La tentative en droit pénal

La tentative (L’infraction inachevée)

A partir du moment où le résultat envisagé par le législateur n’est pas atteint, on parle d’infraction tentée : la tentative est une action qui consiste à essayer de commettre une infraction. Elle est envisagée par l’article 121-4 du Code pénal, qui dispose que « celui qui tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit, est considéré comme auteur de l’infraction ».

L’article 121-5 du Code pénal ajoute que la tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. La tentative pourra donc être réprimée seulement lorsque l’infraction envisagée était réalisable : si elle ne l’était pas, on considère que la tentative de cette infraction ne peut pas être sanctionnée.

La doctrine et la jurisprudence ont apporté un certain nombre de précisions s’agissant de cette théorie.

A/ L’infraction réalisable

Dans cette hypothèse, la tentative ne sera sanctionnable que si elle révèle un comportement dangereux de la part de son auteur : l’article 121-5 du Code pénal pose deux conditions à la caractérisation de la tentative. En effet, selon ce texte, la tentative ne pourra être sanctionnée que s’il existe un commencement d’exécution, ainsi qu’une absence de désistement volontaire.

Dans tout processus criminel, plusieurs étapes vont se succéder dans le temps avant que l’on ne parvienne au résultat final. C’est la doctrine qui en a distingué les étapes :

o le dessein criminel : c’est la simple idée que l’on peut avoir de commettre une infraction

o la résolution : dans ce cas, on n’a plus la simple idée de commettre une infraction, on a décidé de la commettre

o l’extériorisation : on va extérioriser sa volonté infractionnelle

La tentative n’est pas sanctionnable lors des deux premières étapes : il faut nécessairement une extériorisation de la volonté infractionnelle. Lors de cette phase, différentes étapes se distinguent :

o la commission des actes préparatoires, qui vont permettre au délinquant de se procurer les moyens de l’infraction

o l’achèvement de l’infraction

1 – Le commencement d’exécution

On s’est demandé à partir de quel moment la tentative pouvait être sanctionnée, à quel moment l’infraction est considérée comme extériorisée. La doctrine a posé la règle que la tentative ne pouvait pas être sanctionnée qu’en présence d’actes préparatoires : il faut nécessairement un commencement d’exécution. Cette exigence législative n’a pas été définie par le Code pénal, c’est donc la doctrine qui a posé les critères permettant de dire si tel acte caractérise un commencement d’exécution ou non.

Un premier critère objectif a été dégagé par la doctrine, et en application de ce critère, on considère qu’il n’y aura commencement d’exécution que dans l’hypothèse où l’acte réel visé constitue un des éléments constitutifs de l’infraction ou une circonstance aggravante. Par exemple, celui qui pénètre par effraction dans une maison pour la cambrioler peut être condamné pour tentative de vol du fait des circonstances aggravantes de l’effraction.

Le commencement d’exécution est envisagé d’un point de vue strictement matériel, c’est-à-dire en fonction de faits extérieurs à l’individu. Ce critère a cependant été critiqué par des auteurs, qui en ont dénoncé l’étroitesse : pour eux, il y a confusion entre infraction tentée et infraction manquée.

C’est la raison pour laquelle la doctrine a dégagé un critère subjectif, selon lequel on va devoir prendre en considération l’état d’esprit du délinquant : la tentative sera considérée comme constituée dès lors que l’acte qui a été commis témoigne du projet criminel. Ce second critère a lui aussi été critiqué dans la mesure où il est très délicat à mettre en œuvre.

La jurisprudence a donc mélangé les deux critères, et selon la formule de la Cour régulatrice : « doit recevoir la qualification de commencement d’exécution tout acte délibéré qui tend directement au délit ». Le commencement d’exécution est donc un acte qui doit avoir pour conséquence directe et immédiate de consommer le crime ou le délit.

On perçoit que pour la jurisprudence, l’achèvement doit être hautement probable : il faut donc une intention irrévocable et un lien de causalité qui suppose que le commencement de l’exécution soit assez proche dans le temps de la réalisation proprement dite.

  • a) Le contrat d’assassinat

L’application extrêmement stricte de ces principes par la jurisprudence a donné lieu à un contentieux très important dans les espèces suivantes. Lorsqu’une personne décide de faire tuer une autre personne et va payer un tiers pour exécuter le meurtre, mais que ce dernier n’exécute pas le contrat : on a considéré qu’on en pouvait pas être complice d’une tentative qui n’a pas eu lieu, et ainsi le commanditaire a été acquitté.

A la suite de critiques, on a admis le contrat d’assassinat dans la loi Perben du 29 mars 2004, malgré un projet qui n’a pas été repris dans le Code pénal de 1994. l’article 221-5 du Code pénal punit de 10 ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende le fait de faire à une personne des dons ou des promesses ou de lui proposer des dons présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement lorsque ce crime n’a été ni tenté, ni commis.

