Technique du droit : interprétation, qualification, syllogisme

LES TECHNIQUES DE DROIT

   Les règles qui composent le droit objectif forment un système complet et relativement mécanique mais les règles sont rarement assez précises pour s’appliquer directement et parfois se contredisent les unes les autres ce qui conduit le juriste à argumenter pour convaincre le juge, l’autorité administrative c’est à dire le décideur que les règles doivent s’appliquer plutôt comme ceci que comme ça.

 —>  Par exemple, une clinique construite sur un terrain qui empiète sur le terrain du propriétaire voisin et celui-ci demande que ce qui empiète soit détruit en fondant sa demande sur l’article 545 du Code civil qui dit « nul ne peut être contraint de céder sa propriété… » mais ce texte ne s’applique pas d’évidence à la situation litigieuse donc pour convaincre le juge d’appliquer cette règle de droit et d’ordonner la destruction de l’édifice il va argumenter, le défendeur va alors contre argumenter en disant que ce texte n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

 

 —>  Ces arguments vont se réclamer soit de la logique soit d’autres considérations plus concrètes et les arguments logiques se recommandent de l’idée que le droit objectif constitue un système complet donc là où la règle ne dit rien de spécifique au cas litigieux il suffit de la compléter de manière cohérente et de déduire ce qui doit être à partir de ce qui existe sans jugement de valeur ou considérations sentimentales.

 

=>Ce genre d’arguments d’ordre logique qui vont s’exprimer sous forme de déductions logiques visent à combler les lacunes des règles écrites de manière ordonnée et sont objectivement prévisibles.

 

 —>  Dans l’exemple précédent, l’article 545 ne s’applique pas à l’espèce car ce texte vise la question de l’expropriation pour cause d’utilité publique mais son fondement c’est la ratio legis (la raison de la loi) c’est à dire de protéger l’atteinte à la propriété quelqu’elle soit et le défendeur va opposer des arguments ancrés dans des considérations factuelles très concrètes qui tendent à mettre en évidence devant le décideur sur les conséquences concrètes des différentes options qui s’ouvrent à lui dans l’application de la règle.

 —>  Il va chercher à le convaincre qu’une option est plus avantageuse que les autres et ce genre d’arguments parlent aux valeurs et au sens pratique du juge en l’occurrence l’avocat de la clinique va mettre en évidence qu’entre la valeur du terrain et le coup de la destruction de l’édifice il y a de nombreux inconvénients notamment économiques.

 

 —>  Il tente à obtenir une décision ponctuellement la plus humaine et la plus opportune sans chercher sa cohérence avec l’ensemble du système juridique (source de solution perturbante) c’est pourquoi ils sont appelés des arguments de désordre.

 

SECTION 1 : LA DÉSIGNATION DE LA RÈGLE PERTINENTE

 —>  C’est évidemment le travail préalable de toute personne qui doit décider en droit c’est à dire résoudre le problème de la qualification.

 

Paragraphe 1 : la qualification

  —>  Il s’agit de l’opération intellectuelle consistant à rattacher une réalité donnée à une catégorie juridique abstraite ce qui permettra ensuite d’appliquer à cette réalité l’ensemble des règles rattachées à la catégorie juridique adéquate.

 

 —>  Cela permet de qualifier le régime juridique c’est à dire l’ensemble des règles destinées à en gouverner le sort aux yeux du droit car en effet les règles de droit s’organisent en des espèces de paquets qui appréhendent des institutions déterminées et ces paquets constituent chacun un régime juridique spécifique.

 

=>Bien connaître les définitions de chacune des institutions et ensuite voir si dans le cas concret toutes les conditions caractéristiques d’une des 2 opérations sont remplies par une définition.

 

 —>  Malgré cette démarche préalable de qualification, il se peut que demeurent plusieurs règles applicables et que celle-ci ne soient pas cohérentes les unes par rapport aux autres.

 

Paragraphe 2 : la règle applicable

  —>  La question se pose lorsque l’on est confronté à plusieurs règles ont vocation à s’appliquer à l’espèce ce qui nécessite l’utilisation de 2 filtres à savoir l’application de la loi dans le temps c’est à dire vérifier si les différentes normes sont temporellement pertinentes et parmi les règles qui demeurent après cette sélection il y a la hiérarchie des normes c’est à dire éliminer les règles inférieures contraire à la règle supérieure.

