de cette théorie.

En Belgique, ce principe de séparation est respecté tout en ayant évolué :

  • Le pouvoir judiciaire est considéré comme relativement indépendant. Cependant, il reste sous certaines influences. Par exemple, l’article 151 de la Constitution permet au ministre de la Justice d’orienter la politique criminelle, et l’article 110 lui confère un droit de grâce.
  • Le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle jouent un rôle de contrôle crucial en annulant ou en invalidant les actes administratifs et législatifs qui contreviennent à la Constitution. Ce rôle illustre la mise en œuvre des freins et contrepoids en Belgique.
  • Enfin, les juges peuvent refuser d’appliquer des normes législatives si elles contredisent le droit international.

Critiques et limites de la théorie de Montesquieu

Malgré son importance théorique, la classification de Montesquieu rencontre des limites dans les États modernes :

  • Complexité accrue des États : Avec l’augmentation des fonctions de l’État, les activités se sont diversifiées. La répartition en trois pouvoirs distincts devient insuffisante pour expliquer l’ensemble des rôles et compétences de l’État actuel.
  • Institutions échappant à la classification : Certaines institutions modernes ne se rattachent pas facilement aux trois pouvoirs classiques :
    • La Cour des comptes, par exemple, est souvent associée au pouvoir législatif, bien qu’elle remplisse des fonctions de contrôle indépendantes.
    • La Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la justice exercent des missions spécifiques qui les placent en dehors de la stricte classification.
  • Multiplication des acteurs de pouvoir : Outre les trois pouvoirs classiques, d’autres acteurs influencent significativement la vie politique et la gouvernance. La presse, par exemple, est souvent qualifiée de quatrième pouvoir en raison de son rôle de contre-pouvoir et de relais d’information. Les groupes de pression, comme les syndicats et les partis politiques, jouent également un rôle essentiel en orientant les décisions publiques et en surveillant l’action des gouvernants.

Pertinence actuelle et adaptation du principe

La séparation des pouvoirs conserve toute sa pertinence, notamment en tant que système de freins et de contrepoids :

  • Elle assure que les pouvoirs ne se concentrent pas dans les mains d’un seul organe, prévenant ainsi les abus de pouvoir.
  • Le concept de séparation n’est plus rigide, mais s’appuie sur une interaction et une interdépendance des pouvoirs, favorisant la coopération tout en respectant l’équilibre.

Sous-section 2 – La séparation des pouvoirs en tant que critère distinctif des régimes politiques

§1er – Le régime présidentiel

Le processus de l’élection présidentielle aux États-Unis

L’élection présidentielle américaine est un processus complexe et en plusieurs étapes, structuré comme suit :

  • Sélection des candidats par les partis politiques :
    Chaque État organise des primaires ou des caucus pour permettre aux membres des partis de choisir des délégués. Ces délégués appuieront un candidat lors de la convention nationale de leur parti. Cette première étape détermine donc les représentants des partis majeurs qui se disputeront l’élection présidentielle.
  • La convention nationale des partis :
    Lors de ces conventions, généralement spectaculaires et très médiatisées, les délégués choisissent officiellement le ticket présidentiel – c’est-à-dire le candidat à la présidence et son colistier à la vice-présidence.
  • Élections générales des grands électeurs :
    Le mardi suivant le premier lundi de novembre, les électeurs américains votent pour désigner les grands électeurs, qui à leur tour éliront le président. Le nombre de grands électeurs par État est proportionnel à la population de celui-ci, ce qui accorde un poids considérable aux États les plus peuplés. Ce système peut parfois aboutir à des résultats contre-intuitifs, comme en 2000, lorsque George W. Bush a remporté la présidence malgré le fait qu’Al Gore ait obtenu plus de voix au niveau national.
  • Vote des grands électeurs :
    Le lundi suivant le deuxième mercredi de décembre, les grands électeurs se réunissent pour élire le président et le vice-président. Bien que le mandat des grands électeurs soit théoriquement libre, il est extrêmement rare que ces derniers ne respectent pas le choix des électeurs de leur État.
  • Proclamation des résultats par le Congrès :
    Le 6 janvier, sous la présidence du vice-président sortant, le Congrès officialise les résultats et proclame le nouveau président des États-Unis.

Fonctionnement et équilibre des pouvoirs dans le régime présidentiel américain

Contrairement aux régimes parlementaires, le régime présidentiel américain repose sur une séparation stricte des pouvoirs. Les ministres (secrétaires) sont responsables uniquement devant le président, qui les nomme et peut les révoquer. Ce dernier n’a pas la possibilité de dissoudre le Congrès. Cependant, le système est conçu pour qu’il existe une interdépendance, notamment avec :

  • Le droit de veto :
    Le président peut opposer son veto aux projets de loi. Pour passer outre ce veto, une majorité des deux tiers des deux chambres du Congrès est nécessaire.
  • Les commissions d’enquête du Congrès :
    Le Congrès peut créer des commissions pour enquêter sur des événements majeurs. Par exemple, après les attentats du 11 septembre 2001, une commission a été mise en place pour déterminer les failles du système de sécurité nationale.
  • Les nominations présidentielles :
    Le Sénat approuve les nominations présidentielles pour des postes clés, tels que les juges de la Cour suprême et les membres du cabinet. Des auditions rigoureuses peuvent aboutir au rejet des candidats.
  • La procédure d’impeachment :
    Cette procédure, prévue par la Constitution, permet au Congrès de destituer le président pour trahison, corruption ou autres crimes graves. Le processus s’établit en deux étapes :
  • La Chambre des représentants vote les articles de mise en accusation.
  • Le Sénat organise ensuite un procès. Une majorité des deux tiers est requise pour destituer le président.

Cas notables de la procédure d’impeachment

Plusieurs présidents ont été soumis à cette procédure :

  • Andrew Johnson (1868) : En conflit avec le Congrès, Johnson fut accusé d’avoir violé une loi en révoquant un ministre.
  • Richard Nixon (1974) : Suite au scandale du Watergate, Nixon démissionna avant que la Chambre ne vote les articles d’impeachment.
  • Bill Clinton (1998-1999) : Clinton fut accusé de parjure et d’obstruction à la justice. Le Sénat l’acquitta finalement, et il put rester en fonction.
  • Donal Trump en 2019

Exemples récents illustrant le fonctionnement du système politique américain

Élection présidentielle de 2020 : un exemple de contestation électorale

L’élection présidentielle de 2020 a mis en lumière les faiblesses et les tensions du système électoral américain. L’ancien président Donald Trump, candidat à sa propre réélection, a contesté les résultats, alléguant des fraudes électorales. Bien que des recomptages aient eu lieu dans plusieurs États clés et que plus de 60 recours juridiques aient été déposés par l’équipe de campagne de Trump, aucun cas de fraude substantielle n’a été prouvé par les tribunaux.
Les résultats ont finalement été certifiés, et Joe Biden a été déclaré vainqueur. Cependant, le processus de certification a été marqué par des tensions inédites : le 6 janvier 2021, des partisans de Trump ont pris d’assaut le Capitole pendant que le Congrès se préparait à certifier les votes du Collège électoral. Cet incident a engendré des appels à une seconde procédure d’impeachment contre Donald Trump, pour incitation à l’insurrection, marquant ainsi une application récente et exceptionnelle de cette procédure.

Impeachment de Donald Trump

Donald Trump est le premier président américain à avoir été mis en accusation deux fois durant son mandat. La première procédure, initiée en 2019, concernait des allégations selon lesquelles Trump aurait fait pression sur le gouvernement ukrainien pour enquêter sur Joe Biden et son fils. La Chambre des représentants, dominée par les démocrates, a voté les articles d’impeachment, mais le Sénat, à majorité républicaine, a acquitté Trump en 2020.

En janvier 2021, après l’attaque du Capitole, la Chambre a une nouvelle fois voté un article d’impeachment pour incitation à l’insurrection. Trump a été de nouveau acquitté par le Sénat, bien qu’une majorité de sénateurs ait voté en faveur de la condamnation, celle-ci n’ayant pas atteint les deux tiers requis.

Rôle accru de la Cour suprême et les nominations présidentielles

Sous la présidence de Donald Trump, trois nouveaux juges conservateurs ont été nommés à la Cour suprême, consolidant une majorité conservatrice de 6 contre 3. Ces nominations – Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh, et Amy Coney Barrett – ont suscité de vifs débats au Sénat. En particulier, la nomination d’Amy Coney Barrett, juste avant l’élection présidentielle de 2020, a été perçue par beaucoup comme une manœuvre politique, car elle a eu lieu peu de temps après le décès de la juge Ruth Bader Ginsburg.

Ces nominations ont accentué les débats sur le rôle de la Cour dans la société américaine, notamment sur des sujets comme l’avortement, les droits civiques, et la protection de l’environnement. Depuis 2021, la Cour suprême a rendu plusieurs décisions significatives, y compris le renversement de Roe v. Wade en 2022, qui a mis fin à la reconnaissance constitutionnelle du droit à l’avortement. Ce changement a relancé les discussions sur l’impact des nominations présidentielles sur la justice et la politique américaine.

Veto présidentiel et négociations au Congrès

Les présidences de Trump et de Joe Biden ont montré l’importance du pouvoir de veto et des négociations au Congrès. Sous Trump, les relations tendues avec le Congrès ont souvent abouti à des veto sur des lois proposées par la Chambre contrôlée par les démocrates, notamment sur des questions budgétaires et de défense. En 2020, Trump a opposé son veto à une loi de financement de la défense, qui fut ensuite rejeté par le Congrès – un cas rare d’annulation d’un veto présidentiel.

De son côté, Biden a également dû négocier avec un Congrès divisé pour faire passer des projets majeurs, tels que le plan de relance de 1,9 trillion de dollars pour lutter contre la pandémie de COVID-19, ainsi que le plan d’infrastructure de 1,2 trillion de dollars. Ces négociations montrent la nécessité d’un consensus et les limites du pouvoir exécutif, même lorsque le même parti contrôle les deux chambres.

La séparation des pouvoirs en pratique

En théorie, le président propose des lois et le Congrès légifère. Cependant, dans la pratique, le président propose de nombreux projets de loi, dont le Congrès peut retarder ou rejeter l’adoption. En outre, la presse joue un rôle de surveillance important et constitue ce qu’on appelle le quatrième pouvoir, influençant l’opinion publique et exerçant un contrôle indirect sur l’administration en place.

§ 2 – Le régime directorial

Le régime directorial est un système politique marqué par une atténuation marquée de la séparation des pouvoirs et un rôle prédominant de l’assemblée législative. Actuellement, la Suisse est le seul État à appliquer ce type de régime, qui se distingue par une organisation fédérale où le Parlement détient des pouvoirs importants.

Organisation du système politique suisse

  • Assemblée fédérale :
    • Le Parlement suisse, aussi appelé Assemblée fédérale, est composé de deux chambres :
      • Conseil national : Chambre basse, qui représente la population suisse et est composée de 200 membres élus proportionnellement à la population de chaque canton.
      • Conseil des États : Chambre haute, qui assure une représentation égale des cantons (deux représentants par canton et un par demi-canton), comptant 46 membres.
    • Les deux chambres se réunissent pour élire les membres du Conseil fédéral, le gouvernement suisse, ce qui renforce le lien entre l’Assemblée fédérale et l’exécutif.
  • Conseil fédéral :
    • Le Conseil fédéral est l’organe exécutif de la Suisse, composé de sept membres élus par l’Assemblée fédérale pour des mandats de quatre ans, avec une possibilité de réélection.
    • Collégialité et stabilité : Les décisions sont prises collégialement, et les membres sont généralement réélus à plusieurs reprises, parfois jusqu’à leur retraite.
    • Répartition des sièges : De 1959 à 2003, les sièges au sein du Conseil fédéral étaient répartis selon une « formule magique », un système qui allouait les sièges aux quatre principaux partis suisses, garantissant une large représentativité politique. Ce système a été modifié en 2003 après la montée en puissance de l’Union démocratique du centre (UDC), un parti populiste dirigé par Christoph Blocher, ce qui a entraîné le remplacement d’un membre du Parti démocrate chrétien par un membre de l’UDC.

Caractéristiques du régime directorial suisse

  1. Indépendance du Conseil fédéral vis-à-vis de l’Assemblée fédérale :
    • Contrairement à d’autres régimes parlementaires, le Conseil fédéral n’est pas responsable politiquement devant les chambres, ce qui signifie qu’il ne peut être contraint de démissionner en cas de perte de confiance du Parlement.
    • Bien que l’Assemblée fédérale dispose d’un pouvoir de surveillance sur l’exécutif, elle ne peut pas forcer ses membres à quitter leurs fonctions par un vote de défiance, comme cela se voit dans les régimes parlementaires traditionnels.
  2. Pouvoir d’initiative législative :
    • Le Conseil fédéral propose des projets de loi au Parlement et peut donner son avis sur les propositions de lois émanant de l’Assemblée fédérale, ce qui lui confère un pouvoir d’influence notable sur le processus législatif.
    • Ce système de collaboration entre les pouvoirs entraîne une procédure législative lente, parfois de trois à cinq ans pour l’adoption et la mise en vigueur d’une loi.
  3. Processus législatif et référendum :
    • En Suisse, le processus législatif est particulièrement complexe. Après l’approbation d’un projet de loi par l’Assemblée fédérale, un référendum facultatif peut être lancé si 50 000 citoyens en font la demande dans les 100 jours. Ce dispositif permet aux citoyens de s’opposer à l’entrée en vigueur de lois parlementaires, renforçant ainsi le contrôle populaire sur le pouvoir législatif.
    • Par ailleurs, les sessions parlementaires sont limitées à quatre par an, ce qui ralentit la production législative et contribue à la stabilité des institutions.

Comparaison avec d’autres régimes politiques

  • Régime directorial vs régime parlementaire :
    • Contrairement à un régime parlementaire classique, où le gouvernement est responsable devant le Parlement et où la séparation des pouvoirs est plus marquée, le régime directorial suisse accorde une importance moindre à la séparation stricte des pouvoirs et favorise une interaction étroite entre l’exécutif et le législatif.
    • Dans un régime parlementaire, le chef de l’État ou le chef du gouvernement peut dissoudre l’Assemblée, ce qui n’est pas le cas en Suisse.
  • Régime directorial vs régime présidentiel :
    • Contrairement au régime présidentiel, où l’exécutif est largement indépendant du législatif (comme aux États-Unis), le Conseil fédéral suisse dépend du Parlement pour son élection et doit se conformer aux instructions et aux réformes décidées par l’Assemblée.

Exemples de changements récents et influence des partis

  • Réforme de la « formule magique » :
    • La percée de l’UDC et l’élection de Christoph Blocher en 2003 ont brisé la répartition traditionnelle des sièges au sein du Conseil fédéral, entraînant un rééquilibrage de la représentation politique dans l’exécutif.
    • Le poids croissant de l’UDC, qui prône des positions plus conservatrices et nationalistes, témoigne de la capacité du régime suisse à s’adapter aux dynamiques électorales, tout en maintenant une forme de consensus politique au sein du gouvernement.
  • L’influence de l’opinion publique :
    • Grâce à des outils de démocratie directe, comme le référendum obligatoire pour les modifications constitutionnelles et le référendum facultatif pour les lois, le peuple suisse conserve un rôle influent dans la prise de décisions. Ce mécanisme a conduit, par exemple, à des décisions importantes telles que le refus de l’adhésion à l’UE en 1992 et des référendums sur des sujets sociaux et environnementaux dans les années récentes.

Le système suisse montre que le régime directorial favorise une collaboration étroite entre les pouvoirs législatif et exécutif et permet aussi d’intégrer fortement le peuple dans le processus de décision, ce qui en fait un modèle original dans le paysage politique mondial.

§ 3 – Le régime parlementaire

Le régime parlementaire trouve son origine dans le modèle du régime représentatif anglais et s’est développé de manière empirique, s’adaptant aux évolutions politiques et sociales. Avant de s’établir pleinement dans un cadre démocratique, le parlementarisme a souvent précédé la mise en place du suffrage universel dans de nombreux pays, notamment en Belgique.

Les deux formes du régime parlementaire : dualiste et moniste

  • Système dualiste :
    • Dans le cadre du régime parlementaire dualiste, le pouvoir exécutif est partagé entre deux entités distinctes : le chef de l’État (roi ou président) et le gouvernement. Ce système repose sur l’idée que le gouvernement doit jouir de la confiance simultanée du chef de l’État et du Parlement.
    • Le chef de l’État dispose d’un pouvoir de dissolution du Parlement et peut également mettre fin aux fonctions des ministres s’il estime qu’ils ont perdu sa confiance. Ainsi, il possède une influence notable dans les affaires politiques, mais il n’est soumis à aucun contrôle direct de la part du Parlement.
    • Ce modèle s’est illustré sous des régimes comme la monarchie de Juillet en France ou encore dans l’Angleterre prévictorienne, où le chef de l’État jouait un rôle actif et influent.
  • Système moniste :
    • La théorie moniste s’est développée parallèlement à un affaiblissement des régimes dualistes. Dans ce cadre, la politique est dominée par l’interaction entre le Parlement et le gouvernement, le chef de l’État jouant un rôle plus effacé.
    • Cette transformation a été accélérée par l’instauration du suffrage universel, qui a conféré une légitimité démocratique accrue au Parlement et, par extension, au gouvernement qui en découle.
    • Aujourd’hui, la majorité des régimes parlementaires se sont adaptés vers cette configuration moniste, où le gouvernement tire sa légitimité du Parlement et ne dépend plus autant du chef de l’État.

Exemples de régimes parlementaires modernes : rationalisés et semi-présidentiels

  • Parlementarisme rationalisé :
    • Certains États, comme l’Allemagne, ont adopté des mesures pour renforcer la stabilité du gouvernement. Ces dispositions visent à rendre plus difficile la destitution de l’exécutif, comme en témoigne l’article 67 de la Loi fondamentale allemande qui établit le principe de la motion de méfiance constructive.
    • Cette motion prévoit que le Bundestag peut exprimer sa méfiance envers le chancelier, mais uniquement s’il élit un successeur avec une majorité absolue. Cela oblige les parlementaires à garantir une solution de rechange avant de démettre un chancelier, limitant ainsi les risques de crise politique.
  • Régimes parlementaires avec un président élu :
    • Certains pays, dont la France et le Portugal, présentent des régimes parlementaires dans lesquels le président de la République est élu au suffrage universel, ce qui confère au chef de l’État une légitimité populaire.
    • Ces régimes, parfois qualifiés de semi-présidentiels, fonctionnent néanmoins comme des régimes parlementaires en raison de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement. Le président joue souvent un rôle plus affirmé, en particulier dans des domaines stratégiques, mais n’intervient que rarement dans les affaires courantes.

Exemples de fonctionnement du régime parlementaire dans des États modernes

  • Royaume-Uni : Le Premier ministre est le chef de gouvernement et détient le pouvoir exécutif principal. Bien que la Reine soit officiellement le chef de l’État, son rôle est essentiellement symbolique. Le gouvernement doit conserver la confiance de la Chambre des Communes, qui peut à tout moment voter une motion de censure.
  • Belgique : La Belgique est un exemple de régime parlementaire moniste, où le Roi joue un rôle protocolaire. Le gouvernement fédéral, quant à lui, est directement responsable devant le Parlement belge, qui peut lui retirer sa confiance.
  • Italie : Dans ce pays, le Président de la République dispose d’un droit de dissolution de la Chambre des députés. Cependant, cette prérogative est rarement utilisée. L’Italie fonctionne sur un modèle parlementaire moniste, avec un Président jouant un rôle modéré dans les affaires courantes et le gouvernement dépendant du soutien parlementaire.

Conclusion

Le régime parlementaire a évolué, passant du dualisme à une dominante moniste dans la majorité des pays modernes. Les mesures de rationalisation adoptées dans certains États visent à stabiliser les gouvernements et à rendre le processus de destitution plus complexe, tandis que les régimes parlementaires avec un président élu mettent en lumière une configuration hybride où l’exécutif dispose d’une légitimité plus large sans perdre de vue la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Dans tous les cas, ces systèmes politiques continuent d’adapter les principes de séparation des pouvoirs et de responsabilité pour répondre aux réalités modernes et assurer une gouvernance efficace.

Chapitre 2 : Le système normatif

Le système normatif belge est structuré par une hiérarchie de normes, au sommet de laquelle se trouve la Constitution. Ce texte fondamental, qui régit les institutions et leurs compétences, reflète un instantané de consensus national. Cependant, la Constitution n’est jamais figée ; elle évolue constamment pour s’adapter aux réalités sociales, politiques, et culturelles du pays. Plusieurs exemples illustrent comment cette évolution se manifeste à travers des révisions constitutionnelles et des interprétations jurisprudentielles.

1. L’évolution du droit de vote en Belgique

  • Initialement, le suffrage universel n’était pas consacré. Ce n’est qu’en 1921 qu’il a été élargi à tous les hommes, puis aux femmes en 1948, et enfin abaissé à 18 ans en 1981.
  • En réponse aux exigences de l’Union européenne (UE), l’article 8 de la Constitution a été révisé pour permettre aux citoyens européens résidant en Belgique de voter aux élections communales. Cette extension a été réalisée dans le cadre du Traité de Maastricht et par des lois spécifiques, comme celle de 2004 qui accorde le droit de vote aux résidents non européens ayant vécu cinq ans en Belgique. Ces réformes illustrent l’adaptation des normes belges à un cadre européen plus inclusif.

2. Le pouvoir militaire du Roi et son évolution

  • Selon l’article 167 de la Constitution, le Roi est chef des forces armées et dispose du pouvoir de déclarer la guerre. Ce pouvoir, bien que formellement octroyé, a vu son application évoluer en fonction des événements historiques. Par exemple, Léopold I a exercé le commandement en 1831 pour défendre le territoire, mais cette compétence a été interprétée différemment pendant les guerres mondiales.
    • En 1914-1918, Albert I a personnellement dirigé les opérations militaires, parfois sans concertation avec ses ministres, ce qui démontre une large latitude dans l’exercice de ce pouvoir.
    • En 1940, Léopold III a décidé de capituler face aux Allemands sans l’approbation de son gouvernement, ce qui a entraîné une crise politique majeure et sa démission forcée en raison de l’absence de contreseing ministériel.

3. Le rôle du Roi dans la formation du gouvernement

  • L’article 96 de la Constitution confère au Roi le pouvoir de nommer les ministres. Cependant, le rôle actif du Roi dans cette nomination a évolué au fil des décennies. Si au début de son règne, Léopold I négociait directement avec le Premier ministre, les rois modernes s’en tiennent davantage à une fonction symbolique, laissant la majorité parlementaire et les partis politiques négocier la formation du gouvernement.
  • Aujourd’hui, bien que le Roi participe encore au processus de nomination, sa capacité à influencer la composition du gouvernement est limitée par les impératifs démocratiques et les négociations entre les partis de la majorité parlementaire.

4. L’égalité des sexes et les droits constitutionnels

  • La Constitution belge n’a reconnu l’égalité des sexes que de manière progressive. Ce principe, absent lors de la rédaction de 1831, a été consacré par le Conseil d’État en 1974. L’inclusion explicite de l’égalité hommes-femmes en 1991 et la création de l’article 11 bis en 2002 imposent aux législateurs de garantir l’égalité dans l’accès aux mandats électifs et publics.
  • Ces révisions constitutionnelles ont permis de renforcer la parité au sein des organes exécutifs et d’instaurer des mécanismes de discrimination positive pour garantir l’égalité réelle entre les sexes. Cela reflète un changement vers une égalité substantielle, où les inégalités structurelles entre hommes et femmes sont activement corrigées.

5. La souplesse et l’adaptabilité de la Constitution

  • La Constitution est, par nature, un texte évolutif. Sa capacité à s’adapter aux transformations politiques et sociales est essentielle pour maintenir sa légitimité et sa pertinence. Si elle est trop imprécise, elle sera interprétée selon les nouveaux consensus politiques et sociaux. En revanche, si elle est trop rigide, elle risque de ne plus refléter les valeurs de la société.
  • Par exemple, l’évolution de la conception de l’égalité ou des droits politiques montre que la Constitution belge s’adapte aux nécessités contemporaines, ce qui permet de répondre aux exigences de justice sociale et de renforcement des droits de l’homme.

Leçons et implications

L’évolution du droit belge montre que :

  • Les règles constitutionnelles doivent être révisées régulièrement pour demeurer en phase avec les valeurs et aspirations contemporaines.
  • Les jurisprudences et les décisions parlementaires révèlent la manière dont les normes constitutionnelles s’adaptent à des changements de contexte.
  • La Belgique met en œuvre des pratiques de discrimination positive pour corriger les inégalités structurelles, notamment à l’égard des femmes.
  • La souveraineté nationale et les droits citoyens évoluent également au gré des engagements internationaux, comme ceux liés à l’Union européenne, modifiant le champ d’application de certaines dispositions constitutionnelles pour favoriser une intégration plus large.

Section 1. La constitution en tant que concept théorique

Sous-section 1ère. La constitution et le pouvoir constituant

Le pouvoir constituant est à l’origine de toute Constitution ; c’est l’organe ou l’assemblée qui, de manière unique, établit la première version d’un texte constitutionnel ou en effectue la refonte totale. Ce pouvoir se distingue des pouvoirs constitués, c’est-à-dire ceux qui sont créés et définis par la Constitution elle-même : les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, ainsi que les pouvoirs spécifiques aux États fédéraux, tels que les pouvoirs régionaux et communautaires en Belgique.

Il existe deux formes de pouvoir constituant :

  • Le pouvoir constituant originaire : C’est celui qui intervient lors de l’établissement d’une nouvelle Constitution. Il est exercé soit lors de la création d’un nouvel État, soit lors d’une rupture avec l’ordre constitutionnel précédent, comme en cas de révolution ou dans un contexte de réforme profonde.
  • Le pouvoir constituant dérivé : Celui-ci consiste à apporter des modifications à une Constitution existante. En Belgique, par exemple, une procédure spécifique de révision est prévue pour la Constitution, ce qui relève du pouvoir constituant dérivé.

Méthodes de rédaction de la première Constitution

Les méthodes d’élaboration varient selon les contextes et les modèles choisis, généralement classés en méthodes monarchistes et méthodes populaires :

  • Méthodes monarchistes : Ici, la Constitution est souvent octroyée par le souverain :
    • Constitution octroyée unilatéralement : Le roi ou le monarque impose la Constitution, tel que la Charte constitutionnelle de 1814 en France.
    • Constitution contractuelle : Elle résulte d’un pacte entre le chef d’État et le peuple. La Charte de 1830 en France en est un exemple, où un accord était nécessaire pour que le texte soit accepté.
  • Méthodes populaires : Ces méthodes permettent une participation active du peuple dans la création de la Constitution, soit par :
    • Référendum : Le texte proposé est soumis directement à l’approbation des citoyens.
    • Assemblée constituante : Une assemblée élue par les citoyens rédige la Constitution.
    • Combinaison des deux : L’assemblée élue élabore le texte qui est ensuite soumis à référendum pour approbation.

La Constitution : significations matérielle et formelle

  • Sens matériel : La Constitution désigne l’ensemble des règles essentielles qui régissent l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics ainsi que les droits fondamentaux des citoyens. Ce sens est lié à l’essence même des principes démocratiques et des droits individuels qui forment la structure de l’État.
  • Sens formel : La Constitution se réfère ici au texte unique et suprême qui impose des obligations aux organes de l’État. Les normes constitutionnelles formelles sont dotées d’une rigidité juridique : elles ne peuvent être modifiées qu’en suivant une procédure spécifique.

Dans de nombreux pays, comme la Belgique, ces deux sens coïncident largement. Cependant, certains pays, tels que le Royaume-Uni, fonctionnent avec une Constitution matérielle seulement, où les normes constitutionnelles sont issues de la coutume et de lois ordinaires.

Souplesse et rigidité constitutionnelles

  • Constitutions souples : Certaines Constitutions peuvent être modifiées de la même manière qu’une loi ordinaire. Ce modèle se trouve surtout dans les États où le texte constitutionnel est imprégné de coutumes et de lois ordinaires. Au Royaume-Uni, par exemple, les principes d’organisation politique sont largement issus de la common law et d’actes législatifs qui ne sont pas nécessairement regroupés dans un texte formel unique.
  • Constitutions rigides : La plupart des Constitutions modernes, y compris la Constitution belge, sont rigides. En Belgique, la révision constitutionnelle nécessite :
    • Une procédure en trois étapes : déclaration de révision, élections et discussion/vote sur les modifications.
    • Majorités qualifiées : souvent deux tiers, pour assurer une large adhésion politique aux réformes.

Exemples concrets de flexibilité  de la Constitution belge :

La Constitution belge a évolué au fil des années pour s’adapter aux nouvelles réalités sociales, politiques et internationales. Voici quelques exemples :

  • Droit de vote : En 1921, le suffrage universel a été étendu aux hommes, puis aux femmes en 1948, et enfin aux jeunes de 18 ans en 1981. En réponse à l’adhésion à l’Union européenne, la Belgique a modifié la Constitution pour autoriser les résidents européens et, plus tard, les résidents non européens ayant une certaine ancienneté, à voter aux élections communales.
  • Pouvoir militaire du Roi : Le rôle militaire du Roi a également évolué. La crise de 1940, qui a vu le Roi Léopold III capituler sans consulter le gouvernement, a démontré les limites de l’interprétation du pouvoir royal dans un contexte de guerre, rappelant que tout acte du Roi doit désormais être contresigné par un ministre.
  • Égalité des sexes : L’évolution des mentalités a également influencé les droits constitutionnels, avec l’ajout de l’égalité entre hommes et femmes dans la Constitution en 1991, et la mise en place d’une discrimination positive pour corriger les inégalités structurelles en matière de représentation politique.

 Voici quelques exemples récents :

1. Réforme du Sénat en 2014

  • La sixième réforme de l’État, adoptée en 2014, a profondément modifié la composition et le rôle du Sénat. Celui-ci est désormais une assemblée non permanente composée de représentants des parlements régionaux et communautaires, et il ne dispose plus du même pouvoir législatif qu’auparavant.
  • Cette réforme a ainsi transformé le Sénat en un organe de réflexion et de concertation entre les entités fédérées, limitant son rôle en matière législative, et mettant l’accent sur les questions institutionnelles et les réformes de l’État.

2. Droit de vote à 16 ans pour les élections européennes (2022)

  • En 2022, la Belgique a abaissé l’âge de vote à 16 ans pour les élections européennes. Cette modification a pour but de favoriser la participation des jeunes et de mieux les intégrer dans le processus démocratique.
  • Bien que cette modification ne concerne pas directement la Constitution, elle témoigne de la souplesse du système législatif belge, qui reste en mesure de s’adapter aux évolutions sociétales. Il est possible que de telles initiatives encouragent d’autres réformes constitutionnelles touchant aux droits de vote.

3. Modification sur les conflits d’intérêts (réformes en 2021)

  • En réponse aux complexités liées au système fédéral, la Belgique a renforcé les procédures pour résoudre les conflits d’intérêts entre les niveaux de pouvoir fédéral, régional et communautaire. Ces réformes ont pour but de faciliter les relations entre ces différents niveaux, en limitant le recours à des mécanismes bloquants.
  • Cette flexibilité vise à garantir que les institutions fonctionnent de manière plus efficace, même en cas de désaccords entre entités.

4. Réforme relative aux procédures de révision de la Constitution (2017)

  • En 2017, la procédure de révision constitutionnelle a été simplifiée pour répondre aux besoins d’une Belgique de plus en plus fédéralisée. Désormais, pour certaines dispositions, il est possible de réviser plus rapidement la Constitution afin de s’adapter aux nouvelles réalités fédérales.
  • Cette mesure permet d’aligner plus facilement la Constitution avec les accords politiques relatifs aux réformes de l’État, en garantissant une flexibilité institutionnelle accrue.

5. Renforcement de l’égalité de genre dans la Constitution (2021)

  • En 2021, le Parlement belge a approuvé l’ajout d’un article dans la Constitution pour garantir l’égalité des sexes. Bien que l’égalité des genres ait déjà été reconnue dans la Constitution, cette modification vise à renforcer le principe en intégrant explicitement des références à la lutte contre les discriminations basées sur le genre.
  • Cette évolution montre l’engagement de la Belgique à aligner ses normes constitutionnelles sur les valeurs et droits fondamentaux modernes, en réponse à une pression accrue en faveur de l’égalité des sexes et des droits des femmes.

Sous-section 2. La constitution écrite et la coutume constitutionnelle

La coutume constitutionnelle joue un rôle crucial dans le droit public belge, en particulier dans l’adaptation des institutions aux nouvelles réalités sans modification formelle de la Constitution. Elle comprend deux éléments principaux : la répétition d’une pratique et le sentiment d’obligation juridique qui lui est associé. Voici un approfondissement sur les aspects de la coutume constitutionnelle et la manière de la distinguer d’une simple pratique institutionnelle :

1. Naissance d’une coutume constitutionnelle : répétition et rapidité

  • L’adage « une fois n’est pas coutume » souligne l’importance de la répétition pour transformer un précédent en coutume. Cependant, certains juristes estiment que, en droit constitutionnel, l’élément de répétition pourrait être moins strict, compte tenu des spécificités du droit public.
  • Un exemple historique souvent cité est celui de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Maréchal Mac Mahon en 1877 en France. Lorsqu’une dissolution ne donne pas le résultat escompté, comme ce fut le cas avec la victoire de la gauche à l’issue des élections, il s’établit une norme implicite selon laquelle un chef de l’État doit se soumettre aux résultats, sous peine de perdre sa légitimité.
  • Bien que ce cas semble suggérer qu’une coutume constitutionnelle peut naître rapidement en droit public, il reste difficile de soutenir qu’un seul fait puisse, à lui seul, engendrer une règle juridique contraignante.

2. Différencier la coutume constitutionnelle de la pratique institutionnelle

  • Critère de la répétition et de l’obligation : Pour qu’une pratique devienne coutume, elle doit être répétée suffisamment pour que l’on en tire un sentiment d’obligation juridique.
  • Sanction juridictionnelle : Si une pratique peut être contrôlée par le juge, elle prend un caractère juridiquement contraignant. Par exemple, dans l’affaire Happart de 1987, la Cour de cassation a rejeté un argument selon lequel un pourvoi devait être délibéré en Conseil des ministres, affirmant qu’aucune disposition juridique ne l’imposait. Cette décision illustre que l’absence de base juridique formelle a empêché de reconnaître cette pratique comme une coutume.
  • Sanction politique : En l’absence de sanction judiciaire, le critère de la sanction politique peut aussi différencier une coutume d’une simple pratique. Par exemple, en Belgique, l’obligation des ministres de soutenir collectivement la politique gouvernementale n’a pas de sanction judiciaire mais est essentielle à la cohésion gouvernementale. La sanction peut se matérialiser par la démission d’un ministre désapprouvant publiquement le gouvernement.
  • Exemple des nominations ministérielles : Dans la pratique, la nomination d’un informateur et d’un formateur est une coutume bien établie lors de la formation d’un nouveau gouvernement en Belgique. Bien que le rôle de l’informateur ne soit pas formellement requis, il est devenu habituel pour faciliter la tâche du formateur. En revanche, la nomination du formateur est indispensable, car elle garantit que le Roi n’intervienne pas directement dans les négociations politiques, respectant ainsi son rôle neutre.

Exemples actuels de coutumes constitutionnelles en Belgique

  • Rôle du Roi dans la formation du gouvernement : Même si la Constitution donne au Roi le pouvoir de nommer et révoquer les ministres, en pratique, cette prérogative est exercée sur la base de consultations avec les partis politiques gagnants des élections. Cette coutume limite l’influence directe du Roi, évitant ainsi toute implication politique explicite.
  • Respect du cordon sanitaire : Bien que non codifiée, cette coutume interdit aux partis démocratiques de s’allier ou de collaborer avec des partis dits extrémistes, tel que le Vlaams Belang. Cette norme informelle est largement respectée et devient une contrainte politique sans force juridique explicite.
  • Règles de rotation pour la présidence de certaines commissions parlementaires : Le président de la Chambre des représentants, par exemple, peut faire l’objet d’une rotation tacite entre les partis. Cette règle permet de garantir un équilibre de représentation politique, bien qu’elle ne soit pas formellement exigée.

En conclusion, la coutume constitutionnelle est un complément important au cadre formel de la Constitution belge, et qui permet de s’adapter aux besoins politiques et institutionnels évolutifs. Cependant, elle ne devient effective que si elle satisfait aux exigences de répétition et d’acceptation implicite d’une obligation juridique, pouvant être contrôlée soit politiquement, soit, dans certains cas, judiciairement. Ces coutumes jouent sont utiles dans la gestion des nuances institutionnelles, en assurant une continuité même lorsque le cadre constitutionnel reste immobile.

Section 2. La Constitution belge

Sous-section 1ère – Le pouvoir constituant originaire

§ 1er – Les conditions d’élaboration de la constitution

La naissance de la Constitution belge est le résultat d’un processus révolutionnaire marqué par des événements culturels et politiques majeurs. Ce processus a permis l’établissement rapide d’un système constitutionnel qui, malgré la précipitation, demeure d’une grande qualité juridique.

  • Début du processus révolutionnaire : La révolution belge de 1830 débute avec la représentation de l’opéra La muette de Portici, symbole de résistance à la domination hollandaise. Ce soulèvement a inspiré un mouvement révolutionnaire, et dès le 24 septembre 1830, une commission administrative de fait, composée de trois personnes et de deux secrétaires, prend le contrôle de la situation.
  • Formation d’un gouvernement provisoire : Le 26 septembre, la commission élargit son cercle pour former un gouvernement provisoire de sept membres. Ce gouvernement proclame, le 4 octobre 1830, l’indépendance des provinces belges et la création d’un Congrès national chargé de rédiger une Constitution.
  • Rédaction de la Constitution :
    • Le 6 octobre, le gouvernement provisoire nomme une commission de quatorze membres pour élaborer le projet de Constitution. Deux figures principales, Nothomb et Devaux, prennent les rênes de ce projet, préparant un texte en cinq jours seulement, qui est ensuite adopté sans modification.
    • Le texte est transmis au gouvernement provisoire le 27 octobre, qui organise des élections le 3 novembre pour élire les membres du Congrès national. Composé de 200 membres, le Congrès se réunit dès le 10 novembre.
    • Avant de délibérer sur la Constitution, le Congrès adopte deux décrets majeurs :
      • 18 novembre 1830 : Le décret d’indépendance belge, avec une exception concernant les relations du Luxembourg.
      • 24 novembre 1830 : Le décret d’exclusion des membres de la famille d’Orange-Nassau du pouvoir en Belgique.
  • Nature des décrets d’indépendance : Ces deux décrets sont déclarés constitutionnels par le Congrès le 24 février 1831, les rendant intangibles et échappant ainsi aux révisions futures prévues par la Constitution.
  • Adoption et entrée en vigueur de la Constitution :
    • Les travaux sur la Constitution se terminent le 7 février 1831. Le Congrès adopte la plupart des dispositions du projet sans modifications substantielles, sauf pour la composition du Sénat, choisi par élection, et les rapports entre l’Église et l’État, garantissant la liberté des cultes.
    • La Constitution est promulguée le 11 février. Elle entre en vigueur le 25 février 1831 avec l’installation du régent Surlet de Chokier, en attendant l’arrivée d’un souverain.
    • Le 21 juillet 1831, la Constitution devient pleinement effective lors de la prestation de serment de Léopold Ier comme roi des Belges. Ce jour marque officiellement le début de la monarchie constitutionnelle belge.

Impact et importance de la Constitution de 1831

La Constitution belge de 1831 se distingue par son approche moderne pour l’époque, en introduisant des principes démocratiques et libéraux tels que la séparation des pouvoirs, la protection des droits fondamentaux, et une monarchie constitutionnelle limitée par la loi. Les débats sur la structure du Sénat et la liberté religieuse montrent la volonté d’établir un État stable, respectueux des libertés individuelles et capable de protéger les droits fondamentaux de ses citoyens.

§ 2 – Sources, originalité et influence de la constitution

La Constitution belge de 1831, bien qu’empruntant des éléments à plusieurs sources internationales, se distingue par son originalité et son caractère novateur. En effet, elle marque la naissance d’un nouveau modèle politique : la monarchie parlementaire fondée sur la souveraineté nationale. Voici une analyse de ses principales caractéristiques :

Emprunts aux Constitutions étrangères et création d’un modèle hybride

La Constitution belge est parfois qualifiée de Constitution carrefour en raison des nombreuses influences qui s’y retrouvent :

  • 40 % des dispositions proviennent de la Loi fondamentale des Pays-Bas de 1815.
  • 35 % s’inspirent de la Charte constitutionnelle française de 1830 et, plus généralement, de celle de 1814.
  • 10 % découlent de la Constitution française de 1791.
  • 5 % sont issus du droit constitutionnel anglais.
  • Enfin, 10 % de son contenu revêt un caractère original, marquant une réelle innovation.

L’influence des États-Unis est également notable, bien qu’indirecte, en raison des discussions philosophiques et juridiques qui ont entouré la rédaction de la Constitution, notamment en matière de droits individuels et de souveraineté populaire.

Originalité du modèle belge

La Constitution belge se démarque de ses modèles par trois grandes innovations :

  1. La monarchie parlementaire fondée sur la souveraineté nationale :
    • S’inspirant de la Constitution française de 1791, la Constitution belge fait du Roi une figure constitutionnelle aux pouvoirs limités. La règle du contreseing ministériel, selon laquelle tous les actes du Roi doivent être signés par un ministre responsable, retire au Roi la possibilité d’exercer des pouvoirs de manière personnelle et autonome.
    • Elle pose également que « tous les pouvoirs émanent de la Nation », limitant strictement les prérogatives royales à celles accordées par la Constitution elle-même.
  2. L’Unionisme et la consécration de diverses libertés :
    • La Révolution belge de 1830 est caractérisée par un unionisme entre libéraux et catholiques, qui se retrouve dans le contenu de la Constitution. Celle-ci garantit un ensemble de libertés fondamentales :
      • Libertés revendiquées par les catholiques : liberté de conscience, de culte et d’enseignement.
      • Libertés soutenues par les libéraux : liberté de presse, de réunion, d’association.
    • Pour établir ce catalogue de droits, les constituants s’inspirent de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, faisant écho aux idéaux révolutionnaires.
  3. Une séparation souple entre l’Église et l’État :
    • La Constitution établit un modèle de séparation souple, ou de « neutralité positive », entre l’Église et l’État, qui permet à l’Église de gérer librement le culte, l’enseignement, et ses œuvres sociales. En contrepartie des biens ecclésiastiques confisqués sous le régime français, l’État garantit un financement public des ministres du culte.
    • Cette disposition, qui favorise le culte catholique, conduit plus tard les partisans de la laïcité belge à revendiquer un financement public pour leurs propres organisations. Cette demande est satisfaite en 1993 avec l’introduction de l’article 181, § 2 dans la Constitution, qui permet de subventionner également les organisations laïques.

Influence internationale de la Constitution belge

La Constitution belge est rapidement adoptée comme modèle par de nombreux autres États en raison de son équilibre entre monarchie et démocratie parlementaire et de son respect des droits individuels. Certaines Constitutions étrangères reprennent directement des passages de la Constitution belge, tandis que d’autres s’inspirent de ses principes novateurs pour orienter leurs propres systèmes politiques.

Constitution belge, un simple mélange?

La Constitution belge de 1831 s’avère être bien plus qu’un simple mélange d’influences étrangères. En réussissant à fusionner des éléments variés tout en créant une monarchie parlementaire fondée sur la souveraineté nationale et la neutralité religieuse, elle donne naissance à un modèle unique. Elle est non seulement un reflet des idéaux de son époque, mais continue d’inspirer la démocratie constitutionnelle moderne.

Sous-section 2 – Le pouvoir constituant dérivé

La révision de la Constitution belge, régie par l’article 195, repose sur une procédure rigoureuse en trois phases : la déclaration de révision, la dissolution des chambres, et la révision proprement dite. Cette démarche vise à s’assurer que la révision constitutionnelle bénéficie d’une légitimité démocratique renforcée.

§ 1er – Les déclarations de révision de la constitution

La première étape de cette procédure implique une déclaration de révision effectuée par les trois branches du pouvoir législatif : la Chambre des représentants, le Sénat, et le Roi. Chacune de ces branches doit approuver séparément les dispositions à réviser :

  • Seules les dispositions figurant dans les trois déclarations peuvent être soumises à révision. Autrement dit, si une branche omet de mentionner une disposition, celle-ci ne peut être modifiée.
  • La déclaration se concentre sur des articles spécifiques, mais elle n’oblige pas le pouvoir constituant à une révision strictement limitée à la formulation existante. Le pouvoir constituant peut également insérer une nouvelle disposition lorsque celle-ci se rattache de manière cohérente à un titre ou un chapitre existant.

Lorsque les deux chambres ont voté en faveur de la révision, le Roi, appuyé par un ou plusieurs ministres, doit également signer la déclaration. Ce contreseing ministériel est toutefois soumis à des limites dans certaines situations :

  • Cas de gouvernement démissionnaire : Si le gouvernement est en affaires courantes (démissionnaire), sa capacité à contresigner la déclaration de révision est limitée. En 1968 et en 1974, après les démissions respectives des gouvernements Vander Boeynants et Leburton, la question s’est posée. Dans les deux cas, il a été décidé qu’un ministre démissionnaire ne pouvait contresigner une déclaration de révision portant sur de nouvelles dispositions, mais pouvait, dans des circonstances exceptionnelles, contresigner une déclaration reproduisant celle qui avait été adoptée lors de la législature précédente.
  • Cette pratique a été critiquée mais est devenue une coutume constitutionnelle. Elle repose sur l’idée que la responsabilité d’un gouvernement démissionnaire est limitée puisqu’il ne peut plus être sanctionné politiquement par les chambres, ce qui justifie qu’il s’abstienne de poser des actes engageant fortement l’avenir constitutionnel du pays.

§ 2 – La dissolution des chambres

Une fois que la déclaration de révision est publiée au Moniteur belge, elle entraîne automatiquement la dissolution des chambres, en vertu de l’article 195 :

  • Cette dissolution est accompagnée d’un arrêté royal convoquant les électeurs dans les 40 jours suivant la publication, et fixant la réunion des nouvelles chambres dans un délai de deux mois.
  • La dissolution des chambres vise à empêcher les parlementaires de s’engager à la légère dans un processus de révision constitutionnelle en les exposant au jugement direct des électeurs. En théorie, les nouvelles élections permettent également à la population de se prononcer sur la manière dont les représentants élus souhaitent aborder la révision.
  • Cependant, il convient de noter que cette consultation populaire relève en partie de la fiction : les campagnes électorales précédant une révision constitutionnelle ne se distinguent pas toujours de celles menées avant une élection législative ordinaire, et les enjeux de la révision ne sont pas nécessairement au centre des débats électoraux.

§ 3 – La révision proprement dite

Dans le cadre de la révision de la Constitution belge, une fois les nouvelles chambres élues, celles-ci sont autorisées à réviser les dispositions listées dans la déclaration de révision initiale. Ce processus suit des règles strictes en matière de délibération, de quorum, et de majorité qualifiée.

Procédure de délibération et de révision

  1. Initiative de la révision :
    • Les propositions de révision peuvent être soumises soit par les parlementaires, soit par le gouvernement. En pratique, les grandes lignes des révisions peuvent même être définies avant la formation officielle du gouvernement, comme ce fut le cas en 1988, lorsque les négociations gouvernementales ont permis de clarifier les objectifs de la révision avant la constitution d’un nouvel exécutif.
    • En 1992, face à des divergences communautaires, un dialogue direct entre communautés fut tenté, aboutissant aux accords de la Saint-Michel (29 septembre 1992) et de la Saint-Quentin (31 octobre 1992). Ces accords ont illustré comment des négociations communautaires intensives peuvent s’intégrer dans le processus constitutionnel, même en l’absence d’une majorité fédérale des deux tiers.
  2. Quorum et majorité :
    • La Constitution impose une double exigence : un quorum spécial et une majorité qualifiée. Les chambres ne peuvent délibérer qu’en présence d’au moins deux tiers de leurs membres.
    • Les deux tiers des voix exprimées doivent être en faveur de la proposition pour qu’elle soit adoptée. Les abstentions, bien qu’incluses pour calculer le quorum, ne comptent pas dans le calcul de la majorité. Cela signifie qu’une disposition pourrait, théoriquement, être adoptée avec seulement quelques voix pour et contre, accompagnées d’un grand nombre d’abstentions. Par exemple, dans une Chambre de 150 membres, 2 voix pour, 1 voix contre, et 147 abstentions suffiraient pour adopter un article.
    • Avant 1968, les abstentions étaient comptabilisées avec les votes négatifs, affectant le calcul de la majorité qualifiée. Cette approche a été abandonnée afin de clarifier le rôle des abstentions.
  3. Procédure de vote :
    • Contrairement au processus législatif ordinaire, lorsque des parties d’un article constitutionnel sont votées paragraphe par paragraphe, chaque partie votée est définitivement adoptée, sans qu’il soit nécessaire de soumettre l’ensemble de l’article à un second vote.

Limites et interprétations de la révision

  1. Révisions multiples au cours d’une même législature :
    • Il est possible de modifier différentes parties d’une disposition constitutionnelle au cours de la même législature si certaines parties de cette disposition ont été laissées intactes lors de la première révision.
    • En revanche, si une disposition a déjà été révisée, une nouvelle modification de la même partie de cette disposition exige le redémarrage complet de la procédure de révision. Cette règle, confirmée par le Sénat en 1980, a pour but de respecter l’esprit de l’article 195, en empêchant des révisions successives sans consultation populaire entre les deux.
    • Bien que certains, comme Jacques Velu, aient critiqué cette position comme étant trop rigide, elle préserve la stabilité constitutionnelle en imposant un temps de réflexion et en évitant des modifications hâtives.
  2. Le rôle de l’article 198 :
    • L’article 198 permet au constituant d’opérer des changements de forme dans la Constitution sans qu’il soit nécessaire de passer par la procédure de révision prévue par l’article 195. Cela signifie que certaines modifications mineures, de type stylistique ou formel, peuvent être réalisées plus facilement. Toutefois, il ne permet pas d’outrepasser la procédure complète pour des changements substantiels.

Exemples historiques de révisions constitutionnelles

  • La révision de 1988 et les accords de la Saint-Michel et de la Saint-Quentin en 1992 sont des illustrations notables des tentatives de renégociation et d’adaptation du cadre constitutionnel belge aux évolutions communautaires. Ces accords ont permis d’inclure des aspects nouveaux dans la répartition des compétences et ont modifié la structure institutionnelle belge, notamment en renforçant les compétences des communautés et des régions, en réponse aux tensions communautaires croissantes.

Exemples récents de révision de la Constitution belge

    1. Bien-être animal : En mai 2024, le Parlement belge a adopté une révision constitutionnelle pour inclure la protection du bien-être animal. Désormais, la Constitution reconnaît les animaux comme des êtres sensibles, en demandant aux institutions fédérales et régionales de garantir leur protection. Cette révision, motivée par un soutien public considérable, fait de la Belgique le sixième pays de l’UE à intégrer explicitement le bien-être animal dans sa Constitution. Cette avancée représente une évolution sociétale importante, accordant aux animaux un statut constitutionnel aux côtés des droits humains et des valeurs fondamentales du pays​ (Constitution belge)
  1. Droit à un environnement sain : En 2021, la Constitution belge a été modifiée pour inclure le droit de chaque citoyen à un environnement sain. Cette révision impose également au gouvernement la responsabilité de protéger cet environnement pour les générations futures. Cela reflète une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux au niveau constitutionnel, une tendance que l’on observe dans de nombreux autres pays, en réponse à la crise climatique.
  2. Égalité de genre et représentation politique : La Belgique a aussi renforcé les dispositions relatives à l’égalité de genre au sein de la Constitution. Les articles 10 et 11bis visent à assurer une représentation équilibrée des sexes dans les mandats électifs et les fonctions publiques. Cela inclut des mécanismes de discrimination positive pour garantir une représentation plus équitable des femmes, notamment dans les organes exécutifs des entités fédérales, régionales, et communautaires.

§ 4 – L’interdiction de procéder à une révision constitutionnelle

La Constitution belge établit plusieurs limitations à la révision de ses propres dispositions, regroupées en deux catégories : les limitations de contenu et les limitations temporelles.

Limitations de contenu

Certaines dispositions sont considérées comme intangibles et ne peuvent être modifiées, quel que soit le contexte. Ce principe est fondé sur la volonté des auteurs de la Constitution de protéger des valeurs fondamentales qu’ils jugent cruciales pour l’identité de la Belgique :

  • Décrets de 1830 : Les décrets du 18 novembre et du 24 novembre 1830, qui proclament l’indépendance de la Belgique et excluent les membres de la famille Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, sont juridiquement intouchables. Ces décrets symbolisent la fondation de l’État belge et visent à préserver son indépendance ainsi qu’à empêcher toute restauration potentielle d’influence néerlandaise à travers cette famille. En rendant ces décrets inamovibles, la Constitution honore l’importance historique et identitaire de ces décisions initiales.

Limitations temporelles

Deux articles de la Constitution belge restreignent toute révision constitutionnelle dans certaines circonstances temporaires spécifiques :

  • Article 196 : La révision de la Constitution est interdite en temps de guerre. Cet article empêche toute modification constitutionnelle dans des périodes de crise où les décisions politiques peuvent être influencées par l’instabilité et les pressions. Le but est de préserver l’intégrité des institutions et de garantir que les changements constitutionnels ne se produisent que dans un climat de stabilité et de paix.
  • Article 197 : Cet article interdit toute révision des articles relatifs aux pouvoirs du Roi et du statut de la fonction royale pendant une régence. La régence est une période où un régent exerce les fonctions royales, généralement en l’absence d’un monarque en mesure de régner, comme lors de la minorité du roi ou en cas d’incapacité. L’interdiction de révision durant cette période garantit que la structure monarchique et les règles qui encadrent la succession restent inchangées en l’absence du titulaire régulier de la fonction royale.

§ 5 – La validité de la procédure de révision constitutionnelle

La Constitution belge est le fondement juridique de l’organisation politique et institutionnelle du pays. Adoptée en 1831, elle a traversé plusieurs évolutions majeures, s’adaptant aux transformations sociales et politiques du royaume. L’article 195 de cette Constitution définit la procédure à suivre pour toute révision constitutionnelle. Celle-ci comprend trois phases principales : la déclaration de révision, la dissolution des chambres, et la révision proprement dite. Ce processus vise à garantir une modification raisonnée et délibérée des règles fondamentales de l’État, en soumettant chaque modification à des exigences de majorité strictes, renforcées par la dissolution préalable des organes législatifs.

À l’origine, cette procédure avait pour objectif de protéger la stabilité de l’ordre constitutionnel dans un contexte où la Belgique venait de se constituer comme un État unitaire. Cependant, les évolutions institutionnelles successives, notamment la fédéralisation du pays, ont profondément modifié la nature de l’État belge. Le caractère rigide de la procédure de révision de l’article 195 est aujourd’hui remis en question. En effet, cette rigidité semble parfois inadaptée aux besoins contemporains d’un État fédéral où la répartition des compétences entre les différentes entités régionales et communautaires nécessite une souplesse plus grande.

L’article 195, conçu dans une perspective d’État unitaire, ne reflète plus nécessairement les réalités fédérales de la Belgique actuelle. La double majorité des deux tiers requise dans les deux chambres, sans distinction entre parlementaires en fonction de leur appartenance communautaire, est devenue insuffisante pour protéger les intérêts des minorités régionales. De plus, la procédure de dissolution automatique des chambres avant toute révision constitutionnelle, autrefois perçue comme un garde-fou démocratique, n’implique plus nécessairement un débat institutionnel réel devant les électeurs. En conséquence, de nombreuses révisions implicites ont vu le jour, contournant les restrictions formelles de l’article 195 pour adapter la Constitution à des besoins institutionnels spécifiques, au prix d’une certaine incohérence.

Face à ces enjeux, la question se pose : l’article 195 de la Constitution belge constitue-t-il encore un instrument adapté à la réalité institutionnelle moderne du pays ?

  • I. La procédure de révision constitutionnelle prévue par l’article 195

A. La déclaration de révision

1. Les étapes de la déclaration : Chambre des représentants, Sénat et Roi

La procédure de révision constitutionnelle commence par la déclaration de révision, un acte pris par les trois branches du pouvoir législatif belge : la Chambre des représentants, le Sénat, et le Roi. Ces trois entités doivent, de manière séparée, procéder à la déclaration concernant les articles de la Constitution à réviser. Chaque chambre ainsi que le Roi émettent leur propre déclaration, et une disposition ne peut être soumise à révision que si elle figure dans les déclarations des trois parties. Si l’une des branches omet de mentionner une disposition, celle-ci est exclue de la révision.

Cette étape ne nécessite pas que les chambres ou le Roi précisent la manière dont la révision doit être effectuée, car la déclaration n’est qu’un point de départ du processus. Elle permet au constituant d’opérer des révisions sur le fond des dispositions choisies, sans être lié par la forme exacte des articles concernés. La flexibilité réside également dans la possibilité d’insérer de nouvelles dispositions, tant que celles-ci sont liées à un titre ou chapitre déjà soumis à révision.

2. Rôle et portée de la déclaration

La déclaration de révision joue un rôle crucial dans le processus constitutionnel, car elle marque l’engagement des trois branches du pouvoir législatif dans la procédure de réforme. Elle donne ainsi le feu vert pour que le pouvoir constituant puisse réviser la Constitution dans le respect des articles identifiés. Bien que la portée de cette déclaration soit significative, elle n’engage pas le pouvoir constituant quant à l’issue des débats et des révisions. Cela laisse place à une certaine liberté lors des phases ultérieures de la révision.

B. La dissolution automatique des chambres

1. Objectif de la dissolution et ses limites actuelles

Une fois la déclaration de révision publiée, l’article 195 de la Constitution prévoit automatiquement la dissolution des chambres. Cette disposition, datant de 1831, visait à s’assurer que les parlementaires ne modifient pas la Constitution sans avoir été renouvelés par le peuple. La dissolution est donc perçue comme une garantie démocratique, permettant aux électeurs de se prononcer indirectement sur la révision constitutionnelle à travers le renouvellement des chambres.

Cependant, dans le contexte moderne, cet objectif n’est plus pleinement atteint. Les campagnes électorales qui suivent une dissolution ne se distinguent pas des élections législatives ordinaires et ne donnent pas lieu à un débat institutionnel spécifique. De plus, la dissolution ne garantit pas toujours que les nouvelles chambres aborderont la révision avec un mandat clair de la population.

C. Le vote sur la révision constitutionnelle

1. Quorum et majorité des 2/3

Après la dissolution et l’élection des nouvelles chambres, la révision constitutionnelle proprement dite peut avoir lieu. L’article 195 impose un quorum spécial : les chambres ne peuvent délibérer que si les deux tiers de leurs membres sont présents. En outre, la majorité des deux tiers des suffrages est nécessaire pour l’adoption d’une révision.

Ce seuil de majorité est conçu pour protéger les équilibres institutionnels et éviter que des révisions importantes ne soient adoptées sans un large consensus. Ce mécanisme impose ainsi une forme de rigueur démocratique, mais il peut aussi rendre les révisions plus difficiles à obtenir, surtout dans un contexte où les divisions communautaires sont marquées.

2. Conséquences des abstentions

Les abstentions jouent un rôle spécifique dans le cadre de la révision constitutionnelle. Pour le calcul du quorum, elles sont comptabilisées comme des suffrages, ce qui signifie qu’elles peuvent contribuer à atteindre le seuil des deux tiers de présence nécessaire à la tenue du vote. Toutefois, pour le calcul de la majorité des deux tiers requise pour l’adoption d’une révision, les abstentions ne sont pas prises en compte. Cela signifie que seules les voix positives et négatives sont comptabilisées pour déterminer si la majorité des deux tiers est atteinte. Cette règle peut permettre à une disposition d’être adoptée avec un nombre très réduit de votes, si la plupart des parlementaires s’abstiennent.

D. Les restrictions temporelles et matérielles de la révision

1. Interdiction de révision en temps de guerre ou sous régence (article 197)

La Constitution belge, par le biais de son article 197, prévoit des restrictions spécifiques à la révision de certaines de ses dispositions. Il est ainsi interdit de procéder à une révision constitutionnelle en temps de guerre ou pendant une régence. Ces limitations visent à protéger la stabilité de l’État dans des périodes de crise ou d’instabilité politique majeure, où une révision pourrait être perçue comme précipitée ou opportuniste.

Les dispositions relatives à la régence et au pouvoir du Roi (notamment celles sur la désignation du titulaire de la fonction royale) sont également protégées contre toute révision pendant une régence. Cette protection reflète la volonté d’assurer la continuité et la neutralité de la fonction royale dans des circonstances délicates.

2. Cas des décrets de 1830 (intouchables)

Enfin, certains décrets adoptés au début de l’indépendance de la Belgique, en novembre 1830, sont également considérés comme intouchables. Parmi ces décrets, celui proclamant l’indépendance de la Belgique et celui excluant la maison d’Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique sont des exemples notables. Ces décrets, bien qu’intégrés dans le processus constitutionnel, ne peuvent faire l’objet d’une révision. Ils témoignent de l’importance symbolique et historique que revêtent certains aspects de l’indépendance nationale, et leur intangibilité est une marque de la stabilité voulue par les auteurs de la Constitution.

  • II. Les faiblesses de l’article 195

A. Dissolution des chambres : un débat institutionnel limité

1. Absence de débat électoral réel sur les questions constitutionnelles

L’une des faiblesses majeures de l’article 195 réside dans la dissolution automatique des chambres après la déclaration de révision. Cette disposition, censée garantir un débat institutionnel approfondi auprès de l’électorat, se révèle dans les faits inefficace. Bien que l’objectif de la dissolution soit de permettre aux électeurs de se prononcer sur la révision constitutionnelle par le biais de nouvelles élections, les campagnes électorales qui suivent cette dissolution ne diffèrent guère des élections législatives ordinaires. Les débats se concentrent davantage sur les enjeux politiques du moment que sur les questions constitutionnelles soumises à révision.

Cela signifie que l’idée initiale, selon laquelle la dissolution permettrait de renforcer la légitimité démocratique des révisions proposées, ne correspond plus à la réalité du système politique actuel. En pratique, les électeurs ne sont pas véritablement consultés sur les révisions constitutionnelles en question, et le processus manque ainsi de transparence et de participation active.

B. Rigidité excessive de la procédure

1. Incohérences résultant de la déclaration de révision

La procédure de révision prévue par l’article 195 souffre également d’une rigidité excessive. Une des conséquences de cette rigidité est l’apparition d’incohérences au sein du texte constitutionnel. La déclaration de révision, en énumérant de manière exhaustive les articles soumis à révision, exclut implicitement d’autres articles qui pourraient pourtant être en lien direct avec les réformes envisagées. Cette limite conduit à des situations où des modifications nécessaires ne peuvent être apportées qu’indirectement.

2. Exemple des révisions implicites (article 43 et article 42)

Un exemple marquant de cette incohérence est illustré par la coexistence de l’article 43, qui crée des groupes linguistiques au sein des chambres, et de l’article 42, qui consacre le principe selon lequel les membres des chambres représentent la Nation dans son ensemble. Ces deux dispositions semblent s’opposer dans leurs principes, et pourtant, lors de la révision de 1993, ces deux articles ont été maintenus dans la Constitution sans que cette contradiction ne soit résolue.

Par ailleurs, l’utilisation de « révisions implicites » accentue cette problématique. Ces révisions sont des modifications non officielles qui se produisent par l’adoption de nouvelles dispositions créant des contradictions avec des articles non soumis à révision. L’exemple de la « région bruxelloise », qui a été modifiée en « Région de Bruxelles-Capitale » sans que l’article initial portant sur cette dénomination soit révisé explicitement, illustre cette technique. Ces contournements, bien que pratiques, affaiblissent la cohérence constitutionnelle et nuisent à la clarté du texte.

C. La procédure et la réalité fédérale

1. L’inadaptation de la double majorité des 2/3 dans le contexte fédéral

L’article 195, tel qu’il a été conçu en 1831, reflète la réalité d’un État unitaire. Cependant, la Belgique ayant évolué vers un État fédéral, les exigences de révision constitutionnelle qui imposent une majorité des deux tiers au sein des deux chambres apparaissent mal adaptées. En effet, la double majorité des deux tiers, bien qu’elle semble offrir une garantie de consensus, ne tient pas compte de la diversité régionale et communautaire qui structure aujourd’hui l’État belge.

Dans un État fédéral où les tensions communautaires sont prégnantes, cette procédure peut paraître inéquitable, notamment pour la minorité francophone. En effet, la majorité flamande peut plus facilement imposer une révision constitutionnelle, tandis qu’une loi spéciale (nécessitant une majorité communautaire dans chaque groupe linguistique) pourrait être plus difficile à adopter. La conséquence est que les francophones bénéficient de moins de protection dans les processus de révision constitutionnelle que dans ceux concernant l’adoption de lois spéciales, même si ces dernières sont parfois tout aussi importantes que les modifications constitutionnelles.

2. Comparaison avec la procédure des lois spéciales

Les lois spéciales, introduites dans le cadre des réformes de l’État belge depuis 1970, se distinguent de la procédure de révision constitutionnelle en ce qu’elles requièrent une majorité surqualifiée. Cela signifie qu’elles doivent être adoptées par une majorité dans chaque groupe linguistique ainsi que par une majorité des deux tiers au total. Ce mécanisme offre une protection accrue pour les minorités, notamment les francophones, qui peuvent ainsi bloquer des lois qui porteraient atteinte à leurs intérêts.

À bien des égards, cette procédure des lois spéciales semble mieux adaptée à la réalité fédérale de la Belgique moderne que celle prévue par l’article 195 pour la révision constitutionnelle. Elle offre un équilibre plus subtil entre les intérêts des différentes communautés et semble garantir une meilleure représentativité, alors que la procédure de révision constitutionnelle reste tributaire d’un modèle institutionnel qui ne reflète plus la complexité de l’État fédéral belge.

  • III. Les révisions implicites : une dérive problématique

A. Exemples récents de révisions implicites

1. Article 136 : modification implicite de la dénomination de la Région de Bruxelles-Capitale

L’un des exemples les plus flagrants de révision implicite dans l’histoire constitutionnelle belge concerne la dénomination de la Région de Bruxelles-Capitale. L’article 39 de la Constitution utilisait initialement le terme région bruxelloise. Cependant, avec l’adoption de l’article 136 en 1988, le nom Région de Bruxelles-Capitale est apparu sans que l’article 39 soit soumis à révision directe. Ce changement, bien qu’essentiel sur le plan symbolique et politique, s’est opéré sans passer par la procédure rigide de révision prévue par l’article 195. Cette modification indirecte du texte constitutionnel met en lumière un mécanisme de contournement où le constituant peut agir sans suivre le processus normal de révision.

2. Article 138 : conflit entre les compétences communautaires et régionales

Un autre exemple notable est celui de l’article 138, qui autorise le transfert de certaines compétences communautaires vers la Région wallonne et la commission communautaire française. Ce transfert entre en contradiction directe avec l’article 127, qui énumère les compétences exclusives des communautés, et l’article 39, qui confie spécifiquement la gestion de certaines matières aux régions. Par conséquent, l’adoption de l’article 138 a entraîné une révision implicite des articles précités, créant une tension juridique et institutionnelle entre les compétences régionales et communautaires.

Ces exemples illustrent comment certaines révisions constitutionnelles s’effectuent par des moyens détournés, sans modification explicite des dispositions concernées, ce qui conduit à des incohérences dans le texte constitutionnel.

B. Conséquences juridiques et institutionnelles

1. Remise en forme de la Constitution en 1993

La réforme de 1993 a tenté de remédier à ces distorsions causées par les révisions implicites. À travers la remise en forme de la Constitution, certaines incohérences terminologiques et institutionnelles ont été corrigées. Par exemple, la distinction entre exécutifs communautaires et gouvernements régionaux a été clarifiée, et certaines expressions obsolètes ont été éliminées du texte. Cette révision visait à harmoniser la Constitution avec les réalités politiques et institutionnelles de l’époque. Cependant, ces ajustements ont été réalisés sous couvert de simples corrections techniques, évitant ainsi de soumettre ces changements à une révision formelle par l’article 195.

2. Violations des principes de l’article 195

La pratique des révisions implicites soulève des questions fondamentales sur le respect des procédures constitutionnelles. En contournant les exigences strictes de l’article 195, ces modifications s’apparentent à des violations des principes constitutionnels établis. La rigueur de la procédure de révision est ainsi affaiblie, notamment lorsque des changements substantiels sont effectués sans consultation électorale ni majorité qualifiée. Ces techniques de contournement mettent en péril l’intégrité du processus constitutionnel, réduisant la transparence et la prévisibilité de la loi fondamentale.

Le risque majeur est de voir se multiplier ces révisions implicites, au point de compromettre la cohérence du texte constitutionnel dans son ensemble. Au lieu de refléter clairement l’évolution politique du pays, la Constitution pourrait se transformer en un document marqué par des compromis informels, contournant les procédures prévues et diminuant la légitimité démocratique des changements opérés.

  • IV. Réformer la procédure de révision constitutionnelle

A. Calquer la procédure de révision sur celle des lois spéciales

1. Les avantages d’une majorité surqualifiée

Adopter une procédure de révision constitutionnelle inspirée de celle des lois spéciales présenterait de nombreux avantages, notamment en termes de flexibilité et de protection des minorités. Les lois spéciales en Belgique nécessitent une majorité surqualifiée, c’est-à-dire une majorité des deux tiers des voix exprimées, tout en garantissant la représentation des groupes linguistiques. Cela permet de mieux protéger les minorités linguistiques, en particulier les Francophones, en exigeant que les deux groupes linguistiques soient impliqués dans le processus. Une telle approche assurerait que les changements constitutionnels d’importance majeure ne puissent pas être imposés uniquement par une majorité linguistique.

Cette approche renforcerait également l’équilibre entre les différentes communautés du pays, en rendant plus difficile l’imposition de changements unilatéraux qui pourraient porter atteinte aux intérêts des minorités, renforçant ainsi la stabilité institutionnelle.

2. Meilleure protection des minorités linguistiques

La procédure des lois spéciales protège mieux les minorités en imposant des majorités à la fois au niveau des membres des groupes linguistiques et au niveau national. Ainsi, elle offre une barrière contre des réformes trop rapides qui pourraient désavantager une communauté. Cette protection des minorités linguistiques pourrait résoudre certaines des tensions récurrentes dans le système politique belge, où la majorité flamande dispose souvent d’un poids démographique supérieur dans les débats constitutionnels.

B. L’introduction de référendums constitutionnels

1. Avantages et inconvénients

L’idée d’introduire des référendums constitutionnels est souvent avancée pour améliorer la participation démocratique directe des citoyens aux changements constitutionnels majeurs. Un tel mécanisme permettrait d’assurer que les révisions soient non seulement discutées au niveau des institutions mais également approuvées directement par la population.

Cependant, ce type de mécanisme présente également plusieurs inconvénients. En Belgique, les tensions linguistiques et communautaires sont telles que la tenue d’un référendum pourrait exacerber ces divisions. Le référendum national risquerait de cristalliser des positions politiques, d’autant plus que la majorité démographique flamande pourrait imposer ses vues sur l’ensemble du pays, au détriment des autres communautés.

2. Risque d’obstacles à la pacification institutionnelle

L’organisation de référendums pourrait ainsi devenir un obstacle à la pacification institutionnelle du pays, car elle permettrait aux majorités conjoncturelles de trancher sur des questions institutionnelles cruciales. Cela serait contre-productif dans un pays où les consensus politiques sont souvent nécessaires pour maintenir un équilibre fragile entre les communautés.

3. Difficultés techniques : référendum national et communautés fédérées

Un autre problème majeur concerne la nature même du référendum dans un État fédéral. Si un référendum était organisé à l’échelle nationale, il faudrait également tenir compte des communautés et régions. Il est difficile d’imaginer un mécanisme référendaire qui garantirait la prise en compte des majorités dans chacune des entités fédérées tout en respectant l’unité de l’État belge. Les défis techniques et politiques qui entourent cette question rendent l’option du référendum peu compatible avec la réalité institutionnelle complexe de la Belgique.

  • V. Propositions de réforme

A. Position conservatrice de F. Delperée

1. Maintien de la majorité des 2/3 comme garantie pour les Francophones

Le constitutionnaliste F. Delperée défend une position conservatrice en matière de révision constitutionnelle. Selon lui, il est essentiel de conserver l’exigence d’une majorité des deux tiers dans les deux chambres pour toute modification de la Constitution. Cette règle constitue, selon Delperée, une garantie indispensable pour les minorités francophones, car elle empêche une majorité flamande d’imposer des révisions constitutionnelles qui pourraient leur être défavorables. Il considère que cette procédure est une protection contre des réformes hâtives ou unilatérales qui mettraient en péril l’équilibre institutionnel.

B. La formule Saint-Louis

1. Distinction entre « nation diachronique » et « nation synchronique »

La formule Saint-Louis, développée par un groupe d’intellectuels, propose une approche différente, en distinguant deux notions : la nation diachronique (qui incarne la continuité historique du peuple belge) et la nation synchronique (représentée par les citoyens actuels). Cette distinction vise à garantir une certaine continuité dans les révisions constitutionnelles en soumettant le processus à deux étapes distinctes.

2. Processus de révision en deux temps

Selon cette proposition, la révision constitutionnelle devrait s’effectuer en deux phases. La première phase consisterait en un vote à la majorité des deux tiers dans les deux chambres, après une consultation des entités fédérées. Ensuite, la révision serait suspendue jusqu’à la prochaine législature, où une confirmation serait nécessaire, toujours avec une majorité renforcée. Cette méthode vise à éviter les changements brusques et à garantir la stabilité institutionnelle en impliquant deux législatures successives.

C. Proposition de Verdussen

1. Alignement des règles constitutionnelles sur celles des lois spéciales

Le professeur Verdussen, quant à lui, propose de calquer les règles de révision constitutionnelle sur celles des lois spéciales, en introduisant des majorités qualifiées similaires. Cela permettrait d’assurer que toute révision constitutionnelle soit approuvée par une majorité dans chaque groupe linguistique, ce qui renforcerait la protection des minorités et garantirait une prise en compte des réalités communautaires.

2. Introduction d’une deuxième lecture différée et consultation des entités fédérées

Verdussen suggère également l’introduction d’une deuxième lecture différée pour toute révision constitutionnelle, afin d’assurer une réflexion approfondie et un contrôle renforcé. Cette proposition s’accompagnerait d’une consultation des entités fédérées, qui seraient appelées à donner leur avis sur les réformes en cours. Cela permettrait une meilleure prise en compte des intérêts des communautés et régions dans le processus de révision, tout en maintenant un équilibre entre le fédéral et les entités fédérées.

Ces propositions visent à moderniser la procédure de révision constitutionnelle, tout en garantissant la stabilité institutionnelle et la protection des minorités. Elles répondent à la nécessité de réformer l’article 195, devenu obsolète dans le contexte d’un État fédéral.

Section 3 : La suprématie de la Constitution et le contrôle de la hiérarchie des normes

Sous-section 1 : La hiérarchie des normes

La jurisprudence belge et la doctrine montrent une reconnaissance générale de la primauté du droit international, mais avec des nuances importantes. Cette reconnaissance dépend du respect préalable des règles constitutionnelles internes, notamment lors de la ratification des traités. La situation complexe de l’article 8 du Traité de Maastricht a illustré les défis posés par l’intégration du droit européen dans l’ordre constitutionnel belge, et souligne le besoin d’ajuster la Constitution afin d’éviter des contradictions directes avec des obligations internationales.

Hiérarchie des normes : La primauté du droit international et la Constitution belge

L’ordre juridique belge s’articule autour d’une hiérarchie des normes, avec au sommet les traités et conventions internationales ayant des effets directs dans l’ordre juridique interne. Cette primauté est consacrée par l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Le Ski de 1971, qui établit que le droit international prime sur le droit interne en cas de conflit entre les deux. Cela signifie que lorsqu’une norme internationale s’applique directement, elle doit prévaloir sur une disposition législative nationale contradictoire.

Cependant, la question de la relation entre la Constitution et le droit international reste délicate et controversée, comme l’illustre le débat autour de l’incompatibilité entre la Constitution belge et certaines dispositions du Traité de Maastricht.

Cas du Traité de Maastricht et révision constitutionnelle

Une des tensions les plus marquantes dans l’histoire constitutionnelle belge est apparue avec l’adoption du Traité de Maastricht (1992), plus précisément l’article 8B §1er du Traité qui octroie aux citoyens de l’Union européenne le droit de vote aux élections municipales dans les États membres où ils résident. Cela entrait directement en conflit avec l’article 8 de la Constitution belge, qui réservait ce droit politique aux citoyens belges.

Le gouvernement belge a d’abord refusé de procéder immédiatement à une révision constitutionnelle, arguant que la disposition du Traité n’était pas encore directement applicable. Toutefois, avec l’adoption de la directive du Conseil du 19 décembre 1994, le droit de vote des citoyens européens devenait applicable dans l’ordre interne, forçant ainsi la Belgique à réviser sa Constitution. Ce processus n’a abouti que le 11 décembre 1998, après la condamnation de la Belgique par la Cour de justice des Communautés européennes.

Primauté du droit international : limites et perspectives

Bien que l’arrêt Le Ski établisse la primauté du droit international sur toutes les normes internes, y compris la Constitution, la doctrine reste partagée sur cette question. Pour certains, dont le Procureur général VELU, cette primauté n’est pas absolue. Avant l’approbation d’un traité, la Constitution prévaut et les autorités belges doivent soit refuser d’approuver ou ratifier un traité incompatible avec la Constitution, soit réviser cette dernière.

Une fois le traité conclu, il acquiert une forme de supériorité si les procédures de ratification ont respecté les règles constitutionnelles relatives aux traités. En conséquence, après ratification, les juridictions ne peuvent contester la validité constitutionnelle d’un traité, car cela mettrait en péril le respect des engagements internationaux de l’État belge.

Le Conseil d’État et la Cour de cassation se sont tous deux prononcés en faveur de la primauté du droit international sur le droit interne, y compris la Constitution, mais cette approche reste controversée, particulièrement en Belgique.

Position du Conseil d’État et de la Cour de cassation sur la primauté international

Le Conseil d’État, dans un arrêt concernant l’Arrêté Royal du 26 septembre 1994, a tranché en faveur de cette primauté. L’arrêt portait sur un recours en annulation contre une disposition de cet arrêté qui permettait à des ressortissants de l’Union européenne d’accéder à la fonction publique régionale et communautaire, alors que l’article 8 ancien de la Constitution réservait cette possibilité aux seuls citoyens belges. Le Conseil d’État a statué que la règle émanant d’un traité, tel que le Traité de Rome, devait prévaloir, fondant son raisonnement sur l’article 34 de la Constitution. Cette décision soulignait l’autorité des interprétations données par la Cour de justice des Communautés européennes, même si elles entraient en contradiction avec certaines dispositions constitutionnelles.

De son côté, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 novembre 2004, a affirmé que le juge devait d’abord vérifier la conformité d’une disposition légale avec une norme internationale ayant un effet direct, avant de la confronter à la Constitution. Ce faisant, la Cour de cassation a confirmé la primauté du droit international même sur les dispositions constitutionnelles, rejoignant ainsi la position du Conseil d’État.

Divergences avec la Cour d’arbitrage

Malgré cette jurisprudence favorable à la primauté du droit international, la Cour d’arbitrage (aujourd’hui Cour constitutionnelle) a adopté une position divergente. Elle soutient que la Constitution prime sur les traités internationaux en matière de hiérarchie des normes. Selon cette approche, un traité ne peut pas aller à l’encontre des dispositions constitutionnelles, et la Constitution doit donc être considérée comme supérieure au droit international.

Restrictions légales et débats doctrinaux

Toutefois, une modification législative introduite par le législateur spécial a restreint cette position. Désormais, la Cour constitutionnelle ne peut plus faire primer la Constitution sur des textes tels que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et ses protocoles, ou encore les traités instituant l’Union européenne. Cette disposition reflète une conception complexe de la hiérarchie des normes en Belgique, dans laquelle la CEDH et les traités européens occupent le sommet, suivis par la Constitution qui prévaut sur les autres normes internationales.

Arguments contre la primauté absolue du droit international

Certains juristes critiquent l’idée d’une primauté absolue du droit international sur la Constitution, soulignant que les lois d’assentiment à un traité ne sont pas soumises à des débats approfondis ni à une majorité renforcée, contrairement aux révisions constitutionnelles. Ils estiment donc démocratiquement contestable qu’une simple loi d’assentiment puisse outrepasser une disposition constitutionnelle adoptée selon une procédure plus stricte. Ces critiques nourrissent les appels à l’introduction d’une procédure accélérée de révision constitutionnelle lorsque des traités internationaux risquent d’entrer en conflit avec la Constitution.

Sous-section 2 : Le contrôle de la hiérarchie des normes

Les techniques de contrôle peuvent être préventives ou curatives. Elles peuvent être mises en œuvre par un organe politique ou par un organe juridictionnel. Elles peuvent s’exercer par voie d’action ou par voie d’exception. Enfin le contrôle peut être abstrait ou concret.

§ 1 – Contrôle préventif ou contrôle curatif

A. Le contrôle préventif

Le contrôle préventif intervient avant l’entrée en vigueur d’une norme, à la manière du système français où le Conseil constitutionnel est saisi de certaines lois et règlements. En Belgique, ce contrôle est assuré principalement par la section de législation du Conseil d’État, avec un rôle secondaire attribué au comité de concertation.

1. Avis obligatoire et facultatif

Avis obligatoire :
L’avis de la section de législation est requis pour les avant-projets de loi, de décret, d’ordonnance, et pour certains projets d’arrêtés réglementaires. Toutefois, en cas d’urgence, le gouvernement peut s’exempter de demander cet avis, mais sous certaines conditions :

  • Motivation spéciale de l’urgence.
  • L’avis reste exigé pour les avant-projets de loi même en urgence, mais il se limite alors à vérifier si la norme respecte les règles de répartition des compétences entre les entités fédérales et régionales, ainsi que les mécanismes du bicaméralisme.

De plus, l’urgence ne peut jamais être invoquée pour les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux. Si un gouvernement prétend contourner cette obligation, la section d’administration du Conseil d’État peut vérifier la légitimité de l’urgence invoquée et annuler l’arrêté s’il juge que la justification est insuffisante.

Avis facultatif :
L’avis de la section de législation est facultatif pour les propositions de loi, de décret ou d’ordonnance, ainsi que pour les amendements. Dans ce cas, il peut être sollicité par le président d’une assemblée législative ou à la demande d’un tiers des membres de cette assemblée.

2. Conséquences de l’avis et contrôle de légalité

En principe, l’avis de la section de législation est consultatif et n’a pas de caractère contraignant. Cependant, dans certaines situations, notamment lorsqu’un excès de compétence est relevé, la section renvoie le texte au comité de concertation. Ce comité émet alors un avis sur la question de l’excès de compétence, et le processus législatif est temporairement suspendu jusqu’à ce que l’irrégularité soit rectifiée.

Enfin, l’avis de la section de législation est annexé aux textes publiés au Moniteur belge dans les cas où il est obligatoire, garantissant ainsi la transparence du processus législatif.

B. Le contrôle curatif

Le contrôle curatif désigne un mécanisme par lequel une juridiction vérifie la conformité d’une norme déjà entrée en vigueur avec les règles supérieures de l’ordre juridique. Ce contrôle se déroule a posteriori, c’est-à-dire après que la norme ait produit des effets juridiques.

1. Les formes de contrôle curatif

En Belgique, le contrôle curatif peut aboutir soit à l’annulation de la norme, soit à son inapplicabilité dans un cas spécifique, selon les modalités suivantes :

  • Annulation : La juridiction compétente supprime la norme dans son ensemble, ce qui efface ses effets pour le passé comme pour l’avenir. Ce type de contrôle est exercé notamment par la Cour constitutionnelle et la section d’administration du Conseil d’État.
  • Inapplicabilité : Une juridiction peut aussi, sans annuler une norme, la déclarer inapplicable à un litige précis. Cette technique repose sur l’article 159 de la Constitution belge, qui permet aux tribunaux de refuser d’appliquer un acte réglementaire lorsqu’il est contraire à la loi ou au droit international.

2. Contrôle curatif par la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État

  • La Cour constitutionnelle (anciennement appelée Cour d’arbitrage) est compétente pour contrôler la constitutionnalité des normes législatives. Un recours peut être introduit par des particuliers, des groupes ou des autorités qui ont un intérêt à faire annuler une loi, un décret ou une ordonnance non conforme à la Constitution, notamment en cas de violation des droits fondamentaux ou des règles de compétence entre l’État et les entités fédérées.
  • La section d’administration du Conseil d’État exerce un contrôle curatif sur les actes administratifs (comme les arrêtés et règlements). Elle peut annuler un acte administratif s’il contrevient à une loi, à une norme de droit international ou s’il est entaché d’illégalité.

3. Application par voie d’exception

Le contrôle curatif peut aussi se faire par voie d’exception, c’est-à-dire dans le cadre d’un litige particulier. Dans ce cas, la juridiction n’annule pas la norme en question, mais refuse simplement de l’appliquer à la situation litigieuse. Ce mécanisme est utilisé en vertu de l’article 159 de la Constitution, qui permet à un juge d’écarter un règlement contraire à une loi ou au droit international.

§ 2 – Contrôle par un organe politique ou par une juridiction

A. Le contrôle par un organe politique

Le contrôle par un organe politique repose sur l’idée que le pouvoir législatif ne doit pas être freiné ou invalidé par des organes non élus, tels que des juridictions. Ce modèle reflète une approche démocratique selon laquelle les institutions élues détiennent le pouvoir final. Un exemple historique est celui de la IVe République en France, où un comité constitutionnel exerçait ce contrôle. Toutefois, ce système a montré ses limites, car l’organe politique, à la fois créateur et arbitre des lois, se trouvait en situation de conflit d’intérêts, compromettant ainsi son efficacité.

En Belgique, le comité de concertation incarne cette approche. Cet organe paritaire est composé de membres du gouvernement fédéral, ainsi que de représentants des régions et des communautés, garantissant une balance linguistique et politique. Le comité opère un contrôle préventif des règles de répartition des compétences entre les niveaux de pouvoir en Belgique, et il intervient en cas de conflits sur ces compétences. Il est aussi chargé de veiller au respect des règles de coopération entre les entités fédérales et régionales.

Cependant, ce mécanisme présente 2 principales limites :

  1. Paralysie : Le comité prend ses décisions à l’unanimité. Cela signifie que si les représentants d’une entité refusent de reconnaître une violation des compétences, le comité ne peut pas statuer efficacement.
  2. Subordination juridictionnelle : Même si le comité prend une décision, celle-ci peut être remise en question ultérieurement par des juridictions, diminuant ainsi l’autorité effective de ses décisions.

Un autre exemple de contrôle politique en Belgique est la sonnette d’alarme culturelle, prévue à l’article 36 du règlement du Conseil de la Communauté française. Cette procédure permet de suspendre un projet de décret si un quart des membres du Conseil estiment qu’il contient des discriminations idéologiques ou philosophiques. La recevabilité de la motion est alors examinée par un collège des présidents, constitué des présidents des principales assemblées législatives. Si cette motion est déclarée recevable, l’examen du texte est suspendu jusqu’à ce que le Sénat et la Chambre des représentants se prononcent. Ce mécanisme, bien que visant à protéger des principes constitutionnels (comme l’article 11 sur la non-discrimination), illustre une résurgence des logiques unitaires dans le cadre d’un État fédéral.

B. Le contrôle par un organe juridictionnel

Le contrôle par un organe juridictionnel attribue à des juges la responsabilité de vérifier la conformité des lois avec des normes supérieures, telles que la Constitution ou les traités internationaux. Il existe deux grandes modalités d’exercice de ce contrôle :

  1. Par les juridictions ordinaires : Dans certains pays, comme les États-Unis et le Canada, les juridictions ordinaires sont habilitées à contrôler la constitutionnalité des lois. Ce contrôle se fait souvent par voie d’exception, c’est-à-dire qu’il intervient dans le cadre d’un litige où la légalité d’une norme est contestée.
  2. Par des juridictions spécialisées : Dans d’autres pays, le contrôle est confié à des juridictions constitutionnelles, telles que la Cour constitutionnelle en Belgique. Ce contrôle se fait souvent par voie d’action, c’est-à-dire dans le cadre d’un recours direct contre une loi.

En Belgique, le Conseil d’État contrôle les actes administratifs, et il peut les annuler s’ils violent des normes législatives ou des principes constitutionnels.

§ 3 – Contrôle par voie d’action et contrôle par voie d’exception

A. Le contrôle par voie d’action

Le contrôle par voie d’action est une procédure dans laquelle une autorité ou un particulier attaque directement une norme ou un acte pour non-conformité à une norme supérieure, comme la Constitution. Ce mécanisme vise principalement à protéger l’ordre juridique en s’assurant que les actes législatifs et réglementaires respectent la hiérarchie des normes. Ce type de recours aboutit souvent à l’annulation de la norme incriminée erga omnes, c’est-à-dire avec effet à l’égard de tous.

En Belgique, ce type de contrôle est assuré par la Cour constitutionnelle (anciennement Cour d’arbitrage) et la section d’administration du Conseil d’État. La Cour constitutionnelle est compétente pour vérifier la conformité des lois avec la Constitution, et peut annuler des normes législatives qui violeraient certaines dispositions constitutionnelles ou les règles de répartition des compétences entre le fédéral, les régions et les communautés. Quant au Conseil d’État, il intervient pour annuler des actes administratifs, tels que des arrêtés ou des règlements, en cas de violation de la loi ou des principes constitutionnels.

B. Le contrôle par voie d’exception

Le contrôle par voie d’action est une procédure dans laquelle une autorité ou un particulier attaque directement une norme ou un acte pour non-conformité à une norme supérieure, comme la Constitution. Ce mécanisme vise principalement à protéger l’ordre juridique en s’assurant que les actes législatifs et réglementaires respectent la hiérarchie des normes. Ce type de recours aboutit souvent à l’annulation de la norme incriminée erga omnes, c’est-à-dire avec effet à l’égard de tous.

En Belgique, ce type de contrôle est assuré par la Cour constitutionnelle (anciennement Cour d’arbitrage) et la section d’administration du Conseil d’État. La Cour constitutionnelle est compétente pour vérifier la conformité des lois avec la Constitution, et peut annuler des normes législatives qui violeraient certaines dispositions constitutionnelles ou les règles de répartition des compétences entre le fédéral, les régions et les communautés. Quant au Conseil d’État, il intervient pour annuler des actes administratifs, tels que des arrêtés ou des règlements, en cas de violation de la loi ou des principes constitutionnels.

L’article 159 de la constitution :

L’article 159 de la Constitution belge, qui permet aux juridictions de ne pas appliquer des actes réglementaires contraires à la loi, a évolué grâce à la jurisprudence, étendant son application au-delà des limites initialement prévues par le constituant. À l’origine, ce principe permettait uniquement de contrôler les arrêtés et règlements pour vérifier leur conformité avec la loi. Cependant, la jurisprudence a progressivement permis de refuser l’application d’actes réglementaires contraires non seulement à la loi, mais aussi à des normes de rang supérieur, y compris la Constitution ou des normes internationales ayant des effets directs dans l’ordre juridique interne.

L’évolution de la jurisprudence : Le contrôle diffus des règlements

Dans un premier temps, le contrôle diffus s’est limité aux règlements. Un exemple marquant est l’arrêt Waleffe de 1950, où un magistrat a contesté un arrêté royal affectant sa pension, basé sur une loi de pouvoirs spéciaux. La Cour de cassation a refusé d’appliquer le règlement au motif qu’il était contraire à l’article 152 de la Constitution. La Cour a contourné la question de la constitutionnalité en considérant que le législateur ne pouvait vouloir quelque chose de contraire à la Constitution. Ainsi, si un règlement contredisait la loi, il était implicitement inconstitutionnel.