 

 —>  Si malgré ces 2 filtres il demeure des règles contradictoires en concours alors il faut toutes les appliquer car elles ont toutes un point pertinent avec la situation et les contradictions suscitées vont alors être réglées par un principe qui énonce que la règle spéciale l’emporte sur la règle contraire plus générale (« specialia gêneralibus derogant« ) car la règle générale a été posée pour une institution très abstraite et dans certains cas particuliers le législateur a estimé qu’il valait mieux décider autrement que de la manière habituelle.

 

=> La règle spéciale a en fait un domaine plus étroit que la règle générale.

 

 —>  La différence entre une règle spéciale et une règle d’exception se situe au niveau de généralité du principe car la règle spéciale au contraire précise le principe dans un cas particulier.

 

SECTION 2 : L’INTERPRÉTATION DE LA RÈGLE PERTINENTE

 

Paragraphe 1 : les arguments logiques

  —>  Ce sont tout d’abord quelques grandes règles d’interprétation sous forme d’adages qu’il suffira d’appliquer.

 

  1. Quelques adages

  —>  Le 1er adage et le plus important c’est « cessante ratione legis, cessat lex » c’est à dire toute règle est déterminée par ce que commande sa raison d’être et que donc là où s’arrête la raison de la loi, la loi s’arrête.

 —>  2e adage : « Ubi eadem ratio, idem jus » ce qui signifie que là où il y a la même raison de décider juridiquement on décide pareillement.

 

 —>  3e adage : « Ubi lex non distinguit, nec nos dinstinguere debemus » c’est à dire que la loi où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

 

 —>  4e adage : « specialia gêneralibus derogant » c’est à dire que la règle spéciale l’emporte sur la règle générale.

 

 —>  5e adage : « Odiosa sunt restringenda » ce qui veut dire que les règles odieuses doivent être restreintes.

 

=>Ce sont tous des arguments différents d’interprétation.

 

 —>  Les règles, qui choquent les valeurs communément partagées et qui existent pourtant car le droit n’est pas toujours cohérent avec la morale, sont d’interprétation étroite (règle liberticide notamment).

 

 —>  6e adage : « Accessorium sequitur principale » c’est à dire que l’accessoire suit le principal autrement dit que la loi où une règle est auxiliaire à une autre elle sera interprétée de la même manière.

 

=>Ces adages ont vocation à éclairer la règle applicable

 

 —>  1er adage : « Interpretatio cessat in claris » ce qui signifie que pour qu’il y ait lieu à l’interprétation il faut qu’il y ait obscurité donc si la règle est claire on l’applique. En sens contraire, il y a la règle exprimée à l’article 1106 du Code civil, texte qui vaut pour toute règle écrite.

 

 

Section 3 :  Le syllogisme judiciaire

  1. La notion

Droit fait de règles; réalité faite de situations de fait que le droit doit régir. => Nécessaire de réduire la distance qui répare le droit du fait (passer du général au particulier).

Cette opération s’effectue par un procédé: syllogisme judiciaire ou syllogisme de subsomption.

  1. Définitions
  2. Le syllogisme
  • = opération intellectuelle par laquelle, du rapport de 2 termes avec un même 3e appelé moyen terme, on conclut à leur rapport mutuel.

Si A = B et que

B = C

alors A = C

  1. Le syllogisme judiciaire
  • = opération permettant d’appliquer à une situation de fait la solution prévue par une règle de droit.

Comme cette situation de fait remplit ces conditions d’application de la règle de droit, on lui applique la solution dictée par la règle.

  • Exemple
  1. a) Tout condamné à mort aura la tête tranché,
  2. b) Or Louis XVI est condamné à mort,
  3. c) Donc Louis XVI aura la tête tranchée.
  • Syllogisme, quelle que soit sa formulation, est toujours de type conditionnel.

Il faut donc lire:

  1. Si une personne est condamnée à mort, elle aura la tête tranchée.
  2. Or Louis XVI est condamné à mort
  3. Donc Louis XVI aura la tête tranchée.

La conséquence (tête tranchée) s’applique à Louis XVI, puisque Louis XVI remplit la condition prévue par la règle (condamné à mort).

III. L’articulation du syllogisme judiciaire: Trois éléments

  1. La majeure:

« Si une personne a…,

alors elle doit… »

  1. La mineure:

« Or X a … »

  1. La conclusion:

« Donc, X doit… »

  1. La majeure
  • = Enonce la règle de droit
  • Elle affirme de manière générale et abstraite que, si telle hypothèse est réalisée, telle conséquence s’ensuivra.

Règle est fournie par les sources de droit reconnues par l’ ordre juridique.

Qui veut appliquer le droit, doit d’abord rechercher cette règle.