L’arrêt de 1974 : Le contrôle de constitutionnalité des lois en question

Le contrôle de la constitutionnalité des lois en Belgique a longtemps été une question controversée. Historiquement, la Cour de cassation, dans son arrêt de 1849, avait fermement établi que les juges ne pouvaient contrôler la constitutionnalité des lois. Cependant, en 1974, l’arrêt Le Compte a semé le doute. Dans cette affaire, un médecin contestait la légalité d’un arrêté royal, alléguant qu’il violait non seulement une loi, mais aussi la Constitution. Pour la première fois, la Cour de cassation n’a pas rejeté de manière catégorique l’idée d’un contrôle de constitutionnalité, bien qu’elle n’ait pas non plus validé explicitement ce pouvoir. Cet arrêt a déclenché un vif débat au Parlement, mais la proposition de loi visant à interdire le contrôle de constitutionnalité par les tribunaux n’a pas abouti.

La création de la Cour d’arbitrage

L’introduction de la Cour d’arbitrage (devenue la Cour constitutionnelle) en 1980 a mis un terme à ce débat. Désormais, c’est cette juridiction spécialisée qui est chargée de contrôler la constitutionnalité des lois. Seules les ordonnances bruxelloises échappent à ce régime particulier et peuvent encore faire l’objet d’un contrôle diffus de constitutionnalité. Si une ordonnance est jugée contraire à une loi spéciale ou à la Constitution, son application peut être écartée, bien que le juge doive interroger la Cour constitutionnelle lorsqu’il s’agit des normes relevant de sa compétence.

Le contrôle des normes internationales

L’arrêt Le Ski de 1971 a également joué un rôle crucial dans l’élargissement de la portée du contrôle diffus. Dans cette affaire, la Cour de cassation a affirmé que les juges belges devaient écarter toute norme interne contraire à une norme internationale ayant des effets directs, même si cela impliquait d’ignorer une disposition constitutionnelle. Cette jurisprudence a introduit la primauté des normes internationales dans l’ordre juridique belge, élargissant ainsi le champ du contrôle exercé par les juridictions belges au-delà des simples règlements.

En conclusion, l’article 159 de la Constitution a vu son champ d’application s’étendre grâce à la jurisprudence, notamment à travers des décisions historiques comme Le Ski et Le Compte, permettant aux juges de refuser d’appliquer des actes contraires non seulement à la loi, mais aussi à des normes constitutionnelles ou internationales. Toutefois, la création de la Cour constitutionnelle a restreint le contrôle diffus aux ordonnances bruxelloises, consolidant ainsi un système de répartition des compétences entre juridictions.

§ 4 – Contrôle abstrait et contrôle concret

Contrôle abstrait et contrôle concret se réfèrent à deux types de mécanismes de contrôle juridictionnel des normes, chacun étant mis en œuvre dans des contextes différents.

A. Le contrôle abstrait

Le contrôle abstrait coïncide avec le contrôle par voie d’action, dans lequel une norme est contestée directement en tant qu’objet principal du litige. Ce type de contrôle s’exerce indépendamment de l’application de la norme dans un cas particulier. Il a pour objectif de vérifier la validité d’une norme législative ou réglementaire, sans se fonder sur un litige concret. L’examen porte sur la norme en elle-même et sa conformité aux normes supérieures (Constitution ou normes internationales) dans une perspective objective. En Belgique, ce contrôle est souvent exercé par la Cour constitutionnelle, notamment lorsqu’elle statue sur la conformité de lois, décrets ou ordonnances à des principes constitutionnels ou à la répartition des compétences.

Le recours en annulation devant la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État relève de ce contrôle abstrait, dans la mesure où il porte uniquement sur l’existence d’une incompatibilité entre une norme de rang inférieur et la norme supérieure qu’elle viole. Ce type de recours ne nécessite pas que la norme ait déjà été appliquée dans un cas particulier.

B. Le contrôle concret

Le contrôle concret diffère du contrôle abstrait en ce qu’il intervient dans le cadre d’un litige réel, où la constitutionnalité ou la légalité d’une norme est mise en cause de manière indirecte. Ce contrôle s’exerce à l’occasion d’un contentieux et repose sur la mise en œuvre d’une norme dans une situation concrète. Les questions préjudicielles sont une illustration de ce contrôle. Lorsqu’un juge est confronté à une norme dont la constitutionnalité ou la conformité à des normes supérieures est incertaine dans un litige particulier, il peut poser une question préjudicielle à une juridiction spécialisée pour résoudre cette incertitude avant de trancher le fond du litige.

En Belgique, la Cour constitutionnelle est compétente pour répondre aux questions préjudicielles posées par les juridictions belges, qui la sollicitent pour vérifier la conformité des normes législatives à la Constitution ou aux règles sur la répartition des compétences. Le contrôle s’inscrit dans le cadre d’un litige concret, mais le jugement de la Cour constitutionnelle sur la norme a un effet erga omnes, c’est-à-dire qu’il s’applique à tous, une fois la norme jugée inconstitutionnelle ou contraire aux règles supérieures.

De même, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) peut être saisie de questions préjudicielles par des juridictions nationales lorsqu’une question d’interprétation ou de validité du droit communautaire se pose dans un litige. Cela permet de garantir l’uniformité de l’interprétation du droit de l’Union à travers tous les États membres.

Enfin, en Belgique, l’article 93 des lois coordonnées sur le Conseil d’État permet à un requérant de demander que l’assemblée générale du Conseil d’État statue à titre préjudiciel sur des questions relatives à la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution, qui concernent l’égalité, la non-discrimination et la liberté de culte et d’enseignement.

§5 – Synthèse sur le contrôle des normes en Belgique

Pour conclure, il s’agit de récapituler sommairement les techniques de contrôle qui permettent d’assurer le respect de la hiérarchie des normes. 3 tableaux sont présentés ici : Le 1er se fonde sur la nature du contrôle, le 2nd sur les rapports entre les différentes normes et le 3ème constitue une synthèse générale de la matière.

A. Récapitulatif en fonction de la nature du contrôle

Contrôle curatif

Contrôle abstrait et par voie d’action

  • Section d’administration du Conseil d’État : Elle a le pouvoir d’annuler les actes administratifs émanant des autorités exécutives, des pouvoirs locaux, ainsi que les décisions d’organismes d’intérêt public et les actes relatifs aux marchés publics ou au personnel dans certaines autorités publiques.
  • Cour d’arbitrage (désormais Cour constitutionnelle) : Cette cour peut annuler les normes législatives qui violent certaines dispositions constitutionnelles, notamment celles du Titre II de la Constitution (relatif aux libertés et droits fondamentaux), ainsi que les articles 170, 172 et 193, ou encore celles qui contreviennent aux règles de répartition des compétences entre l’État fédéral, les régions et les communautés.

Contrôle par voie d’exception

  • Toutes les juridictions belges peuvent écarter l’application d’un acte réglementaire s’il est contraire à une norme supérieure (loi, Constitution ou disposition internationale ayant des effets directs). Ce contrôle permet également de ne pas appliquer des normes législatives qui seraient en contradiction avec des dispositions de droit international (comme l’arrêt Le Ski de 1971 l’a établi). Les ordonnances bruxelloises peuvent aussi être écartées si elles sont contraires à la loi spéciale de 1989 sur les institutions bruxelloises ou à la Constitution, sauf pour les normes contrôlées par la Cour d’arbitrage.

Contrôle concret

  • Le système des questions préjudicielles permet à toute juridiction de poser une question à la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité d’une norme législative. De même, les questions relatives à la conformité au droit européen peuvent être posées à la Cour de justice de l’Union européenne en vertu de l’article 234 du Traité CEE. Enfin, le Conseil d’État, via son assemblée générale, peut statuer à titre préjudiciel sur des questions touchant aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution.

B. Récapitulatif relatif au contrôle curatif en fonction des rapports existant entre les normes

Norme Supérieure Norme Inférieure Type de Contrôle Organe Compétent Observations
Constitution CEDH et ses protocoles, Traité CEE Contrôle par voie d’exception (controversé) Toutes les juridictions (controversé)
Constitution Autres traités ayant des effets directs Absence de contrôle par voie d’exception (controversé) Toutes les juridictions (controversé)
Traités ayant des effets directs Normes législatives Contrôle par voie d’exception Toutes les juridictions
Constitution Normes législatives – Contrôle abstrait ou concret par la Cour d’arbitrage lorsqu’il s’agit de dispositions dont elle assure le respect
– Absence de contrôle dans le cas contraire sauf pour les ordonnances bruxelloises
Cour d’arbitrage
Normes non constitutionnelles relatives à la répartition des compétences entre État, Régions et Communautés Normes législatives Contrôle abstrait ou concret Cour d’arbitrage
Normes de droit supérieures Normes réglementaires et autres actes inférieurs à la norme législative – Contrôle par voie d’exception par toutes les juridictions
– Contrôle par voie d’action par la section d’administration du Conseil d’État
– Toutes les juridictions
– Section d’administration du Conseil d

LIVRE IIème – LE DROIT COMMUN DES RÉGIMES POLITIQUES DE L’ÉTAT FÉDÉRAL ET DES ENTITÉS FEDEREES

CHAPITRE I : La nature du régime politique

Section 1 : Généralités

Le droit commun des régimes politiques en Belgique, qu’il s’agisse de l’État fédéral ou des entités fédérées (régions et communautés), repose sur des principes de base qui définissent l’organisation et le fonctionnement des institutions publiques à différents niveaux de pouvoir. Voici les principaux éléments qui composent ce cadre juridique :

1. La répartition des compétences

  • La Belgique est un État fédéral depuis la réforme de l’État en 1993, ce qui implique une répartition des compétences entre l’État fédéral, les régions (Région wallonne, Région flamande, Région de Bruxelles-Capitale) et les communautés (Communauté française, Communauté flamande, Communauté germanophone).
  • L’article 35 de la Constitution définit le principe selon lequel les compétences résiduelles reviennent aux entités fédérées, sauf exceptions prévues par la loi.

2. Le principe de subsidiarité

  • Les entités fédérées jouissent d’une autonomie importante en matière législative, exécutive et administrative, tant que leurs compétences ne sont pas en contradiction avec celles de l’État fédéral.
  • Le principe de subsidiarité encourage la prise de décision au niveau le plus proche des citoyens, permettant une gestion plus adaptée aux réalités locales.

3. Organisation institutionnelle

  • L’État fédéral est organisé avec des institutions bicamérales : une Chambre des représentants et un Sénat. Toutefois, depuis les réformes de 2014, le Sénat n’est plus directement élu mais composé de membres désignés par les parlements des entités fédérées.
  • Les régions et communautés disposent chacune de leurs parlements et gouvernements, élus directement par les citoyens de leurs territoires respectifs.

4. Le gouvernement

  • Le gouvernement, tant au niveau fédéral que dans les entités fédérées, fonctionne sous un régime parlementaire. Cela signifie que le gouvernement doit jouir de la confiance de l’assemblée législative compétente.
  • Les gouvernements des entités fédérées sont constitués selon des règles qui assurent un équilibre entre les différents groupes linguistiques. Par exemple, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale doit comprendre des ministres des deux principales communautés linguistiques (française et néerlandaise).

5. Le bicaméralisme et le monocaméralisme

  • L’État fédéral applique un système bicaméral limité où le Sénat n’intervient plus que dans les matières spécifiques liées aux entités fédérées, comme les révisions constitutionnelles ou les lois spéciales. En revanche, les entités fédérées fonctionnent sur un système monocaméral, où seule l’assemblée législative régionale ou communautaire exerce le pouvoir législatif.

6. Les lois spéciales

  • Les matières relevant de la répartition des compétences entre l’État fédéral et les entités fédérées, ainsi que celles relatives à l’organisation des institutions de ces entités, sont souvent régies par des lois spéciales, qui nécessitent une majorité qualifiée. Cela signifie que ces lois doivent obtenir non seulement une majorité au Parlement fédéral, mais aussi une majorité dans chaque groupe linguistique (néerlandophone et francophone).

7. Coopération et concertation

  • Pour prévenir les conflits de compétences, le droit belge prévoit des mécanismes de coopération entre les différents niveaux de pouvoir. Le comité de concertation est l’organe chargé de régler ces conflits, composé de représentants de l’État fédéral, des régions et des communautés.
  • Les accords de coopération entre entités fédérées et l’État fédéral jouent un rôle crucial pour garantir une coordination efficace, notamment dans des domaines partagés comme l’environnement ou les transports.

8. La protection des minorités

  • Un autre aspect clé du système fédéral belge est la protection des minorités, notamment via les mécanismes de sonnette d’alarme qui permettent à un groupe linguistique de bloquer un projet législatif jugé discriminatoire.

Section 2 : Le système représentatif

Sous-section 1 : Les procédés de démocratie directe

Le texte que tu as fourni traite des régimes démocratiques, en opposant la démocratie directe à la démocratie représentative et explore les formes intermédiaires, notamment la démocratie semi-directe. On distingue ainsi :

  • La démocratie immédiate ou démocratie directe, implique une parfaite fusion entre gouvernants et gouvernés. C’est un modèle où les citoyens participent directement à la prise de décision sans intermédiaire ou représentation.
  • La démocratie représentative s’impose dans la majorité des systèmes politiques modernes. Dans ce modèle, les citoyens délèguent l’exercice du pouvoir à des représentants élus qui prennent des décisions en leur nom.
  • La démocratie semi-directe combine des éléments de la démocratie représentative et directe.

1. Démocratie directe

La démocratie immédiate, ou démocratie directe, se caractérise par une identité complète entre les gouvernés et les gouvernants, sans distinction entre pouvoirs exécutifs et législatifs. Dans ce système, les citoyens prennent directement part à l’exercice du pouvoir sans passer par des représentants. Historiquement, on retrouve ce modèle dans certaines cités grecques antiques, comme Athènes, où les citoyens se rassemblaient dans l’Agora pour prendre des décisions publiques, et dans les Landsgemeinde de certains cantons suisses, où les citoyens se réunissaient en assemblée pour voter des lois et des décisions importantes.

Cependant, ce type de démocratie est difficilement applicable dans les États modernes, en raison de la complexité des sociétés contemporaines et de la taille des populations. Cette organisation implique la participation de tous les citoyens à chaque décision, un exercice pratiquement impossible aujourd’hui.

2. Démocratie représentative

Contrairement à la démocratie directe, la démocratie représentative repose sur le principe de délégation du pouvoir par les citoyens à des représentants élus. Ce modèle est prévalent dans les États modernes en raison de la complexité des affaires publiques et de la taille des populations, rendant la démocratie directe impraticable à grande échelle. Le concept de représentation a des racines anciennes et n’est pas exclusivement lié aux systèmes démocratiques modernes, comme le montre l’exemple de la monarchie française sous l’Ancien Régime.

3. Démocratie semi-directe

La démocratie semi-directe combine des éléments de démocratie directe et représentative. Les citoyens participent principalement par l’élection de représentants, mais ils peuvent également être appelés à intervenir directement sur certaines questions importantes via des référendums ou des votations.

4. Le référendum

Le référendum est une forme de démocratie directe qui permet aux citoyens de se prononcer sur des questions législatives ou administratives. Il se distingue de l’élection, qui concerne le choix de représentants. Les référendums peuvent être classés selon plusieurs critères, tels que leur nature juridique (constitutionnel, législatif ou local) ou leur mode d’initiative (populaire ou parlementaire).

a. Initiative populaire ou parlementaire

Dans un référendum d’initiative populaire, c’est une partie de la population qui demande l’organisation d’un vote. Par exemple, en Suisse, 50 000 citoyens ou huit cantons peuvent requérir un référendum pour adopter ou rejeter une loi. En Italie, un référendum abrogatif peut être demandé par 500 000 citoyens ou cinq conseils régionaux.

b. Référendums normatifs et optionnels

Le référendum peut aussi être normatif, lorsqu’il porte sur un texte précis, ou optionnel, lorsqu’il porte sur des choix politiques plus larges. Par exemple, en Grande-Bretagne, le référendum de 1975 portait sur la participation du pays à la Communauté européenne, alors qu’en Suisse, le référendum de 1992 concernait l’entrée du pays dans l’Espace économique européen.

c. Formes du référendum : préalable ou de ratification

Les référendums peuvent être préalables pour consulter les citoyens avant de soumettre un projet aux législateurs, ou de ratification, pour valider un texte déjà adopté par le Parlement. En France, par exemple, le référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht est un cas de référendum de ratification.

4. Décisoire ou consultatif

Le référendum peut être décisoire, où le résultat lie les gouvernants, ou simplement consultatif, où les dirigeants ne sont pas formellement tenus de suivre l’avis des citoyens, même si, politiquement, il leur est difficile de ne pas en tenir compte. Cette distinction montre bien la complexité du référendum, qui peut sembler éminemment démocratique, mais dont l’impact réel dépend du cadre juridique et politique.

5. Les dangers du référendum

Le référendum, bien qu’il soit un instrument démocratique puissant, peut aussi présenter des dangers et des dérives, comme tu l’as mentionné.

a. Utilisation du référendum à des fins plébiscitaires

Un des risques majeurs du référendum est qu’il peut être détourné à des fins politiques personnelles, notamment dans le cadre de plébiscites. Charles de Gaulle, par exemple, a fréquemment utilisé le référendum comme un outil pour valider non seulement des réformes importantes, mais aussi sa propre légitimité politique. Dans des référendums comme celui sur l’adoption de la Constitution de 1958 ou l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962, les électeurs se retrouvaient non seulement à voter sur des réformes constitutionnelles, mais aussi à exprimer leur confiance envers le Président. En liant ainsi son destin politique aux résultats, de Gaulle a transformé des questions institutionnelles en enjeux personnels.

b. Le cas algérien et la légitimation par référendum

Un autre exemple d’utilisation plébiscitaire est celui de Abdelaziz Bouteflika en Algérie. En 1999, il a organisé un référendum sur la concorde civile, présenté comme une solution pour mettre fin à la guerre civile algérienne. Si le contenu du référendum portait sur des questions de réconciliation nationale, son objectif principal était de consolider la légitimité de Bouteflika, qui avait accédé à la présidence dans des conditions électorales controversées. Ainsi, ce référendum a servi à renforcer son autorité, sans pour autant répondre pleinement aux enjeux démocratiques du pays.

c. Le référendum au Venezuela sous Chávez

Au Venezuela, en 2004, un référendum sur la destitution du président Hugo Chávez a été organisé à l’initiative de l’opposition, appuyée par des acteurs influents comme les grands médias et les États-Unis. Contrairement à des référendums plébiscitaires, celui-ci visait à révoquer le président, un mécanisme prévu par la Constitution vénézuélienne. Finalement, Chávez a remporté ce référendum avec 58% des voix, ce qui a paradoxalement renforcé sa légitimité démocratique, malgré les critiques internes et externes sur son exercice du pouvoir.

6. Le cas particulier de la Suisse

La Suisse est souvent citée comme un exemple de réussite du référendum. Ce pays utilise régulièrement des votations populaires sur des questions législatives et constitutionnelles à tous les niveaux de pouvoir (fédéral, cantonal, communal). Toutefois, ce modèle suisse n’est pas sans défauts. On observe une participation électorale souvent faible, ce qui pose la question de la légitimité des décisions prises par une minorité de l’électorat. Les votations de 2004 sur l’accès facilité à la nationalité pour les immigrés en sont un exemple frappant : les propositions ont été rejetées, mais avec un taux de participation de seulement 52%. Les résultats sont aussi marqués par des divisions géographiques entre les cantons alémaniques et francophones, ce qui souligne des fractures internes malgré un modèle démocratique bien rodé.

En conclusion, la démocratie directe est un modèle théorique difficilement applicable dans les sociétés modernes à cause de la taille des populations et de la complexité des enjeux. La démocratie représentative et ses formes hybrides, comme la démocratie semi-directe, permettent d’associer les citoyens au processus de décision, notamment par le biais de référendums, mais ces derniers ne sont pas sans risque en termes de manipulation politique et de faible participation.

Sous-section 2 : L’absence de procédés de démocratie directe en Belgique

En Belgique, tant l’État fédéral que les régions et les communautés fonctionnent sous un régime de démocratie représentative, où les mécanismes de démocratie directe sont largement exclus. Cette situation s’explique par des articles constitutionnels qui encadrent strictement les processus législatifs et constitutionnels, notamment l’article 33 al. 2, qui consacre la souveraineté des organes représentatifs, et l’article 36, qui régit l’adoption des lois. De plus, l’article 195 précise que la révision de la Constitution relève uniquement des pouvoirs institués, laissant peu de place à une intervention directe du peuple dans ces processus.

L’une des principales raisons de l’interdiction du référendum au niveau fédéral, régional ou communautaire ne repose pas sur une opposition à la souveraineté nationale, mais bien sur le cadre strict fixé par la Constitution pour les procédures législatives et constitutionnelles. Le référendum n’est donc pas envisagé comme un outil courant de participation citoyenne à ces niveaux.

Une exception notable à cette absence de référendums dans l’histoire politique belge est la consultation populaire de 1950 sur la question royale. Organisée en vertu de la loi du 11 février 1950, cette consultation portait sur le retour du Roi Léopold III à ses fonctions. Malgré une majorité de 57,68 % en faveur du retour du roi, les résultats ont révélé une fracture régionale significative, avec une opposition plus marquée en Wallonie et à Bruxelles. Cette consultation a été critiquée pour son caractère plébiscitaire, soulevant des questions quant à sa constitutionnalité, notamment parce qu’elle portait sur la personne du Roi, qui est inviolable et irresponsable selon la Constitution.

Au niveau local, cependant, la Constitution belge (article 41) permet expressément aux provinces et communes d’organiser des consultations populaires. Ces consultations doivent se limiter aux questions d’intérêt provincial ou communal et suivent des modalités précises définies par la nouvelle loi communale et la loi provinciale. Par exemple, les citoyens peuvent participer dès l’âge de 16 ans, le vote n’est pas obligatoire, et un seuil minimum de participation est requis pour le dépouillement. Toutefois, certaines restrictions s’appliquent : aucune consultation ne peut avoir lieu dans les 16 mois précédant les élections communales ou provinciales, ni dans les 40 jours avant d’autres élections.

Un exemple marquant de consultation locale irrégulière est celui de la commune de Fourons en 1992, où une consultation a été organisée sur la question du bilinguisme et de l’appartenance bi-régionale de la commune. Cette consultation a été jugée illégale puisque ces sujets dépassaient les compétences de l’autorité communale.

Sous-section 3 : La mise en œuvre de la représentation – le système électoral

§ 1er – Les système électoraux

Il existe trois grands systèmes électoraux : le scrutin majoritaire, le scrutin proportionnel, et le système mixte, chacun ayant des implications différentes sur la représentation politique.

  1. Le scrutin majoritaire :
    • Ce système privilégie la formation de gouvernements stables en octroyant une majorité parlementaire souvent plus large que la répartition des voix ne le reflète. Il peut se dérouler en un seul ou en deux tours.
      • À un tour : Le candidat ou la liste ayant obtenu le plus de voix est élu, sans nécessité d’une majorité absolue. Ce modèle est largement utilisé dans les pays anglo-saxons comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada ou l’Inde.
      • À deux tours : Un second tour est organisé si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier tour. En France, par exemple, l’élection présidentielle fonctionne ainsi, avec les deux meilleurs candidats du premier tour qui s’affrontent au second.

    Ce système tend à accentuer les majorités parlementaires et peut parfois entraîner une surreprésentation des grands partis, tandis que les petits partis peinent à obtenir une représentation équitable.

  2. Le scrutin proportionnel :
    • Il vise à accorder à chaque liste ou parti politique un nombre de sièges proportionnel au nombre de suffrages obtenus. Ce système est jugé plus juste car il reflète mieux la diversité de l’opinion publique. Cependant, il favorise également l’éparpillement des forces politiques et la prolifération de petits partis, ce qui peut rendre la formation de coalitions gouvernementales plus difficile.
    • En Belgique, ce système a été adopté dès 1899, et des pays comme les Pays-Bas appliquent également ce modèle. Aux Pays-Bas, par exemple, une formation politique peut obtenir des sièges avec seulement 1 % des voix au niveau national.
  3. Le système mixte :
    • Ce système combine les avantages des deux systèmes précédents en alliant une représentation proportionnelle à un certain niveau de scrutin majoritaire. Il permet de corriger certaines distorsions du scrutin majoritaire tout en assurant une certaine stabilité gouvernementale.
    • L’Allemagne illustre ce système à travers la représentation proportionnelle personnalisée. Les électeurs y disposent de deux voix : la première pour élire un candidat via un scrutin uninominal majoritaire, et la seconde pour un parti politique, ce qui permet d’attribuer des sièges selon la proportionnalité. Un seuil de 5 % est requis pour qu’un parti obtienne des sièges au Bundestag, ce qui limite la fragmentation politique tout en maintenant une représentation proportionnelle.

Ce système mixte, utilisé aussi en Nouvelle-Zélande et en Hongrie, est apprécié pour l’équilibre qu’il offre entre stabilité politique et représentation proportionnelle.

§ 2 – Le système belge

A. L’électorat

Les articles 61 et 67 de la Constitution belge fixent les conditions de l’électorat pour les élections législatives fédérales. Ces conditions ont évolué de manière significative depuis 1831, reflétant l’évolution de la démocratie et des droits civiques en Belgique.

L’évolution des régimes électoraux

  • Suffrage censitaire à cens différentiel (1831) : Seuls les citoyens masculins qui payaient un certain montant d’impôts pouvaient voter, avec des barèmes différents selon les régions.
  • Suffrage censitaire à cens uniforme (1848) : Le système fut uniformisé, mais restait restreint à ceux qui payaient le cens.
  • Suffrage universel à vote plural (1893) : Le suffrage fut étendu à tous les hommes âgés de 25 ans, mais avec un vote plural pour les plus fortunés et diplômés.
  • Suffrage universel masculin (1919) : Il n’y eut plus de distinctions en fonction du statut social ou économique, mais uniquement pour les hommes de plus de 21 ans.
  • Suffrage universel pour les femmes (1948) : Les femmes obtiennent le droit de vote.
  • Suffrage universel à 18 ans (1981) : Enfin, l’âge minimum pour voter est abaissé à 18 ans pour tous les citoyens, hommes et femmes.

Obligations découlant du traité de Maastricht (1992)

Avec le traité de Maastricht en 1992, l’article 8 de la Constitution a été modifié pour permettre aux ressortissants de l’Union européenne résidant en Belgique de voter aux élections communales. Cette ouverture pourrait encore évoluer, mais à ce jour, seules les élections communales sont concernées pour les ressortissants de l’UE et d’autres étrangers résidant de manière permanente en Belgique.

Conditions actuelles de l’électorat (2024)

Aujourd’hui, pour voter aux élections fédérales, trois conditions doivent être remplies :

  • Être Belge : La citoyenneté belge reste une condition sine qua non pour les élections législatives fédérales.
  • Avoir 18 ans : L’âge légal pour voter est fixé à 18 ans, un âge qui a été abaissé en 1981.
  • Ne pas être exclu par la loi : Certaines personnes perdent leur droit de vote, telles que celles condamnées à une peine criminelle ou placées sous interdiction judiciaire (comme les personnes souffrant de troubles mentaux graves). Il existe aussi une suspension des droits électoraux pour certaines catégories, comme les personnes sous tutelle ou les internés.

Condition de domicile

Jusqu’en 1988, il fallait avoir résidé dans la même commune pendant au moins six mois pour voter, une mesure destinée à exclure les personnes itinérantes. Cette exigence a été abolie en 1988 pour permettre aux Belges résidant à l’étranger de voter et pour s’aligner sur les décisions de la loi de pacification communautaire du 9 août 1988, qui accordait aux électeurs des communes à statut spécial (comme Fourons et Comines-Warneton) la possibilité de voter dans une autre circonscription.

Élections régionales

Pour les élections régionales, les conditions sont presque identiques à celles des élections fédérales, à une exception près : la condition de domicile demeure, ce qui signifie que seuls les résidents belges d’une région donnée peuvent voter pour les élections de cette région.

B. L’éligibilité

En 2024, les conditions d’éligibilité pour la Chambre des représentants et le Sénat en Belgique restent encadrées par les articles 64 et 69 de la Constitution, qui imposent des exigences strictes. Il faut notamment être Belge, jouir des droits civils et politiques, et avoir 21 ans. Ces critères sont alignés pour les représentants et les sénateurs élus directement, bien que le Sénat ait été partiellement réformé, notamment avec la suppression des élections directes pour la plupart des sénateurs depuis la réforme de 2014. Ces changements reflètent une évolution vers un Sénat davantage représentatif des parlements régionaux et communautaires.

L’article 64 de la Constitution belge définit de manière précise les conditions d’éligibilité à la Chambre des représentants. Pour être éligible, il faut être Belge, jouir de ses droits civils et politiques, et avoir au moins 21 ans. Les règles d’éligibilité pour les sénateurs, selon l’article 69 de la Constitution, ont évolué, mais aujourd’hui, elles sont harmonisées avec celles des députés.

En ce qui concerne les parlements régionaux, les conditions d’éligibilité sont presque identiques à celles des assemblées fédérales, à deux différences près : depuis 2004, il suffit d’avoir 18 ans et d’être domicilié dans une commune située sur le territoire de la région concernée.

Perte des droits civils et politiques en cours de mandat

Le cas de la perte des droits civils et politiques d’un élu en cours de mandat, soulevé dans l’affaire INUSOP en 1990, a soulevé des questions délicates. Par exemple, G. Coeme, à l’époque membre de la Chambre des représentants et bourgmestre de Waremme, a été impliqué. Pour certaines assemblées comme le Parlement de Bruxelles-Capitale ou celui de la Communauté germanophone, la législation est claire : un membre doit conserver ses droits d’éligibilité tout au long de son mandat. Cependant, pour les chambres fédérales et d’autres parlements régionaux, la situation est moins explicite. Bien que les articles 64 et 69 imposent des conditions d’éligibilité pour être élu, aucune disposition ne prévoit clairement la perte immédiate du mandat en cas de perte de ces droits. Cela pourrait permettre, en théorie, à l’élu de continuer à exercer son mandat, même s’il ne pourrait se représenter par la suite.

Parité hommes-femmes dans les élections

La loi Smet-Tobback de 1994 avait pour objectif d’assurer une meilleure représentation des femmes dans les assemblées. En interdisant qu’une liste électorale contienne plus de 2/3 de candidats du même sexe, la loi visait à encourager la parité. Cette mesure a toutefois été critiquée pour son potentiel à restreindre le droit d’éligibilité, ce qui a conduit à des réformes constitutionnelles en 2002, avec l’adoption des articles 10 alinéa 3 et 11bis, garantissant l’égalité entre les sexes.

En vertu de ces dispositions, les lois du 18 juillet 2002 imposent une stricte alternance entre hommes et femmes sur les listes électorales. Depuis lors, chaque liste doit respecter cette alternance, et ces réformes ont effectivement amélioré la représentation des femmes dans les assemblées.

Réforme électorale et double candidature

La réforme électorale de 2002 a également introduit la double candidature, permettant à un même candidat de se présenter simultanément pour la Chambre et le Sénat. Cette innovation, pensée dans le cadre d’une réforme plus vaste qui envisageait un Sénat paritaire composé de membres désignés par les parlements communautaires, visait à rationaliser les élections. Toutefois, la Cour constitutionnelle, après avoir initialement rejeté une contestation de cette mesure, a fait volte-face dans son arrêt 73/2003, estimant que cette possibilité de double candidature était trompeuse pour les électeurs et favorisait injustement certains candidats. Cela a conduit à l’abandon progressif de cette mesure dans les réformes électorales ultérieures.

C. Les caractéristiques constitutionnelles du vote

1. Système de représentation proportionnelle
L’article 62 de la Constitution belge consacre la représentation proportionnelle comme le mode de scrutin pour les élections législatives. Ce système assure une répartition des sièges en fonction du pourcentage de voix obtenues par chaque liste de candidats, garantissant une représentation plus juste des partis politiques. Le système D’Hondt est utilisé pour attribuer les sièges de manière proportionnelle, un mécanisme qui favorise toutefois les partis plus importants.

2. Vote obligatoire
Depuis 1893, le vote est obligatoire en Belgique. Ce principe a été introduit pour stabiliser le système électoral après l’instauration du suffrage universel masculin. L’obligation de vote vise à garantir une participation massive des électeurs, réduisant ainsi le risque de fluctuations importantes dues à des variations dans la participation électorale. Bien que les sanctions prévues pour les abstentionnistes persistent (amendes pouvant être infligées), leur application est devenue rare, ce qui a conduit à une augmentation progressive de l’absentéisme électoral. D’autres pays comme le Luxembourg et la Grèce appliquent également le vote obligatoire.

3. Vote secret
Le vote est secret, un principe instauré en 1921 bien que des dispositions, comme l’usage des isoloirs (introduits en 1877), existaient déjà pour assurer la confidentialité du vote. Avec l’avènement du vote électronique, des questions sur la transparence et la régularité du processus ont surgi, bien que le secret du vote soit globalement préservé.

D. La répartition de siège entre circonscriptions

L’article 63 §2 de la Constitution belge prévoit que le territoire national est divisé en circonscriptions électorales par la loi, afin de garantir que cette division ne puisse être manipulée au profit du gouvernement en place. Ce découpage doit suivre une logique impartiale, et le gouvernement ne peut à lui seul décider des frontières électorales.

L’article 63 §3 établit la procédure pour cette répartition des sièges. Historiquement, elle s’appuyait sur un recensement de la population réalisé tous les 10 ans. Cependant, ce système a été abandonné au profit de l’utilisation des données du Registre national des personnes physiques, fournissant des chiffres plus actualisés et moins sujets à manipulation.

Jusqu’en 1988, la répartition proportionnelle des sièges était strictement limitée au niveau des provinces, ce qui signifiait qu’aucune circonscription ne pouvait chevaucher deux provinces. Cette contrainte a été abandonnée avec la révision constitutionnelle, permettant notamment des exceptions pour des régions à forte tension communautaire comme Fourons et Comines-Warneton.

En 2002, une réforme électorale majeure a eu lieu avec la loi du 13 décembre, remplaçant les anciennes circonscriptions par des circonscriptions provinciales pour les élections à la Chambre des représentants. Cependant, deux exceptions majeures subsistent : Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) et Louvain. L’arrondissement électoral de BHV est particulièrement controversé car il permet aux francophones de la périphérie de Bruxelles de voter pour des listes bruxelloises, un privilège qui n’existe pas pour d’autres communautés linguistiques dans le pays.

La Cour d’arbitrage (devenue Cour constitutionnelle) s’est prononcée à plusieurs reprises sur la constitutionnalité du maintien de BHV. En 1994, la Cour a jugé que ce découpage était acceptable, soulignant son rôle dans le maintien de l’équilibre communautaire. Cependant, en 2003, la Cour a annulé une tentative de réforme de la circonscription, critiquant le manque de différenciation entre BHV et Louvain pour les candidats néerlandophones.

En réponse à cette situation, plusieurs propositions de réforme ont été présentées. Celles-ci visaient à modifier les circonscriptions ou à simplifier l’organisation des élections dans cette région sensible. La section de législation du Conseil d’État a émis des avis critiques sur certaines propositions, en particulier celles qui tenteraient d’instaurer un apparentement entre différentes circonscriptions sans traitement équitable pour les minorités linguistiques.

Enfin, les régions disposent désormais d’une compétence pour modifier leurs propres circonscriptions électorales. Le Parlement flamand a ainsi adopté un décret en 2004, alignant les élections régionales sur un modèle provincial similaire à celui utilisé au niveau fédéral, tandis que le Parlement wallon n’a pas encore modifié ses circonscriptions régionales.

E. Le seuil électoral

La réforme électorale de décembre 2002 a introduit un seuil d’éligibilité de 5% pour les listes électorales dans le droit constitutionnel belge. Ce seuil signifie qu’une liste doit obtenir au moins 5% des suffrages exprimés dans une circonscription pour pouvoir prétendre à un siège. Cette mesure a pour objectif de limiter la fragmentation politique au sein des assemblées législatives en empêchant la représentation de très petits partis qui ne disposent pas d’un soutien significatif.

Néanmoins, certains observateurs affirment que cela n’a pas empêché les blocages politiques ou la longueur des négociations pour former des gouvernements, comme cela a été le cas en 2019-2020, où la Belgique a connu une longue période de vacance gouvernementale (près de deux ans sans gouvernement de plein exercice).

Critique et validité constitutionnelle

Cette réforme a suscité des critiques et a fait l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle (anciennement Cour d’arbitrage). Dans son arrêt 73/2003, la Cour a confirmé la constitutionnalité du seuil de 5%, estimant qu’il ne contrevenait pas aux articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent les principes d’égalité et de non-discrimination. De plus, elle a souligné que ce seuil ne violait pas l’article 3 du 1er Protocole additionnel à la CEDH, qui régit le droit à des élections libres. La Cour a précisé que les systèmes électoraux peuvent être organisés selon des modèles proportionnels ou majoritaires et que l’introduction d’un seuil électoral reste conforme aux normes européennes, même si cela peut entraîner la perte de certaines voix.

Circonscriptions spécifiques : BHV et Louvain

Cependant, la Cour a annulé certaines dispositions spécifiques applicables aux circonscriptions de Brabant wallon, Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) et Louvain. Dans ces zones, le seuil de 5% était appliqué de manière cumulative pour les listes néerlandophones en additionnant les voix obtenues dans les deux circonscriptions (BHV et Louvain). La Cour a jugé que cette pratique était discriminatoire et contraire à la Constitution, car elle ne respectait pas les principes de proportionnalité et de clarté dans la répartition des sièges entre les circonscriptions.

Rejet des recours supplémentaires

Un requérant a soumis une nouvelle demande en suspension avant les élections du 18 mai 2004, arguant que cette situation constituait toujours une discrimination. Cependant, la Cour a rejeté cette demande dans son arrêt 48/2003, en déclarant que les critiques portaient en réalité sur les effets de son arrêt antérieur (arrêt 30/2003). Par conséquent, elle a maintenu sa position en attendant un jugement définitif sur la demande d’annulation.

F. Le mode de répartition des sièges entre les listes

La répartition des sièges lors des élections législatives belges suit le système de la représentation proportionnelle, avec l’application de la méthode d’Hondt. Ce système vise à attribuer les sièges en proportion des voix obtenues par chaque liste de candidats, favorisant une meilleure représentation des différentes forces politiques.

Jusqu’en 2002, l’apparentement provincial jouait un rôle important. Ce mécanisme permettait une répartition des résidus de voix non utilisés dans les arrondissements pour les redistribuer au niveau provincial. Cependant, ce système a été critiqué pour son manque de transparence et son caractère imprévisible, menant à des attributions de sièges parfois aléatoires. Avec la réforme électorale du 13 décembre 2002, les circonscriptions provinciales ont remplacé les circonscriptions arrondissantes, rendant l’apparentement obsolète, sauf dans des cas spécifiques comme sur le territoire de l’ancienne province de Brabant (notamment pour la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde, souvent appelée BHV).

Aujourd’hui, la répartition des sièges entre les listes suit des étapes précises :

  1. D’abord, une première répartition au sein de chaque circonscription.
  2. Ensuite, la désignation des candidats élus est déterminée par un scrutin de liste avec case de tête. L’électeur a le choix de cocher cette case s’il approuve l’ordre de présentation établi par le parti.
  3. Les votes en case de tête sont attribués aux candidats en ordre de présentation, mais cet effet dévolutif est limité à 50%, permettant aux votes de préférence de jouer un rôle, favorisant ainsi les candidats qui ont un soutien populaire direct.

G. Les inconvénients de la représentation proportionnelle belge

Le système de représentation proportionnelle en Belgique, bien qu’il offre une représentation plus juste des différentes tendances politiques, présente deux principaux inconvénients :

  • Émiettement politique : Ce système favorise une grande diversité de partis, y compris de petites formations politiques, surtout après la division des anciens grands partis nationaux en partis régionaux (flamands et francophones). Ainsi, les coalitions majoritaires doivent souvent inclure plusieurs partis (souvent au moins quatre), rendant la formation de gouvernements stables plus difficile et prolongée. Cette fragmentation des forces politiques empêche également de dégager des majorités claires, créant des gouvernements de coalition plus faibles ou sujets à des compromis importants, en particulier lors des réformes nécessitant une majorité des 2/3.
  • Dominance des états-majors des partis : Le système permet aux dirigeants des partis de jouer un rôle clé dans la sélection des candidats sur les listes électorales. Les candidats placés en tête de liste sont quasi assurés d’être élus, indépendamment du nombre de voix de préférence qu’ils reçoivent, ce qui limite l’impact du vote populaire direct sur la sélection des représentants. La possibilité pour les candidats disposant de moyens financiers plus importants de dominer les campagnes électorales est également une source d’injustice, même si cela a été partiellement atténué par les réformes de financement des campagnes.

H. La réglementation des dépenses électorales et le financement des partis politiques

Le financement des partis politiques en Belgique a connu une transformation significative à partir de 1989, en réponse à une série de scandales de corruption, notamment les affaires INUSOP et AGUSTA-DASSAULT, qui mettaient en lumière les dérives du financement privé des partis politiques.

Les affaires INUSOP et AGUSTA-DASSAULT

Ces affaires ont révélé un système pervers de pots-de-vin servant au financement des partis plutôt qu’à l’enrichissement personnel. Dans l’affaire AGUSTA, un cas emblématique de financement illégal, des pots-de-vin ont été versés à des responsables politiques en échange de contrats militaires pour des hélicoptères Agusta. Bien que plusieurs personnalités politiques aient été impliquées, Guy Coëme a été la seule figure poursuivie pénalement.

Dans l’affaire INUSOP, des irrégularités autour de l’utilisation de l’argent public pour le financement des partis ont aussi été dénoncées. Des accusations ont également touché Gérard Deprez, ancien président du PSC, pour avoir détourné des fonds publics à des fins illégitimes.

Réformes de 1989 : Transparence et limitations

Face à ces dérives, le législateur a introduit la loi du 4 juillet 1989, qui visait à contrôler et assainir les sources de financement des partis politiques et des campagnes électorales. Voici les principaux aspects de la réforme :

  • Limitation des dons privés : Les partis politiques ne peuvent plus recevoir de dons provenant de personnes morales (entreprises, associations), mais seulement de particuliers, avec un plafond strict sur le montant des dons.
  • Dotation publique : Les partis représentés au Parlement ont droit à une dotation publique, composée d’une part forfaitaire et d’une part proportionnelle aux résultats électoraux.
  • Obligations de transparence : Les partis doivent désigner une ASBL (association sans but lucratif) chargée de gérer leurs financements publics et privés, tout en respectant des obligations comptables strictes.

Contrôle des dépenses électorales

La loi a également imposé des limitations sévères aux dépenses électorales et interdit certaines pratiques, telles que :

  • Distribution de cadeaux ou de gadgets.
  • Affichage de grande taille (au-delà de 20 m²) et utilisation de panneaux publicitaires commerciaux.
  • Obligation pour les candidats de déclarer leurs dépenses et l’origine de leurs fonds.

Une commission de contrôle, composée de membres de la Chambre des représentants et du Sénat, a été créée pour surveiller le respect de ces règles. En cas d’infraction, un parti peut perdre temporairement sa dotation publique.

Sanctions et absence de recours

Les infractions aux règles de financement sont passibles de sanctions pénales ou administratives. La commission de contrôle peut décider d’interrompre la dotation publique d’un parti pour une durée maximale de quatre mois. Les décisions prises par la commission ne sont soumises à aucun recours, un point validé par la Cour constitutionnelle, qui a estimé que cela garantissait l’indépendance des assemblées législatives par rapport aux autres pouvoirs.

Confiance aux parlements régionaux et communautaires

La loi spéciale du 13 juillet 2001 a transféré aux parlements régionaux et communautaires la compétence de surveiller les dépenses électorales et les communications gouvernementales relatives aux élections régionales, communautaires, provinciales et communales. Ces parlements peuvent également fixer des règles supplémentaires pour le financement complémentaire des partis.

Un tournant récent dans cette réglementation a eu lieu en 2022, avec une réforme significative qui renforce la transparence et le contrôle du financement des partis. L’objectif de cette réforme est de prévenir les abus et de limiter l’influence financière privée sur la vie politique. Désormais, les partis ne peuvent recevoir des dons qu’en respectant des plafonds plus stricts et uniquement de la part de personnes physiques, excluant toute forme de financement de la part de personnes morales. En outre, la loi de 2022 a ajouté des mesures pour contrôler plus rigoureusement les flux financiers liés à la propagande électorale, y compris les dépenses publicitaires en lig

Ainsi, les réformes introduites à partir de 1989 visent à limiter l’influence de l’argent sur la politique belge, à garantir une plus grande transparence et à contrôler efficacement les dépenses et le financement des partis. Ces mesures visent à éviter les abus observés par le passé et à protéger l’intégrité du processus électoral.

I. Le financement des partis

Le législateur belge a été confronté à la question du financement des partis liberticides et a pris des mesures pour garantir que les partis respectent les droits et libertés fondamentaux, notamment ceux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Un premier pas a été franchi avec l’introduction de l’article 15bis dans la loi du 4 avril 1989, qui impose aux partis de s’engager, dans leurs statuts ou programmes, à respecter les droits fondamentaux pour pouvoir bénéficier de financement public. Cependant, cette disposition s’est révélée insuffisante, car même les partis liberticides respectaient formellement cette exigence tout en poursuivant des objectifs contraires aux principes démocratiques.

Pour pallier cette lacune, l’article 15ter a été introduit dans la même loi, permettant au Conseil d’État de suspendre ou de supprimer le financement public d’un parti qui manifeste une hostilité manifeste envers les droits et libertés garantis par la CEDH. Ce mécanisme de contrôle permet de cibler des partis dont les actions, discours ou composantes montrent, par plusieurs indices concordants, une incitation à violer ces droits.

L’arrêt du Conseil d’État peut entraîner une sanction financière, qui peut être une suspension totale ou partielle du financement public pour une durée allant de trois mois à un an. En cas de recours, un pourvoi en cassation peut être formé, mais il ne suspend pas la décision du Conseil d’État.

Critiques et ajustements

En 2001, le Vlaams Blok a contesté cette disposition devant la Cour d’arbitrage (aujourd’hui Cour constitutionnelle), mais leur recours a été rejeté. Cependant, la Cour a émis plusieurs réserves importantes :

  1. Interprétation stricte du terme « hostilité » : Cette hostilité doit être interprétée comme une incitation explicite à violer une norme en vigueur, telle que l’incitation à la violence ou au racisme.
  2. Immunité parlementaire : La Cour a précisé que les opinions ou votes émis dans le cadre d’un mandat parlementaire ne peuvent justifier l’application de cette loi, en raison de l’immunité parlementaire garantie par l’article 58 de la Constitution.
  3. Désaveu public : Un parti qui désavoue publiquement un membre ayant tenu des propos liberticides ne devrait pas être sanctionné. Cette interprétation a été critiquée, car des partis peuvent se désolidariser formellement des déclarations controversées sans en prendre réellement des sanctions internes.

En pratique, l’application de l’article 15ter a été entravée par des lacunes procédurales. Le gouvernement n’a pas pris rapidement les mesures nécessaires pour élaborer un arrêté royal précisant les modalités d’application de cette disposition, conformément à l’avis de la section législation du Conseil d’État. En effet, cet arrêté devait être pris en Conseil des ministres, mais il restait bloqué faute de principes procéduraux clairement définis par la loi.

Solution législative : La Chambre des représentants a adopté des modifications législatives pour améliorer l’application de l’article 15ter. Cela comprend la suppression du pourvoi en cassation et la responsabilité de l’assemblée générale du Conseil d’État pour juger ces affaires, au lieu des chambres bilingues.

Section 3 : Le parlementarisme rationalisé

Sous-section 1 : Généralités

Le régime mis en œuvre en 1831, relevait, en apparence, du parlementarisme dualiste classique. En effet, d’une part, l’exécutif comprenait 2 branches : le Roi et le gouvernement et, d’autre part, le Parlement et l’exécutif disposaient l’un à l’égard de l’autre de moyens d’actions réciproques. Un gouvernement ne pouvait se maintenir en fonction sans bénéficier de la confiance des chambres alors qu’en vertu de l’article 71 ancien de la Constitution, le Roi pouvait dissoudre les chambres soit simultanément, soit séparément.

Sous-section 2 : Les mécanismes de rationalisation

§ 1 – La source d’inspiration

Le parlementarisme rationalisé a pour objectif de limiter l’instabilité gouvernementale en encadrant strictement les mécanismes de mise en cause de la responsabilité du gouvernement. Ce concept, qui trouve son origine dans la Loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne (RFA), a été transposé dans plusieurs systèmes politiques, dont celui des régions et communautés en Belgique, en s’adaptant aux spécificités institutionnelles de chaque pays.

Source d’inspiration : la RFA

Dans la Loi fondamentale allemande, les articles 67 et 68 constituent les piliers du parlementarisme rationalisé :

  • Article 67 : Une motion de défiance contre le chancelier fédéral n’est valide que si un successeur est élu à la majorité absolue, empêchant ainsi un vide de pouvoir. Ce mécanisme impose également un délai de 48 heures avant que le vote puisse avoir lieu, favorisant la stabilité.
  • Article 68 : En cas de refus d’une motion de confiance présentée par le chancelier fédéral, celui-ci peut demander au Président de dissoudre le Bundestag dans un délai de 21 jours, renforçant ainsi l’exécutif face à l’instabilité parlementaire.
  • Article 81 : Il instaure un mécanisme de « législation d’urgence » permettant à un gouvernement minoritaire de gouverner, avec l’accord du Président et du Bundesrat, même en cas d’opposition parlementaire. Ces articles forment un cadre cohérent, garantissant une stabilité gouvernementale tout en conservant la capacité de dissoudre le Parlement lorsque cela est nécessaire.

§ 2 – Le parlementarisme rationalisé dans les régions et les communautés

Le législateur spécial du 8 août 1980 a instauré un système similaire de parlementarisme rationalisé pour les régions et communautés belges, afin de stabiliser les gouvernements régionaux et communautaires. Ce système repose sur deux articles principaux de cette loi spéciale :

  • Article 71 : Il permet aux conseils régionaux et communautaires d’adopter une motion de méfiance constructive, à la majorité de leurs membres, contre le gouvernement ou certains de ses membres. Ce mécanisme assure qu’un gouvernement ne peut être renversé que s’il existe une majorité pour élire immédiatement un successeur, évitant ainsi les situations de crise institutionnelle.
  • Article 72 : Cet article introduit la possibilité pour le gouvernement de poser la question de confiance. Si la majorité du conseil refuse la confiance, le gouvernement est automatiquement démissionnaire. Contrairement au modèle allemand, où le chancelier n’est pas obligé de démissionner en cas de refus de confiance, en Belgique, le gouvernement est immédiatement contraint de quitter ses fonctions, ce qui introduit une certaine instabilité potentielle.

Différences et critiques

Le système belge s’inspire largement du modèle allemand, mais il présente une différence notable : l’absence de garantie similaire à l’article 68 de la Loi fondamentale allemande. En Belgique, un gouvernement régional ou communautaire qui échoue à obtenir la confiance devient démissionnaire de plein droit, sans possibilité de dissolution parlementaire ou de recours à un état d’urgence législative. Cette disposition est critiquée pour son effet déstabilisateur, puisque le gouvernement doit automatiquement quitter ses fonctions dès que la confiance lui est refusée.

L’article 71, par contre, tend à renforcer la stabilité en exigeant qu’une majorité parlementaire soit prête à nommer un successeur avant de renverser le gouvernement en place, ce qui réduit les risques de crises répétées.

Ainsi, le parlementarisme rationalisé, tel qu’il est appliqué en Belgique, vise à offrir un cadre plus stable pour la gestion des gouvernements régionaux et communautaires, tout en s’inspirant des mécanismes allemands. Cependant, les critiques portent principalement sur l’effet destabilisant de l’article 72, qui pourrait être amendé pour mieux aligner la stabilité gouvernementale avec les objectifs du parlementarisme rationalisé.

§ 3 – Le parlementarisme rationalisé dans les institutions fédérales

Le parlementarisme rationalisé a été introduit dans les institutions fédérales belges à travers la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, inscrivant des règles spécifiques visant à renforcer la stabilité gouvernementale et à encadrer plus strictement les mécanismes de mise en cause de la responsabilité du gouvernement fédéral.

Dispositions constitutionnelles clés

  • Article 46 de la Constitution : Le Roi peut dissoudre la Chambre des représentants dans des conditions bien précises. La Chambre doit avoir soit rejeté une motion de confiance à la majorité absolue, soit adopté une motion de méfiance, sans pour autant proposer un successeur au Premier ministre. Ce mécanisme renforce la stabilité en empêchant des motions de défiance non constructives, comme c’est également le cas en Allemagne (article 67 de la Loi fondamentale).
  • Article 96 de la Constitution : Le Roi nomme et révoque les ministres, mais la démission du gouvernement est automatique si la Chambre adopte une motion de méfiance constructive, c’est-à-dire qu’elle propose un successeur au Premier ministre. Cela introduit une notion de responsabilité collective du gouvernement envers le parlement, ce qui encadre plus strictement les mécanismes de changement de gouvernement.

Comparaison entre les systèmes

Mécanisme RFA Belgique – Entités fédérées Belgique – État fédéral
Motion de méfiance constructive Majorité absolue + délai de 48h Majorité absolue + délai de 48h Majorité absolue + délai de 48h
Motion de méfiance non constructive Irrecevable Irrecevable Possible, ouvre le droit à dissolution
Question de confiance Pas de démission automatique + dissolution possible Démission automatique en cas de rejet Dissolution possible si rejet sans successeur proposé
Dissolution Possible si rejet de la confiance ou impossibilité d’élire un chancelier N’existe pas Possible en cas de méfiance non constructive ou rejet de la confiance

Analyse des dispositions belges

Le système belge s’aligne sur celui de la RFA en ce qui concerne la motion de méfiance constructive, garantissant ainsi qu’un gouvernement ne peut être renversé que si une majorité alternative est prête à gouverner. Toutefois, il diverge en permettant une motion de méfiance non constructive qui, en cas d’adoption, autorise la dissolution de la Chambre, un mécanisme absent en Allemagne.

La question de confiance, dans le cadre fédéral belge, diffère également. Si la Chambre refuse la confiance, elle peut soit nommer un nouveau Premier ministre, soit être dissoute. Ce processus permet une certaine flexibilité pour éviter une crise politique prolongée.

A. Un parlementarisme semi-rationalisé

Le parlementarisme semi-rationalisé en Belgique repose sur une structure équilibrée entre la stabilisation des institutions et la flexibilité en cas de crises politiques. Depuis la révision de la Constitution du 5 mai 1993, ces mécanismes visent à encadrer les situations de défiance envers le gouvernement tout en réduisant les possibilités de dissolution intempestive de la Chambre des représentants.

La dissolution de la Chambre des représentants n’est plus un acte discrétionnaire. Selon l’article 46 de la Constitution, la dissolution est soumise à des conditions précises :

  • Motion de méfiance non constructive : Si la Chambre adopte une telle motion à la majorité absolue, sans désigner un successeur au Premier ministre.
  • Rejet d’une question de confiance : Si la Chambre rejette une question de confiance à la majorité absolue, elle dispose de trois jours pour proposer un successeur au Premier ministre, faute de quoi la dissolution est possible.
  • Démission du gouvernement : Si le gouvernement démissionne, la dissolution peut être décidée avec l’accord de la Chambre, à la majorité absolue.

Ces règles traduisent un compromis entre stabilité gouvernementale et la crainte de blocages institutionnels prolongés. Elles permettent au Roi de dissoudre la Chambre sous des conditions précises, mais sans limiter la capacité du gouvernement à se retirer en cas de crise politique insurmontable.

B. La motion de méfiance

La motion de méfiance constructive fédérale diffère de celle en vigueur dans les régions et communautés, notamment par sa portée limitée. Elle ne permet pas de viser individuellement des ministres mais impose de désigner un Premier ministre successeur. Ce mécanisme renforce la stabilité du gouvernement, car une démission ne peut être provoquée qu’à condition qu’une nouvelle majorité propose un chef de gouvernement alternatif.

  • Désignation du Premier ministre : La motion de méfiance n’entraîne que la désignation d’un successeur au Premier ministre, laissant ainsi la composition du reste du gouvernement ouverte à la négociation entre les partis.
  • Processus de transition : Une fois la motion adoptée, un nouveau Premier ministre est désigné. Durant cette période transitoire, le Premier ministre sortant expédie les affaires courantes, tandis que le successeur désigné entreprend de négocier la formation d’un nouveau gouvernement et d’établir un programme. Cela peut conduire à une situation où deux Premiers ministres sont en place simultanément — l’un expédiant les affaires courantes, l’autre étant en phase de constitution d’un gouvernement.

Le système ne prévoit pas formellement l’hypothèse d’un échec du Premier ministre désigné à former un gouvernement. En pratique, le Roi pourrait alors envisager de refuser la démission ou de procéder à une nouvelle désignation pour éviter un blocage institutionnel prolongé. Ce manque de précision dans la Constitution pourrait nécessiter une clarification future, mais il laisse aussi de la marge à la pratique constitutionnelle et à la discrétion royale.

Le parlementarisme semi-rationalisé combine la nécessité de maintenir une stabilité institutionnelle avec des mécanismes souples en cas de crise. La motion de méfiance constructive et la gestion des questions de confiance traduisent une volonté de rationaliser les processus politiques mais laisse aussi des portes ouvertes à la dissolution ou à la démission pour éviter les impasses.

C. La question de confiance

La question de confiance, telle qu’elle est posée par le gouvernement fédéral belge, présente plusieurs particularités intéressantes qui en font un instrument essentiel du parlementarisme semi-rationalisé. Contrairement à d’autres systèmes, comme celui instauré par la loi spéciale du 8 août 1980 pour les entités fédérées, la question de confiance fédérale est soumise à des conditions rigoureuses. Elle ne peut être rejetée qu’à la majorité absolue des membres de la Chambre des représentants. Cela signifie que l’opposition ne peut pas faire tomber un gouvernement avec une simple majorité relative, garantissant ainsi une certaine stabilité gouvernementale.

Cependant, le système n’est pas sans incohérences potentielles. Par exemple, un gouvernement peut voir une question de confiance rejetée sur un projet de loi jugé essentiel sans pour autant perdre formellement la confiance de la Chambre si la majorité absolue n’est pas atteinte. Cette situation peut créer une dissonance entre la légitimité politique et la réalité parlementaire : le gouvernement peut théoriquement conserver la confiance, tout en étant politiquement désavoué.

Le mécanisme du rejet constructif

L’une des originalités du système belge réside dans le mécanisme de la motion de confiance constructive. En cas de rejet d’une question de confiance, la Chambre des représentants dispose d’un délai de trois jours pour proposer un successeur au Premier ministre, à la majorité absolue. Ce court délai est censé permettre une transition rapide. Cependant, dans le contexte belge, où la vie politique est marquée par la multiplicité des partis et la complexité des coalitions, il est peu probable qu’un tel délai suffise à forger une nouvelle coalition et désigner un Premier ministre de remplacement. Ce mécanisme, bien que prévu pour stabiliser la situation, peut paradoxalement contribuer à une impasse politique.

L’efficacité des mécanismes rationalisés

Il est légitime de se poser la question de l’efficacité réelle de ces mécanismes dans le cadre de la stabilité gouvernementale en Belgique. Historiquement, la mise en œuvre de la responsabilité gouvernementale devant le Parlement s’est révélée très limitée. Depuis la Seconde Guerre mondiale, seuls deux gouvernements ont été contraints de démissionner à la suite d’un vote parlementaire :

  1. Le gouvernement Van Acker en 1945, après la fin de l’union nationale, lorsque les catholiques se sont rangés dans l’opposition.
  2. Le gouvernement Martens II en 1980, à la suite du rejet d’un article clé dans le projet de loi sur les régions et communautés, malgré une majorité encore présente dans l’assemblée.

Dans ces deux cas, les mécanismes de rationalisation introduits en 1993 n’auraient pas été d’une grande utilité. Cela souligne le fait que la responsabilité ministérielle est de plus en plus perçue comme un principe théorique plutôt que comme un instrument pratique de contrôle parlementaire.

D. Sur l’efficacité de ces mécanismes

Les mécanismes de parlementarisme rationalisé ont-ils réellement permis de stabiliser les gouvernements belges ? En 2024, cette question demeure pertinente, et les doutes persistent quant à leur efficacité. Ces mécanismes reposent principalement sur la motion de méfiance constructive, un outil supposé garantir la continuité gouvernementale en évitant les démissions fréquentes. En effet, ce dispositif permet de ne renverser un gouvernement que si un successeur au Premier ministre est désigné simultanément par le Parlement. Toutefois, comme François Perin l’affirmait déjà en 1960, la responsabilité ministérielle devant les chambres semble être devenue une « pure fiction juridique », une analyse qui semble toujours d’actualité.

Un historique de motions de méfiance limité

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, seulement deux gouvernements belges ont été contraints à la démission suite à un vote parlementaire :

  1. Le gouvernement Van Acker en 1945 : Après la fin de l’union nationale, lorsque les catholiques se sont rangés dans l’opposition, le Premier ministre Achille Van Acker a présenté la démission de son gouvernement.
  2. Le gouvernement Martens II en 1980 : Ce gouvernement est tombé après le rejet par le Sénat de l’article 5 du projet de loi spéciale sur les régions et communautés, en raison de la défection de plusieurs sénateurs du CVP (Parti Chrétien Démocrate Flamand).

Dans les deux cas, bien que les gouvernements aient encore une majorité suffisante pour gouverner, ces Premiers ministres ont estimé que les votes parlementaires rendaient la gestion de leurs cabinets insoutenable. Ces exemples montrent que la simple existence d’une majorité parlementaire ne garantit pas la stabilité gouvernementale lorsque des dissensions internes majeures se manifestent. Cela remet en question l’utilité des mécanismes introduits en 1993, qui n’auraient rien changé dans ces situations, car la crise était déjà bien avancée.

L’évolution de la responsabilité ministérielle

La responsabilité ministérielle n’est plus exercée uniquement par le vote de méfiance formel. Au contraire, elle se manifeste désormais par un contrôle continu exercé par le Parlement, mais aussi par la nécessité pour le gouvernement de justifier publiquement et régulièrement ses choix politiques. Le vote de confiance, souvent réduit à une formalité en fin de débat parlementaire, n’est plus l’outil décisif de contrôle du gouvernement. En pratique, dès qu’un gouvernement perçoit qu’il va être mis en minorité au Parlement en raison d’une crise au sein de la coalition, il démissionne spontanément avant même que la méfiance ne soit formellement votée.

Une rationalisation mal adaptée à la politique belge

Les mécanismes de rationalisation du parlementarisme semblent donc mal adaptés aux spécificités de la vie politique belge. La tradition belge de démissions spontanées rend les mécanismes formels de mise en cause de la responsabilité ministérielle, comme la motion de méfiance constructive, presque obsolètes. De plus, en rendant la dissolution dépendante d’un vote de la Chambre des représentants à la majorité absolue, ces mécanismes risquent parfois de complexifier les crises politiques au lieu de les résoudre rapidement.

CHAPITRE II – Les principes communs applicables aux assemblées législatives

Section 1 : Le statut du membre d’assemblée

Sous-section 1 : La nature du mandat parlementaire

L’article 42 de la Constitution belge consacre le principe selon lequel le mandat parlementaire est général. Ce principe impose aux membres des chambres parlementaires de représenter l’intérêt général, celui de l’ensemble de la Nation, et non les intérêts spécifiques de leurs électeurs ou d’un groupe particulier. Les parlementaires doivent donc agir selon leur conscience pour le bien commun, plutôt que suivre des consignes contraignantes de leurs électeurs ou de leur parti politique.

Groupes linguistiques et intérêt national
L’article 43 de la Constitution, qui divise les parlementaires en groupes linguistiques, n’affecte pas directement ce principe. Ces groupes ont un rôle instrumental et ne sont activés que dans des situations spécifiques, comme pour le vote de lois nécessitant une majorité linguistique. La révision constitutionnelle de 1993, qui a partiellement transformé le Sénat en un organe composé de membres des conseils communautaires, n’a pas modifié ce principe. Les sénateurs restent théoriquement des représentants de la Nation dans son ensemble, même s’ils sont élus par leurs communautés d’origine.

Représentation régionale et communautaire
Bien que la législation concernant les parlements régionaux et communautaires ne reproduise pas expressément les termes de l’article 42, le principe s’applique implicitement. Les conseillers régionaux et communautaires, tout comme les parlementaires fédéraux, ne représentent pas uniquement leurs électeurs, mais bien l’ensemble de la communauté ou de la région concernée.

Interdiction du mandat impératif
Le mandat impératif, c’est-à-dire l’obligation pour un élu de respecter à la lettre le programme sur lequel il a été élu, est formellement interdit en Belgique. Un parlementaire n’est pas juridiquement lié par ses promesses électorales, ce qui signifie qu’il ne peut être contraint par un programme ou par des engagements pris avant son élection. Tout mécanisme permettant aux électeurs de forcer leurs représentants à rendre des comptes ou à les révoquer, y compris les engagements signés avec un parti politique pour démissionner en cas de changement d’allégeance politique, est illégal et contraire à l’article 42.

Conséquences pratiques et critiques
Bien que le principe soit clair en théorie, la pratique montre que les circonstances électorales et les intérêts des électeurs influencent souvent le comportement des parlementaires. Certains y voient une forme de détérioration du régime parlementaire et des principes démocratiques, car la politique belge repose désormais en grande partie sur les rapports de force entre partis politiques. L’électeur détermine la force des différents partis, qui à leur tour façonnent les coalitions et les orientations politiques. Le jeu politique est donc largement influencé par le résultat des élections et les alliances inter-partis.

Sous-section 2 : Les incompatibilités parlementaires

Les incompatibilités parlementaires se distinguent des conditions d’éligibilité, qui sont les critères à remplir pour être candidat et élu. L’incompatibilité intervient une fois élu, interdisant au parlementaire d’exercer certaines autres fonctions en même temps que son mandat. Si un parlementaire est confronté à une incompatibilité, il doit choisir entre son mandat et l’autre activité incompatible.

Le système belge des incompatibilités vise à préserver l’intégrité, l’indépendance et la séparation des pouvoirs dans le fonctionnement de ses institutions parlementaires. En interdisant certaines fonctions et mandats multiples, ces règles protègent l’équilibre démocratique et évite la concentration excessive de pouvoir et en assurant que chaque parlementaire se consacre pleinement à son mandat législatif.

Cette question est encadrée par différentes dispositions légales réparties dans plusieurs textes du droit belge.

Objectifs des incompatibilités

Les incompatibilités visent plusieurs objectifs :

  • Prévenir les conflits d’intérêts entre différentes assemblées (comme l’interdiction d’être à la fois membre de plusieurs parlements),
  • Protéger l’indépendance du parlementaire contre des pressions externes,
  • Assurer la séparation des pouvoirs, garantissant que les fonctions exécutives, législatives et judiciaires soient distinctes,
  • Moraliser la fonction parlementaire, en réduisant les cumuls de fonctions qui peuvent conduire à une concentration excessive de pouvoir ou à l’enrichissement personnel.

Incompatibilités entre les assemblées

Pour éviter la confusion des fonctions, il est généralement interdit d’être simultanément membre de deux assemblées. L’article 49 de la Constitution belge stipule qu’il est impossible de cumuler les mandats de député et de sénateur. Cela s’applique aussi entre les parlements régionaux et communautaires. Par exemple, un parlementaire ne peut siéger à la fois au Parlement flamand et au Parlement wallon, ou être à la fois député fédéral et membre du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale.

Un cas emblématique a surgi après les élections de 1995, où F. Evers a été élu à la fois au Parlement wallon et au Parlement de la Communauté germanophone. Cette situation n’avait pas été anticipée par le législateur. Plusieurs solutions furent envisagées, mais la plus logique, finalement adoptée, fut que le parlementaire soit remplacé par son suppléant dans le Parlement de la Communauté française.

Incompatibilités pour garantir l’indépendance

L’article 51 de la Constitution prévoit que les parlementaires nommés à une fonction rémunérée par le gouvernement doivent démissionner de leur mandat parlementaire. La loi du 6 août 1931 interdit également aux fonctionnaires ou employés de l’État d’exercer simultanément un mandat parlementaire. Toutefois, la loi a évolué avec l’introduction du congé politique en 1986, permettant à ces fonctionnaires de retrouver leur emploi après la fin de leur mandat parlementaire.

Cette règle s’applique également au niveau régional et communautaire, où un agent public ne peut pas être membre de l’assemblée de l’entité dans laquelle il est employé.

Incompatibilités pour certaines fonctions sensibles

Certaines professions sont considérées comme particulièrement sensibles à l’indépendance et la séparation des pouvoirs. Il est donc impossible d’être simultanément parlementaire et membre du Conseil d’État, de la Cour constitutionnelle, ou d’exercer une fonction dans l’ordre judiciaire.

Incompatibilités pour garantir la séparation des pouvoirs

L’incompatibilité entre la fonction de ministre et celle de parlementaire, qui avait été supprimée en 1893, a été réintroduite en 1993. Cette réforme permet à un ministre nommé par le Roi de cesser automatiquement de siéger au Parlement, et il est remplacé par son suppléant jusqu’à la fin de son mandat ministériel. Une fois que ses fonctions exécutives prennent fin, le parlementaire reprend son siège.

Cette règle ne s’applique pas automatiquement dans les parlements régionaux et communautaires, mais plusieurs entités, comme la Région wallonne et la Communauté flamande, l’ont adoptée dans leurs systèmes institutionnels.

Moralisation et cumul des mandats

Dans les années 1990, des efforts ont été déployés pour moraliser la vie politique en Belgique. Les « assises de la démocratie » ont débouché sur l’adoption de plusieurs lois en 1999, visant à restreindre le cumul des mandats parlementaires avec d’autres fonctions rémunérées. Désormais, un parlementaire ne peut cumuler son mandat avec plus d’une seule fonction exécutive rémunérée.

Sous-section 3 : Le statut matériel des parlementaires

La rémunération des parlementaires belges a évolué considérablement depuis les débuts de la fonction, reflétant la professionnalisation progressive de la vie politique. Avant la révision de 1920, les députés ne recevaient qu’une modeste indemnité pour leurs déplacements, tandis que les sénateurs exerçaient leurs fonctions à titre gratuit. Cependant, avec la démocratisation du système, la rémunération des parlementaires a été jugée nécessaire pour refléter la réalité de leur charge de travail.

Evolution de l’indemnité parlementaire

Depuis 1920, les députés belges bénéficient d’une indemnité annuelle, initialement fixée à 12 000 francs, ainsi que du droit de voyager gratuitement sur les infrastructures publiques gérées par l’État. Les sénateurs, quant à eux, n’étaient pas initialement rémunérés mais seulement remboursés pour leurs frais. Toutefois, cette approche a rapidement montré ses limites, car la professionnalisation de la fonction politique nécessitait une rémunération adaptée, non seulement pour reconnaître le travail accompli, mais aussi pour éviter les conflits d’intérêts et réduire la tentation de cumuler plusieurs mandats rémunérés.

L’indemnité parlementaire a été revue à plusieurs reprises. Actuellement, elle est alignée sur le salaire d’un conseiller d’État. Bien que cette indemnité soit soumise à l’impôt, une réforme importante est intervenue en 1995, avec la suppression de l’allocation forfaitaire de 50 % pour les charges professionnelles. Cette mesure, censée apporter plus de transparence et aligner le traitement des parlementaires sur celui des autres citoyens, a suscité des critiques, notamment parce qu’elle ne tenait pas compte des charges spécifiques et importantes liées à la fonction parlementaire.

Transparence et cumul des mandats

Le niveau de rémunération des parlementaires belges n’étant pas particulièrement élevé, cela a conduit certains d’entre eux à chercher des compléments de revenus par le biais de mandats complémentaires. Cela a incité le législateur à adopter plusieurs réformes visant à mieux encadrer les cumuls de mandats, notamment par la loi du 2 mai 1995, qui impose aux parlementaires de déclarer leur patrimoine et les fonctions dirigeantes qu’ils occupent dans diverses structures.

Cette loi, adoptée avant les élections de 1995, a marqué une étape importante dans la transparence politique en Belgique, même si sa mise en œuvre a été ralentie par un manque de précision concernant les modalités d’application. Ce n’est qu’en 2004, avec l’adoption des lois spéciales et ordinaires, que ce cadre législatif a enfin pu entrer en vigueur.

Régulation de l’absentéisme et harmonisation des statuts

Afin de lutter contre l’absentéisme des députés, une résolution adoptée en 1993 par la Chambre des représentants lie le montant de l’indemnité à la présence effective des députés lors des votes en séance plénière. De plus, les réformes de 1993 ont uniformisé, dans une certaine mesure, le statut des membres des assemblées législatives régionales et communautaires, en alignant leurs indemnités sur celles des députés fédéraux. Si un parlementaire siège dans plusieurs assemblées, il peut cumuler les indemnités à condition que le montant total ne dépasse pas celui de l’indemnité d’un député de la Chambre des représentants.

Sous-section 4 : La protection des membres des assemblées législatives

§ 1 – La protection absolue des membres des assemblées législatives

La protection absolue des membres des assemblées législatives, telle que définie dans l’article 58 de la Constitution belge, assure une irresponsabilité complète aux parlementaires pour les opinions émises et les votes effectués dans l’exercice de leurs fonctions. Cela signifie qu’ils ne peuvent être poursuivis ni juridiquement ni disciplinement pour les actes accomplis dans le cadre de leurs activités parlementaires.

Limites de l’irresponsabilité

L’irresponsabilité s’applique uniquement aux opinions et votes émis dans le cadre de l’exercice direct du mandat parlementaire. Cela exclut les discours tenus en dehors du parlement, tels que lors de réunions politiques, congrès, ou meetings publics. Ces propos, bien qu’ils puissent relever d’une dimension politique, ne sont pas couverts par la protection constitutionnelle.

L’exemple du député Jean-Pierre Van Rossem en 1993, lorsqu’il a scandé « Vive la République d’Europe ; Vive Julien Lahaut » durant la prestation de serment du Roi Albert II, illustre bien cette problématique. En tant que parlementaire, Van Rossem bénéficiait de l’immunité pour ces propos, car ils ont été tenus dans le cadre d’une session parlementaire et relèvent donc de l’exercice de son mandat.

Pouvoir disciplinaire interne

Cependant, l’immunité constitutionnelle ne s’étend pas aux sanctions disciplinaires que peut infliger le président de l’assemblée. Celui-ci dispose d’un pouvoir de police pour maintenir l’ordre et le bon déroulement des séances. Dans le cas de Van Rossem, ses propos, bien qu’assimilables à une expression d’opinion, ont perturbé le déroulement normal de la séance. Le président de la Chambre est donc en droit de prendre des mesures disciplinaires, telles que lui couper la parole, voire l’exclure temporairement de l’hémicycle.

Toutefois, la proportionnalité des mesures est essentielle. Une sanction disciplinaire disproportionnée, comme le fait de placer un député aux arrêts, dépasse les prérogatives habituelles du président de l’assemblée. Le pouvoir de police doit se limiter au maintien de l’ordre dans l’hémicycle, sans excéder les actions requises pour restaurer le calme.

En conclusion, la protection de l’article 58 vise à garantir une liberté d’expression totale au sein des débats parlementaires, mais elle n’exonère pas les parlementaires des règles d’ordre imposées par l’assemblée, ni de sanctions disciplinaires lorsque celles-ci sont justifiées et proportionnées.

§ 2 – La protection relative des membres des assemblées législatives

La protection relative des membres des assemblées législatives a été significativement révisée en 1997, ce qui a profondément modifié l’immunité parlementaire en Belgique. Cette réforme a cherché à équilibrer la protection des parlementaires avec la nécessité de permettre aux autorités judiciaires de mener des enquêtes tout en évitant que l’activité parlementaire soit paralysée par des poursuites potentielles.

Évolution du système d’immunité

L’immunité parlementaire en Belgique a beaucoup évolué et, depuis la révision de 1997, elle a été progressivement restreinte, au point où certains la qualifient de « peau de chagrin ». Avant cette réforme, les parlementaires bénéficiaient d’une protection quasi-absolue : hors des cas de flagrant délit, ils ne pouvaient être ni poursuivis ni arrêtés pendant la session parlementaire sans l’autorisation de leur assemblée. Cette immunité, prévue à l’ancien article 59 de la Constitution, avait pour objectif de préserver les activités parlementaires des interférences judiciaires qui pourraient perturber les travaux législatifs.

Limites et critiques avant la révision de 1997

Le système en place avant 1997 était l’objet de nombreuses critiques. L’une des principales difficultés résidait dans la délimitation des actions judiciaires qui pouvaient être entreprises sans l’autorisation préalable de l’assemblée. En théorie, les autorités judiciaires pouvaient enquêter et recueillir des informations, mais toute action dirigée spécifiquement contre un parlementaire nécessitait une levée de l’immunité. Cette distinction était source de confusion, notamment lorsqu’un parlementaire était entendu en tant que témoin dans une affaire qui ne le concernait pas directement, ou quand il était interrogé sur des faits délictueux le concernant, même avec son consentement.

En pratique, les mesures d’instruction telles que les perquisitions ou les saisies posaient également des problèmes. Dans l’affaire André Cools de 1992, le juge d’instruction Jean Ancia a procédé à des perquisitions au domicile de certains parlementaires, dont celui de Jean-Maurice Léonard. Ces perquisitions furent annulées par la chambre des mises en accusation car elles visaient, même indirectement, des parlementaires. Cette affaire illustre la complexité des limites de l’immunité parlementaire.

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation a clarifié en partie l’interprétation de l’article 59, affirmant que l’immunité parlementaire ne pouvait pas bénéficier à des tiers. Autrement dit, les poursuites judiciaires contre des personnes non parlementaires pouvaient se dérouler sans entrave, même si elles concernaient des parlementaires indirectement impliqués. Cependant, dès que les actes d’enquête visaient directement un parlementaire, la protection constitutionnelle s’appliquait pleinement.

Les tempéraments à l’immunité

Malgré la protection solide dont bénéficiaient les parlementaires, il existait certains tempéraments à cette immunité. Par exemple, un parlementaire pouvait demander à un magistrat de recueillir ses déclarations sans toutefois être interrogé, et il pouvait également être invité à fournir des explications à l’initiative du procureur général via le président de l’assemblée.

Évolutions après la réforme de 1997

La révision de 1997 a sensiblement réduit les protections offertes par l’immunité parlementaire. Aujourd’hui, des actes d’instruction, y compris des interrogatoires, des perquisitions, ou des mandats d’amener, peuvent être réalisés sans la levée préalable de l’immunité, sous certaines conditions. En revanche, la levée de l’immunité reste nécessaire pour toute arrestation ou citation directe devant une juridiction pénale.

Les limitations des pouvoirs judiciaires lorsqu’il s’agissait d’enquêter sur des parlementaires avant la révision de l’article 59 de la Constitution belge en 1997 créaient des situations problématiques. Les autorités judiciaires, confrontées à une incapacité d’enquêter pleinement sans autorisation préalable de l’assemblée, voyaient leurs enquêtes paralysées. Cela engendrait deux principaux inconvénients :

  1. L’exposition médiatique et politique du parlementaire : même en cas de refus de levée d’immunité, le simple fait qu’un parlementaire fasse l’objet d’une demande de levée pouvait ternir sa réputation. Cette situation mettait les parlementaires sous les feux de la critique publique.
  2. Le manque de preuves concrètes : les autorités judiciaires devaient présenter des indices de culpabilité suffisants pour justifier la levée de l’immunité parlementaire, mais sans pouvoir mener des enquêtes complètes, elles étaient souvent placées dans une situation inconfortable. Ainsi, elles risquaient de ne pas obtenir les éléments nécessaires pour convaincre l’assemblée de l’opportunité des poursuites.

Cette dynamique malsaine affectait également les commissions des poursuites, car elles se trouvaient prises entre deux choix peu satisfaisants. Si elles n’avaient accès qu’à une partie des éléments, cela portait atteinte aux droits de la défense. Si elles examinaient tout le dossier, elles risquaient de se transformer en une quasi-juridiction, brouillant ainsi la frontière entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif.

La multiplication des affaires de levée d’immunité a conduit à la révision de l’article 59 de la Constitution en 1997. Ce nouvel article a introduit une réforme en trois catégories :

Cas pratique et interprétaion

L’affaire Patrick Moriau, impliquant la mise en œuvre de l’article 59 de la Constitution belge, a révélé plusieurs difficultés d’interprétation, notamment en ce qui concerne la gestion de l’immunité parlementaire dans le cadre des poursuites judiciaires.

En 1997, sous l’ancien régime de l’article 59, la Chambre des représentants avait autorisé des poursuites contre Moriau, tout en stipulant qu’il ne pouvait ni être arrêté ni renvoyé devant une juridiction de jugement sans une nouvelle intervention parlementaire. Cependant, avec la révision de 1997, un nouveau cadre a été introduit. Désormais, l’immunité parlementaire n’implique plus une simple levée de l’immunité, mais nécessite une autorisation explicite pour que le parlementaire soit cité ou renvoyé devant une juridiction de jugement.

Interprétation de la nouvelle procédure en 2001

En 2001, le procureur général près la Cour d’appel de Liège a sollicité la levée de l’immunité parlementaire de Patrick Moriau, conformément à ce nouveau cadre. La Chambre a autorisé les poursuites, mais la manière dont la demande a été formulée n’était pas totalement conforme aux nouvelles exigences. Une irrégularité aurait pu être soulevée par Moriau s’il avait été attrait devant une juridiction de jugement durant cette session parlementaire, ce qui ne fut pas le cas.

En 2002, le procureur général a de nouveau demandé à la Chambre de se prononcer pour pouvoir renvoyer Moriau devant une juridiction. Cette fois-ci, la Chambre a rejeté la demande, estimant à juste titre que cette décision appartenait aux autorités judiciaires, et non à elle-même.

Arguments en faveur du renouvellement de l’autorisation

Trois arguments soutiennent l’idée qu’il est nécessaire de renouveler l’autorisation à chaque session parlementaire :

  1. Le retard dans les poursuites peut inciter l’assemblée à remettre en question les intentions des autorités judiciaires. Tant que la Chambre n’est pas saisie, l’instruction peut rester discrète. En revanche, une demande d’autorisation rendra publiques les poursuites, portant potentiellement atteinte à la réputation du parlementaire.
  2. La protection relative vise à garantir le bon fonctionnement de l’assemblée pendant la session parlementaire. Reconsidérer la position à chaque session apparaît donc logique.
  3. L’article 59 établit une corrélation étroite entre l’autorisation délivrée par l’assemblée et le moment où elle est requise, ce qui implique qu’une nouvelle demande peut être nécessaire.

Difficulté liée à l’interprétation des procédures

Lors de la nouvelle demande en 2002, la Chambre a jugé que la demande d’autorisation était prématurée, car elle avait été formulée avant que la chambre du conseil ne soit saisie du dossier. Cette situation a révélé un désaccord sur l’interprétation de la procédure : le collège des procureurs généraux estimait qu’il fallait demander une autorisation préalable pour tout renvoi éventuel, tandis que la Chambre, se basant sur une position commune des présidents des assemblées, a considéré qu’aucune autorisation n’était requise tant que le parlementaire n’avait pas été formellement renvoyé devant une juridiction de jugement.

Conclusion et leçons

L’affaire Moriau a mis en évidence les ambiguïtés de l’article 59. D’un côté, il est nécessaire que l’autorisation délivrée ait un effet utile ; d’un autre côté, elle ne doit pas intervenir inutilement si la juridiction d’instruction décide finalement de ne pas poursuivre. Ce débat met en lumière les tensions entre le respect de l’immunité parlementaire et les exigences d’une justice transparente et efficace.

Critiques du système actuel

Le régime d’immunité révisé continue de soulever plusieurs critiques.

  1. Durée des enquêtes : les enquêtes peuvent prendre plusieurs années, ce qui expose les parlementaires à une insécurité juridique pendant une longue période, ce qui peut affecter leur capacité à exercer sereinement leur mandat.
  2. Absence de contrôle parlementaire suffisant : bien que le système ait cherché à réduire la mainmise du pouvoir judiciaire sur les parlementaires, il n’offre pas de protection suffisante contre les risques d’abus ou de poursuites vexatoires.
  3. Complexité du rôle des assemblées : l’intervention des assemblées est limitée, ce qui pose des problèmes d’efficacité. Les assemblées se retrouvent souvent à jouer un rôle marginal ou symbolique, sans véritable contrôle substantiel sur les décisions judiciaires concernant leurs membres.

Le parlementaire poursuivi dispose de la possibilité, à n’importe quel stade de l’instruction, de demander à l’assemblée de suspendre les poursuites à son encontre. Cette disposition, qui fait suite aux travaux préparatoires de la réforme de l’article 59, est justifiée si le parlementaire estime que les poursuites sont « irresponsables ou vexatoires ». Dans ce cas, il doit apporter des arguments convaincants pour étayer sa demande. Cependant, cette décision doit être prise par une majorité qualifiée des deux tiers des membres de l’assemblée, ce qui témoigne d’un renversement du système par rapport aux anciennes règles. Autrefois, toute poursuite contre un parlementaire nécessitait l’autorisation préalable de l’assemblée, tandis que désormais, les poursuites peuvent être engagées librement sauf si une majorité qualifiée décide de leur suspension.

L’assemblée peut également, comme par le passé, suspendre les poursuites ou la détention d’un parlementaire dans des situations particulières, comme celles prenant place durant les vacances parlementaires ou entre deux législatures, ou encore en cas de flagrant délit. Dans ces cas, une majorité ordinaire suffit pour prendre une décision.

Critiques du régime actuel

Le régime actuel, malgré les modifications introduites, reste sujet à de nombreuses critiques. Premièrement, il ne correspond plus à la finalité originelle de l’immunité parlementaire, qui visait principalement à assurer le bon fonctionnement de l’institution parlementaire en protégeant les membres des assemblées des pressions externes. Une enquête judiciaire peut s’étaler sur de longues périodes, ce qui peut déstabiliser le parlementaire poursuivi et affecter l’exercice de son mandat.

Deuxièmement, le fait que les autorités judiciaires puissent, sans aucun contrôle parlementaire, conduire des enquêtes et prendre des mesures contre un parlementaire sans autorisation soulève des questions. Le principe même de l’immunité parlementaire avait été conçu pour éviter des abus judiciaires ou des enquêtes qui pourraient être motivées par des raisons politiques. Le risque existe que des procédures vexatoires ou arbitraires soient menées à l’encontre de parlementaires, sans que ceux-ci bénéficient de protections suffisantes.

Problèmes d’interprétation et de clarté

L’une des principales critiques porte également sur le manque de clarté quant au rôle exact de l’assemblée lorsqu’elle est saisie d’une demande de levée d’immunité. Si l’assemblée se contente de faire un contrôle minimal et autorise systématiquement les poursuites, alors son rôle devient presque symbolique. En revanche, si elle se lance dans un examen approfondi du dossier, elle risque de se transformer, contre son gré, en une juridiction parallèle, ce qui serait contraire à la séparation des pouvoirs.

Dans certains cas, comme celui évoqué où la Chambre des représentants a été confrontée à des incriminations mal définies à l’encontre d’un parlementaire, elle a été contrainte de clarifier elle-même les infractions qui faisaient l’objet de la demande de poursuite, ce qui illustre le flou persistant autour des modalités de l’application de l’article 59.

Section 2 : L’organisation des assemblées législatives

Sous-section 1 : Les groupes linguistiques

Par déf., l’existence de groupes linguistiques est subordonnée au caractère bicommunautaire de l’assemblée.

§ 1 – Les groupes linguistiques au Parlement fédéral

L’article 43 de la Constitution belge organise la répartition des membres élus de chaque chambre parlementaire en groupes linguistiques distincts : un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais, selon des modalités précises établies par la loi. La loi du 3 juillet 1971 formalise cette répartition, qui repose sur deux types de critères : objectifs et subjectifs.

  1. Critère objectif : L’appartenance à un groupe linguistique est avant tout déterminée par la circonscription électorale d’où proviennent les députés. Ainsi, les élus francophones ou néerlandophones des régions linguistiquement homogènes rejoignent automatiquement le groupe correspondant. Par exemple, les députés de la Province de Liège, y compris ceux qui sont germanophones, font partie du groupe linguistique français.
  2. Critère subjectif : Un traitement particulier est réservé aux députés de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Ici, les élus choisissent leur groupe linguistique en fonction de la langue dans laquelle ils prêtent serment. Si un parlementaire prête serment dans les deux langues, c’est la première langue utilisée qui détermine son appartenance linguistique.

En ce qui concerne les sénateurs, leur appartenance à un groupe linguistique est désormais fixée exclusivement par un critère objectif. Par exemple, les sénateurs élus par le collège électoral français ou par le Parlement de la Communauté française appartiennent au groupe linguistique français, tandis que ceux du collège électoral néerlandais et du Parlement flamand sont rattachés au groupe néerlandais. Un sénateur élu par le Parlement de la Communauté germanophone est, cependant, exclu de cette répartition en groupes linguistiques.

Rôle des groupes linguistiques

Ces groupes linguistiques, bien que structurés autour de l’identité communautaire, n’ont qu’une fonction instrumentale. Ils sont utilisés dans certains cas bien définis par la Constitution, notamment pour :

Avant la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, les groupes linguistiques facilitaient également la répartition des députés et des sénateurs élus directement entre les différents parlements régionaux et communautaires. Ils assurent ainsi un équilibre délicat entre les communautés francophone et néerlandophone dans la gestion des affaires fédérales, tout en contribuant à la protection des droits linguistiques et communautaires.

§ 2 – Les groupes linguistiques dans les institutions bruxelloises

À Bruxelles, l’article 136 de la Constitution et la loi spéciale du 12 janvier 1989 régissent également les groupes linguistiques au sein des institutions. Les membres du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale sont répartis en groupes linguistiques francophone et néerlandophone, et cette division s’applique aussi aux commissions communautaires. Ils forment, lorsqu’ils sont réunis, l’assemblée de la Commission communautaire commune.

L’appartenance linguistique des membres du Parlement bruxellois repose également sur un système à double critère :

Les groupes linguistiques bruxellois interviennent dans des domaines spécifiques, notamment :

Sous-section 2 : Les groupes politiques

Les groupes politiques dans les assemblées législatives belges sont composés des membres qui appartiennent à une même formation politique. Toutefois, les règles de constitution et de reconnaissance de ces groupes diffèrent d’une assemblée à l’autre.

Conditions de formation des groupes politiques

En général, les règlements internes des différentes assemblées parlementaires (telles que le Parlement régional de Bruxelles, le Parlement de la Communauté française et le Parlement wallon) fixent les conditions pour qu’un groupe politique soit reconnu. Ces groupes sont essentiels à la structuration du travail parlementaire. Ils jouent notamment un rôle clé dans :

Cependant, un aspect particulier mérite d’être souligné : la reconnaissance des groupes politiques peut être refusée ou retirée si l’un de leurs membres est condamné sur la base de la loi de 1981 qui réprime les actes inspirés par le racisme et la xénophobie. Cette disposition a été introduite pour éviter que des partis ou groupes politiques qui se rendraient coupables de tels actes ne bénéficient de la reconnaissance institutionnelle ni de financement.

Le cas du Vlaams Blok (VB)

En 2004, le Vlaams Blok (VB) a été condamné pour racisme et xénophobie à la suite des arrêts de la Cour d’appel de Gand et de la Cour de cassation, en raison des actions de ses associations satellites. Pour éviter la perte de sa dotation publique, le parti a changé de nom pour devenir le Vlaams Belang. Le Parlement flamand se trouvait alors face à deux options :

  1. Considérer le Vlaams Belang comme une continuation du Vlaams Blok, ce qui aurait conduit à la suppression de la dotation.
  2. Considérer qu’il s’agissait d’une nouvelle entité politique, non présente aux élections précédentes, ce qui l’aurait exclue du financement parlementaire.