=> méthode du traitement du cas pratique.

  1. La mineure
  • = consiste dans la confrontation de la situation de fait avec l’hypothèse abstraite de la règle.

Cette confrontation suppose la connaissance du fait et du droit pour établir le rapport de l’un avec l’autre = passage du général au particulier.

  1. L’hypothèse légale est donnée par la règle de droit, telle qu’elle a été analysée dans la majeure.
  2. Le fait, le cas concret, est donné par la réalité!

Qui veut appliquer le droit, doit d’abord constater les faits (pour aboutir à un jugement de fait qui affirme que choses se présentent de telle ou telle manière) = version que retiendra juge pour appliquer le droit.

Droit de procédure fixe ces règles qui permettent d’établir les faits.

  1. La confrontation entre la situation de fait et la règle de droit  on peut alors affirmer si le cas concret remplit les conditions d’application de la règle de droit.

      Le fait (inclus dans hypothèse de règle) reçoit sa qualification juridique = subsomption.

      interprétation de la norme.

  1. La conclusion
  • Suivant le résultat de confrontation, la conclusion attribue ou n’attribue pas, à la situation de fait la conséquence prévue par la règle de droit.

= particularisation de la règle générale: on attache au cas visé la conséquence générale.

  1. Syllogisme et jugement
  • Les différentes étapes du syllogisme

= étapes effectuées par juge pour la résolution du problème = structure du jugement.

début: reconstituer les faits.

  • Trois parties du jugement:
  1. Les faits

Juge expose la version des faits qu’il a retenue sur la base des preuves qui lui ont été offertes.

  1. Le droit

Juge rappelle la règle applicable et vérifie si les faits retenus remplissent les conditions prévues par la règle.

  1. Le dispositif

Suivant le résultat de cette analyse, le juge décide quelle est la solution du litige, eu égard aux effets prévus par la règle applicable.

Section 4 :  L’analogie juridique

  • Un des plus anciens procédés juridiques; on l’applique toujours couramment aussi bien le juge que législateur.
  1. La notion d’analogie
  • Analogie juridique ou argument a pari

=     extension d’une disposition légale concernant un cas particulier à un autre cas particulier non prévu par le législateur mais semblable sur les points essentiels, pour une raison d’équité.

  1. L’extension
  • = On quitte le domaine d’application prévu par le législateur.
  • => pouvoir important du juge, fondé sur son pouvoir d’interprétation de la loi: art. 1 al. 1 CC.

Seule limitation: doctrine + jurisprudence.

  • Révolutionnaires (alliés aux idées de Beccaria – 1794) ont proclamé le principe de la légalité des délits et des peines (justice pénale AR),

=> recours à l’analogie est exclu (puisque hors du domaine d’application de la loi).

  • Aujourd’hui, principe est toujours proclamé (art. 1 CP) mais depuis longtemps abandonné.

      Juge pénal est forcé de raisonner par analogie pour appliquer  les dispositions générales aux cas particuliers.

      Législateur prescrit au juge d’y recourir.

«     Toutefois, le juge ne peut rien ajouter à la loi sans un ordre exprès du législateur.

  1. La similitude
  • = L’analogie suppose des situations de fait comparables pour l’essentiel auxquelles il paraît normal d’appliquer la même règle de droit: « une situation de fait semblable implique la même règle juridique ».
  • Pour établir une similitude entre 2 situations, le juge se réfère à un système de valeurs qui lui permettra de sélectionner les éléments caractéristiques d’une situation et d’écarter les autres.

(Plusieurs analogies possibles plus règles).

Juge choisit la plus grande ressemblance en fonction du contexte politico-social.

  1. L’équité
  • Doctrine suisse fonde l’analogie sur le pouvoir d’interprétation du juge.

Droit canonique fait de l’ analogie = source du droit fondée sur l’ équité = des considérations extérieures au droit destinées à réaliser la justice.

  • Juge doit recourir à l’équité pour établir la justice.

= fondement plus logique puisque le juge sort du cadre de la loi et recours à l’ analogie.

  1. Aspects divers de l’analogie juridique
  • Rappel : l’analogie peut avoir la forme de l’argument a pari

mais aussi

argument a fortiori

argument a contrario

  • Argument a fortiori

= le juge étend une solution légale ou jurisprudentielle donnée à un cas non prévu, parce que les raisons qui ont guidé le législateur se retrouvent avec encore plus de force dans le cas non prévu.

  • Argument a contrario

= le juge adopte la solution contraire à celle retenu par la loi dans un cas pour résoudre un cas inverse.

 

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