Finalement, le Parlement flamand n’a pas tranché clairement entre ces deux options, laissant ainsi le Vlaams Belang poursuivre ses activités sans sanctions immédiates sur le plan de la dotation.

Importance des groupes politiques

Bien que les groupes politiques ne soient pas explicitement mentionnés dans la Constitution, ils sont d’une importance capitale dans la gestion quotidienne des assemblées législatives. Ils structurent non seulement les relations entre les membres mais influencent aussi la dynamique des travaux parlementaires, le financement des activités politiques, et la représentation dans les organes de décision des parlements.

Sous-section 3 : Les commissions

Les commissions parlementaires sont des organes restreints constitués pour faciliter le travail législatif et contrôler l’action gouvernementale. Elles sont composées selon un principe de représentation proportionnelle des groupes politiques siégeant au sein de l’assemblée, garantissant ainsi une représentation équitable de toutes les tendances politiques.

Les commissions jouent un rôle crucial dans la préparation des lois, puisqu’elles permettent une discussion plus approfondie et technique que celle possible en séance plénière. Elles sont aussi des lieux privilégiés pour le contrôle du gouvernement, à travers l’audition de ministres, d’experts, ou de représentants de l’administration.

Sous-section 4 : Les médiateurs parlementaires

De nombreuses assemblées législatives, tant au niveau fédéral qu’au niveau des communautés et régions, se sont dotées de médiateurs parlementaires, inspirés de l’institution de l’ombudsman scandinave. Ces médiateurs jouent un rôle clé en examinant les plaintes déposées par des particuliers concernant des dysfonctionnements administratifs. Ils agissent de manière indépendante du pouvoir exécutif et se concentrent sur des injustices liées à la mauvaise gestion administrative, que l’on appelle maladministration.

Caractéristiques des médiateurs :

  1. Indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.
  2. Examen des réclamations des particuliers.
  3. Recherche de solutions en équité, sans pour autant attribuer des responsabilités juridiques strictes ou établir des fautes.

Au niveau fédéral, il existe deux médiateurs, un francophone et un néerlandophone, qui travaillent de manière collégiale. Leur mission principale est de favoriser une conciliation entre les citoyens et l’administration, en proposant des ajustements ou des recommandations aux autorités compétentes, sans pour autant imposer des sanctions.

Originalités du médiateur en Communauté française

La Communauté française a mis en place un régime particulier avec le décret du 20 juin 2002, qui accorde au médiateur certaines prérogatives spécifiques :

Cela soulève toutefois des questions constitutionnelles, notamment concernant la possibilité pour le médiateur de suggérer des exceptions ou des adaptations à des lois rigides. Certains comme P.-Y. Monette estiment que le médiateur peut, dans certains cas, recommander une souplesse dans l’exécution des lois pour éviter une injustice flagrante. Cependant, cette approche pose problème en droit constitutionnel, car elle pourrait aller à l’encontre de l’article 33 de la Constitution belge, qui prévoit que l’exercice du pouvoir doit se faire dans le cadre légal établi par la Constitution. De plus, l’article 108 interdit au Roi, ou à toute autre autorité, de suspendre l’exécution des lois.

Sous-section 5 : Les organes et le personnel des assemblées

L’article 52 de la Constitution belge prévoit l’existence du bureau dans les assemblées législatives, garantissant le bon déroulement des travaux parlementaires. Au début de chaque session, un bureau provisoire est formé sous la présidence du doyen d’âge, accompagné des plus jeunes membres qui assument les fonctions de secrétaires ou de scrutateurs. Ce bureau provisoire est chargé de la vérification des pouvoirs des élus.

Le président de l’assemblée, également mentionné dans l’article 52, joue un rôle clé dans la gestion des débats parlementaires. Il représente l’assemblée à l’extérieur, dirige les travaux, fait appliquer le règlement, accorde la parole et annonce les résultats des votes. Il peut, si nécessaire, rappeler les parlementaires à l’ordre ou ordonner l’expulsion de manifestants perturbateurs. Les vice-présidents remplacent le président en cas d’empêchement, et les secrétaires ont un rôle plus administratif, en veillant à la rédaction des procès-verbaux et à la vérification des votes.

Chaque assemblée dispose aussi d’un greffier, un fonctionnaire permanent occupant le poste de secrétaire général, qui ne fait pas partie du personnel parlementaire élu. Enfin, une administration spécifique est attachée à chaque assemblée, avec un statut propre, distinct de celui des agents de l’État.

Protection des droits des agents parlementaires

Pendant longtemps, les agents des assemblées législatives disposaient de moyens limités pour faire valoir leurs droits en dehors de l’enceinte parlementaire. Cela a été mis en lumière avec l’affaire De Meester de Betzenbroeck, où un agent du Parlement de Bruxelles-Capitale avait été privé de la possibilité de figurer sur la liste de recrutement en raison de son échec à une épreuve linguistique. Le Conseil d’État avait été saisi pour annuler cette décision, mais l’affaire a soulevé des questions sur la protection des droits des fonctionnaires parlementaires.

La Cour d’arbitrage (devenue depuis la Cour constitutionnelle) a jugé dans son arrêt 31/96 que bien que l’indépendance des assemblées législatives soit fondamentale, cette indépendance ne devait pas priver les fonctionnaires parlementaires de tout recours juridictionnel. Elle a estimé que l’absence de telles garanties violait le principe d’égalité et nécessitait une intervention législative pour établir des protections spécifiques.

Le législateur a répondu en modifiant l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, permettant à cette juridiction de connaître des recours en annulation relatifs aux décisions des assemblées parlementaires concernant leur personnel et les marchés publics.

Cependant, cette réforme n’a pas totalement résolu les problèmes. Par exemple, dans l’affaire Brouillard, un candidat non retenu pour un emploi au Parlement s’est vu refuser le recours sous prétexte qu’il ne faisait pas encore partie du personnel. La Cour d’arbitrage a jugé cela discriminatoire et souligné une carence législative persistante, appelant à des réformes plus complètes pour garantir les droits des candidats extérieurs aux assemblées.

Sous-section 6 : L’organisation du Parlement dans le temps

Le Parlement fonctionne selon trois périodes principales : la législature, les sessions et les séances.

Section 3 : Les fonctions des assemblées législatives

Les fonctions des assemblées législatives vont bien au-delà de la simple adoption de lois. Elles ont deux principales missions : la fonction législative et la fonction de contrôle, auxquelles s’ajoutent d’autres attributions d’ordre administratif.

Outre ces missions principales, les attributions spécifiques suivantes sont également exercées :

Enfin, les assemblées jouissent d’une autonomie institutionnelle, ce qui leur permet de s’autogérer en prenant des décisions sur l’administration interne de leurs services et de leur personnel. Cette autonomie est essentielle pour assurer la séparation des pouvoirs et garantir l’indépendance du pouvoir législatif vis-à-vis des autres pouvoirs.

Sous-section 1 : La fonction législative

§ 1 – La norme législative – notion

Les termes loi, décret et ordonnance peuvent être compris de deux manières, selon leur sens formel ou matériel.

Ces trois caractéristiques se retrouvent aussi bien dans les actes législatifs formels que dans d’autres actes non législatifs comme les arrêtés réglementaires ou les décisions des autorités locales (arrêtés provinciaux et communaux).

§ 2 – Le champ d’application de la norme législative

Le champ d’application des normes législatives est défini par des compétences positives et des compétences négatives :

Les matières réservées au législateur visent généralement 4 objectifs :

  1. Assurer la séparation des pouvoirs : En attribuant certaines compétences au législatif, on empêche que d’autres branches de l’État n’interfèrent dans ces domaines.
  2. Établir la primauté d’un niveau de pouvoir : Cela peut concerner, par exemple, la primauté du niveau fédéral ou régional selon les domaines.
  3. Réglementer les domaines d’intérêt global : Le législateur est souvent chargé de définir des règles d’importance nationale ou régionale qui ne sont pas directement prévues dans la Constitution.
  4. Protéger les citoyens contre l’arbitraire : Le législateur doit également veiller à fixer les limites à l’exercice du pouvoir, garantissant ainsi les droits des citoyens.

Deux types de formulations législatives

La Constitution et les lois spéciales confient au législateur deux types de compétences :

  1. Mesures qui doivent être prises par la loi : Le législateur doit directement intervenir, comme dans le cas de la fixation de sanctions pénales.
  2. Mesures qui peuvent être prises en vertu de la loi : Ici, la loi ne doit pas nécessairement énoncer toutes les dispositions, mais doit en être le fondement. Un exemple est l’établissement des sanctions pénales, qui doivent trouver leur base dans la loi, conformément à l’article 14 de la Constitution.

En conclusion, le législateur (qu’il soit fédéral, régional ou communautaire) possède une compétence générale. Il peut intervenir dans toutes les matières sauf celles qui sont explicitement réservées à d’autres autorités par la Constitution ou les lois spéciales.

§ 3 – La procédure d’élaboration de la norme législative

L’initiative législative au niveau fédéral et au sein des entités fédérées en Belgique peut être exercée par plusieurs acteurs :

  1. Au niveau fédéral, l’initiative appartient à trois acteurs :

    Quand l’initiative émane du Roi (ou du gouvernement), il s’agit de projets de loi. En revanche, quand elle provient d’un ou plusieurs membres de la Chambre ou du Sénat, il s’agit de propositions de loi.

  2. Au sein des entités fédérées, c’est-à-dire dans les régions et les communautés, l’initiative législative est exercée par :

    Là encore, quand l’initiative provient du gouvernement, il s’agit de projets de décret ou d’ordonnance. Si elle émane d’un ou plusieurs membres de l’assemblée législative régionale ou communautaire, on parle de proposition de décret ou d’ordonnance.

Phases de la procédure d’élaboration législative

La procédure comporte généralement trois grandes phases, qui varient selon l’initiateur du texte :

  1. Phase préparlementaire (uniquement lorsque l’initiative vient du gouvernement) :Cette phase inclut la rédaction de l’avant-projet par l’administration ou d’autres organismes mandatés, suivi de la délibération au sein du gouvernement concerné, et la consultation de la section de législation du Conseil d’État.
  2. Phase parlementaire : Une fois le projet ou la proposition déposée, le texte est examiné par l’assemblée compétente. Il fait l’objet de débats en commission et en séance plénière avant d’être voté.
  3. Phase postparlementaire : Après son adoption, le texte doit être promulgué et publié pour entrer en vigueur. Au niveau fédéral, cette phase inclut la signature du Roi.

A. La phase préparlementaire

1. L’élaboration de l’avant-projet

Lorsque l’initiative législative émane du Roi (au niveau fédéral) ou du gouvernement régional ou communautaire, la première étape consiste à élaborer un texte de base appelé avant-projet. Cette mission n’est pas encadrée de manière rigide et peut être assurée par différents acteurs :

2. La délibération de l’avant-projet

Une fois l’avant-projet élaboré, il doit être soumis à une délibération au sein du gouvernement concerné. Cette étape de concertation se déroule :

3. Consultation de la section de législation du Conseil d’État

L’avant-projet est ensuite soumis à la section de législation du Conseil d’État pour avis. Cette consultation est obligatoire pour les textes à portée normative. Le Conseil d’État examine :

Cependant, la consultation du Conseil d’État n’est pas nécessaire pour certains projets non normatifs, comme les textes relatifs aux budgets, comptes publics, emprunts, opérations domaniales ou au contingent militaire.

4. Adoption définitive du projet

L’avant-projet est ensuite adopté définitivement par l’organe exécutif :

Cette procédure garantit que les projets de loi, décrets ou ordonnances font l’objet d’une préparation rigoureuse avant d’être soumis au débat parlementaire.

B. La phase parlementaire

1. L’initiative parlementaire et la prise en considération

Les parlementaires (députés, sénateurs, membres des conseils régionaux et communautaires) ont la possibilité de soumettre des propositions de loi, de décret ou d’ordonnance. Le dépôt de ces propositions est une manifestation importante du rôle législatif des assemblées, même si beaucoup de ces initiatives n’aboutissent pas. En effet, souvent, ces propositions sont davantage un outil politique, servant à marquer une position ou à répondre à des préoccupations électorales, plutôt qu’à générer une véritable législation.

Avant que ces propositions puissent être débattues, elles doivent faire l’objet d’une prise en considération. Cette étape permet à l’assemblée de décider si le texte proposé mérite un débat ultérieur. Lors de ce vote, les membres de l’assemblée ne se prononcent pas sur le contenu du texte, mais simplement sur la pertinence d’ouvrir un débat sur le sujet. Dans certains cas, le refus de la prise en considération permet d’écarter des propositions jugées inconstitutionnelles ou indésirables par l’assemblée.

Par ailleurs, la section de législation du Conseil d’État peut être consultée pour donner un avis sur une proposition de loi, de décret ou d’ordonnance. Cet avis, qui porte sur la légistique et la compatibilité avec d’autres normes juridiques, a la même valeur que celui donné pour les projets de loi émanant du gouvernement.

2. Le débat en commission

Une fois prises en considération, les propositions de loi, de décret ou d’ordonnance, ainsi que les projets soumis par le gouvernement, sont renvoyés en commission parlementaire compétente. C’est au sein de ces commissions que se déroule l’essentiel du travail législatif.

Le débat en commission se divise en deux phases :

Durant ces débats, le droit d’amendement permet aux parlementaires et au gouvernement de proposer des modifications, des ajouts ou des suppressions aux articles du texte. Si ce droit est bien établi au niveau parlementaire, il est aussi accordé aux membres du gouvernement. Ces derniers peuvent soumettre des amendements malgré le fait que leur initiative ne prenne pas la forme d’un arrêté royal ou gouvernemental, mais simplement via des amendements signés.

Les débats en commission se déroulent généralement à huis clos, mais un rapport est rédigé par un membre de la commission assisté de fonctionnaires. Ce rapport, qui synthétise les discussions, est souvent une source précieuse d’interprétation et est publié dans les documents parlementaires.

3. La procédure de la sonnette d’alarme

La procédure de la sonnette d’alarme, prévue à l’article 54 de la Constitution belge, est un mécanisme visant à protéger l’équilibre communautaire dans les institutions fédérales. Elle permet à un groupe linguistique de suspendre l’adoption d’un texte législatif s’il estime que certaines dispositions menacent gravement les relations entre les communautés linguistiques du pays.

Conditions d’activation

Pour qu’une telle procédure soit déclenchée, plusieurs conditions de forme et de fond doivent être respectées :

Fonctionnement de la procédure

Lorsque la sonnette d’alarme est activée :

  1. La procédure parlementaire est suspendue.
  2. La motion est soumise au Conseil des ministres, qui a un délai de 30 jours pour rendre un avis motivé.
  3. Le Conseil peut proposer de modifier le projet ou la proposition de loi en question.
  4. L’assemblée législative concernée est ensuite invitée à se prononcer sur cet avis ou sur le projet modifié.

Cette procédure ne peut être utilisée qu’une seule fois pour un même texte par un groupe linguistique.

Exemple historique et portée

Un exemple notable de l’utilisation de la sonnette d’alarme au niveau fédéral a eu lieu en 1985, lorsque le groupe linguistique francophone de la Chambre a invoqué cette procédure à propos d’un projet de loi concernant l’intégration de l’Economische Hogeschool Limburg à l’Universitair Centrum Limburg. La motion invoquait une discrimination en matière de charges publiques. Le Conseil des ministres a émis un avis, mais le projet de loi n’a finalement pas été poursuivi en raison d’une crise politique sans rapport direct avec cette question.

Critiques et limites

Cette procédure suscite des questions quant à la séparation des pouvoirs, surtout lorsque le texte incriminé émane du gouvernement lui-même. En effet, le Conseil des ministres, qui est à l’origine de nombreux projets de loi, se retrouve à devoir arbitrer un différend sur ses propres textes. Certains y voient une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Cependant, lorsque la procédure s’applique à une proposition de loi (émise par des parlementaires et non par le gouvernement), l’intervention du Conseil des ministres peut jouer un rôle plus cohérent en tant qu’organe d’arbitrage, garantissant que le texte respecte l’équilibre communautaire.

4. Débat en séance plénière

La séance plénière constitue une phase clé dans l’adoption des projets ou propositions de lois, décrets ou ordonnances (L, D, O). Comme en commission, la discussion est divisée en deux étapes principales : la discussion générale et l’examen article par article.

Chaque article et amendement est soumis à un vote avant que l’ensemble du texte ne soit voté à la fin du processus.

5. Le vote

Le vote est l’aboutissement du processus législatif et suit les règles définies par la Constitution (article 53) et les lois spéciales telles que celle du 8 août 1980.

Quorum et majorité

Types de votes

L’article 55 de la Constitution prévoit trois modes de vote :

  1. Vote par assis et levé : Mode rapide utilisé lorsque la majorité est évidente. Il est anonyme.
  2. Vote par appel nominal : Chaque parlementaire exprime son choix en utilisant un système électronique (pour, contre, ou abstention), et les résultats sont affichés sur un tableau lumineux. Ce mode est souvent utilisé pour le vote final sur l’ensemble d’un texte.
  3. Scrutin secret : Utilisé principalement lors des élections internes ou pour des votes sensibles, le vote se fait alors par bulletin secret.

Le vote par assis et levé est généralement utilisé pour les articles individuels, tandis que le vote par appel nominal est réservé pour les décisions sur l’ensemble d’une loi ou à la demande d’un certain nombre de parlementaires.

C. La phase postparlementaire

1. La sanction

L’article 109 de la Constitution belge stipule que le Roi, en tant que chef de l’État, est responsable de la sanction et de la promulgation des lois. Dans les entités fédérées (régions et communautés), cette responsabilité est transférée aux gouvernements régionaux et communautaires.

La sanction est l’acte par lequel le Roi ou les gouvernements marquent officiellement leur accord sur un projet de loi, décret ou ordonnance voté par l’assemblée parlementaire compétente. Ce processus permet de transformer le texte voté en un acte formel du pouvoir législatif, nécessaire pour sa promulgation.

La sanction au niveau fédéral

Au niveau fédéral, la sanction est un acte politique qui engage la responsabilité ministérielle. En d’autres termes, le Roi n’agit pas de manière autonome ; ses actes sont toujours couverts par des ministres, qui partagent la responsabilité de la décision. Le texte sanctionné est contresigné par les ministres ou secrétaires d’État qui avaient appuyé le projet de loi.

Historiquement, la sanction royale est devenue une formalité automatique après le XIXe siècle, malgré quelques exceptions. Par exemple, le roi Baudouin Ier a refusé de sanctionner la loi de 1990 relative à la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse pour des raisons morales. Ce refus a entraîné une crise institutionnelle, résolue par une astuce constitutionnelle unique : le Roi a été déclaré momentanément dans l’incapacité de régner, ce qui a permis au gouvernement de sanctionner la loi en son nom.

Absence de délai pour la sanction

Il n’existe pas de délai prévu pour que le Roi sanctionne les lois. En théorie, cela pourrait permettre un blocage législatif, mais cela serait contraire aux principes constitutionnels belges. Un retard intentionnel dans la sanction pourrait être perçu comme un veto royal, ce qui serait incompatible avec le rôle du Roi en tant qu’autorité apolitique et constitutionnelle.

Réformes et crises

La crise de 1990 a soulevé la question de la possibilité pour le Roi de refuser de sanctionner une loi. Bien que plusieurs réformes aient été envisagées pour éviter la répétition de tels incidents, le modèle de la monarchie belge maintient le rôle du Roi comme une figure symbolique, avec ses actions politiques couvertes par le gouvernement.

2. La promulgation

La promulgation intervient au même moment que la sanction et constitue l’acte par lequel le Roi, ou les gouvernements régionaux et communautaires, atteste que la loi, le décret ou l’ordonnance ont été régulièrement votés et les rend exécutoires. Cet acte engage officiellement l’entrée en vigueur de la norme législative et marque son premier stade d’application. La promulgation est considérée comme le premier acte d’exécution de la loi et s’inscrit dans les prérogatives du pouvoir législatif exercé par le Roi ou les gouvernements régionaux et communautaires.

Elle permet aussi de couvrir les irrégularités procédurales potentielles survenues lors du processus de confection de la loi. Traditionnellement, il était admis que ces irrégularités ne pouvaient plus être contestées devant les juridictions une fois la loi promulguée. Cependant, cette vision a été nuancée par des évolutions récentes dans la législation et la jurisprudence. D’une part, la Cour constitutionnelle (anciennement Cour d’arbitrage) a désormais le pouvoir d’annuler une norme législative si elle constate que les procédures de concertation ou de collaboration entre les autorités fédérales, régionales et communautaires n’ont pas été respectées. D’autre part, la Cour constitutionnelle a vérifié dans certains cas si une loi avait bien été votée à la majorité requise (ordinaire ou spéciale).

3. La publication

Pour qu’une loi, un décret ou une ordonnance soit opposable aux citoyens, il ne suffit pas de les rendre exécutoires par la promulgation. Il faut également assurer leur publication officielle, qui se fait au Moniteur belge en français et en néerlandais. Cette publication est essentielle pour informer les citoyens et rendre la norme applicable à tous. En général, une loi devient obligatoire dix jours après sa publication, à moins qu’un autre délai ne soit explicitement fixé par le texte législatif.

Il est possible qu’une norme législative soit applicable avant sa publication pour ceux qui en ont connaissance, à condition que cela ne porte pas atteinte aux droits des tiers. Cependant, en règle générale, la norme ne peut produire d’effets contraignants sur les citoyens qu’à partir de sa publication officielle.

§ 3 – La classification des normes législatives

A. La classification en fonction du champ d’application de la norme

La classification des normes législatives en fonction de leur champ d’application repose sur deux critères principaux : le critère organique (l’auteur de la norme) et le critère matériel (le domaine de compétence couvert par la norme). En Belgique, il existe trois grands types de normes législatives : lois, décrets et ordonnances, chacun étant adopté par des organes législatifs distincts et régissant des domaines spécifiques.

1. Critère organique : l’auteur de la norme

Le critère organique fait référence à l’organe législatif qui adopte la norme. En fonction de l’institution qui légifère, on distingue trois types de normes :

2. Critère matériel : champ de compétence

Le critère matériel fait référence au domaine ou à la matière que la norme législative vise à réglementer. Selon le champ de compétence, les normes diffèrent en fonction de l’autorité qui les émet :

B. La classification en fonction des majorités requises pour l’adoption d’une norme législative

1. Les normes législatives ordinaires

L’expression « loi ordinaire » en Belgique, bien qu’usuellement utilisée, n’a pas de sens juridique précis par elle-même. Depuis la révision constitutionnelle de 1970, elle fait référence aux lois adoptées par les Chambres fédérales à la majorité absolue des suffrages, conformément à l’article 53 de la Constitution belge. Cette expression s’oppose à celle de « loi spéciale », qui, elle, nécessite une majorité spéciale lors de son adoption.

1. Lois ordinaires vs Lois spéciales

Les lois ordinaires concernent la majorité des matières régies par le niveau fédéral. Elles sont adoptées selon une procédure de majorité absolue, ce qui signifie qu’une loi est adoptée si elle obtient plus de 50 % des suffrages exprimés par les parlementaires présents. Ce type de loi est commun pour les matières classiques du droit fédéral.

En revanche, les lois spéciales nécessitent des majorités plus strictes en raison de leur portée souvent plus fondamentale dans l’organisation de l’État. Introduites en 1970, les lois spéciales doivent satisfaire à trois conditions cumulatives :

Ces lois spéciales sont souvent utilisées pour des matières sensibles, comme la répartition des compétences entre les entités fédérées ou les règles concernant l’emploi des langues.

2. Décrets ordinaires vs Décrets spéciaux

Jusqu’à la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, tous les décrets (normes législatives des communautés et régions) étaient adoptés à la majorité ordinaire. Cela signifiait que, comme les lois ordinaires, ils devaient simplement être adoptés à la majorité absolue.

La révision constitutionnelle de 1993 a introduit des décrets spéciaux pour certaines matières régionales ou communautaires. Un décret spécial requiert une majorité plus stricte que les décrets ordinaires, suivant un modèle similaire à celui des lois spéciales au niveau fédéral. Ces décrets spéciaux peuvent être nécessaires, par exemple, pour transférer des compétences entre les communautés et les régions.

Un exemple notable concerne la Communauté française, qui peut, par décret spécial, transférer tout ou partie de ses compétences au Conseil régional wallon ou au groupe linguistique français du Parlement bruxellois. Ce mécanisme de transfert de compétences ne peut être mis en œuvre que si les organes récepteurs acceptent ces compétences par un décret ordinaire.

3. Ordonnances ordinaires vs Ordonnances spéciales

En ce qui concerne les ordonnances, qui sont les normes législatives adoptées au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Commission communautaire commune (Cocom), deux types existent :

2. Les lois spéciales, les décrets spéciaux et les ordonnances

En Belgique, l’adoption de certaines normes législatives requiert des règles particulières de quorum et de majorité, en particulier pour les lois spéciales, les décrets spéciaux et les ordonnances. Ces règles sont essentielles pour assurer une cohabitation harmonieuse entre les différentes communautés linguistiques et pour gérer des matières sensibles liées à la réforme de l’État.

1. Lois spéciales

Les lois spéciales, introduites lors de la réforme de l’État en 1970, nécessitent une majorité qualifiée pour leur adoption. Cette procédure vise à assurer que les décisions importantes concernant l’organisation de l’État bénéficient d’un large consensus entre les communautés linguistiques. La procédure d’adoption de ces lois repose sur plusieurs critères :

Ces lois spéciales sont utilisées pour des sujets de haute importance touchant à la structure fédérale du pays, comme la répartition des compétences, l’organisation des institutions ou l’emploi des langues. Ce mécanisme assure que les décisions ne puissent être prises sans l’accord significatif des deux grandes communautés linguistiques.

Extraprovincialisation

L’ancien article 1, alinéa 4 de la Constitution visait à permettre, par le biais des lois spéciales, de soustraire certains territoires à la division en provinces et de les placer sous un statut spécial. Ce mécanisme, appelé extraprovincialisation, devait initialement répondre à la situation spécifique de la commune de Fourons. Bien que cette disposition ait été incluse dans la Constitution (devenue article 5, dernier alinéa), elle n’a jamais été utilisée.

2. Majorités cumulatives et leur rôle

Les majorités cumulatives sont un élément fondamental du système belge de prise de décision, particulièrement pour les lois spéciales. Ce concept assure que les intérêts des deux grandes communautés linguistiques sont protégés et que les décisions cruciales ne sont prises qu’avec le consensus nécessaire. Les majorités cumulatives jouent un rôle essentiel dans :

Les lois spéciales sont donc des outils essentiels pour permettre la cohabitation pacifique entre les communautés. Toutefois, il est important de noter que ces majorités ne traduisent pas nécessairement le principe de participation des régions et communautés dans les décisions fédérales. Elles sont avant tout un mécanisme de protection linguistique qui ne reflète pas toujours la diversité des entités régionales et communautaires.

3. Décrets spéciaux

La révision constitutionnelle du 5 mai 1993 a introduit une nouvelle catégorie de normes législatives au niveau régional et communautaire : les décrets spéciaux. Ceux-ci suivent un modèle similaire aux lois spéciales du niveau fédéral et nécessitent également des majorités qualifiées pour leur adoption.

Un exemple notable concerne la Communauté française, qui peut, par décret spécial, transférer certaines compétences au Conseil régional wallon ou au groupe linguistique français du Parlement de Bruxelles-Capitale. Ce transfert de compétences doit être accepté par les organes bénéficiaires au moyen d’un décret ordinaire. Cela montre comment les décrets spéciaux permettent de moduler la répartition des compétences entre les entités fédérées.

4. Ordonnances de la Commission communautaire commune

En Région de Bruxelles-Capitale, les ordonnances adoptées par l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune (Cocom) sont soumises à un système de double majorité. Cette procédure complexe reflète le principe de cogestion des matières dites bipersonnalisables, qui concernent à la fois les compétences régionales et communautaires.

Dans un premier temps, une majorité doit être atteinte dans chaque groupe linguistique (français et néerlandais) pour que l’ordonnance soit adoptée. Si cette condition n’est pas remplie, une procédure subsidiaire est mise en place :

Ce système assure que les décisions prises dans la région bilingue de Bruxelles tiennent compte des intérêts des deux communautés linguistiques, même lorsque le consensus initial est difficile à atteindre.

Conclusion

Les lois spéciales, décrets spéciaux et ordonnances adoptées par des majorités qualifiées sont des instruments clés de la gouvernance fédérale belge. Ces normes sont essentielles pour garantir la cohésion de l’État tout en respectant les différences communautaires. Le concept de majorités cumulatives protège les intérêts des communautés linguistiques et prévient les décisions unilatérales dans des domaines sensibles, notamment en matière de réforme de l’État et d’emploi des langues. Bien que ce système soit efficace pour garantir un équilibre entre les groupes linguistiques, il n’assure pas toujours une participation équitable de toutes les entités fédérées dans les processus décisionnels à l’échelle nationale.

Résumé des normes et majorités, tableau :

Normes Majorité globale au sein de l’assemblée Majorité au sein des groupes linguistiques Quorum
Révision de la Constitution – art. 195 2/3 2/3
Extinction de la dynastie – art. 86 2/3 2/3
Autorisation faite au Roi d’être chef d’un autre État – art. 87 2/3 2/3
Lois spéciales 2/3 Majorité des présents dans chaque groupe linguistique et majorité parmi ceux-ci Majorité
Décrets spéciaux des parlements des communautés fr, fl, et de la RW 2/3 Majorité Majorité
Ordonnances spéciales de la CoCoCo et ordonnances régionales Majorité absolue Majorité dans chaque groupe linguistique et 1/3 des membres de chaque groupe (procédure subsidiaire) Majorité
Décrets ayant pour effet de diminuer le caractère proportionnel des élections dans les pouvoirs locaux 2/3 Ordonnances : Majorité dans chaque groupe linguistique et 1/3 des membres de chaque groupe (procédure subsidiaire) Majorité

C. La classification en fonctions de la nature et de l’objet de la norme législative

1. Les normes législatives interprétatives

L’interprétation des normes législatives est une fonction essentielle des juridictions, mais elle est encadrée par des limites strictes, notamment en vertu des articles 84 et 133 de la Constitution belge, qui consacrent le principe de l’interprétation authentique ou par voie d’autorité. Cette forme d’interprétation a des implications importantes et spécifiques dans l’application du droit.

1. L’interdiction des arrêts de règlement

Les juridictions ne sont pas autorisées à rendre des arrêts de règlement. Cela signifie qu’elles ne peuvent pas établir une interprétation d’une norme législative qui aurait une portée générale, obligatoire erga omnes (à l’égard de tous). Leur pouvoir d’interprétation se limite à résoudre les litiges individuels portés devant elles, sans pouvoir créer des précédents judiciaires contraignants pour d’autres cas.

2. Le principe d’interprétation authentique

Les articles 84 et 133 de la Constitution stipulent que l’interprétation des lois et des décrets par voie d’autorité n’appartient qu’à leurs auteurs respectifs :

Cela signifie que seule une loi peut interpréter une autre loi, et qu’un décret ne peut être interprété que par un décret. Cette interprétation authentique consiste à donner un sens obligatoire et contraignant à la norme interprétée, qui s’impose à toutes les juridictions et à tous les justiciables. Cette interprétation n’a pas pour objectif de modifier la norme initiale, mais de clarifier son sens, en considérant que la norme interprétée a toujours eu le sens précisé par la norme interprétative.

3. Conditions de l’interprétation authentique

L’interprétation authentique doit respecter certaines conditions essentielles :

4. Jurisprudence sur l’interprétation authentique

Dans un arrêt du 4 novembre 1996, la Cour de cassation rappelle que l’exercice du pouvoir d’interpréter une norme par voie d’autorité doit se faire avec prudence, notamment en veillant à ce que cette interprétation respecte les normes de rang supérieur. Par exemple, dans cette affaire, la Cour de cassation a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice des Communautés européennes pour déterminer si une loi belge, établissant une différence de traitement entre les hommes et les femmes quant à l’âge de la pension, respectait les normes de droit communautaire. Cet arrêt souligne que, même lorsqu’une norme est interprétée par voie d’autorité, elle doit rester compatible avec les engagements internationaux et les normes supérieures.

5. Exceptions pour les ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale

Le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale n’a pas la compétence pour interpréter authentiquement ses propres ordonnances. Il en va de même pour l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune. Cette absence de compétence limite la possibilité d’interpréter par voie d’autorité les normes adoptées par ces institutions, contrairement aux lois et décrets qui peuvent être interprétés par leurs organes respectifs.

2. Les normes législatives attributives ou d’habilitation

Les normes législatives d’habilitation, telles que les lois de pouvoirs spéciaux ou les lois-cadres, attribuent au pouvoir exécutif des compétences qui ne lui sont pas expressément conférées par la Constitution ou les lois de réforme institutionnelle. Ces lois permettent au pouvoir exécutif d’agir dans des domaines spécifiques tout en restant soumis à certaines limites constitutionnelles.

1. Les Lois de Pouvoirs Spéciaux et Extraordinaires

Au niveau fédéral, les lois de pouvoirs spéciaux et extraordinaires permettent au législateur d’attribuer des compétences spécifiques au pouvoir exécutif pour gérer des situations exceptionnelles ou d’urgence. Ces lois d’habilitation doivent respecter plusieurs principes fondamentaux :

Exemple : Conseil d’État et la loi du 14 juillet 1989

Un exemple de ce principe se retrouve dans l’article 15ter de la loi du 14 juillet 1989, qui confiait au Roi la compétence de fixer la procédure devant le Conseil d’État. La section législative du Conseil d’État a jugé que cette habilitation violait l’article 160 de la Constitution, qui stipule que la compétence, la composition et le fonctionnement du Conseil d’État doivent être déterminés par la loi. Le Conseil a critiqué le fait que le législateur avait laissé au Roi une marge de manœuvre excessive sans fixer les principes fondamentaux. Ainsi, les matières comme le délai d’introduction des recours ou la récusation des juges auraient dû être prévues par la loi.

2. Les Principes d’Habilitation

Les mêmes principes s’appliquent également aux régions et aux communautés. Par exemple, l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 prévoit que les législations régionales ou communautaires doivent régler la création, la composition, la compétence, et le fonctionnement des organismes qu’elles créent. Par conséquent, un gouvernement régional ou communautaire ne peut déterminer seul le statut des agents qui travaillent dans ces organismes sans intervention législative. Pourtant, ces principes sont parfois ignorés dans la pratique, comme en témoigne l’exemple du décret de 1997 relatif au statut du personnel de la RTBF, qui permet au conseil d’administration de la RTBF de fixer le statut du personnel.

3. La Limitation des Délégations

Dans les matières relevant de la compétence résiduelle du législateur, des délégations au pouvoir exécutif sont envisageables, mais elles ne peuvent pas être illimitées. La section législative du Conseil d’État a clarifié que les éléments essentiels d’une réglementation doivent figurer dans la norme législative elle-même, et que les limites de la délégation doivent être clairement définies.

La Cour constitutionnelle a également développé une approche souple concernant la délégation des compétences. Par exemple, dans son arrêt 77/2002 du 8 mai 2002, la Cour a statué que le législateur peut déléguer au Roi certaines compétences en matière de contentieux des étrangers. La Cour a estimé que, bien que l’article 160 de la Constitution réserve la composition et le fonctionnement du Conseil d’État à la loi, il est permis de confier au Roi la compétence de régler certains aspects procéduraux, notamment pour tenir compte de la spécificité et de l’urgence des litiges relatifs aux étrangers.

4. Les Lois-Cadres, Décrets-Cadres et Ordonnances-Cadres

Contrairement aux lois de pouvoirs spéciaux, les lois-cadres, décrets-cadres, et ordonnances-cadres ne confèrent pas une habilitation complète au pouvoir exécutif. Dans ces cadres, le législateur fixe les principes généraux dans une matière déterminée, laissant au pouvoir exécutif la tâche de mettre en œuvre ces principes par le biais d’arrêtés.

Par exemple, dans un cadre législatif relatif à l’éducation, une loi-cadre pourrait établir les principes directeurs du programme scolaire, mais laisserait au gouvernement la responsabilité de définir les détails pratiques à travers des règlements spécifiques.

5. Exemples Jurisprudentiels

La jurisprudence illustre les contours des délégations législatives en matière de pouvoirs spéciaux et leur interaction avec les principes constitutionnels :

En résumé, les lois d’habilitation telles que les lois de pouvoirs spéciaux ou les lois-cadres ont un rôle important dans la répartition des compétences entre les pouvoirs législatif et exécutif. Toutefois, ces délégations doivent respecter des limites claires, notamment la préservation des éléments essentiels dans le texte législatif, et ne pas empiéter sur des compétences constitutionnelles réservées au législateur. Bien que la section législative du Conseil d’État soit stricte sur la question, la Cour constitutionnelle a une approche plus flexible, permettant au législateur de déléguer certains aspects pratiques.

3. Les normes législatives de confirmation

Les normes législatives de confirmation permettent de ratifier ou de valider des actes pris par le pouvoir exécutif dans des matières qui, en principe, relèvent de la compétence exclusive du législateur, notamment en matière fiscale. Ces normes de confirmation confèrent rétroactivement à des arrêtés royaux ou réglementaires la même valeur juridique qu’une loi ou un décret.

Lorsqu’une norme législative confirme un acte exécutif, cette confirmation rétroagit souvent à la date d’entrée en vigueur de l’acte confirmé, ce qui lui confère une valeur législative dès sa prise d’effet. Cette technique a des conséquences importantes sur le contrôle juridictionnel, car une fois qu’un arrêté est confirmé par une loi, il ne peut plus être annulé par le Conseil d’État ni son application écartée sur la base de l’article 159 de la Constitution, qui permet aux juridictions de ne pas appliquer un acte contraire à la loi.

La Cour constitutionnelle (CA) a jugé que cette technique est acceptable, car elle renforce le contrôle du législateur sur l’exercice des pouvoirs confiés au Roi. Toutefois, la Cour a développé une jurisprudence nuancée concernant les validations législatives. Elle ne sanctionne cette pratique que lorsque la rétroactivité vise uniquement à influencer une procédure judiciaire en cours ou à empêcher les tribunaux de statuer sur une question de droit, sans justification par des circonstances exceptionnelles. La Cour a, par exemple, admis la rétroactivité lors de la réforme de l’enseignement en Communauté flamande ou de la réforme des polices, en estimant qu’elle se justifie par l’importance de garantir le fonctionnement du service public.

4. Les arrêtés-lois

Les arrêtés-lois sont des mesures législatives adoptées par le Roi en période de crise grave, lorsque l’une des composantes du pouvoir législatif, comme les Chambres parlementaires, est paralysée. Par exemple, durant la Première Guerre mondiale, alors que les Chambres ne pouvaient siéger, le Roi a pris des arrêtés-lois pour gouverner le pays. Ces actes ont force de loi et sont équivalents à une loi ordinaire, bien qu’ils soient adoptés par l’exécutif.

Les arrêtés-lois se distinguent des lois de pouvoirs extraordinaires, qui sont prises par le Roi dans le cadre de compétences spécifiques déléguées par le législateur. Ces dernières restent des actes de nature réglementaire malgré leur force de loi.

5. Les normes législatives coordonnées et codifiées

La coordination consiste à regrouper dans un texte unique des dispositions législatives éparses qui traitent du même sujet, sans pour autant modifier leur contenu substantiel. L’objectif est de faciliter l’accès et la compréhension des règles applicables.

La codification, quant à elle, vise à réunir plusieurs lois ou décrets dont les objets sont analogues ou connexes, en un corps de règles unifié avec une numérotation continue. La codification peut être officielle (adoptée par un législateur) ou privée (réalisée par des auteurs doctrinaux). Par exemple, on trouve les grands codes fédéraux comme le Code civil, le Code pénal, et le Code judiciaire, ainsi que des codes régionaux comme le Code wallon de l’aménagement du territoire.

6. Les lois-programmes

Les lois-programmes sont des lois qui mettent en œuvre la politique gouvernementale dans des domaines variés comme l’économie, le social ou les finances. Ces lois sont souvent adoptées pour réaliser des objectifs fixés dans le budget de l’État.

Ces lois sont parfois appelées des « lois fourre-tout », car elles regroupent une multitude de dispositions touchant à des domaines divers qui ne sont pas nécessairement liés entre eux. Ce type de loi est fréquemment critiqué pour son manque de cohérence, mais il est souvent justifié par l’urgence ou l’importance de certaines réformes globales qui doivent être mises en œuvre rapidement.

D. La classification en fonction du moment où la norme législative produit ses effets

Le principe de la non-rétroactivité des lois est inscrit à l’article 2 du Code civil, qui stipule que « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Cependant, ce principe, bien qu’il soit un pilier fondamental du droit civil, n’a pas de valeur constitutionnelle et peut être contourné sous certaines conditions.

1. Principe de la non-rétroactivité

La Cour de cassation a affirmé que ce principe représente à la fois une obligation pour le juge, un précepte pour le législateur et une garantie pour le citoyen. Toutefois, il ne s’agit pas d’un principe absolu. Le législateur peut y déroger de manière expresse ou tacite, à condition que sa volonté de donner une portée rétroactive à une loi soit clairement établie.

2. Exceptions et rétroactivité

La rétroactivité de la loi, lorsqu’elle est autorisée, doit être mentionnée expressément dans le texte législatif. Un exemple marquant est celui de la loi du 10 avril 1975 relative aux loyers, qui fut publiée au Moniteur belge le 16 avril mais avec une entrée en vigueur rétroactive au 1er décembre 1974, imposant ainsi aux propriétaires de rembourser les loyers perçus en excès durant cette période.

3. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle a rendu plusieurs décisions sur la rétroactivité des lois. Dans un arrêt du 5 juillet 1990, la Cour a traité de la loi du 30 août 1988, qui rétroagissait de 30 ans pour établir un régime spécial de responsabilité civile pour les services de pilotage. La Cour a reconnu que cette rétroactivité portait atteinte à la sécurité juridique, mais a jugé que dans ce cas précis, elle n’était pas disproportionnée au regard des objectifs généraux de la loi.

Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné cette rétroactivité dans un arrêt du 20 novembre 1995, en considérant qu’elle violait le droit de propriété protégé par l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

4. Conditions de légitimité de la rétroactivité

Pour être considérée légitime, la rétroactivité doit être justifiée par des circonstances exceptionnelles, telles que :

Ainsi, même si la rétroactivité affecte la sécurité juridique, elle peut être tolérée dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu’elle vise à maintenir la continuité du service public ou à résoudre des crises importantes.

E. Classification en fonction de l’impact de la norme législative sur les citoyens et sur les juridictions

Les normes législatives peuvent être classées selon leur impact sur les citoyens et les juridictions, notamment en fonction de leur caractère impératif ou supplétif.

1. Les normes supplétives

Les normes législatives supplétives sont destinées à s’appliquer lorsque les parties à un acte juridique n’ont pas prévu certaines modalités dans leurs accords. Elles offrent un cadre légal par défaut, mais les parties peuvent y déroger si elles le souhaitent. Ces normes visent à présumer la volonté des parties lorsqu’elles n’ont pas explicitement réglé certains aspects de leurs relations juridiques.

2. Les normes impératives

À la différence des normes supplétives, les normes législatives impératives s’imposent aux parties, même si celles-ci souhaitent y déroger. Les normes impératives se divisent en deux catégories :

Sous-section 2 : Les fonctions de contrôle des assemblées législatives

Il existe différents instruments qui permettent à l’assemblée d’opérer un contrôle sur l’activité d’un gouvernement.

§ 1 – Les techniques de contrôle politique

A. La déclaration et les communications gouvernementales

Lorsqu’un gouvernement entre en fonction, il est d’usage, tant au niveau fédéral qu’au niveau régional ou communautaire, qu’il se présente devant l’assemblée parlementaire pour y lire une déclaration gouvernementale. Cette pratique découle, au niveau fédéral, de l’article 101 de la Constitution belge, qui stipule que les ministres sont responsables devant la Chambre des représentants. En d’autres termes, le gouvernement doit exposer les grandes lignes de sa politique et obtenir la confiance de la majorité parlementaire.

Contenu et objectifs de la déclaration gouvernementale

La déclaration gouvernementale est généralement rédigée par le Premier ministre ou le Président du gouvernement régional ou communautaire. Elle est discutée au sein du Conseil des ministres ou de l’organe exécutif concerné, avant d’être présentée à l’assemblée. Son contenu expose les grandes priorités politiques, économiques et sociales que le gouvernement entend mettre en œuvre pendant son mandat. Il s’agit donc d’un véritable pacte politique entre les membres du gouvernement, reflétant les engagements pris lors de la formation de la coalition.

Historiquement, les gouvernements belges présentent leur déclaration depuis 1884, et cette pratique s’est renforcée après la Première Guerre mondiale, avec l’apparition des gouvernements de coalition. La déclaration est traditionnellement lue devant la Chambre des représentants, suivie d’un débat et d’un vote de confiance. Cependant, la place du Sénat dans cette procédure a évolué.

Le rôle du Sénat et l’évolution de la pratique

Avant 1995, la déclaration était également lue devant le Sénat, qui recevait des informations sur le programme gouvernemental, même s’il n’avait pas de pouvoir de sanction sur le gouvernement. Toutefois, à partir du deuxième gouvernement Dehaene-Di Rupo en 1995, cette pratique a été modifiée. Ce gouvernement a choisi de ne pas lire la déclaration devant le Sénat, privant ainsi cette assemblée de toute information officielle. Cette décision a été réitérée par le gouvernement Verhofstadt-Onkelinx en 1999. En revanche, en 2003, le Premier ministre Guy Verhofstadt est revenu devant le Sénat pour y présenter sa déclaration.

Cette évolution montre que, bien que le Sénat ait un rôle plus consultatif depuis la réforme de l’État de 1993, le choix de lui présenter ou non la déclaration gouvernementale dépend des décisions politiques de chaque gouvernement.

Le vote de confiance

Au niveau fédéral, le vote de confiance qui suit la déclaration n’a lieu que devant la Chambre des représentants, car c’est cette dernière qui détient le pouvoir de sanctionner le gouvernement en cas de vote négatif. Le gouvernement ne peut pas être contraint à la démission par un vote de censure du Sénat, puisque ce dernier n’a plus de rôle décisif à cet égard.

Dans les gouvernements régionaux et communautaires, le vote de confiance est d’autant plus crucial. En effet, un vote négatif dans ces assemblées entraînerait de plein droit la démission du gouvernement concerné. Il s’agit donc d’un moment déterminant pour asseoir la légitimité de l’équipe exécutive nouvellement formée.

Déclaration annuelle et déclarations spécifiques

Chaque année, lors de l’ouverture de la session parlementaire, le Premier ministre fédéral présente une déclaration sur la politique générale du gouvernement. Celle-ci fait également l’objet d’un débat et est suivie d’un vote de confiance. Ce processus permet au gouvernement de renouveler sa légitimité auprès des députés et d’ajuster ses priorités politiques en fonction des évolutions sociales ou économiques.

Il arrive également que le Premier ministre ou le Président d’un gouvernement régional ou communautaire lise une déclaration gouvernementale en cours de mandat, indépendamment de la formation d’un nouveau gouvernement. Cela peut se produire dans des situations spécifiques, comme pour renforcer la stabilité du gouvernement ou pour présenter des nouvelles orientations politiques. Un exemple significatif est celui de l’accord Octopus en réponse à l’affaire Dutroux, où le Premier ministre a présenté à la Chambre des représentants une réforme majeure de la justice et de la police, suivie d’un vote de confiance pour valider cet accord.

Différence entre déclaration et communication

Il convient de distinguer la déclaration gouvernementale de la simple communication faite devant l’assemblée. La déclaration engage la responsabilité du gouvernement et se conclut nécessairement par un vote de confiance. À l’inverse, une communication sert principalement à informer l’assemblée des intentions du gouvernement ou de certains faits, sans que cela n’entraîne de vote. Il s’agit donc d’une démarche moins engageante pour l’exécutif.

B. Les questions parlementaires

Les questions parlementaires sont un outil essentiel permettant aux parlementaires de jouer leur rôle de contrôle du gouvernement tout en relayant les préoccupations de leurs électeurs. Elles permettent aux parlementaires de poser des questions aux ministres ou aux membres du gouvernement sur des sujets précis, souvent en lien avec des problématiques locales ou nationales.

C. Les interpellations et les demandes d’explications

Les interpellations sont un moyen plus formel et direct de contrôle parlementaire. Elles concernent des questions plus larges de politique générale ou des actes du gouvernement. Contrairement aux simples questions parlementaires, l’interpellation peut aboutir à un débat suivi de l’adoption de motions.

Depuis la révision constitutionnelle de 1993, le Sénat n’est plus habilité à interpeller le gouvernement de manière formelle. Il peut toutefois formuler des demandes d’explications, qui, à l’instar des interpellations, peuvent être suivies de motions, notamment la motion pure et simple ou la motion motivée. Le Sénat peut également organiser des débats thématiques sur des questions importantes, qui peuvent se conclure par une motion de recommandation.

D. Les pétitions

Le droit de pétition, consacré par l’article 28 de la Constitution belge, permet à chaque citoyen de s’adresser aux autorités publiques, individuellement ou collectivement, pour faire part de ses préoccupations ou de ses revendications. Ce droit est un élément fondamental de la participation citoyenne dans la démocratie belge.

§ 2 – Un contrôle à caractère juridictionnel – La vérification des pouvoirs

Au début de chaque législature, les assemblées législatives procèdent à une vérification des pouvoirs de leurs membres, ce qui constitue un acte juridictionnel essentiel dans le fonctionnement démocratique. Ce processus vise à vérifier que les élus remplissent bien les conditions d’éligibilité fixées par la Constitution et la loi, et que les élections se sont déroulées conformément aux règles en vigueur. Il peut également conduire, en cas de contestation, à un nouveau comptage des bulletins de vote.

La commission de vérification des pouvoirs est composée de membres de l’assemblée dont les propres pouvoirs n’ont pas encore été validés, garantissant ainsi l’impartialité de la procédure. Cette commission est chargée d’examiner les irrégularités électorales éventuelles, de statuer sur les réclamations, et de valider ou non l’élection des parlementaires. Ce rôle est crucial, car une validation erronée ou l’éviction d’un élu peut influencer la composition politique de l’assemblée et, par conséquent, son orientation décisionnelle.

Un exemple marquant de ce type de situation a eu lieu en 1985, lorsqu’à l’occasion de la vérification des pouvoirs, les Conseils de la Communauté française et de la Région wallonne ont irrégulièrement exclu le sénateur de la Volksunie, T. Van Overstraeten, qui avait pourtant été régulièrement élu. Cet acte illégal a empêché Van Overstraeten de siéger, ce qui a eu des répercussions politiques majeures, notamment sur la majorité fragile de la coalition libérale/sociale-chrétienne à la Région wallonne. Ce cas illustre la manière dont le processus de vérification des pouvoirs peut être influencé par des considérations politiques.

Le Conseil d’État, saisi dans l’affaire Ylieff pour un recours contre cette éviction, a rappelé que ces décisions relèvent du domaine de la souveraineté des assemblées parlementaires et échappent à son contrôle, en vertu de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Cela signifie que les décisions prises lors de la vérification des pouvoirs par une assemblée ne peuvent être contestées juridiquement, sauf si la Constitution ou la loi en dispose autrement.

Un autre exemple s’est produit en 1995, lorsque le Sénat a refusé d’autoriser la liste du Front National (FN) à se présenter aux élections sénatoriales en raison d’irrégularités. Le Sénat a confirmé cette décision lors de la vérification des pouvoirs de ses membres, écartant ainsi les recours engagés par des candidats FN. Tant le Conseil d’État que la Cour de cassation ont confirmé que le Sénat était seul compétent pour apprécier la validité de cette décision, ce qui montre à nouveau la portée limitée du contrôle juridictionnel dans ces procédures.

En 1999, la question de la sécurité et de la transparence du vote automatisé a également été soulevée par certains parlementaires, qui estimaient que ce système ne garantissait pas le secret du vote. Malgré les réclamations, les Chambres ont refusé d’interroger la Cour constitutionnelle (ex-Cour d’arbitrage), et ont validé les résultats électoraux sans remettre en question le recours à ce système.

Ces cas montrent que, bien que la vérification des pouvoirs soit une procédure formellement encadrée par la loi, elle est aussi étroitement liée à des considérations politiques. Le contrôle sur la régularité des élections et des opérations de vote relève donc principalement des assemblées elles-mêmes, et les voies de recours juridictionnelles sont fortement limitées.

§ 3 – Les enquêtes parlementaires

Le droit d’enquête parlementaire, consacré tant au niveau fédéral qu’au sein des entités fédérées en Belgique, est un outil à la frontière entre le contrôle politique et le contrôle juridictionnel. Il permet aux assemblées législatives de superviser l’action du gouvernement et d’obtenir des informations qui renforcent leur capacité à légiférer de manière plus éclairée. Cependant, les règles encadrant les enquêtes parlementaires sont complexes et comportent des implications importantes, tant pour les parlementaires que pour les témoins appelés à comparaître.

Rôle et objectifs des enquêtes parlementaires

L’enquête parlementaire est d’abord un instrument de contrôle politique sur le gouvernement et l’administration publique. Elle permet aux parlements de vérifier le fonctionnement des autres pouvoirs et d’obtenir des renseignements essentiels pour l’élaboration de lois. Historiquement, les chambres fédérales ont fait un usage limité de ce droit, avec seulement six enquêtes entre 1880 et 1974. Cependant, depuis 1980, le recours aux commissions d’enquête a augmenté de manière significative, notamment pour des affaires sensibles telles que :

Ces enquêtes ont permis de mettre en lumière des dysfonctionnements majeurs au sein de l’État et d’améliorer les processus de gouvernance.

Publicité des séances et huis clos

Les séances des commissions d’enquête sont généralement publiques, mais cette publicité connaît des limites :

La décision de tenir une réunion à huis clos doit être motivée, et elle entraîne une obligation de confidentialité pour toutes les personnes présentes. La violation de cette confidentialité par des non-parlementaires constitue une violation du secret professionnel.

Secret professionnel et sanctions

Les personnes, qu’elles soient parlementaires ou non, sont tenues au secret lorsque des informations confidentielles sont échangées à huis clos. En cas de violation de ce secret, des sanctions peuvent être appliquées :

Mesures d’instruction et rôle des magistrats

Les commissions d’enquête disposent d’un pouvoir d’instruction similaire à celui des autorités judiciaires, conformément au Code d’instruction criminelle. Cela inclut :

Cependant, pour certaines mesures restrictives, l’intervention d’un magistrat est requise. La commission doit adresser une requête au premier président de la Cour d’appel, qui désigne un magistrat pour superviser l’instruction sous l’autorité du président de la commission.

Un incident notable s’est produit lors de l’enquête sur les disparitions d’enfants, où deux témoins ont été invités à remettre leurs notes personnelles devant les caméras. Cet acte s’apparentait à une saisie, mais il n’a pas respecté les règles de procédure requérant l’intervention d’un magistrat. Cela a été confirmé par le tribunal de première instance de Bruxelles, qui a estimé que la contrainte imposée à la juge Doutrewe pour remettre ses notes personnelles était irrégulière et violait le principe du droit à la défense.

Protection des droits fondamentaux

Le recours à des enquêtes parlementaires pose également des questions de respect des droits fondamentaux, notamment en matière de liberté et de vie privée. Toute mesure qui restreint ces droits, telle que la privatisation de liberté ou la saisie de documents personnels, doit être strictement encadrée par le droit et les procédures judiciaires appropriées.

L’assimilation partielle des pouvoirs des commissions d’enquête parlementaire à ceux d’un juge d’instruction, telle qu’opérée par la législation belge, pose une question fondamentale sur la nature et les limites de ces deux instances. Bien que les commissions d’enquête disposent de pouvoirs similaires à ceux d’un juge d’instruction pour effectuer des investigations, elles ne jouent pas le même rôle, et leurs objectifs diffèrent, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et les droits de la défense.

Distinction entre les missions des commissions d’enquête et des juges d’instruction

Le constituant et le législateur n’ont jamais eu l’intention de confondre les prérogatives du pouvoir judiciaire et celles du Parlement. Les commissions d’enquête parlementaire sont créées dans le but de :

Leur rôle n’est pas de poursuivre des auteurs d’infractions pénales, qui relève exclusivement du pouvoir judiciaire conformément au principe de la séparation des pouvoirs. L’article 10 de la loi du 3 mai 1880 souligne que les commissions d’enquête doivent informer le Parquet des infractions dont elles ont connaissance, mais elles ne sont pas compétentes pour entamer elles-mêmes des poursuites pénales.

Pouvoirs d’investigation et séparation des pouvoirs

Les commissions d’enquête disposent de pouvoirs étendus pour mener leurs investigations, mais leur action est strictement encadrée par le principe de séparation des pouvoirs. Si elles découvrent des faits susceptibles de constituer une infraction, elles doivent en informer le Parquet, mais elles ne peuvent pas engager des procédures pénales ou judiciaires. Ce principe a été affirmé dans plusieurs cas, comme l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 10 décembre 1987 concernant la commission WIJNINCKX, où le juge d’instruction ne pouvait contraindre la commission d’enquête à lui fournir des enregistrements de ses travaux. La commission parlementaire reste souveraine dans l’évaluation des faits à transmettre au pouvoir judiciaire, et son pouvoir d’appréciation échappe à tout contrôle extérieur.

Interaction entre les enquêtes parlementaires et judiciaires

L’interaction entre une enquête parlementaire et une enquête judiciaire peut parfois provoquer des tensions, notamment en ce qui concerne l’usage des témoignages recueillis par une commission parlementaire dans des procédures pénales ultérieures. Cela a été illustré dans l’affaire Transnuklear, où des déclarations faites sous serment devant une commission parlementaire ont été utilisées lors d’une procédure pénale. La Cour d’appel d’Anvers a annulé les poursuites à l’encontre des prévenus, estimant que leurs droits de la défense avaient été violés, car ils n’avaient pas été informés de leur droit de refuser de témoigner s’ils risquaient des poursuites pénales.

Pour remédier à cette situation, le législateur a introduit une règle selon laquelle un témoin peut refuser de témoigner devant une commission d’enquête s’il risque d’être poursuivi pénalement. Le président de la commission doit informer le témoin de ce droit au silence, garantissant ainsi que les déclarations recueillies ne puissent être utilisées contre le témoin dans une procédure pénale ultérieure sans son consentement éclairé. Si un témoin choisit malgré tout de témoigner, il ne pourra plus invoquer une violation de ses droits de la défense par la suite.

Limites aux pouvoirs des commissions d’enquête

Bien que les commissions d’enquête disposent de pouvoirs semblables à ceux d’un juge d’instruction en matière d’investigation, elles doivent veiller à respecter les droits des individus qu’elles entendent. Les personnes auditionnées par une commission parlementaire sont témoins, et non accusés, ce qui signifie qu’elles bénéficient de certaines garanties, notamment le droit de ne pas s’auto-incriminer.

Les commissions d’enquête ne peuvent pas se substituer au pouvoir judiciaire ou à des instances disciplinaires. Elles doivent s’en tenir à établir les faits sans imputer des fautes personnelles aux témoins. Ainsi, lors de la rédaction des rapports, les commissions doivent être particulièrement attentives à ne pas violer les droits de la défense, une contrainte qui ne s’applique pas toujours de manière aussi rigoureuse dans les procédures parlementaires que dans les procédures judiciaires.

Le témoignage des magistrats devant les commissions d’enquête

Le témoignage des magistrats devant les commissions d’enquête a souvent été source de controverses, en particulier concernant leur capacité à invoquer le secret de l’instruction. Avant l’adoption de la loi du 30 juin 1996, les magistrats pouvaient se prévaloir du devoir de réserve et du secret de l’instruction pour refuser de témoigner devant une commission parlementaire. Cependant, la loi a clarifié cette situation en encadrant les circonstances dans lesquelles un magistrat peut refuser de témoigner.

Même si la commission d’enquête n’a pas la qualité de juge d’instruction, ses pouvoirs d’investigation restent considérables. Un témoin, y compris un magistrat, est tenu de respecter les mêmes règles lorsqu’il témoigne devant une commission d’enquête que devant un juge d’instruction, sauf en ce qui concerne les finalités des enquêtes, qui diffèrent.

Loi du 30 juin 1996 sur le droit d’enquète parlementaire

La loi du 30 juin 1996 a apporté des clarifications essentielles au droit d’enquête parlementaire en Belgique, en précisant notamment le rôle des commissions d’enquête parlementaire et la manière dont elles interagissent avec d’autres instances, telles que les magistrats et les collaborateurs du Roi. Ces évolutions législatives ont mis fin à plusieurs controverses et encadré plus strictement l’usage de ce mécanisme de contrôle.

Assimilation du témoignage devant une commission parlementaire au témoignage en justice

La loi de 1996 a mis fin à une incertitude concernant le statut des témoins devant les commissions parlementaires. Désormais, l’article 458 du Code pénal assimile le témoignage devant une commission d’enquête parlementaire à celui effectué en justice. En conséquence, les dépositaires de secrets professionnels, tels que les médecins, avocats ou pharmaciens, sont tenus de témoigner devant les commissions d’enquête dans les mêmes conditions qu’en justice.

L’article prévoit que ces personnes ne peuvent révéler des secrets qui leur ont été confiés sauf lorsqu’elles sont appelées à témoigner en justice ou devant une commission d’enquête parlementaire. Cela a clarifié une question importante : les témoins ne peuvent plus invoquer leur secret professionnel pour refuser de répondre aux questions d’une commission parlementaire, sauf lorsque la loi l’autorise spécifiquement.

Le secret de l’instruction invoqué par les magistrats

En ce qui concerne les magistrats, la question du secret de l’instruction a fait l’objet de débats. Le professeur Paul Lambert a souligné que le secret de l’instruction est une forme particulière du secret professionnel, et les magistrats peuvent l’invoquer pour refuser de répondre à des questions qui compromettent le déroulement d’une enquête en cours.

Cependant, cette protection n’est pas absolue. Les magistrats ne peuvent refuser de témoigner que si les informations à divulguer risquent de compromettre une instruction en cours. En revanche, ils ne peuvent être poursuivis pour avoir décidé de témoigner devant une commission d’enquête. Cette approche vise à équilibrer la transparence des enquêtes parlementaires avec la nécessité de préserver la confidentialité des enquêtes judiciaires.

Audition des collaborateurs du Roi

Un autre point délicat concerne la possibilité pour une commission d’enquête d’entendre des collaborateurs du Roi en tant que témoins. Les principes constitutionnels belges, tels que l’inviolabilité de la personne royale, la responsabilité des ministres et le secret du colloque constitutionnel, constituent des limites importantes au droit d’enquête des Chambres.

Cependant, il est généralement admis que cette protection ne s’étend pas de manière inconditionnelle aux collaborateurs du Roi. Ces derniers peuvent être entendus pour des actes ou décisions qui leur sont personnellement imputables, mais non pour ceux relevant directement du Roi. L’inviolabilité du Roi ne doit pas être interprétée de manière trop large pour couvrir les actions de ses collaborateurs. Ainsi, si les membres du cabinet du Roi ne peuvent être interrogés sur les actes du Chef de l’État, ils peuvent l’être sur leurs propres actions.

Transmission des dossiers judiciaires aux commissions parlementaires

La loi a également précisé les modalités de transmission des dossiers judiciaires aux commissions d’enquête. Une commission peut demander une copie des actes de procédure ou des devoirs d’instruction en adressant une demande écrite au procureur général ou à l’auditeur général. Toutefois, si ces magistrats refusent de communiquer ces documents pour des raisons motivées, la Chambre ou la commission peut introduire un recours auprès d’un collège composé des présidents de la Cour de cassation, de la Cour d’arbitrage et du Conseil d’État.

Un magistrat peut refuser de divulguer des informations relevant d’un dossier judiciaire si la procédure légale prévue n’a pas été respectée. Toutefois, lors d’une audition, il ne peut être empêché de relater des faits ou des informations qu’il connaît personnellement, à condition que cela ne compromette pas une enquête en cours.

Responsabilité politique à l’issue d’une enquête parlementaire

À la fin de ses travaux, une commission d’enquête parlementaire présente un rapport devant l’assemblée, qui peut donner lieu à un débat en séance plénière. Ce rapport peut conduire à des conséquences politiques directes, notamment lorsqu’il établit la responsabilité politique d’un ou plusieurs membres du gouvernement.

Un exemple marquant est celui de l’enquête parlementaire sur les événements tragiques du Heysel en 1985, qui a mis en cause la responsabilité de Charles-Ferdinand Nothomb, alors ministre de l’Intérieur. Bien que sa responsabilité politique ait été établie, il n’a pas été contraint à la démission, la Chambre ayant adopté un ordre du jour pur et simple.

Un autre cas est celui de Melchior Wathelet, ancien ministre de la Justice, critiqué en 1997 pour avoir décidé de libérer conditionnellement Marc Dutroux après avoir reçu des avis divergents. Toutefois, cette mise en cause n’a pas eu de conséquences politiques directes, Wathelet ayant quitté la scène politique pour occuper une fonction judiciaire à la Cour de justice des Communautés européennes. Ce cas a suscité des débats sur la portée de la responsabilité politique, certains estimant qu’elle ne doit concerner que les fautes politiques commises dans l’exercice de fonctions actuelles, et non passées.

Sous-section 3 : L’exercice des fonctions parlementaires en temps de crise

Lorsque le gouvernement est démissionnaire, les assemblées législatives continuent de fonctionner, mais leurs pouvoirs et leur marge de manœuvre sont soumis à certaines limitations. Voici un aperçu de la situation et des principes en jeu :

1. Expédition des affaires courantes par les assemblées législatives

Traditionnellement, il est admis que les assemblées législatives peuvent, même en période de gouvernement démissionnaire, continuer à gérer les affaires essentielles au bon fonctionnement de l’État. Cela inclut notamment :

2. Contrôle parlementaire en période de gouvernement démissionnaire

Même lorsque le gouvernement est démissionnaire, les parlements peuvent continuer à exercer un contrôle sur l’exécution des affaires courantes. Les députés conservent leur capacité à poser des questions parlementaires, à interpeller les ministres, et à participer à des débats publics sur l’action gouvernementale.

Toutefois, ce contrôle est limité par l’impossibilité de renverser le gouvernement. Un gouvernement démissionnaire ne peut pas être contraint à quitter ses fonctions, puisque sa démission a déjà été présentée et acceptée. De même, il n’est pas possible de forcer un ministre démissionnaire à quitter ses fonctions avant la formation d’un nouveau gouvernement. Ce déficit de sanction politique rend le contrôle parlementaire symboliquement différent, mais, paradoxalement, il peut être encore plus pertinent dans ce contexte. En effet, l’absence de responsabilité politique directe met en lumière les actions du gouvernement démissionnaire, souvent caractérisées par une certaine opacité, et rend ce contrôle plus public.

3. Le rôle législatif du gouvernement démissionnaire

La question de l’exercice de la fonction législative par un gouvernement démissionnaire peut soulever des difficultés. En théorie, les membres des assemblées peuvent toujours proposer, examiner et voter des propositions de lois en commission et en séance publique, mais il est nécessaire de déterminer si le gouvernement démissionnaire peut encore intervenir dans ce processus :

4. Théorie des affaires courantes et exercice du pouvoir législatif

Le Conseil d’État a établi que lorsqu’un gouvernement n’est plus pleinement soumis au contrôle de l’assemblée, il doit limiter son action à l’expédition des affaires courantes. Cependant, pour tous les actes accomplis en commun avec l’assemblée législative, en particulier ceux liés à la fonction législative, le gouvernement démissionnaire ne peut agir que s’il est soutenu par une majorité parlementaire.

Ainsi, si un projet de loi est déposé par un gouvernement démissionnaire et voté par l’assemblée, cela indique que l’assemblée a, de fait, validé et légitimé l’initiative du gouvernement, même s’il est en gestion d’affaires courantes. Cette forme de contrôle indirect par l’assemblée permet de légitimer certaines actions du gouvernement démissionnaire.

5. Procédure de la sonnette d’alarme

Une limitation notable survient lorsque la procédure de la sonnette d’alarme est invoquée. Cette procédure permet à un groupe linguistique au sein du Parlement de suspendre l’adoption d’un projet de loi qu’il estime mettre en danger les intérêts de sa communauté, en déclenchant un processus de conciliation.

Cependant, en période de gouvernement démissionnaire, cette procédure perd son efficacité car le gouvernement, qui joue un rôle central dans la régulation et la conciliation des intérêts communautaires dans ce cadre, n’est plus pleinement fonctionnel. Il en résulte que la procédure de la sonnette d’alarme est souvent suspendue jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement, ce qui paralyse temporairement le processus législatif sur les sujets concernés.

En résumé, lorsque le gouvernement est démissionnaire, les assemblées législatives continuent d’exercer leur rôle, mais dans un cadre restreint. Elles peuvent gérer leurs propres affaires courantes, voter les projets de loi nécessaires à la continuité de l’État, et contrôler, dans une certaine mesure, l’action du gouvernement. Toutefois, ce contrôle est limité par l’impossibilité de sanctionner politiquement le gouvernement ou de le renverser. De plus, bien que le gouvernement puisse théoriquement participer à l’élaboration des lois, il ne peut le faire que s’il est soutenu par une majorité parlementaire.

Enfin, certaines procédures spécifiques, telles que la sonnette d’alarme, deviennent inopérantes en période de gouvernement démissionnaire, soulignant la nécessité de rétablir un exécutif pleinement fonctionnel pour assurer le bon déroulement du processus législatif.

CHAPITRE III : Les principes communs applicables aux organes exécutifs

Section 1 : Les organes gouvernementaux

La configuration du pouvoir exécutif varie entre le niveau fédéral et celui des régions et communautés.

Sous-section 1 : La désignation des membres des organes

Notre système institutionnel repose sur deux grandes méthodes de désignation des membres des organes gouvernementaux.

§ 1 – La nomination des membres des organes gouvernementaux

A. Les principes

Les articles 96 et 104 de la Constitution belge confèrent au Roi le pouvoir de nommer les membres du gouvernement fédéral, à savoir les ministres et les secrétaires d’État. Cependant, ces pouvoirs sont encadrés par divers principes constitutionnels et pratiques coutumières qui limitent son action.

1. Limites constitutionnelles

a. Interdiction de nommer des étrangers et des membres de la famille royale

Les articles 97 et 98 de la Constitution imposent des restrictions sur les personnes que le Roi peut nommer au gouvernement :

b. Parité linguistique et limitation du nombre de ministres

En vertu de l’article 99 de la Constitution, le Conseil des ministres doit respecter deux principes essentiels :

Ces règles visent à maintenir un équilibre institutionnel et à garantir la représentation des principales communautés du pays dans l’exécutif.

2. La confiance des chambres et le principe de responsabilité

La Constitution belge repose sur le principe de la responsabilité politique du gouvernement devant les chambres législatives. Historiquement, le gouvernement devait jouir de la confiance des deux chambres (Chambre des représentants et Sénat). Cependant, la révision constitutionnelle du 5 mai 1993 a modifié cet aspect :

3. Le mécanisme de la motion de méfiance constructive

Une autre modification introduite par la révision constitutionnelle de 1993 concerne la façon dont un gouvernement peut être contraint à démissionner. Le mécanisme de la motion de méfiance constructive permet d’éviter les crises politiques répétées et les gouvernements instables :

4. La coutume constitutionnelle et la formation du gouvernement

Outre les principes formels établis par la Constitution, la coutume constitutionnelle joue un rôle important dans la formation du gouvernement. Bien que le Roi détienne formellement le pouvoir de nommer les ministres, il agit généralement dans le cadre de la coutume parlementaire qui exige que le gouvernement dispose de la confiance du Parlement.

Cette coutume se traduit par des consultations royales et la désignation d’un informateur et d’un formateur pour établir une majorité parlementaire avant de procéder à la nomination des ministres. Le Roi ne peut donc pas nommer un gouvernement qui ne serait pas en mesure d’obtenir la confiance de la Chambre des représentants, même s’il reste techniquement libre dans ses choix.

B. Les modalités

La formation du gouvernement fédéral belge est un processus complexe qui repose sur des pratiques constitutionnelles non formalisées, mais largement ancrées dans la coutume constitutionnelle. Ce processus, bien qu’il ne soit pas strictement encadré par des textes juridiques contraignants, est structuré autour de plusieurs étapes clés, qui visent à dégager une coalition gouvernementale capable de gouverner avec le soutien du Parlement.

1. Les consultations royales

Le processus débute généralement par des consultations royales, au cours desquelles le Roi rencontre divers acteurs politiques et sociaux : présidents des partis politiques, dirigeants des groupes parlementaires, présidents des assemblées législatives, mais aussi des représentants des syndicats et du patronat. L’objectif de ces consultations est de prendre la température politique après les élections et d’identifier les pistes de coalition possibles.

Depuis 1991, il est notable que ni le Roi Baudouin ni le Roi Albert II n’ont reçu les représentants de certains partis extrémistes comme le Vlaams Blok (VB), Rossem, ou le Front National (FN), en raison de leurs idéologies contraires aux valeurs démocratiques. Cette exclusion reflète un choix politique de la monarchie, même si la consultation royale reste généralement inclusive pour les autres formations politiques.

2. La désignation d’un informateur

Après ces consultations, le Roi désigne, dans la plupart des cas, un informateur. Cette étape est cruciale car l’informateur joue un rôle de facilitateur en poursuivant les consultations et en explorant les coalitions possibles. L’informateur évalue les chances de succès de diverses alliances et élimine celles qui sont irréalisables. Il n’existe pas d’obligation légale pour le Roi de désigner un informateur, mais cette pratique est devenue courante. Le choix de l’informateur est souvent influencé par les desiderata des principaux partis politiques.

Par exemple, en 1999, le Roi avait initialement envisagé de nommer deux libéraux (Annemie Neyts et François-Xavier de Donnea) en qualité d’informateurs, ce qui aurait favorisé une coalition incluant les démocrates-chrétiens flamands. Toutefois, cette idée a été abandonnée, et Louis Michel, alors un influent membre du Parti réformateur libéral, a été désigné. Il a ensuite initié la formation d’une coalition arc-en-ciel (libéraux, socialistes, écologistes), excluant les partis chrétiens.

3. La désignation d’un formateur

Une fois la mission de l’informateur achevée, le Roi désigne un formateur, qui est souvent le futur Premier ministre. La tâche du formateur est de négocier un programme gouvernemental et de discuter avec les présidents des partis de la coalition pour répartir les portefeuilles ministériels. Contrairement à la désignation de l’informateur, le Roi est juridiquement tenu de nommer un formateur, car il ne peut pas s’impliquer lui-même dans la négociation directe entre les partis, ce qui serait contraire au principe de neutralité monarchique dans un régime parlementaire.

Bien que le formateur devienne souvent le Premier ministre, ce n’est pas une règle absolue. Par exemple, en 1968 et en 1979, Paul Vanden Boeynants a été le formateur de gouvernements dirigés respectivement par Gaston Eyskens et Wilfried Martens. De même, en 1988, Jean-Luc Dehaene a joué un rôle clé en formant un gouvernement, mais a laissé la place à Martens pour diriger ce gouvernement.

4. La nomination des ministres et secrétaires d’État

Une fois la coalition formée et les négociations terminées, la nomination des ministres et des secrétaires d’État peut avoir lieu. Le Premier ministre est nommé par arrêté royal (AR), qui est contresigné par le Premier ministre démissionnaire. Ce contreseing est une simple formalité, qualifiée de contresignature de courtoisie, visant à assurer la régularité juridique de l’acte du Roi, sans engager la responsabilité du Premier ministre démissionnaire sur les actes du nouveau gouvernement. En cas de force majeure ou de refus du Premier ministre démissionnaire de signer, le nouveau Premier ministre peut contresigner lui-même sa propre nomination, comme ce fut envisagé en 1940 lors de la crise entre le Roi Léopold III et le gouvernement.

Lorsque le Premier ministre est reconduit dans ses fonctions, un AR refusant sa démission, contresigné par un ministre important du gouvernement sortant, est publié.

5. Les étapes finales : prestation de serment et formation des cabinets ministériels

Le Premier ministre signe ensuite l’arrêté royal acceptant la démission du précédent gouvernement et contresigne les arrêtés de nomination des nouveaux ministres. Avant d’entrer en fonction, les ministres doivent prêter serment entre les mains du Roi.

Une fois nommés, les ministres et secrétaires d’État forment leurs cabinets ministériels, c’est-à-dire l’équipe de conseillers qui les assiste dans leurs fonctions. Les membres des cabinets sont nommés en fonction d’une relation de confiance personnelle entre eux et le ministre. Il est possible de mettre fin à leurs fonctions sans justification particulière. Néanmoins, dans l’affaire Toune, le Conseil d’État a jugé que même si l’autorité dispose d’une large marge de manœuvre pour licencier un membre d’un cabinet sur la base d’une motivation stéréotypée, elle doit respecter les principes de bonne administration. Dans cet arrêt, le licenciement d’un chauffeur d’un ministre wallon, alors en congé maladie, a été jugé contraire à l’équité, car l’intéressé n’avait pas eu l’opportunité de s’expliquer avant la décision.

C. Sur l’influence du processus de fédéralisation sur la formation du gouvernement fédéral

La formation des gouvernements fédéraux en Belgique repose traditionnellement sur une procédure non formalisée qui se déroule en plusieurs étapes, marquées par les consultations royales et la désignation d’un informateur ou d’un formateur. Toutefois, cette procédure peut être modulée en fonction des spécificités de la crise politique à laquelle le pays est confronté. Ce processus flexible permet de répondre aux différentes configurations politiques tout en maintenant la stabilité institutionnelle.

1. La procédure classique en trois étapes

La procédure traditionnelle de formation du gouvernement comprend trois étapes :

Cette procédure flexible n’est pas formalisée dans les textes juridiques, ce qui permet d’y apporter des adaptations en fonction des circonstances politiques.

2. Adaptations en fonction des crises politiques

En fonction de la complexité de la situation politique, le Roi peut adapter cette procédure classique. Par exemple, lorsqu’il est évident qu’une coalition va être reconduite, le Roi peut choisir de sauter l’étape de l’informateur et de désigner directement un formateur. Ce fut le cas en 1985 avec Wilfried Martens et en 1995 avec Jean-Luc Dehaene, où la situation politique était claire et les coalitions déjà identifiées.

Inversement, lorsque la crise politique est plus complexe, des solutions plus originales peuvent être envisagées :

Ces exemples illustrent la souplesse de la procédure, qui s’adapte aux circonstances et permet au Roi de prendre des initiatives lorsque les blocages politiques persistent.

3. Cas complexes : 1987-1988 et 1991-1992

Les crises politiques de 1987-1988 et de 1991-1992 sont révélatrices du caractère non formalisé de la procédure. En 1987-1988, après avoir désigné Philippe Moureaux comme informateur, le Roi Baudouin investit successivement Willy Claes puis Jean-Luc Dehaene dans diverses missions de négociation avant que Wilfried Martens ne devienne finalement formateur et Premier ministre.

En 1991-1992, Baudouin désigne d’abord un informateur, puis successivement deux formateurs (Guy Verhofstadt et Melchior Wathelet), avant de revenir à Jean-Luc Dehaene, qui cumulera les rôles d’informateur, négociateur et formateur.

Ces cas montrent que la succession de rôles d’informateurs, négociateurs et formateurs vise toujours à trouver une coalition stable et à définir un programme de gouvernement, même si les acteurs politiques changent au cours du processus.

4. L’impact de la fédéralisation et de la logique des coalitions symétriques

La fédéralisation de l’État belge a rendu la formation des gouvernements fédéraux plus complexe. Jusqu’en 2003-2004, une logique de symétrie entre les coalitions aux différents niveaux de pouvoir (fédéral et régional) était privilégiée. Avant 1995, cette symétrie était favorisée par le double mandat, où les membres des parlements régionaux et communautaires étaient souvent aussi parlementaires nationaux.

Après 1995, bien que le double mandat ait été supprimé, la concomitance des élections fédérales et régionales permettait encore de maintenir des coalitions relativement homogènes. Par exemple, en 1995, tous les gouvernements (fédéral et régionaux) étaient composés de coalitions entre socialistes et sociaux-chrétiens. De même, en 1999, des majorités arc-en-ciel (libéraux, socialistes, écologistes) se sont formées à tous les niveaux.

Cependant, en 2003-2004, pour la première fois, les élections fédérales et régionales ont été découplées, entraînant des majorités différentes aux différents niveaux de pouvoir. Cela a compliqué la gestion des dossiers, notamment lorsque plusieurs gouvernements sont impliqués.

5. Le cas DHL et les défis du fédéralisme

L’affaire DHL est un exemple éclairant des difficultés que peut rencontrer un gouvernement fédéral face à des gouvernements régionaux ayant des majorités différentes. DHL souhaitait augmenter ses activités à l’aéroport de Bruxelles-National, ce qui nécessitait l’accord de plusieurs autorités régionales et fédérales. Le Premier ministre Verhofstadt a mis en place un guichet unique pour essayer de concilier les points de vue des différents gouvernements.

Bien que le gouvernement fédéral ait trouvé un compromis, ce dernier a été rejeté par les gouvernements régionaux concernés. Cette situation a affaibli le gouvernement fédéral, même si sa responsabilité parlementaire n’était pas directement engagée. Ce cas a soulevé la question du rôle réel du gouvernement fédéral dans un État fédéral complexe.

6. Logique des coalitions symétriques et intérêt national

Cette situation a relancé le débat sur la mission du gouvernement fédéral. Doit-il se limiter à l’exercice de ses propres compétences, ou doit-il jouer un rôle de pacification nationale, cherchant à harmoniser les décisions entre les différentes entités fédérées ? Si l’on estime que le gouvernement fédéral doit défendre l’intérêt interfédéral, la logique des coalitions symétriques paraît souhaitable, car elle permet une meilleure cohérence entre les niveaux de pouvoir.

Cependant, si l’on considère que le gouvernement fédéral doit simplement exercer ses compétences propres, la logique symétrique peut être abandonnée, permettant à chaque entité de former une coalition qui reflète sa propre réalité sociologique.

§ 2 L’élection des membres des organes gouvernementaux

A. Les principes

Le mode de désignation des organes exécutifs des régions et des communautés en Belgique a évolué de manière significative au fil du temps, en suivant plusieurs phases de transition qui ont progressivement mené à leur autonomie complète par rapport au gouvernement fédéral. Ce processus de maturation institutionnelle reflète les dynamiques de la fédéralisation de l’État belge, tout en prenant en compte les enjeux politiques et les équilibres entre les groupes linguistiques et politiques.

1. La phase d’intégration dans le gouvernement central (avant 1980)

Avant la réforme institutionnelle de 1980, les affaires régionales et communautaires étaient encore directement traitées au sein du gouvernement national. Il existait des comités ministériels chargés des questions communautaires ou régionales, qui faisaient partie intégrante du gouvernement fédéral. Ces comités représentaient une ébauche des futurs exécutifs régionaux et communautaires, mais ne possédaient pas encore d’autonomie réelle. En d’autres termes, les compétences régionales et communautaires étaient administrées dans une structure centralisée, sous la supervision directe du gouvernement national.

2. La première phase : les exécutifs intégrés (jusqu’en 1981)

Avec la réforme initiée par la loi spéciale du 8 août 1980, une première étape a été franchie, mais les exécutifs régionaux et communautaires restaient encore intégrés dans le gouvernement fédéral. Cette phase a pris fin avec le renouvellement intégral des Chambres le 7 décembre 1981. Durant cette période, les exécutifs ne possédaient pas une autonomie complète et étaient encore en lien étroit avec le gouvernement national. Il s’agissait d’une étape transitoire avant que les régions et les communautés ne commencent à se doter de véritables exécutifs autonomes.

3. La deuxième phase : la proportionnalité (1981-1985)

La deuxième phase, qui a duré jusqu’au 8 décembre 1985, a marqué un pas vers une plus grande autonomie, mais dans un cadre de gestion collégiale. Les mandats au sein des exécutifs étaient répartis de manière proportionnelle entre les groupes politiques présents au sein des conseils régionaux et communautaires. Ce système visait à inclure tous les partis représentatifs dans la gestion des nouvelles entités, dans une logique d’« union régionale » ou d’« union communautaire ».

Ce modèle de gestion proportionnelle visait à assurer un compromis entre les différentes forces politiques, en particulier dans un contexte où les nouvelles entités étaient encore en phase de rodage. Les décisions étaient ainsi prises soit par consensus, soit, en cas de désaccord, par un vote majoritaire contre l’opposition au sein de l’exécutif. Cette phase a permis de maintenir un certain contrôle de tous les partis sur les nouvelles entités tout en assurant une transition en douceur vers une gestion autonome.

4. La troisième phase : autonomie et formation des majorités (depuis 1985)

Depuis le 8 décembre 1985, les exécutifs régionaux et communautaires se forment désormais en fonction des majorités politiques qui se dégagent spontanément au sein des conseils, sans obligation d’inclure tous les partis comme c’était le cas auparavant. Ce changement a introduit une liberté de composition, permettant la formation de gouvernements basés sur des coalitions majoritaires, reflétant les rapports de force politiques.

5. La réforme de 1993 : symbolique et ouverture aux extraparlementaires

La réforme de l’État de 1993 a marqué un tournant en apportant plusieurs modifications importantes :

6. Évolution du nombre de membres des exécutifs

Le nombre de membres des gouvernements régionaux et communautaires a également évolué. Entre 1980 et 1988, ce nombre était fixé de manière rigide, limitant la taille des gouvernements. Cependant, à partir de 1988, il n’a été question que d’un nombre maximum de membres, offrant ainsi une plus grande flexibilité. En 1993, il a été décidé que les conseils régionaux et communautaires pouvaient, dans le cadre de leur autonomie constitutive, modifier le nombre maximum de membres fixé par la loi spéciale, leur offrant ainsi davantage de marge de manœuvre pour ajuster la composition des gouvernements en fonction des besoins politiques.

7. Parité des sexes (2003)

Les lois spéciale et ordinaire du 5 mai 2003 ont introduit une obligation importante en matière de parité des sexes. Désormais, tous les gouvernements régionaux et communautaires doivent comprendre des membres de sexe différent. Cette mesure vise à renforcer la représentation des femmes dans les organes exécutifs, en assurant une plus grande diversité de genre au sein des gouvernements.

B. Les modalités de formation du gouvernement régional et communautaire en Belgique

La loi spéciale du 8 août 1980 (LS) prévoit deux procédures distinctes pour la formation des gouvernements régionaux et communautaires : une procédure normale et une procédure subsidiaire. Ces mécanismes sont essentiels pour garantir la composition du gouvernement dans des contextes politiques variés, qu’il s’agisse de l’élection du gouvernement de la Communauté flamande, de la Région wallonne, de la Communauté française, ou de la Communauté germanophone.

A. La procédure normale

La procédure normale, définie à l’article 60 de la LS du 8 août 1980, s’applique lorsque les partis politiques parviennent à un accord de majorité au sein du Conseil (le Parlement) avant la formation du gouvernement. Dans cette situation, les membres du gouvernement sont élus à partir d’une liste de candidats signée par la majorité absolue des membres du Conseil. Une fois cette liste approuvée, les membres du gouvernement sont automatiquement désignés.

B. La procédure subsidiaire

En cas d’absence d’une majorité claire au sein du Parlement, l’article 60, §2 et §3 de la LS prévoit une procédure subsidiaire, qui ne s’applique que si aucune majorité politique ne s’est dégagée le jour de l’élection. Dans ce cas, il est procédé à l’élection séparée des membres du gouvernement.

1. Quand appliquer la procédure subsidiaire ?

La question clé est de savoir quand juridiquement cette procédure doit être déclenchée. Le « jour de l’élection » se réfère au moment où le Parlement nouvellement élu se réunit pour la première fois. En vertu de l’article 73 de la LS, le gouvernement démissionnaire doit être remplacé sans délai. Ce principe s’applique également après un renouvellement du Parlement, ce qui entraîne automatiquement la démission du gouvernement en place.

C’est à ce moment précis que la démission du gouvernement prend effet, et si aucune majorité n’a émergé, il est alors nécessaire d’entamer la procédure subsidiaire avec l’élection séparée des membres du gouvernement.

2. La pratique divergente

Cependant, dans la pratique, ce processus n’est pas toujours respecté. Par exemple, après les élections du 13 juin 2004, le Parlement wallon s’est réuni le 29 juin mais n’a pas procédé à l’élection des membres du gouvernement. Au lieu de cela, le Parlement a reçu la démission du gouvernement, qui a continué à expédier les affaires courantes jusqu’à la formation irrégulière d’un nouveau gouvernement le 20 juillet 2004. Ce décalage entre les principes légaux et la pratique souligne des défis dans l’application stricte de la procédure.

C. Les limites de la procédure subsidiaire

Bien que la procédure subsidiaire semble assurer une stabilité gouvernementale en garantissant la formation d’un gouvernement, cette stabilité est souvent qualifiée de fictive. En effet, le gouvernement ainsi formé est composé de membres qui ne partagent pas nécessairement la volonté de gouverner ensemble, ce qui peut entraîner un manque d’homogénéité et de solidarité au sein de l’exécutif.

Ce gouvernement transitoire peut être affaibli par des négociations politiques continues, visant à conclure un accord de majorité. Ce climat de négociation permanente peut paralyser l’action du gouvernement, le rendant inefficace.

En réalité, ce type de gouvernement n’a pas vocation à durer longtemps. Son rôle est essentiellement transitoire, similaire à celui d’un gouvernement démissionnaire, dont la tâche est d’expédier les affaires courantes jusqu’à la formation d’une majorité stable. Ainsi, il apparaît souvent inutile de constituer un nouveau gouvernement de transition, qui n’aura guère plus de pouvoir que le précédent.

D. La formation du gouvernement dans la Région de Bruxelles-Capitale

Des principes analogues s’appliquent au gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, avec quelques particularités. La procédure normale prévoit que les membres du gouvernement sont élus sur une liste contresignée par la majorité des membres du Parlement et par la majorité des membres de chaque groupe linguistique (francophone et néerlandophone).

1. La procédure subsidiaire à Bruxelles

Si aucune majorité n’émerge lors de la première tentative, l’élection est ajournée pour un délai de 15 jours afin de permettre aux négociations de se poursuivre. Si ces négociations échouent, il est alors procédé à l’élection séparée des membres du gouvernement par cinq scrutins secrets. Cette procédure est une transposition adaptée du modèle en vigueur dans les autres entités régionales et communautaires.

2. La réforme de 2001 et ses implications constitutionnelles

La loi spéciale du 13 juillet 2001 a introduit une procédure subsidiaire supplémentaire à Bruxelles. Si la majorité absolue n’est toujours pas atteinte lors du scrutin subsidiaire, une nouvelle élection est organisée dans un délai minimal de 30 jours. Cependant, ce système a soulevé des problèmes constitutionnels, notamment en ce qui concerne l’élection des membres néerlandophones du gouvernement. La Cour d’arbitrage (aujourd’hui Cour constitutionnelle) a invalidé ce mécanisme dans son arrêt 35/2003 du 25 mars 2003, car il violait l’article 122 de la Constitution, qui stipule que les gouvernements régionaux et communautaires doivent être élus par les Conseils et non par des assemblées extérieures comme la Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC), qui avait été impliquée dans la sélection des membres néerlandophones.

E. Déséquilibre linguistique

Ces règles engendrent un certain déséquilibre dans les pouvoirs conférés aux groupes linguistiques au sein des gouvernements régionaux et communautaires. En effet, dans certains cas, les membres francophones du Parlement peuvent, s’ils sont au moins 45, exercer un droit de veto sur la désignation des membres néerlandophones du gouvernement. À l’inverse, le groupe linguistique néerlandophone n’a pas les moyens d’empêcher l’élection du Ministre-Président et des membres francophones du gouvernement, ce qui crée une asymétrie dans le rapport de force politique entre les deux communautés.

En résumé, les procédures de formation des gouvernements régionaux et communautaires en Belgique sont conçues pour garantir une continuité et une stabilité dans l’exercice du pouvoir. Toutefois, ces mécanismes, notamment la procédure subsidiaire, sont parfois perçus comme inefficaces ou source de paralysie, et les déséquilibres linguistiques qui en résultent peuvent accentuer les tensions communautaires au sein des institutions belges.

C. La ratification royale de l’élection du Président du gouvernement

La ratification royale de l’élection du Président du gouvernement régional ou communautaire en Belgique est une procédure qui, bien qu’essentiellement formelle, revêt une importance symbolique dans la relation entre les entités fédérées et l’autorité fédérale.

1. Élection et ratification

Une fois que les membres du gouvernement régional ou communautaire sont élus, ils choisissent en leur sein un Président. Cette élection doit ensuite être ratifiée par le Roi, qui joue un rôle formel dans ce processus. Une fois ratifiée, le nouveau Président prête serment entre les mains du Roi.

Cette procédure est comparable à celle qui s’applique pour la ratification de la désignation du président du collège de l’agglomération de Bruxelles, une ancienne institution. Les travaux préparatoires de l’article 108bis (aujourd’hui abrogé) de la Constitution belge précisaient que la ratification royale ne pouvait être refusée que pour des raisons personnelles, comme l’indignité morale du candidat, et non pour des motifs politiques, idéologiques ou linguistiques. Cela souligne le caractère limité de l’intervention royale dans le processus.

2. Un rôle essentiellement formel

Bien que le Roi soit techniquement responsable de ratifier l’élection du Président d’un gouvernement régional ou communautaire, il est peu concevable qu’il refuse de le faire. En pratique, son rôle se limite à une intervention purement protocolaire, visant à valider une élection déjà approuvée par les membres du gouvernement.

Un exemple marquant de cette formalité a été la situation de 1985, lorsque le Conseil régional wallon n’a pu élire son exécutif qu’à la suite de l’éviction jugée illégale du sénateur de la Volksunie T. Van Overstraeten. Certains observateurs ont suggéré que le Roi, sur conseil d’un ministre, aurait pu exercer un contrôle de légalité sur cette élection, impliquant ainsi un refus de ratification si l’élection était jugée illégale. Cependant, le Premier ministre de l’époque a choisi de ne pas suivre cette voie. Il a affirmé que la responsabilité de la composition de l’exécutif incombait exclusivement au Président du Conseil régional, et que la ratification royale n’était qu’une formalité. Le refus de ratification ne pouvait être justifié que par l’indignité personnelle du candidat, et non par des considérations politiques.

3. Contrôle de légalité minimal

L’autorité fédérale s’est ainsi limitée à un contrôle minimal de la légalité, restreint à la régularité formelle de la désignation du Président de l’exécutif. Bien que ce contrôle soit très limité, il introduit une brèche symbolique dans l’autonomie des entités fédérées. Cela signifie que, même si le contrôle royal est essentiellement formel, il existe un certain degré d’implication fédérale dans le processus de formation des gouvernements régionaux ou communautaires.

Le Conseil d’État a refusé d’intervenir dans cette question en 1985, affirmant qu’il n’avait pas compétence pour juger de la manière dont une assemblée procède à la vérification des pouvoirs de ses membres, ce qui inclut la désignation du Président du gouvernement. Par conséquent, le Conseil d’État ne peut pas se prononcer sur la légalité de la ratification royale.

4. Un rôle marginal du Roi dans les négociations

En pratique, le rôle du Roi dans le processus de formation des gouvernements régionaux et communautaires est quasi inexistant. Les négociations pour former ces gouvernements sont menées par les leaders des partis politiques dominants de chaque entité. Par exemple, en 2004, les négociations dans la Communauté française et la Région wallonne ont été dirigées par le président du PS, Elio Di Rupo. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, c’est Charles Picqué (PS) qui a mené les discussions, tandis que dans la Communauté flamande, c’était Yves Leterme, président du CD&V.

Ainsi, bien que la ratification royale existe encore dans le cadre de l’élection du Président des gouvernements régionaux ou communautaires, son rôle est essentiellement protocolaire et symbolique. Le Roi n’intervient pas dans les négociations politiques complexes qui précèdent la formation des gouvernements, celles-ci étant entièrement gérées par les partis politiques concernés.

En résumé, la ratification royale de l’élection du Président du gouvernement régional ou communautaire est une formalité qui consacre officiellement le choix des membres du gouvernement. Bien que ce processus ait un impact limité sur l’autonomie des institutions régionales et communautaires, il reste un geste symbolique important, ancré dans la tradition du fédéralisme belge. Le rôle du Roi est donc largement marginal et n’interfère pas avec les négociations politiques internes aux entités fédérées, qui sont dirigées par les leaders des partis majoritaires.

Sous-section 2 : L’organisation et le fonctionnement des organes gouvernementaux

L’organisation et le fonctionnement des organes gouvernementaux en Belgique sont encadrés par un ensemble de règles qui traduisent les principes fondamentaux du régime parlementaire. Ces principes sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie parlementaire et visent à garantir la cohérence et l’efficacité de l’action gouvernementale. Deux de ces principes sont particulièrement importants : l’homogénéité ministérielle et la solidarité gouvernementale.

§ 1 – La parité linguistique

La parité linguistique est un principe fondamental dans l’organisation politique belge, en particulier au niveau fédéral et dans la Région de Bruxelles-Capitale, où la coexistence des communautés linguistiques francophone et néerlandophone doit être soigneusement équilibrée. Ce principe garantit que les deux principales communautés linguistiques du pays sont représentées de manière équitable au sein des organes exécutifs, ce qui est essentiel dans un État fédéral marqué par la diversité linguistique et culturelle.

A. La parité au sein du Conseil des ministres

L’article 99 de la Constitution belge établit que le Conseil des ministres – à l’exception possible du Premier ministre – doit être composé de manière paritaire, avec un nombre égal de ministres d’expression française et de ministres d’expression néerlandaise. Ce principe est un élément central du fonctionnement du gouvernement fédéral, garantissant une représentation équilibrée des deux grandes communautés linguistiques du pays.

Le Conseil d’État, dans ses avis des 24 janvier 1978 et 3 avril 1980, a précisé la portée exacte de cet article. Selon ces avis, l’absence temporaire d’un ministre, par exemple en raison de maladie ou d’autres circonstances fortuites, n’a pas d’impact direct sur le respect de la parité linguistique. En revanche, en cas de décès ou de démission d’un ministre, la parité doit être rétablie le plus rapidement possible. Cela signifie que le gouvernement doit s’assurer de maintenir cet équilibre linguistique en nommant un remplaçant du même groupe linguistique, afin de préserver la légitimité et la stabilité des décisions prises par l’exécutif.

Ainsi, la parité n’est pas seulement une exigence symbolique, mais une règle constitutionnelle visant à protéger l’égalité entre les deux communautés principales dans la prise de décisions au plus haut niveau de l’État. Elle reflète la structure fédérale et la nécessité de consensus entre les francophones et les néerlandophones pour maintenir la cohésion du pays.

B. La parité en trompe-l’œil au sein du gouvernement bruxellois

La Région de Bruxelles-Capitale est une entité bilingue, où la parité linguistique est également en vigueur. Le gouvernement bruxellois est composé de cinq membres, à savoir le président du gouvernement, deux membres du groupe linguistique français et deux membres du groupe linguistique néerlandais. Cette répartition vise à maintenir un équilibre entre les deux communautés dans une région où les francophones sont majoritaires, mais où les néerlandophones bénéficient de garanties institutionnelles importantes pour protéger leurs droits.

Toutefois, comme le souligne F. Jongen, cette parité peut être perçue comme une « parité en trompe-l’œil ». En effet, bien que la composition soit officiellement paritaire, le Président du gouvernement bruxellois est souvent issu du groupe linguistique le plus nombreux, c’est-à-dire le groupe francophone, qui est majoritaire à Bruxelles. Cela crée une situation où, malgré l’égalité formelle entre les membres des deux groupes linguistiques, le poids politique réel peut pencher en faveur des francophones en raison de la présidence du gouvernement.

Cependant, ce mécanisme garantit toujours une représentation néerlandophone dans la gestion des affaires régionales, empêchant toute domination totale d’un groupe sur l’autre. La parité linguistique dans le gouvernement bruxellois est ainsi une construction institutionnelle complexe qui vise à concilier le poids démographique des francophones avec les droits institutionnels des néerlandophones, ces derniers jouissant de protections supplémentaires malgré leur statut minoritaire à Bruxelles.

§ 2 – Les membres des organes exécutifs

A. Les ministres fédéraux

Le Premier ministre occupe une place centrale au sein du gouvernement fédéral belge. Si cette fonction existait de facto depuis 1830, le titre officiel de Premier ministre n’est apparu qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. À l’origine, son rôle se limitait principalement à la formation du gouvernement, à la présidence du Conseil des ministres, et à la liaison entre le Roi et les autres ministres. Aujourd’hui, le Premier ministre a des responsabilités bien plus étendues et exerce une influence considérable sur la politique nationale et internationale. Il dirige l’ensemble du gouvernement, joue un rôle clé dans l’élaboration de la déclaration gouvernementale, et préside les réunions tant du Conseil des ministres que des comités ministériels. Il représente également la Belgique lors des sommets internationaux, notamment ceux de l’Union européenne. Avec le temps, le Premier ministre est passé de primus inter pares (premier parmi ses pairs) à une figure de superministre, disposant de pouvoirs beaucoup plus importants que ceux des autres membres du gouvernement.

Les Vice-Premiers ministres, apparus en 1961, sont des figures importantes au sein de l’exécutif. Ils sont généralement issus de partis politiques différents de celui du Premier ministre, reflétant ainsi la diversité des coalitions. Chaque parti représenté au sein du gouvernement dispose en principe d’un Vice-Premier ministre, qui agit comme son représentant principal au sein de l’exécutif. Le groupe constitué par le Premier ministre et les Vice-Premiers ministres forme souvent une cellule décisionnelle restreinte, jouant un rôle clé dans la direction du gouvernement et l’arbitrage des questions délicates. En cas d’absence ou d’empêchement du Premier ministre, c’est l’un des Vice-Premiers ministres qui le remplace, selon un ordre protocolaire. Le premier Vice-Premier ministre est généralement le représentant du parti le plus important de l’autre communauté linguistique, assurant ainsi un équilibre politique et linguistique.

Les ministres ordinaires, en tant que membres du gouvernement, ont une double fonction. D’une part, ils sont conseillers et collaborateurs officiels du Roi, engageant leur responsabilité pour les actes royaux. D’autre part, ils dirigent un Service public fédéral (SPF), sur lequel ils exercent un pouvoir hiérarchique direct. Ce rôle leur confère une responsabilité sur la mise en œuvre des politiques publiques dans leur domaine de compétence.

Les ministres d’État sont, quant à eux, des personnalités politiques ayant reçu ce titre honorifique en reconnaissance de leur contribution à la vie politique belge. Ils n’ont pas de pouvoirs exécutifs formels et ne peuvent pas contresigner d’arrêtés royaux. Leur rôle est essentiellement consultatif. Parfois, des personnes peuvent être nommées ministres d’État sans avoir jamais exercé de fonctions ministérielles. Par exemple, la nomination en 2003 de Koenraad Coene, ancien chef de cabinet du Premier ministre, a suscité des critiques, certains y voyant une récompense disproportionnée. Néanmoins, les ministres d’État sont fréquemment consultés par le Roi et les autres membres du gouvernement, et forment, avec ceux-ci, le Conseil de la Couronne, une instance historique qui, bien que symbolique, n’a plus été réunie depuis 1960 (indépendance du Congo).

B. Les membres des gouvernements régionaux et communautaires

Les gouvernements régionaux et communautaires en Belgique sont composés de deux types de membres : le Président et les ministres ordinaires. Le Président du gouvernement régional ou communautaire, souvent appelé Ministre-Président, exerce un rôle similaire à celui du Premier ministre au niveau fédéral. Il dirige les activités du gouvernement, supervise l’élaboration des politiques et représente la région ou la communauté tant au niveau national qu’international.

Les membres ordinaires des gouvernements régionaux et communautaires ont des fonctions similaires à celles des ministres fédéraux. Ils sont responsables de la gestion des départements ministériels au sein de leur région ou communauté respective. L’utilisation des titres de Ministre-Président et de ministre par les membres de ces gouvernements est courante, bien que cette pratique n’ait pas de fondement constitutionnel ou légal strict. Il s’agit plutôt d’une convention issue de l’évolution des institutions régionales et communautaires belges. Néanmoins, ces titres permettent de refléter la structure hiérarchique et fonctionnelle de ces gouvernements, en particulier dans un contexte où les compétences des entités fédérées se sont considérablement élargies depuis les réformes institutionnelles des dernières décennies.

C. Les secrétaires d’État

1. Les secrétaires d’État fédéraux

La création de la fonction de secrétaire d’État fédéral est le résultat d’une révision constitutionnelle opérée le 24 décembre 1970, donnant au Roi la possibilité de nommer des secrétaires d’État pour assister les ministres dans leurs tâches. L’article 104 de la Constitution confère au Roi le pouvoir discrétionnaire de nommer et de révoquer ces secrétaires d’État, alors que l’article 96 l’oblige à nommer des ministres, qui sont les principaux responsables des décisions gouvernementales. Cette distinction est importante, car elle souligne que la nomination de secrétaires d’État est facultative, contrairement à celle des ministres.

Les secrétaires d’État sont subordonnés aux ministres auxquels ils sont adjoints et ne font pas partie du Conseil des ministres, bien qu’ils puissent y assister si les discussions concernent leur domaine de compétence. De plus, la parité linguistique entre francophones et néerlandophones, exigée pour les ministres fédéraux, ne s’applique pas aux secrétaires d’État. Toutefois, dans la limite de leurs attributions, ils ont des pouvoirs similaires à ceux des ministres, y compris celui de contresigner les arrêtés royaux (AR). Cependant, pour des actes importants comme le dépôt de projets de loi ou la sanction et la promulgation des lois, le contreseing du ministre auquel ils sont adjoints est requis.

En cas d’excès de compétence, un secrétaire d’État contresignant un acte hors de ses attributions peut engager sa responsabilité politique. La question de la validité des actes signés par un secrétaire d’État en dehors de ses compétences a suscité des débats. Une interprétation soutient que l’acte du Roi produit ses effets dès lors qu’un membre du gouvernement l’a contresigné, transformant ainsi l’excès de compétence en un problème interne au gouvernement. Cependant, selon une autre thèse, les juridictions, telles que le Conseil d’État, peuvent annuler un arrêté royal contresigné par un secrétaire d’État hors de ses attributions, ou refuser son application. La jurisprudence du Conseil d’État précise que les arrêtés nécessitant un contreseing doivent être signés par les ministres compétents, sous peine de nullité.

2. Les commissaires du gouvernement

Les commissaires du gouvernement sont des fonctionnaires temporaires nommés pour des missions spécifiques. Par exemple, lors de la formation du gouvernement Verhofstadt-Onkelinx I, trois commissaires ont été désignés pour gérer des dossiers sensibles comme les relations entre la Belgique et la Commission européenne concernant la crise de la dioxine, la simplification administrative, et la fraude fiscale. Bien que ces missions soient ponctuelles et limitées, les commissaires n’ont pas intégré durablement la structure politique belge. Lors de la formation du gouvernement Verhofstadt-Onkelinx II, cette expérience n’a pas été reconduite, indiquant que les commissaires du gouvernement ne sont pas destinés à devenir un élément permanent de l’appareil exécutif belge.

3. Les secrétaires d’État régionaux à Bruxelles

Dans la Région de Bruxelles-Capitale, le Conseil régional élit cinq membres du gouvernement régional ainsi que trois secrétaires d’État régionaux. Cette institution particulière s’explique, en partie, par la nécessité de maintenir les équilibres linguistiques au sein de l’exécutif bruxellois. Bien que les secrétaires d’État ne fassent pas formellement partie du gouvernement régional, ils peuvent participer aux réunions lorsqu’il s’agit de sujets relevant de leur compétence. Ils sont adjoints à un ministre du gouvernement qui fixe leurs attributions. En termes de responsabilité politique, ils sont soumis aux mêmes règles que les ministres devant le Parlement.

Cependant, leur rôle diffère de celui des secrétaires d’État fédéraux. Leurs compétences sont strictement limitées à des tâches de préparation et d’exécution, sans pouvoir d’initiative législative propre. Ils ne peuvent pas non plus participer de manière autonome aux décisions qui nécessitent une délibération collégiale du gouvernement. Ces limitations visent à préserver un certain équilibre au sein de l’exécutif bruxellois.

Une jurisprudence du Conseil d’État a souligné la portée limitée des compétences des secrétaires d’État régionaux. Par exemple, un arrêté du gouvernement bruxellois concernant le personnel du Service d’incendie et d’aide médicale urgente a été annulé parce qu’il avait été signé par un secrétaire d’État en plus des membres du gouvernement. Le Conseil d’État a jugé que cela portait atteinte à l’équilibre institutionnel. Cette interprétation rigoureuse témoigne de la volonté du législateur spécial de préserver la distinction entre les membres du gouvernement et les secrétaires d’État.

Enfin, depuis la loi spéciale du 16 juillet 1993, les secrétaires d’État font partie, au même titre que les membres du gouvernement bruxellois, du collège de la Commission communautaire française (COCOF) et de la Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC). Dans l’exercice de ces fonctions communautaires, leurs pouvoirs sont identiques à ceux des autres membres de ces organes collégiaux, renforçant leur rôle dans les matières communautaires, même si leurs compétences restent limitées au niveau régional.

§ 3 – L’organisation du travail gouvernemental

Les organes gouvernementaux en Belgique se composent souvent d’instances collégiales, où la majorité des décisions sont prises collectivement. Cela s’applique tant au niveau fédéral qu’au niveau des entités fédérées, bien que les structures et les modalités de prise de décision puissent varier entre ces niveaux.

A. Le Conseil de gouvernement et le Conseil des ministres

Au niveau fédéral, les ministres se réunissent régulièrement au sein du Conseil des ministres, un organe dont l’existence est expressément consacrée par la Constitution belge. Ce conseil, qui doit être paritaire et composé de personnes des deux sexes, est chargé de nombreuses missions, couvrant un large éventail de compétences gouvernementales. Parmi ses responsabilités figurent :

Le Conseil des ministres est donc un acteur central de la vie publique belge, et son rôle s’est considérablement accru au cours du XXe siècle. En parallèle, il existe le Conseil de gouvernement, qui est plus informel et non mentionné dans la Constitution. Il réunit non seulement les ministres, mais aussi les secrétaires d’État, et est convoqué pour discuter des options politiques importantes. Bien qu’il ne soit pas consacré constitutionnellement, le Conseil de gouvernement joue un rôle pertinent dans les décisions politiques majeures.

B. Les comités ministériels

Jusqu’en 1992, divers comités ministériels existaient au sein du gouvernement fédéral pour traiter des questions spécifiques. Cependant, ces comités ont été supprimés en mars 1992, notamment en raison du nombre restreint de ministres, qui rend leur réinstauration improbable. Seul subsiste aujourd’hui le Kernkabinet ou Conseil des ministres restreint, qui réunit le Premier ministre et les Vice-Premiers ministres. Cet organe joue un rôle crucial dans le fonctionnement quotidien du gouvernement, en préparant les décisions importantes avant leur adoption formelle en Conseil des ministres.

Un exemple particulier de comité ministériel fut la création, par un arrêté royal du 29 septembre 1991, de trois comités ministériels régionaux pour l’octroi de licences d’exportation d’armes. Cela s’est produit lors d’une crise politique liée à l’exportation d’armes par des entreprises wallonnes vers l’Arabie saoudite. La création de ces comités a suscité de vives critiques, certains y voyant une forme de régionalisation de facto du commerce extérieur, compétence normalement fédérale. Toutefois, il est important de souligner que ces comités, bien qu’agissant de manière régionale, engageaient collectivement la responsabilité du gouvernement fédéral. Ainsi, les décisions prises par ces comités étaient couvertes par l’ensemble du gouvernement, ce qui écartait l’idée d’une régionalisation larvée. L’exemple des démissions des membres de la Volksunie à la suite de cette affaire illustre également que le gouvernement, en tant qu’entité collégiale, assumait la responsabilité de ces décisions.

C. La division du travail au sein des gouvernements régionaux et communautaires

Les gouvernements régionaux et communautaires belges sont également soumis à des règles de répartition des tâches entre leurs membres, visant à préparer et exécuter les décisions gouvernementales. Les lois de réformes institutionnelles ont institué deux systèmes principaux pour cette répartition :

  1. Répartition par arrêté ou protocole interne : Ce système s’applique lorsque le gouvernement est issu d’une coalition majoritaire. Les tâches sont alors formellement réparties entre les ministres par arrêté ou via un protocole interne. Ce mode de fonctionnement est le plus courant.
  2. Répartition par lots de compétences : Ce système subsidiaire est encore utilisé dans la Région de Bruxelles-Capitale. En vertu de l’article 37 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, si le gouvernement régional ne parvient pas à un consensus sur la répartition des compétences, chaque membre du gouvernement choisit, à tour de rôle, un lot de compétences parmi cinq domaines définis. Ce mécanisme vise à éviter les blocages en cas de désaccord sur la répartition des compétences.

Il est intéressant de noter que le système des lots de compétences n’est pas appliqué lorsque les membres du gouvernement sont élus séparément. Cela peut donner lieu à des abus, où une majorité de fait pourrait se former au sein du gouvernement pour priver certains membres de leurs attributions. Dans de tels cas, les membres lésés n’auraient d’autre choix que d’accepter cet état de fait ou de démissionner. C’est précisément pour prévenir ce type de situations que le système des lots a été instauré, garantissant une répartition équitable des responsabilités entre les membres du gouvernement.

En conclusion, le fonctionnement des organes collégiaux en Belgique, tant au niveau fédéral que régional, repose sur une répartition soigneusement encadrée des compétences et sur des mécanismes permettant de préserver la solidarité gouvernementale. Que ce soit à travers les Conseils des ministres, les comités ministériels, ou les réformes institutionnelles pour les gouvernements régionaux et communautaires, les structures sont conçues pour faciliter la prise de décision collective tout en garantissant l’équilibre entre les diverses composantes politiques et linguistiques du pays.

§ 4 – Le mode de délibération des organes gouvernementaux

Le fonctionnement des organes gouvernementaux en Belgique repose sur une délibération collégiale, structurée autour du principe du consensus. Ce mode de prise de décision est essentiel dans un pays où le gouvernement doit souvent refléter la diversité linguistique et politique des différentes régions et communautés. Dans cette approche, la décision naît d’un débat entre les membres du gouvernement, sans qu’il soit nécessaire de procéder à un vote formel. Chaque ministre, après avoir exprimé ses vues, décide en conscience s’il peut adhérer à la décision finale. S’il y consent, il est tenu à la solidarité gouvernementale, ce qui implique qu’il ne peut critiquer publiquement la décision. En revanche, s’il estime qu’il ne peut pas soutenir la décision, il est en quelque sorte contraint de démissionner.

Il est important de noter que le consensus ne signifie pas unanimité absolue, mais plutôt l’absence d’objections majeures ou irréconciliables de la part de l’un des membres. Si un ministre exprime une opposition profonde et insurmontable, il a alors le choix de se retirer, comme l’ont fait plusieurs ministres dans l’histoire politique belge, illustrant ainsi le respect de ce principe.

L’absence de votes formels en Conseil des ministres

En principe, le Conseil des ministres ne procède pas à des votes formels. Les décisions sont prises collectivement, et chacun doit y adhérer ou, à défaut, se retirer. Toutefois, il est crucial de souligner que, bien que cela soit rare en pratique, le vote n’est pas interdit. Ce dernier pourrait être envisagé, mais la confidentialité des délibérations doit être strictement respectée. Ainsi, dans l’hypothèse où un vote serait organisé, le résultat ne devrait pas être divulgué publiquement afin de maintenir la cohésion et l’apparence de solidarité gouvernementale.

La protection des minorités francophones et la paralysie du gouvernement

Le consensus est particulièrement significatif dans le contexte belge, notamment pour la protection des minorités linguistiques. En raison de la complexité du paysage institutionnel belge, un certain nombre de ministres francophones peuvent, par exemple, bloquer une décision si celle-ci ne leur convient pas. Cela permet à la minorité francophone de ne pas se retrouver marginalisée dans des décisions gouvernementales cruciales. Un exemple frappant de cette dynamique est l’incident d’octobre 1991, où les ministres francophones ont refusé de prendre une décision avant d’obtenir des garanties sur le transfert de la redevance radio-télévision. L’absence de consensus a alors provoqué une paralysie gouvernementale. Cependant, le ministre M. Colla a agi de manière unilatérale en signant des contrats favorables à des entreprises flamandes sans attendre la délibération sur ce point, constituant ainsi une violation flagrante du principe de solidarité gouvernementale et du consensus.

Démissions respectueuses du consensus

La démission de Magda Aelvoet en 2002 constitue un exemple de respect strict du principe de consensus. Alors ministre dans le gouvernement Verhofstadt-Onkelinx I, elle avait donné son accord à l’octroi d’une licence d’exportation d’armes vers le Népal. Suite aux vives réactions au sein de son parti, Agalev, elle a estimé qu’elle ne pouvait plus demeurer solidaire de cette décision, ce qui l’a poussée à démissionner. Cette démarche s’inscrit dans une application rigoureuse du consensus : ne pouvant plus adhérer à la décision, elle a choisi de se retirer plutôt que de rester au sein du gouvernement.

De manière similaire, la démission des ministres Ecolo en mai 2003 s’explique par un désaccord sur la gestion des vols de nuit au-dessus de Bruxelles. Le gouvernement était divisé sur cette question, et un arrêté royal a retiré la compétence en matière de contrôle aérien à Isabelle Durant, vice-première ministre compétente en matière de mobilité, pour la confier à Laurette Onkelinx. Face à cette décision, Durant a jugé impossible de rester solidaire et a choisi de démissionner, respectant ainsi le principe du consensus.

Le consensus dans les institutions régionales et communautaires

Le principe du consensus en vigueur au niveau fédéral a également été étendu aux institutions régionales et communautaires. Cette consécration juridique figure dans l’article 69 de la loi spéciale du 8 août 1980 portant sur les réformes institutionnelles. Ce texte précise que chaque gouvernement régional ou communautaire délibère collégialement et dans le respect du consensus, comme au sein du Conseil des ministres fédéral. Ainsi, ce principe s’applique quel que soit le mode de composition des gouvernements régionaux et communautaires, assurant une cohésion dans la manière de gouverner à tous les niveaux de pouvoir en Belgique.

Sous-section 3 : La cessation d’activité des membres des organes gouvernementaux

§ 1- Les causes de cessation collectives des fonctions

A. La mise en œuvre de la responsabilité collective d’un gouvernement

En Belgique, le principe de responsabilité collective du gouvernement signifie qu’un gouvernement peut être contraint de démissionner si l’assemblée devant laquelle il est politiquement responsable exprime sa défiance. Au niveau fédéral ainsi que dans les entités fédérées (régions et communautés), cela se manifeste principalement par le vote d’une motion de méfiance constructive. Ce mécanisme permet à l’assemblée de retirer sa confiance au gouvernement tout en désignant un successeur, garantissant ainsi la stabilité institutionnelle.

De plus, un gouvernement doit également démissionner lorsque l’assemblée rejette, à la majorité de ses membres, une motion de confiance que le gouvernement a déposée. Ces deux procédures (motion de méfiance constructive et rejet d’une motion de confiance) sont les principales voies permettant à un parlement de mettre en cause la responsabilité collective du gouvernement.

Cependant, ces règles ont été partiellement adaptées aux spécificités institutionnelles de la Région de Bruxelles-Capitale, où le système politique est plus complexe en raison de la diversité linguistique. Dans ce cadre, trois hypothèses doivent être distinguées :

  1. Motion dirigée contre le Ministre-Président : Une telle motion doit être approuvée par une majorité simple des membres du Parlement bruxellois.
  2. Motion dirigée contre l’ensemble du gouvernement : Dans ce cas, une double majorité est nécessaire. Cela signifie qu’en plus d’une majorité au sein de l’ensemble du Parlement, une majorité doit être obtenue au sein de chaque groupe linguistique (francophone et néerlandophone).
  3. Motion dirigée contre un membre spécifique du gouvernement : Ici, la motion doit recueillir une majorité au sein du groupe linguistique auquel appartient le membre du gouvernement visé.

Les règles relatives à la motion de confiance, en revanche, ont été transposées sans modification dans la Région de Bruxelles-Capitale. Une motion de confiance y est adoptée si elle obtient une majorité simple des membres du Parlement régional.

B. La démission d’un gouvernement à la suite des élections

En Belgique, après les élections, il est d’usage pour le gouvernement fédéral de présenter sa démission, même s’il ne l’a pas fait auparavant. Cette pratique, observée après les élections de 1995, 1999 et 2003, repose sur le respect de l’expression démocratique du suffrage universel. Cela signifie que le gouvernement en place reconnaît implicitement que la composition de l’assemblée parlementaire a été modifiée, et que de nouveaux rapports de force politiques doivent être pris en compte.

La question s’est posée de savoir si ce même principe devait s’appliquer aux gouvernements des régions et des communautés après les élections régionales et communautaires, qui entraînent également une nouvelle configuration des assemblées parlementaires. En théorie, les mêmes principes devraient s’appliquer : un gouvernement régional ou communautaire devrait également démissionner pour permettre la formation d’un nouveau gouvernement reflétant les résultats électoraux.

Toutefois, des contraintes techniques compliquent cette démarche pour les gouvernements des entités fédérées. Contrairement au niveau fédéral, les parlements régionaux et communautaires, seuls habilités à accepter la démission du gouvernement, ne sont pas toujours en mesure de se réunir immédiatement après les élections. Ainsi, la démission du gouvernement régional ou communautaire n’est effective qu’à la première réunion de l’assemblée compétente. Pendant cet intervalle, bien que le gouvernement ne soit plus sous contrôle parlementaire, il est tenu d’expédier les affaires courantes, c’est-à-dire de gérer les dossiers en cours sans prendre de nouvelles initiatives politiques majeures.

Cette situation pourrait créer un certain désordre. Une solution législative simple permettrait d’y remédier : il suffirait de prévoir que, dès le lendemain des élections, le gouvernement en place est automatiquement considéré comme démissionnaire de plein droit, tout en étant chargé de l’expédition des affaires courantes jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit formé. Cela permettrait également d’éliminer la procédure subsidiaire de formation du gouvernement, dont l’inefficacité a déjà été démontrée.

C. La démission d’un gouvernement à la suite de l’accession au trône d’un nouveau Roi ou d’un Régent

Lorsqu’un nouveau Roi ou Régent accède au trône, il est traditionnellement attendu que le gouvernement fédéral offre sa démission. Cette pratique vise à laisser au nouveau chef de l’État une liberté totale dans le choix de ses ministres, même si cette conception semble aujourd’hui dépassée. Elle repose sur deux idées : premièrement, l’existence d’une relation de confiance personnelle entre le Roi et son gouvernement, et deuxièmement, la notion que le Roi dispose d’une certaine latitude pour choisir ses ministres.

Cependant, cette approche doit être relativisée. La confiance que le Roi accorde à son gouvernement ne peut être interprétée comme une relation personnelle, mais plutôt comme une confiance politique, fondée sur une évaluation objective des circonstances qui influencent le fonctionnement du régime. En réalité, le rôle du Roi dans la formation du gouvernement est limité. Il doit se comporter comme un médiateur entre les forces politiques, tentant de rapprocher les positions pour faciliter la formation d’un gouvernement, mais son pouvoir de décision est restreint, voire inexistant, dans le choix des membres du gouvernement.

Cette observation soulève la question de la nécessité de présenter la démission du gouvernement fédéral lors de l’accession au trône d’un nouveau chef d’État. Cette pratique ne semble ni être une exigence constitutionnelle, ni une condition essentielle au bon fonctionnement des institutions. L’exemple de la démission du gouvernement Duvieusart lors de l’accession au trône du Prince royal Baudouin en tant que futur Roi Baudouin Ier n’est pas pertinent ici. Cette démission, bien qu’acceptée, était davantage liée à l’échec politique du gouvernement, qui cherchait à maintenir Léopold III sur le trône, qu’à l’accession d’un nouveau Roi.

Ce raisonnement s’applique a fortiori aux gouvernements des entités fédérées. Ces derniers, ainsi que leurs présidents, ne sont pas juridiquement tenus de démissionner lorsqu’un nouveau Roi accède au trône. Contrairement au gouvernement fédéral, ils ne doivent pas jouir de la confiance du Roi, et ce dernier n’a aucun pouvoir à leur égard. Même si, par déférence, un gouvernement régional ou communautaire décidait de démissionner, des obstacles juridiques se poseraient. Contrairement au gouvernement fédéral, dont la démission peut être refusée par le Roi, celle d’un gouvernement régional ou communautaire est définitive et impose que le Parlement procède à l’élection d’un nouveau collège gouvernemental. Cela explique pourquoi, en 1993, aucun gouvernement régional ou communautaire n’a démissionné lors de la prestation de serment du Roi Albert II.

D. La démission du gouvernement fédéral à la suite d’un désaccord avec le Roi

Traditionnellement, il est admis que, si un gouvernement fédéral belge entre en désaccord avec le Roi et ne parvient pas à convaincre ce dernier de soutenir ses vues, il doit présenter sa démission. Le Roi, après avoir accepté la démission des ministres, pourrait alors nommer un nouveau gouvernement capable de s’aligner sur sa position, à condition que ce nouveau cabinet obtienne la confiance de la Chambre des représentants.

Cependant, cette conception mérite d’être nuancée. Le modèle décrit ici s’inspire d’une lecture historique du parlementarisme dualiste, où le gouvernement est politiquement responsable à la fois devant le Roi et le Parlement. Toutefois, en pratique, ce modèle n’est plus entièrement applicable sous la Constitution belge actuelle, qui consacre davantage un parlementarisme moniste. En effet, en vertu du principe d’irresponsabilité du chef de l’État et du caractère secret du colloque constitutionnel entre le Roi et ses ministres, tout conflit entre ces deux parties est censé rester confidentiel.

Lorsque le gouvernement démissionne en raison d’un désaccord avec le Roi, cela expose néanmoins indirectement la position du souverain. Cette situation est délicate, car le Roi, ne pouvant assumer de manière directe la responsabilité d’un conflit politique, ne peut maintenir cette position que si un ministre accepte de la couvrir en engageant sa responsabilité politique. Si aucun ministre n’est prêt à le faire, deux options se présentent au Roi : se soumettre à la volonté gouvernementale ou abdiquer.

E. La démission spontanée d’un gouvernement

En pratique, au niveau fédéral, la majorité des démissions d’un gouvernement se produisent de manière spontanée, souvent en raison de désaccords internes au sein de la coalition gouvernementale. Ces dissensions peuvent porter sur des questions de politique nationale, des divergences idéologiques, ou des crises politiques spécifiques. Par exemple, un gouvernement peut être fragilisé par des disputes sur des décisions économiques, sociales, ou internationales, ce qui le conduit à démissionner sans qu’il y ait de vote explicite de défiance de la part de l’assemblée.

À l’inverse, dans les régions et les communautés, aucune démission spontanée de l’ensemble d’un gouvernement n’a été enregistrée jusqu’à présent. Cela peut s’expliquer par les mécanismes institutionnels spécifiques à ces entités, ainsi que par une plus grande stabilité des coalitions dans ces niveaux de pouvoir.

§ 2 – Les causes de cessation individuelle des fonctions

Les causes de cessation individuelle des fonctions d’un membre du gouvernement peuvent être variées et incluent des raisons de nature privée, comme le décès ou la maladie, ainsi que des motifs politiques.

A. La démission spontanée

Lorsqu’un membre d’un gouvernement choisit de démissionner de manière volontaire, plusieurs raisons peuvent expliquer cette décision : des motifs personnels, des problèmes de santé, une nouvelle affectation à d’autres fonctions, ou encore des divergences internes au sein du gouvernement. En effet, il est assez courant que la démission d’un ministre résulte d’un désaccord profond au sein de l’organe exécutif, souvent lié à une crise politique ou à des décisions controversées.

En ce qui concerne le cadre juridique de la démission d’un membre du gouvernement au niveau fédéral en Belgique, il est important de souligner qu’elle ne devient effective qu’après deux étapes juridiques essentielles :

  1. Présentation de la démission : Le ministre ou secrétaire d’État doit formellement soumettre sa démission. Il s’agit d’un acte volontaire par lequel l’intéressé manifeste son intention de quitter ses fonctions.
  2. Acceptation royale : La démission doit être acceptée par le Roi pour entrer en vigueur. Si le Roi refuse initialement la démission, cela signifie que le ministre est invité à rester en fonction, mais en pratique, cette situation indique que le ministre est d’accord pour continuer à exercer ses responsabilités. Autrement dit, si un ministre insiste réellement pour démissionner, il ne peut pas être contraint de rester en fonction contre sa volonté.

Ce mécanisme d’acceptation par le Roi est davantage une formalité protocolaire que contraignante dans la pratique. En effet, lorsqu’un ministre est fermement décidé à démissionner, la procédure se déroule rapidement, et le Roi accepte généralement la démission pour éviter une impasse politique. Le refus du Roi, lorsqu’il se produit, est donc symbolique et ne vise qu’à retarder l’échéance afin de permettre éventuellement un apaisement des tensions ou la recherche d’un compromis

B. La révocation des membres du gouvernement fédéral

Le processus de révocation des ministres et secrétaires d’État en Belgique est encadré par les articles 96 et 104 de la Constitution, qui stipulent que le Roi peut révoquer un ministre ou un secrétaire d’État, mais cela doit être fait sous le contreseing d’un ministre. Voici quelques exemples marquants de révocations et de démissions en Belgique :

Exemples historiques notables

  1. 1960 – L’incident de l’indépendance du Congo : Lors de l’indépendance du Congo, le Roi Baudouin, en raison des propos de Patrice Lumumba, a envisagé de nommer un nouveau gouvernement dirigé par Van Zeeland et Spaak. Cependant, le Premier ministre Gaston Eyskens a refusé de démissionner et a rappelé au Roi qu’il avait le pouvoir de les révoquer. Finalement, Baudouin a renoncé à ses projets.
  2. 1977 – Révocation de ministres du Rassemblement Wallon (RW) : Deux ministres du RW, R. Moreau et P. Bertrand, ont été révoqués après que leur parti se soit abstenu lors d’un vote budgétaire important. Même si l’acte publié au Moniteur belge mentionnait des « démissions », il s’agissait en réalité d’une révocation demandée par le Premier ministre de l’époque.
  3. 1980 – Révocation de membres du FDF : Trois membres du Front démocratique des francophones (FDF), dont les ministres Defosset et Outers, ont été révoqués après avoir exprimé leur désaccord avec un projet de déclaration gouvernementale. Une fois encore, le Moniteur belge a publié l’événement sous le titre « démissions », bien que ces membres refusaient de démissionner.

Contexte et évolution

Ces exemples montrent que, historiquement, la révocation des ministres a été utilisée en Belgique de manière exceptionnelle. Cette procédure souligne l’importance du consensus et de la solidarité gouvernementale. Les cas de 1977 et 1980 illustrent aussi que la révocation est souvent masquée sous la terminologie de « démission » pour atténuer la connotation négative.

Cependant, il n’y a pas eu de révocation formelle récente comme celles des années 1970 et 1980 (par exemple, la révocation des ministres du FDF en 1980). Les pratiques modernes tendent davantage vers des démissions sous pression politique plutôt que des révocations explicites par le Roi sur demande du Premier ministre.

Un exemple récent de démission liée à des pressions gouvernementales est celui de Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice, en octobre 2023 après l’attaque terroriste à Bruxelles, marquant un tournant de responsabilité en raison des manquements dans la gestion sécuritaire de son département.

Bien que la révocation formelle des ministres soit devenue extrêmement rare, le mécanisme reste une option constitutionnelle. Cependant, dans le cadre d’une démocratie parlementaire moderne, les conflits sont généralement résolus soit par des démissions volontaires sous pression politique, soit par des réajustements internes au sein du gouvernement.

Ces événements illustrent bien l’évolution vers un parlementarisme moniste, où le Roi joue un rôle essentiellement symbolique dans les révocations, tandis que le véritable pouvoir décisionnel est exercé par le Premier ministre et les organes politiques.

C. La responsabilité politique individuelle des membres des organes gouvernementaux

1. La responsabilité politique individuelle des membres du gouvernement fédéral

La responsabilité politique individuelle des membres du gouvernement fédéral permet aux assemblées de mettre en cause un ministre sans nécessairement engager la responsabilité de tout le gouvernement. Cette situation a été illustrée à plusieurs reprises dans l’histoire politique belge :

Exemples historiques :

  1. 1946 – L’affaire Van Glabbeke : Le sénateur Rolin a attaqué spécifiquement le ministre de la Justice, Van Glabbeke, pour des ingérences dans les affaires judiciaires. Même si le Premier ministre Van Acker a défendu la solidarité du gouvernement, le Sénat a rejeté un vote de confiance, menant à la démission du gouvernement entier.
  2. 1948 – L’affaire Struye : Après des critiques sur des mesures de grâce, le ministre de la Justice Struye a choisi de démissionner pour éviter l’éclatement de la majorité. Cependant, le gouvernement tout entier a suivi et a également présenté sa démission.
  3. 1985 – L’affaire Nothomb : Lorsque le ministre de l’Intérieur Nothomb a été mis en cause, le Premier ministre Wilfried Martens a défendu la solidarité gouvernementale, malgré la pression sur Nothomb de démissionner. La solidarité s’est révélée fragile lorsque les ministres libéraux ont démissionné après le débat.
  4. 2018 – Démission de Theo Francken (crise du Pacte de Marrakech) : Le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken, a démissionné en décembre 2018 suite à une crise politique concernant la signature du Pacte mondial sur les migrations de l’ONU. Son parti, la N-VA, s’est opposé au pacte, entraînant une rupture au sein du gouvernement de Charles Michel, et la démission de plusieurs ministres nationalistes flamands. Ce désaccord a conduit à la formation d’un gouvernement minoritaire pour gérer les affaires courantes jusqu’aux élections fédérales de 2019.
  5. 2020 – Crise du coronavirus (Maggie De Block et Sophie Wilmès) : En mars 2020, la gestion de la pandémie de COVID-19 en Belgique a conduit à des critiques massives contre plusieurs ministres. Maggie De Block, ministre de la Santé, a fait face à une pression intense suite à la crise sanitaire, mais n’a pas démissionné immédiatement. Cependant, après les élections de 2020 et la mise en place du gouvernement d’Alexander De Croo, elle a été remplacée. Sophie Wilmès, Première ministre durant la première phase de la pandémie, a également dû laisser la place à un nouveau gouvernement malgré sa gestion initiale saluée.
  6. 2021 – Démission de David Clarinval : En mai 2021, David Clarinval, ministre des PME, a brièvement démissionné pour prendre ses responsabilités politiques suite à une polémique concernant sa gestion des mesures COVID-19, mais il a été reconduit dans ses fonctions après de brefs pourparlers politiques.

Conséquences et principes :

Complexité de la démission :

La question de la démission reste complexe. Un ministre doit évaluer s’il peut continuer à exercer ses fonctions efficacement, sans porter atteinte à son autorité, même s’il n’a pas commis de faute directe. La démission reste un choix de conscience, lié à la perception publique et aux erreurs graves commises sous son autorité.

En conclusion, la responsabilité politique individuelle dans le cadre du gouvernement fédéral belge implique que, même en l’absence de faute directe, un ministre peut être amené à démissionner si son autorité ou la confiance en ses actions est compromise.

2. La responsabilité politique individuelle des membres des gouvernements régionaux et communautaires

La responsabilité politique individuelle des membres des gouvernements régionaux et communautaires suit un cadre distinct, avec certaines spécificités selon les régions et les communautés. Voici les principaux points :

  1. Motion de méfiance constructive : Un membre d’un gouvernement régional ou communautaire peut voir sa responsabilité engagée uniquement si une motion de méfiance constructive est déposée et adoptée par l’assemblée concernée. Cette motion doit proposer un successeur au membre mis en cause, ce qui assure une continuité dans le fonctionnement du gouvernement. L’adoption de la motion entraîne la démission du membre contesté et l’élection de son successeur. Cette procédure garantit une stabilité politique tout en permettant de remplacer des membres du gouvernement en cas de crise de confiance.
  2. Spécificités à Bruxelles : Dans la Région de Bruxelles-Capitale, les règles varient en fonction des groupes linguistiques :
  3. Effets de l’imbrication institutionnelle à Bruxelles : La spécificité bruxelloise repose également sur l’imbrication des institutions régionales et communautaires. L’adoption de l’article 138 de la Constitution a introduit la possibilité pour les membres des collèges des commissions communautaires (comme la Commission communautaire française) d’être renversés par leurs propres assemblées, sous les mêmes conditions que celles du Conseil régional. Ainsi, une motion de méfiance constructive au sein de la Commission communautaire française pourrait entraîner non seulement un changement dans la composition de cette commission, mais aussi avoir des répercussions sur la composition du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.

§ 3 – Les modalités de la démission d’un gouvernement ou d’un membre de celui-ci

La démission d’un gouvernement (ou de l’un de ses membres) suit un processus distinct au niveau fédéral et régional, impliquant plusieurs étapes et parfois des délais, selon la situation politique et constitutionnelle.

A. Démission du gouvernement fédéral ou d’un de ses membres

  1. Motion de méfiance constructive : Si la Chambre des représentants adopte une motion de méfiance constructive (selon l’article 96 de la Constitution belge), cela entraîne l’élection d’un nouveau Premier ministre. Cependant, le gouvernement démissionnaire continue de gérer les affaires courantes jusqu’à ce que le nouveau cabinet soit formé. Si le formateur du nouveau gouvernement échoue, le Roi peut théoriquement refuser la démission du gouvernement en place pour garantir la continuité.
  2. Processus en trois phases :
  3. Démission d’un membre isolé : La démission individuelle d’un ministre ou d’un secrétaire d’État est généralement plus simple à gérer. Elle peut être planifiée à l’avance pour permettre une transition fluide, où le successeur est nommé sans interruption de la fonction.

B. Démission d’un gouvernement régional ou communautaire

  1. Remplacement des membres démissionnaires : L’article 73 de la loi spéciale du 8 août 1980 prévoit que lorsqu’un ou plusieurs membres du gouvernement régional ou communautaire démissionnent, ils doivent être remplacés sans délai. Toutefois, cela n’est souvent pas immédiatement possible car le nouveau membre doit prêter serment avant d’entrer en fonction. Le Conseil d’État a précisé que la loi impose de minimiser le délai de remplacement, mais un certain laps de temps est inévitable.
  2. Affaires courantes : Si l’ensemble du gouvernement régional ou communautaire démissionne, celui-ci continue d’expédier les affaires courantes jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit formé. Cela inclut uniquement les décisions nécessaires à la gestion quotidienne ou à la continuité des services publics, sans engager de nouvelles politiques.

Ainsi, qu’il s’agisse d’un gouvernement fédéral ou régional, la gestion des affaires courantes est une constante en cas de démission, permettant de garantir la continuité administrative et d’éviter un vide de pouvoir durant les transitions gouvernementales.

§ 4 – L’exercice des pouvoirs en période de crise

A. Les affaires courantes

Lorsqu’un gouvernement présente sa démission au Roi, et que celle-ci est officieusement acceptée, son rôle est limité à l’expédition des affaires courantes. Cela signifie que le gouvernement démissionnaire ne peut plus exercer la totalité de ses prérogatives et doit se restreindre à la gestion des affaires qui sont nécessaires à la continuité du fonctionnement de l’État, tout en évitant de prendre des mesures majeures ou controversées.

Les affaires courantes peuvent être classées en trois catégories selon la jurisprudence du Conseil d’État :

Un exemple marquant de cette interprétation se trouve dans l’arrêt du Conseil d’État de 1999. Le gouvernement avait déjà initié en 1995 la préparation d’un arrêté concernant la Sûreté de l’État, et même après la dissolution des chambres en 1999, il a pu finaliser l’arrêté car la décision était perçue comme faisant partie des affaires en cours.

Cependant, le Conseil d’État a aussi annulé des actes excédant ce cadre, comme en 1975, lorsqu’il a jugé qu’un arrêté royal pris par un gouvernement démissionnaire pour fixer les cadres linguistiques de la CGER n’était pas justifié par une urgence.

Enfin, concernant la révision de la Constitution, un gouvernement démissionnaire ne peut, en principe, que contresigner une déclaration identique à celle adoptée à la fin de la législature précédente. Il ne peut pas initier une nouvelle déclaration de révision constitutionnelle, car cela sortirait du cadre de ses compétences réduites.

B. Les affaires prudentes

L’avis de 1977 évoque les pouvoirs limités d’un gouvernement en période de dissolution parlementaire, c’est-à-dire lorsque l’assemblée n’est plus en fonction pour exercer son contrôle. Ce collège de juristes a avancé que, bien que le gouvernement soit dépourvu de ce contrôle parlementaire, il pourrait continuer à exercer ses fonctions, mais avec une prudence accrue. Ce concept d’« affaires prudentes » impliquait que le gouvernement devait éviter les décisions majeures et potentiellement contestées.

Cependant, le Conseil d’État a adopté une position différente. Selon cette institution, un gouvernement privé de son contrôle parlementaire, qu’il soit démissionnaire ou simplement confronté à une dissolution de l’assemblée, ne peut plus exercer pleinement ses attributions. Cela signifie qu’il est restreint à la gestion des affaires courantes.

L’arrêt de 1994 du Conseil d’État a réaffirmé cette position en annulant un arrêté royal adopté après la dissolution des chambres. Le Conseil a jugé que, dans une telle situation, le gouvernement ne peut plus assumer la plénitude de ses compétences et doit limiter ses actions aux affaires courantes, notamment celles qui sont urgentes ou qui ont été initiées avant la dissolution.

Dans un arrêt de 1998, le Conseil d’État a appliqué cette même logique aux gouvernements régionaux et communautaires. Il a confirmé que ces exécutifs, lorsqu’ils ne sont plus soumis au contrôle de leurs conseils, sont également tenus de limiter leurs actions à l’expédition des affaires courantes. Toutefois, il a souligné que certaines actions, comme la nomination d’un architecte directeur dans l’administration de la Communauté française, pouvaient encore être prises si elles ne relevaient pas de la politique générale ou ne soulevaient pas de débat politique majeur.

En résumé, l’approche du Conseil d’État consiste à juger qu’en période d’absence de contrôle parlementaire, qu’il s’agisse d’un gouvernement démissionnaire ou d’un gouvernement non démissionnaire pendant une dissolution, les actes majeurs sont interdits et seuls les actes urgents ou de gestion courante peuvent être pris.

Sous-section 4 : La protection des membres des organes gouvernementaux

§ 1 – La protection absolus des membres des organes gouvernementaux – L’irresponsabilité pénale et civile des ministres

Les ministres régionaux et communautaires bénéficient aussi de cette protection constitutionnelle, assurée par l’article 124 de la Constitution, qui précise qu’ils ne peuvent être poursuivis pour les opinions et votes exprimés dans l’exercice de leur mandat. La protection est ainsi légèrement étendue par rapport à l’article 101, car elle inclut explicitement les votes dans les régions et communautés. Cette différence s’explique par l’absence d’incompatibilité constitutionnelle entre les fonctions de ministre et de parlementaire au niveau régional et communautaire, contrairement au niveau fédéral.

Enfin, si un ministre régional ou communautaire est aussi parlementaire, il bénéficie d’une double protection, celle offerte par l’article 120 de la Constitution, qui protège ses votes au Parlement, ainsi que la protection de l’article 124 pour ses fonctions exécutives.

§ 2 – La protection relative des membres des organes gouvernementaux – La responsabilité pénale et civile des ministres

1. Sur le régime originaire

La révision constitutionnelle de juin 1998 a profondément modifié les règles concernant la responsabilité pénale des ministres en Belgique, mettant fin à un système jugé lourd et inefficace, qui avait souvent conduit à une impunité de fait pour les ministres. Avant cette réforme, un ministre ne pouvait être poursuivi qu’après une mise en accusation par la Chambre des représentants et ne pouvait être jugé que par la Cour de cassation, une procédure jugée lourde et inadaptée à la réalité politique.

Le régime ancien :

  1. Procédure complexe et pesante : Le processus de mise en accusation des ministres exigeait l’intervention d’un organe politique (la Chambre des représentants) et d’un organe juridictionnel (la Cour de cassation), ce qui faisait de la responsabilité pénale des ministres une procédure exceptionnelle. La Chambre des représentants avait le pouvoir discrétionnaire d’accuser un ministre, mais la lourdeur de cette procédure a souvent conduit à une absence de poursuites effectives.
  2. Le rôle ambigu de la Chambre des représentants : La Chambre des représentants jouait un double rôle, à la fois politique et juridictionnel. Son intervention dans le cadre des poursuites des ministres la plaçait dans une position où elle devait vérifier non seulement les motifs politiques des poursuites, mais aussi examiner le fond des accusations, rôle traditionnellement réservé aux juridictions.
  3. Une impunité de fait : Entre 1831 et 1996, un seul ministre, le Baron CHAZAL, a été condamné par la Cour de cassation pour s’être battu en duel avec un parlementaire en 1865. Les autres ministres n’ont pas fait l’objet de poursuites pénales, malgré plusieurs scandales, notamment dans les années 1980.
  4. Les affaires Vanden Boeynants : En 1982, la Chambre des représentants a décidé qu’elle n’était pas compétente pour juger les infractions de fraude fiscale reprochées à Paul Vanden Boeynants, car elles n’étaient pas liées à ses fonctions ministérielles. Ce précédent a montré la réticence à appliquer des poursuites pénales contre les ministres pour des infractions non liées à leurs fonctions.

La réforme de 1998 :

La révision constitutionnelle et les lois de 1998 ont introduit un régime plus simple et plus aligné sur celui des parlementaires, visant à mettre fin à cette impunité de fait. Les principaux changements sont les suivants :

  1. Fin de la mise en accusation politique : La mise en accusation par la Chambre des représentants a été abandonnée. Désormais, les ministres peuvent être poursuivis pour toutes les infractions du droit commun, y compris les infractions mineures comme celles liées à la circulation routière, ce qui a suscité des débats sur la nécessité d’une telle protection.
  2. Nouvelle procédure judiciaire : Les ministres sont désormais jugés par la Cour d’appel, et non plus par la Cour de cassation. Cela permet une plus grande souplesse et un accès direct aux juridictions compétentes pour les infractions commises tant dans l’exercice de leurs fonctions qu’en dehors de celles-ci. Cependant, l’autorisation de l’assemblée législative est toujours requise pour certaines actions, telles que l’arrestation d’un ministre ou la citation directe devant la Cour d’appel.
  3. Encadrement des poursuites : Le ministère public près la Cour d’appel est chargé de diligenter les poursuites, et plusieurs garanties ont été introduites pour protéger les ministres contre des actions abusives ou arbitraires, comme la nécessité d’une autorisation préalable de l’assemblée législative avant toute réquisition en vue du renvoi devant une juridiction de jugement.

Affaire INUSOP

L’affaire Inusop (1996) a marqué une étape importante dans la manière dont la justice belge traitait les poursuites contre les ministres, en particulier avec l’ancien ministre Guy Coëme. Ce cas a soulevé plusieurs questions cruciales concernant la procédure applicable aux ministres et les droits des personnes impliquées dans des affaires connexes.

Décision de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 2 février 1996, la Cour de cassation a dû déterminer quelles règles de procédure s’appliquaient aux poursuites dirigées contre Guy Coëme et d’autres accusés. La Cour a opté pour une approche consistant à appliquer les dispositions du Code d’instruction criminelle (CIC), comme pour les tribunaux correctionnels, à condition que ces règles soient compatibles avec celles spécifiques à la procédure devant la Cour de cassation siégeant chambres réunies.

La Chambre des représentants avait accusé Coëme, mais on reprochait à cette assemblée de ne pas avoir respecté les droits de la défense. La Cour de cassation, tout en affirmant qu’elle ne pouvait juger la procédure suivie par la Chambre en raison de la séparation des pouvoirs, a malgré tout décidé qu’une violation des droits invoqués n’entraînerait pas automatiquement l’irrecevabilité des poursuites.

Un autre point litigieux concernait la question de la connexité. Les autres inculpés dans l’affaire Inusop (non ministres) ont été jugés devant la Cour de cassation au motif qu’ils étaient impliqués dans une affaire liée à un ministre. Cette situation a privé ces individus de leur droit à un double degré de juridiction. La Cour a refusé de soumettre cette question à la Cour d’arbitrage (devenue plus tard la Cour constitutionnelle), affirmant que la privation de ce droit découlait de l’article 103 de la Constitution, non des lois ordinaires soumises au contrôle de la Cour d’arbitrage. Cela a été perçu comme une construction juridique fragile, mais elle a permis d’éviter la prescription des infractions.

La CEDH et l’affaire Inusop

L’affaire a également été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans un arrêt rendu le 22 juin 2000, la CEDH a condamné la Belgique pour la manière dont le procès Inusop avait été mené, en invoquant deux principales violations de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à un procès équitable).

  1. Guy Coëme : La CEDH a constaté que l’absence de loi régissant la procédure d’examen des poursuites contre les ministres avait privé Coëme de garanties suffisantes. Bien qu’il ait été assisté par ses avocats, il ne connaissait pas à l’avance toutes les modalités de la procédure qui serait suivie.
  2. Autres inculpés : La Cour a également jugé que les autres accusés (Mazy, Stalport, Hermanus, et Javeau) avaient été jugés par une juridiction non « établie par la loi », car la connexité qui avait permis leur renvoi devant la Cour de cassation n’était pas prévue par une disposition légale claire.

Conséquences

La condamnation de la Belgique par la CEDH a mis en lumière les insuffisances du système de privilège de juridiction et a conduit à des réformes visant à clarifier les procédures applicables aux ministres et à ceux impliqués dans des affaires connexes.

L’affaire Di Rupo : difficultés d’interprétation de l’article 103 de la Constitution

Interprétation contestée de l’article 103 par le procureur général

Rôle du pouvoir judiciaire avant la saisine de l’assemblée

La « troisième voie » : un nouvel outil juridique

Réforme législative pour prévenir les abus

Alignement des règles pour les gouvernements régionaux et communautaires

2. Le régime actuel

La réforme de 1998 concernant la responsabilité pénale des ministres a profondément modifié le régime antérieur en visant à aligner le traitement des ministres sur un modèle similaire à celui applicable aux parlementaires, tout en introduisant des mesures spécifiques pour éviter les abus et garantir une gestion plus fluide des affaires judiciaires. Voici les principaux éléments de cette réforme :

  1. Élargissement du champ des infractions : Contrairement à ce qui avait été envisagé en 1831, les ministres ne sont plus soumis à un régime d’infractions spécifiques liées à leurs fonctions ministérielles. Ils peuvent être poursuivis pour toutes les infractions relevant du droit commun, ce qui inclut les infractions pénales ordinaires et celles habituellement attribuées aux fonctionnaires. Cette uniformité permet de ne plus établir de distinction entre les actes commis en tant que ministres et les infractions ordinaires, assurant une égalité de traitement.
  2. Application à toutes les infractions, y compris les contraventions : Le régime réformé s’applique à toutes les infractions, y compris les contraventions, comme les infractions de la circulation routière. Cela signifie qu’un ministre pourrait bénéficier de protections spécifiques pour des infractions mineures, telles que des infractions au code de la route. Cependant, cela soulève la question de savoir si une telle protection est nécessaire dans ces cas, où l’impact sur les fonctions ministérielles est minime. Le but de la réforme était d’éviter toute perturbation de l’exercice des fonctions ministérielles, mais cette application à des infractions mineures peut sembler excessive.
  3. Suppression des règles de mise en accusation et du jugement par la Cour de cassation : Une des réformes majeures a été la suppression des anciennes règles qui exigeaient une mise en accusation par l’assemblée législative et un jugement par la Cour de cassation. Ce mécanisme a été jugé lourd et inadapté. Il a été remplacé par un système plus simple et plus proche de celui applicable aux parlementaires, permettant aux ministres d’être jugés par la Cour d’appel.
  4. Nécessité d’une autorisation parlementaire limitée à trois cas : La réforme a également réduit les situations dans lesquelles une autorisation parlementaire est nécessaire. Désormais, elle n’est requise que dans trois cas précis :

    Ces limitations visent à protéger les ministres contre des poursuites ou des arrestations intempestives qui pourraient entraver leurs fonctions.

A. Les poursuites

Les poursuites pénales contre les ministres bénéficient d’un cadre spécifique, conçu pour prévenir des actions judiciaires abusives ou politiquement motivées. Toutefois, ce régime est limité par un ensemble de protections distinctes.

  1. Monopole du parquet général : Les poursuites contre un ministre doivent être menées exclusivement par le parquet général près la Cour d’appel compétente. Cette exclusivité vise à garantir une plus grande indépendance et impartialité, en évitant les interférences politiques qui pourraient survenir dans les parquets de première instance, considérés comme plus vulnérables à l’influence externe. En principe, les ministres de la Justice n’ont pas la possibilité d’influencer directement ces poursuites via une injonction.
  2. Intervention du collège de conseillers : Les actes d’instruction contraignants (comme les perquisitions ou les saisies) ne peuvent être réalisés sans l’intervention d’un collège de trois conseillers, qui inclut un conseiller instructeur. Cette mesure vise à garantir un contrôle judiciaire renforcé, similaire à ce qui est prévu pour les parlementaires.

Différences essentielles avec les parlementaires

Bien que le cadre juridique soit proche de celui qui régit les parlementaires, certaines distinctions subsistent :

  1. Autorisation pour toute réquisition : Contrairement aux parlementaires, pour qui l’autorisation de l’assemblée n’est requise que pour le renvoi devant une juridiction de jugement, l’autorisation de l’assemblée est nécessaire pour toute réquisition, qu’il s’agisse d’un non-lieu ou d’un renvoi. Cette différence semble s’expliquer par une crainte que des réquisitions de non-lieu ne soient utilisées pour écarter des ministres sans contrôle parlementaire suffisant.
  2. Pas de suspension des poursuites : Contrairement aux parlementaires, les ministres ne peuvent pas demander la suspension des poursuites à l’assemblée, ni l’assemblée elle-même ne peut prendre l’initiative de suspendre ces poursuites.
  3. Flagrant délit : Pour les parlementaires, le flagrant délit permet d’agir sans autorisation parlementaire pour l’arrestation et le renvoi devant la justice. Pour les ministres, cette exception est plus restreinte : en cas de flagrant délit, seule l’arrestation est permise sans autorisation de l’assemblée. En revanche, même en cas de flagrant délit, le renvoi devant une juridiction de jugement requiert l’autorisation parlementaire, ce qui garantit un contrôle plus rigoureux.
  4. Arrestation judiciaire vs administrative : Les arrestations judiciaires, telles que la détention préventive, nécessitent l’autorisation de l’assemblée. Toutefois, les arrestations administratives par la police ou les mandats d’amener délivrés par un juge d’instruction, qui n’impliquent pas une privation de liberté prolongée, échappent à cette règle. Ces mesures sont perçues comme moins intrusives et ne nécessitent donc pas une autorisation préalable.

Le régime de protection des ministres est plus rigoureux que celui des parlementaires en matière de contrôle judiciaire. Cela se traduit par des mesures spécifiques visant à prévenir les abus judiciaires tout en garantissant que les ministres soient soumis à des procédures judiciaires avec un contrôle parlementaire renforcé, notamment en matière de non-lieu et de renvoi en jugement.

B. Le rôle de l’assemblée

Lorsqu’une assemblée législative est saisie d’une demande de levée d’immunité concernant l’un de ses membres, comme les ministres, le constituant a choisi de ne pas définir strictement les critères à appliquer, laissant à chaque assemblée la responsabilité de forger sa propre jurisprudence. Cependant, pour les demandes de citation directe ou de règlement de procédure concernant un ministre, le législateur a fixé un cadre plus précis, détaillé dans les articles 12, alinéas 2 et 3 des lois ordinaires et spéciales.

Ces articles stipulent que l’assemblée, sans juger le fond de l’affaire, doit vérifier si la demande est sérieuse. Elle peut refuser d’autoriser les poursuites dans deux cas spécifiques :

Bien que le législateur tente de limiter l’arbitraire de l’assemblée, cette dernière n’est pas une instance juridictionnelle, et l’article 6, §1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ne s’applique donc pas directement à ses délibérations. Cependant, la section de législation du Conseil d’État a émis des critiques à l’encontre de cette procédure, soulignant que le refus d’autoriser des poursuites entraîne des effets définitifs, ce qui rapproche l’assemblée d’un rôle quasi juridictionnel, comparable à celui d’une juridiction d’instruction lorsqu’elle rend une ordonnance de non-lieu. Cette position rejoint celle adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de protection des droits fondamentaux.

Ainsi, la critique suggère que cette procédure d’autorisation devrait offrir des garanties similaires à celles d’une juridiction d’instruction ordinaire. Bien que les lois en vigueur ne garantissent pas toujours ces droits, il est espéré que les assemblées agissent de manière prudente et équilibrée pour assurer une réelle protection aux ministres, conformément à leur immunité constitutionnelle.

Curieusement, le législateur n’a pas imposé de critères pour autoriser l’arrestation d’un ministre, bien qu’il semble logique d’appliquer par analogie les mêmes critères que pour les citations directes ou les règlements de procédure. En matière de détention préventive, une seule autorisation est nécessaire. Par la suite, la détention peut être confirmée mensuellement par la juridiction compétente sans nécessiter une nouvelle demande d’autorisation.

Enfin, à la différence des parlementaires, les ministres ne peuvent pas demander la suspension des poursuites à l’assemblée, même avec une majorité renforcée.

C. Le jugement des ministres

Les ministres fédéraux, ainsi que les ministres régionaux et communautaires, sont jugés par la Cour d’appel pour les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions. Les ministres fédéraux relèvent de la Cour d’appel de Bruxelles, tandis que les ministres régionaux ou communautaires sont jugés par la Cour d’appel de leur juridiction respective. Pour les infractions commises en dehors de leurs fonctions, la compétence revient à la Cour d’appel du lieu de l’infraction, de leur résidence, ou du lieu où ils ont été appréhendés.

Les articles 103 et 125 de la Constitution exigent que la Cour d’appel siège en assemblée générale pour juger les ministres. En ce qui concerne la procédure, les règles du droit commun s’appliquent, sauf incompatibilité avec les lois ordinaires et spéciales relatives à la responsabilité des ministres. Cependant, les ministres, en raison de leur privilège de juridiction, ne bénéficient pas d’un second degré de juridiction. Ils peuvent uniquement former un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu.

Le législateur a également réglé la question des coauteurs et complices qui sont jugés en même temps que le ministre. Ces personnes suivent le même régime que le ministre pour la phase d’instruction et de jugement. Toutefois, il existe une exception pour les coauteurs ou complices accusés de crimes, de délits de presse, ou de délits politiques, qui relèvent de la Cour d’assises.

D. La problématique des cumuls

La question des cumuls de fonctions et de la responsabilité ministérielle peut poser des difficultés selon les fonctions exercées et le moment des infractions commises. Voici plusieurs hypothèses fréquemment soulevées :

  1. Premier cas : Ministre ayant appartenu à un seul gouvernement lors de l’infraction
    Si un ancien ministre a commis une infraction alors qu’il n’était membre que d’un seul gouvernement, la situation est relativement simple. Peu importe sa situation actuelle, l’assemblée compétente pour statuer sur sa responsabilité est celle devant laquelle il était responsable au moment des faits.
  2. Deuxième cas : Ministre en fonction dans plusieurs gouvernements
    Si un ministre en exercice est poursuivi pour des faits commis dans l’exercice de l’un de ses mandats actuels, mais qu’il est impossible de rattacher l’infraction à un seul mandat spécifique, la situation devient complexe. La loi ne clarifie pas entièrement ce cas. Cependant, il semble que toutes les assemblées concernées doivent donner leur accord avant d’engager des poursuites, malgré le souhait du législateur de limiter la compétence à une seule assemblée. Cette approche s’applique également aux anciens ministres qui étaient membres de plusieurs gouvernements lorsque l’infraction a été commise.
  3. Troisième cas : Ministre poursuivi pour des infractions en dehors de ses fonctions
    Lorsqu’un ministre est poursuivi pour des infractions non liées à l’exercice de ses fonctions, il appartient au parlement régional ou communautaire d’autoriser les poursuites.
  4. Cumul de fonctions parlementaires et ministérielles
    Un parlementaire qui devient ministre n’est plus soumis qu’au régime applicable aux ministres pour les infractions commises dans l’exercice de ses fonctions gouvernementales. Toutefois, dans le cas inverse (ministre redevenu parlementaire), c’est encore le régime ministériel qui prime pour les faits commis durant sa période gouvernementale.
  5. Changement de niveau gouvernemental après la cessation de fonctions
    Si un ancien ministre fédéral devient ensuite ministre régional ou communautaire (ou inversement), le régime de responsabilité applicable aux infractions commises lors de ses précédentes fonctions ministérielles reste en vigueur. Cela assure une continuité dans la manière dont la responsabilité des actes passés est traitée.

E. La responsabilité civile

La question de la responsabilité civile des ministres, distincte de leur responsabilité pénale, reste floue. Le législateur n’a pas statué de manière explicite sur ce point. Deux courants de pensée s’opposent :

  1. Application du droit commun à la responsabilité civile
    Certains estiment que pour les fautes civiles non liées à des infractions, le droit commun s’applique. Selon cette interprétation, les articles 103 et 125 de la Constitution ne régiraient que la responsabilité pénale, laissant la responsabilité civile des ministres pour les actes non délictueux régie par le droit commun.
  2. Application du régime dérogatoire aux fautes civiles commises dans l’exercice des fonctions
    D’autres jugent que le régime dérogatoire des ministres devrait s’appliquer aussi aux fautes civiles commises dans l’exercice de leurs fonctions gouvernementales, sauf si ces fautes sont totalement indépendantes des fonctions exercées. Cela laisse une zone grise qui appelle une clarification législative ou jurisprudentielle.

Section 2 : Les fonctions des organes gouvernementaux

En Belgique, les pouvoirs de l’exécutif sont strictement encadrés, conformément à la méfiance des constituants de 1831 envers l’autorité royale.

Sous-section 1 : La participation à l’exercice de la fonction législative

La Constitution et les lois de réformes institutionnelles prévoient que les compétences législatives, décrétales et ordinancieuses sont exercées conjointement par les assemblées délibérantes et l’exécutif. Ce dernier participe à l’élaboration des lois, décrets et ordonnances par le biais du droit d’initiative et d’amendement, ainsi que par l’obligation de sanctionner et de promulguer les textes adoptés.

En cas de circonstances exceptionnelles, certaines branches du pouvoir législatif peuvent être paralysées et incapables de remplir leurs fonctions. Dans ce contexte de force majeure, il est accepté que le pouvoir législatif puisse être exercé par des arrêtés-lois, adoptés par l’organe exécutif seul, tel que le Roi ou les ministres réunis en conseil, afin de préserver la continuité de l’État.

Sous-section 2 : L’exercice de la fonction réglementaire

§ 1 – Généralités – Les règlements et les décisions individuelles

En droit belge, un règlement se définit comme un acte non législatif qui établit une règle de droit de manière générale, normative, et impérative. Cette définition permet de distinguer l’acte réglementaire de la norme législative qui, bien qu’également générale et impérative, émane d’un organe législatif.

A) Caractéristiques des actes réglementaires

Un acte réglementaire, tel qu’un arrêté, se caractérise par son caractère impersonnel et général. Il est destiné à s’appliquer à toutes les situations conformes à ses prescriptions, présentes et futures, sans se limiter à une seule application. Même si un règlement concerne initialement une seule personne ou situation, il conserve une portée plus large car il est conçu pour régir une catégorie de cas similaires de façon continue. Ce caractère objectif et non personnalisé distingue les actes réglementaires des décisions individuelles.

B) Décisions individuelles et leur portée

À l’opposé des règlements, les décisions individuelles s’adressent à un nombre défini de personnes ou de situations. Elles n’ont pas pour vocation de contenir une règle de droit générale et ne produisent leurs effets qu’une seule fois, bien qu’elles puissent avoir des conséquences juridiques ultérieures. Par exemple, une décision de reconnaître une radio locale est individuelle, tandis qu’un plan de fréquences, qui a un impact plus large et continu, est considéré comme un acte réglementaire.

Il existe cependant une zone grise où il peut être complexe de déterminer si un acte est de nature réglementaire ou individuelle. Un plan d’aménagement communal, qui peut ne concerner qu’une seule parcelle de terrain, est généralement classé comme un règlement. En revanche, le classement d’une voie publique dans la catégorie des autoroutes, même s’il impacte de nombreuses personnes, est souvent analysé comme une décision individuelle.

C) Importance de la distinction entre actes réglementaires et décisions individuelles

Cette distinction entre actes réglementaires et décisions individuelles revêt plusieurs implications juridiques :

  1. Avis préalable du Conseil d’État : Les actes à portée réglementaire, notamment lorsqu’il s’agit d’arrêtés pris par des organes exécutifs fédéraux, régionaux ou communautaires, doivent être soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’État. Cette exigence de contrôle préalable ne s’applique pas aux décisions individuelles, qui échappent à cette formalité.
  2. Contrôle juridictionnel : Les juridictions belges peuvent écarter l’application d’un acte réglementaire s’il est contraire à une norme supérieure de droit, comme la Constitution ou les traités internationaux. En revanche, la possibilité d’un tel contrôle pour les décisions individuelles est plus controversée et moins bien établie.
  3. Obligation de motivation : En vertu de la loi du 29 juillet 1991, les décisions individuelles doivent être formellement motivées, ce qui n’est pas exigé pour les actes réglementaires. La motivation doit être adéquate et proportionnelle à l’importance de la décision, avec une mention explicite des considérations de fait et de droit qui la justifient. Cependant, il existe des exceptions à cette obligation, notamment lorsque la sécurité extérieure de l’État, l’ordre public, la vie privée, ou le secret professionnel sont en jeu. L’urgence, en revanche, ne dispense pas les autorités administratives de motiver leurs décisions.

Les autorités ne sont pas tenues de répondre à tous les arguments soulevés par les administrés dans leurs décisions, mais elles doivent indiquer les motifs principaux de droit et de fait, garantissant ainsi la transparence et la légitimité de leurs décisions.

§ 2 – Le pouvoir réglementaire d’exécution

En droit belge, le pouvoir réglementaire d’exécution permet à l’exécutif de prendre des règlements nécessaires à l’application des lois et des traités internationaux. Ce pouvoir, notamment exercé par le Roi et les gouvernements régionaux et communautaires, est encadré par des principes constitutionnels pour assurer son alignement avec les normes législatives.

A. Arrêtés pris par le Roi et les gouvernements régionaux et communautaires

Le Roi exerce son pouvoir réglementaire d’exécution en vertu de l’article 108 de la Constitution, qui lui permet de prendre les règlements nécessaires pour exécuter les lois, sans pour autant les suspendre ou en dispenser l’application. La Cour de cassation a précisé que, bien que l’exécutif ne puisse ni étendre ni restreindre la portée de la loi, il lui revient de tirer des principes législatifs les conséquences qui s’imposent pour l’appliquer de manière cohérente avec son esprit et ses objectifs. Ainsi, un arrêté royal d’exécution doit refléter et respecter l’esprit de la loi dont il découle, ce qui signifie que les principes législatifs doivent être présents « en germe » dans la norme législative.

Exemple de l’arrêté royal de régularisation des sans-papiers

En 1999, un arrêté royal avait été pris pour permettre une vaste régularisation des sans-papiers en Belgique, basé sur l’article 9 de la loi du 15 décembre 1980, qui autorise la délivrance de permis de séjour pour des étrangers dans des circonstances exceptionnelles. Cependant, une interprétation maladroite de cet arrêté a conduit à une suspension par le Conseil d’État, qui a estimé que cet arrêté modifiait la portée de la loi en créant des exceptions non prévues par la loi elle-même.

Lois-cadres et pouvoirs spéciaux

Le pouvoir réglementaire d’exécution s’étend parfois par le biais de lois-cadres ou de décrets et ordonnances qui délèguent à l’exécutif la responsabilité de préciser des modalités d’application. Ces lois-cadres énoncent des principes généraux et confèrent à l’exécutif le soin de les mettre en œuvre. En 1996, des lois ayant une portée similaire à celle des lois de pouvoirs spéciaux ont été adoptées, permettant à l’exécutif de prendre des mesures nécessaires à l’application de la législation sans passer par un processus législatif complet.

Pouvoir d’exécution des traités internationaux

L’exécutif peut également être habilité à exécuter des traités internationaux. Dans certains cas, le législateur a explicitement autorisé le Roi à abroger ou modifier des lois existantes pour se conformer aux obligations internationales de la Belgique. Cependant, la section de législation du Conseil d’État a précisé que cette délégation ne doit pas être interprétée comme une renonciation du législateur à ses pouvoirs exclusifs, notamment en matière de droit pénal ou d’organisation administrative.

B. Arrêtés ministériels

Les arrêtés ministériels sont des règlements pris par des ministres, et bien qu’ils aient suscité des débats sur leur constitutionnalité, ils sont désormais reconnus comme étant compatibles avec la Constitution. En effet, le Conseil d’État a précisé que, même si la Constitution ne confère explicitement le pouvoir réglementaire qu’au Roi, ce pouvoir peut être délégué à un ministre, car ce dernier assume une responsabilité politique devant la Chambre des représentants.

Pouvoir de délégation et compétences des ministres

En principe, l’article 105 de la Constitution précise que le Roi n’exerce que les pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution ou par les lois. Cependant, la pratique a vu le législateur fédéral attribuer directement certaines compétences réglementaires à des ministres spécifiques, ce qui peut aller à l’encontre de l’article 108 de la Constitution, réservé au Roi. En effet, l’article 33 de la Constitution stipule que les pouvoirs sont exercés selon les modalités établies par la Constitution, interdisant ainsi au législateur d’investir directement un ministre d’un pouvoir réglementaire sans passer par le Roi.

Dérogation pour les entités fédérées

La loi spéciale du 8 août 1980 permet aux gouvernements des entités fédérées de déléguer leur pouvoir réglementaire à leurs membres. Cependant, seuls les gouvernements régionaux ou communautaires peuvent attribuer des compétences à leurs ministres ; les décrets ou ordonnances qui tenteraient de le faire directement sont, selon le Conseil d’État, contraires à la loi spéciale.

En pratique, bien que l’article 33 de la Constitution et la loi spéciale de 1980 limitent la possibilité de confier directement des pouvoirs réglementaires à des ministres, cette interdiction n’est pas systématiquement respectée. La Cour constitutionnelle n’a pas le pouvoir d’annuler une norme législative qui conférerait directement un pouvoir réglementaire à un ministre, sauf dans le cas des ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale et de la COCOM (Commission communautaire commune), où les juridictions peuvent écarter l’application de telles normes si elles contreviennent à la Constitution ou à la loi spéciale.

Conformité et obligations des arrêtés ministériels

Les arrêtés ministériels doivent être conformes aux arrêtés royaux ainsi qu’aux autres normes supérieures, telles que les lois et les traités. Dans ces limites, ils s’imposent aux citoyens et aux fonctionnaires et ont un caractère obligatoire.

C. Circulaires

Les circulaires constituent un outil fréquemment utilisé par les membres de l’exécutif pour communiquer des instructions ou interprétations administratives à l’intention des fonctionnaires sous leur autorité. Cependant, toutes les circulaires n’ont pas le même statut ni les mêmes effets juridiques, et certaines d’entre elles peuvent être considérées comme irrégulières lorsqu’elles outrepassent leur rôle.

a) Circulaires à contenu non normatif

Certaines circulaires se limitent à fournir des explications ou commentaires sur des dispositions législatives existantes, sans imposer de nouvelles règles. Elles visent simplement à clarifier l’application de la loi pour ceux qui en sont responsables. Par exemple, les circulaires publiées avant les élections rappellent les règles du droit électoral aux agents administratifs en charge de l’organisation des scrutins. Ces circulaires n’ont donc pas de force contraignante vis-à-vis des administrés et servent principalement à uniformiser l’interprétation de la loi au sein de l’administration.

b) Circulaires ayant un effet obligatoire pour les fonctionnaires

D’autres circulaires contiennent des instructions impératives destinées aux fonctionnaires sous l’autorité hiérarchique du ministre ou du membre de l’exécutif qui les émet. Ces circulaires, en vertu du pouvoir hiérarchique de l’exécutif, ont une valeur obligatoire pour les agents concernés. Elles encadrent leurs actions administratives et organisent la mise en œuvre des lois et règlements. Toutefois, elles ne sont généralement pas opposables aux administrés, car elles ne créent pas de droits ou obligations pour les citoyens, mais s’inscrivent dans le fonctionnement interne de l’administration.

c) Circulaires à caractère normatif et atteinte aux droits des administrés

Il arrive cependant que certaines circulaires dépassent leur rôle interprétatif et modifient de fait la portée du droit existant. C’est le cas, par exemple, des circulaires adoptées par les ministres du gouvernement flamand, Peeters et Martens, qui imposent aux francophones dans les communes à statut linguistique spécial de renouveler leur demande pour recevoir des documents administratifs en français, alors qu’une seule demande suffisait auparavant selon l’interprétation traditionnelle de la législation linguistique.

Ces circulaires présentent plusieurs irrégularités :

d) Circulaires d’ordre public et substitution de l’autorité supérieure

Un autre exemple de circulaire controversée est celle émise le 10 décembre 1987 par le ministre de l’Intérieur, permettant à l’autorité supérieure de se substituer aux autorités communales pour des mesures de police en cas de troubles à l’ordre public impliquant plusieurs communes. Cette circulaire pose également problème en raison de son caractère normatif. Elle instaure une procédure contraignante sans avoir été soumise à l’avis du Conseil d’État, ce qui rend sa régularité contestable.

§ 3 – Le pouvoir réglementaire d’attribution

En Belgique, le législateur peut accorder à l’exécutif des compétences réglementaires spécifiques par le biais de lois de pouvoirs spéciaux. Ce mécanisme permet de donner à l’exécutif un pouvoir accru pour agir rapidement et efficacement, particulièrement dans des situations exceptionnelles ou d’urgence. Contrairement au pouvoir réglementaire d’exécution, qui se limite à l’application des lois existantes, ce pouvoir réglementaire d’attribution autorise l’exécutif à édicter de nouvelles règles qui ne sont pas simplement une extension nécessaire des lois législatives.

Les arrêtés de pouvoirs spéciaux permettent à l’exécutif, et plus spécifiquement au Roi, de modifier, compléter ou abroger des lois existantes. Ce pouvoir s’étend au-delà du cadre prévu par l’article 108 de la Constitution, qui autorise uniquement l’exécutif à exécuter des lois sans en changer la substance. Les lois de pouvoirs spéciaux confèrent donc au Roi un pouvoir d’intervention direct dans des domaines déterminés, avec la possibilité de créer de nouvelles règles de droit.

Fondement constitutionnel et validation par la Cour de cassation

La Cour de cassation, par l’arrêt Le Compte du 3 mai 1974, a affirmé que l’article 105 de la Constitution permet au législateur de confier au Roi des pouvoirs spéciaux, en dépassant les limites de l’article 108. En effet, selon l’article 105, le Roi n’a que les pouvoirs que lui confèrent formellement la Constitution et les lois adoptées en vertu de celle-ci. Cela signifie qu’une loi d’habilitation, adoptée par le Parlement, peut étendre temporairement les compétences du Roi pour répondre à des situations particulières. Cette validation de la Cour de cassation a mis fin aux débats sur la légitimité des arrêtés de pouvoirs spéciaux, en confirmant leur compatibilité avec la Constitution.

Conditions et procédure d’adoption des arrêtés de pouvoirs spéciaux

L’adoption d’un arrêté de pouvoirs spéciaux doit respecter plusieurs étapes formelles :

De plus, de nombreuses lois de pouvoirs spéciaux prévoient une ratification ou confirmation parlementaire a posteriori. Cette étape permet au législateur de valider ou d’annuler les mesures prises par l’exécutif une fois l’urgence passée, assurant ainsi un retour au contrôle parlementaire.

Force juridique des arrêtés de pouvoirs spéciaux

Les arrêtés pris dans le cadre des pouvoirs spéciaux ont une force juridique supérieure à celle des arrêtés ordinaires, car ils peuvent modifier, compléter, ou abroger des lois. Ils ne peuvent être modifiés ou abrogés que par une nouvelle loi ou un autre arrêté de pouvoirs spéciaux ; un simple arrêté ordinaire ne suffirait pas à les modifier. Cependant, les juridictions belges peuvent écarter l’application de ces arrêtés si ceux-ci :

§ 4 – Le pouvoir réglementaire direct

En Belgique, le pouvoir réglementaire direct conféré au Roi permet non seulement de nommer des agents aux emplois d’administration générale et de relations extérieures, mais aussi d’organiser l’administration de l’État et de définir le statut des agents publics. Ce pouvoir découle principalement de l’article 37 de la Constitution et de l’article 107, alinéa 2, qui attribuent à l’exécutif des compétences exclusives, empêchant ainsi le législateur de s’y immiscer.

Pouvoirs des gouvernements régionaux et communautaires

L’article 87 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 confère un pouvoir identique aux gouvernements des Régions et des Communautés. Ceux-ci ont le droit d’organiser leurs services, de définir les postes administratifs et de procéder aux nominations. Cependant, ces gouvernements doivent recourir aux services de SELOR (le Secrétariat permanent de recrutement de l’État) pour le recrutement. En outre, ils peuvent établir le statut administratif et pécuniaire de leurs agents, mais dans le respect des principes généraux du statut de la fonction publique fédérale, tels que fixés par l’arrêté royal du 22 décembre 2000.

Limitations du pouvoir réglementaire direct

Certaines matières sont exclues du pouvoir réglementaire du Roi. Le statut des magistrats et celui des militaires sont, par exemple, explicitement soustraits à ce pouvoir en vertu de dispositions constitutionnelles spécifiques. De plus, il est souligné que bien que les gouvernements régionaux et communautaires puissent établir le statut du personnel de certaines personnes morales de droit public, cette responsabilité relève uniquement de leurs parlements respectifs.

Pouvoir réglementaire en matière d’ordre public

Le Roi dispose également du pouvoir d’adopter des règlements de police pour maintenir l’ordre et la tranquillité publique. Ce pouvoir, bien que rarement exercé directement par le Roi, est délégué en pratique aux communes et provinces. Une affaire notable devant le Conseil d’État illustre ce point : le bourgmestre de Bruxelles avait interdit un congrès du Vlaams Belang (VB) pour des raisons de sécurité. Cependant, la gouverneure de la Région de Bruxelles-Capitale a annulé cette interdiction en autorisant le congrès sous la protection policière, utilisant son pouvoir de tutelle sur la décision communale. Le Conseil d’État a jugé cette tutelle irrégulière en l’absence de fondement législatif clair.

§ 5 – Les arrêtés donnant force obligatoire à des normes qui n’ont pas été élaborées par le Roi ou un gouvernement

Dans certains cas, l’exécutif intervient pour donner force obligatoire à des normes qui n’ont pas été élaborées par lui-même, mais par d’autres autorités administratives ou groupements socio-économiques. Ce mécanisme est utilisé pour étendre la portée de règles établies par des organisations tierces afin qu’elles deviennent obligatoires dans l’ordre juridique belge.

Exemples de normes d’origine externe

Les conventions collectives de travail, conclues dans le cadre d’organismes paritaires, peuvent être rendues obligatoires pour tous les employeurs et travailleurs du secteur concerné grâce à un arrêté royal. De même, le Roi peut conférer force obligatoire aux codes de déontologie élaborés par des ordres professionnels, comme le Code de déontologie médicale de l’Ordre des médecins ou le code des agents immobiliers. Ces arrêtés permettent d’imposer les normes édictées par ces entités à l’ensemble des membres des professions concernées, assurant ainsi un respect uniforme des standards professionnels dans le pays.

Sous-section 3 : Les fonction des organes gouvernementaux qui ne relèvent pas de l’activité normative – Les fonctions de gouvernement et d’administration générale

L’exécutif, au-delà de ses fonctions législatives et réglementaires, exerce diverses compétences qui ne relèvent pas de l’activité normative, mais sont essentielles à l’application des lois et au fonctionnement de l’État. Ces fonctions incluent notamment l’exécution des normes à portée individuelle, la nomination aux postes administratifs, et la gestion des relations diplomatiques et de défense. Bien que certaines de ces compétences soient communes à tous les niveaux de l’exécutif, d’autres sont spécifiquement dévolues au Roi ou aux gouvernements régionaux et communautaires.

A) Exécution des normes par voie d’actes individuels

La fonction la plus significative de l’exécutif consiste à exécuter les normes législatives et réglementaires par des actes individuels. Cette exécution inclut des compétences spécifiques, telles que le pouvoir de nomination aux postes de la fonction publique. Cependant, cette prérogative est parfois entachée de politisation, notamment lorsque les postes administratifs supérieurs sont partagés entre les partis de la coalition gouvernementale. Ce partage, bien que courant, entre en contradiction avec les principes de neutralité et de pluralisme inscrits dans la Constitution.

Ainsi, la Cour d’arbitrage a rappelé, dans un arrêt du 15 juillet 1993, que le pluralisme devait être respecté dans les institutions culturelles publiques (loi du 16 juillet 1973, dite loi du Pacte culturel). Cette loi vise à garantir une représentation équitable des tendances idéologiques et philosophiques au sein d’organismes tels que la RTBF et la VRT. Dans son arrêt, la Cour a estimé que l’exigence de répartition des emplois en fonction des tendances représentatives, bien qu’ayant pour but de maintenir un équilibre, allait à l’encontre du principe de proportionnalité et constituait une atteinte au principe d’égalité.

B) Pouvoir de nomination du Roi

Les nominations effectuées par le Roi ne se limitent pas à l’administration publique ; elles s’étendent également aux fonctions judiciaires et diplomatiques, ainsi qu’aux hauts postes militaires. En vertu de la Constitution et des lois spécifiques, le Roi nomme les ministres, les secrétaires d’État, les juges et les gouverneurs de provinces, ainsi que les bourgmestres dans certaines conditions. Cette prérogative permet au Roi de jouer un rôle central dans la mise en œuvre des décisions de l’État.

C) Relations internationales et commandement des forces armées

Les relations internationales relèvent principalement de l’autorité fédérale, bien que les gouvernements régionaux et communautaires aient aussi la capacité de conclure des traités dans leurs domaines de compétence, sous réserve de coordination avec le fédéral. La gestion des relations diplomatiques et consulaires reste une fonction de l’État fédéral, qui assure la cohérence de la politique étrangère.

Le commandement des forces armées est également une compétence du Roi, comme le prévoit l’article 167, §1, alinéa 2 de la Constitution. Toutefois, depuis la capitulation de 1940, il est établi que les décisions militaires, telles que l’engagement ou le retrait des forces, nécessitent le contreseing ministériel, soulignant que ces prérogatives ne sont plus exercées personnellement par le Roi, mais en collaboration avec le gouvernement.

D) Compétences judiciaires : nomination, exécution des décisions et droit de grâce

Le Roi dispose de certaines compétences judiciaires :

  1. Il nomme les magistrats, conformément aux articles 151 à 153 de la Constitution.
  2. Les décisions de justice sont exécutées en son nom (article 40 de la Constitution).
  3. Enfin, le Roi possède le droit de grâce (article 110 de la Constitution), qui lui permet, sous la responsabilité du ministre de la Justice, de réduire ou de supprimer les peines. Ce droit, qui s’applique aux peines individuelles, ne supprime pas la condamnation, mais constitue un obstacle à son exécution. La grâce doit être distinguée de l’amnistie, qui relève du pouvoir législatif. Alors que la grâce s’applique à une personne et laisse subsister la condamnation, l’amnistie efface celle-ci, supprimant également les poursuites et adressant l’acte, indépendamment de l’identité de son auteur.

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