  • b) L’association de malfaiteur

Un arrêt du 15 mai 1979 concernait une hypothèse proche, et en même temps lointaine : une personne va remettre des fonds à une autre personne afin que cette dernière achète une quantité de drogue à un revendeur. Or la mère de l’intermédiaire a trouvé les fonds, et les a confisqués : l’intermédiaire n’a onc pas pu acheter les stupéfiants. Une plainte a néanmoins été déposée à l’encontre le la personne ayant transféré les fonds.

Ici, il n’y a pas de complicité de tentative puisqu’encore une fois, il n’y a pas tentative. La condamnation a cependant eu lieu sur le fondement de l’article 450-1 du Code pénal modifié par la loi du 15 mai 2001, relatif à l’association de malfaiteurs.

Dans un arrêt de 1996, on a une personne qui souhaite défigurer son ex-petite amie au vitriol, et qui pour ce faire engage une tierce personne à qui il va donner des instructions et des fonds. Celui qui a reçu les fonds les a dilapidés, mais n’a pas exécuté le contrat. Les juges ont ici fait application de l’article 450-1 du Code pénal, en considérant qu’il y avait association de malfaiteurs.

Dans un second arrêt, trois hommes emprisonnés projettent l’évasion de l’un d’entre eux, mais n’avaient pas techniquement les capacités de parvenir à cette évasion : ils ont ici également été condamnés sur le fondement de l’association de malfaiteurs.

La jurisprudence considère que la tentative sera caractérisée en présence d’actes non-équivoques : c’est par exemple le cas lorsqu’une personne attend dans un couloir, armé, un encaisseur de banque. Selon la formule du professeur Larguier, « le commencement d’exécution doit prendre le chemin même du délit » : en l’espèce, il n’y avait pas d’autre raison d’attendre dans un couloir en étant armé que dans le but de commettre une infraction.

  • c) La tentative d’escroquerie

A l’égard de la tentative d’escroquerie, on peut citer un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 8 septembre 2004 : selon ce dernier, la tentative d’escroquerie à l’assurance est caractérisée à partir du moment où le prévenu fait une fausse déclaration de sinistre à la gendarmerie, et qu’ensuite il envoie cette fausse déclaration à son assureur.

Un autre arrêt du 17 décembre 2008 présentait l’espèce suivante : le propriétaire d’un véhicule qui connaissait des problèmes financiers et qui n’arrivait pas à la vendre a demandé à un ami de mettre le feu audit véhicule. Le sinistré s’est alors rendu au commissariat où il a déposé plainte pour vol de véhicule. Les faits furent découverts et il a été poursuivi pour tentative d’escroquerie et a été condamné en première instance. La Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel en estimant qu’il n’y avait pas commencement d’exécution constitutif d’une tentative punissable dans la mesure où il n’y a pas eu de déclaration de sinistre auprès de l’assureur. La Cour rappelle ici que la destruction du véhicule et que la déclaration au commissariat de police ne sont que des actes préparatoires, le commencement d’exécution étant la déclaration de sinistre.

2 – L’absence de désistement volontaire

Dans le cas où le désistement est volontaire, il n’y a pas tentative punissable. Pour que le désistement volontaire soit admis, il faut deux conditions.

  • a) Le caractère volontaire du désistement

Il faut tout d’abord que le désistement soit totalement volontaire : il ne doit pas être le résultat d’un évènement extérieur. Lorsque le désistement est totalement spontané, il n’y a pas de difficulté d’interprétation : il est l’expression d’une volonté libre. Il en est de même lorsqu’il est dû à une cause totalement étrangère à l’agent : l’absence de désistement volontaire est ici aisément caractérisée.

Un arrêt rendu par la Chambre criminelle concernait une tentative de viol, durant laquelle l’auteur a été victime d’une impuissance. La Cour de cassation a ici considéré que le désistement était dû à une incapacité physique, et qu’il était donc involontaire. Il en est de même lorsqu’un tiers interrompt l’acte soit moralement, soit physiquement.

A partir du moment où l’interruption, sans être le résultat d’une contrainte, ne va pas être totalement libre, va se poser le problème de savoir si l’infraction est punissable ou non. Si une personne s’arrête volontairement, mais sous l’influence d’une cause extérieure (peur d’être dénoncé, par exemple), la jurisprudence considère qu’il y a deux facteurs : un facteur externe (raison du désistement), et un facteur interne (arrêt volontaire). Dans une telle hypothèse, il va falloir déterminer quel facteur va jouer un rôle essentiel.

Dans un arrêt, une personne souhaitait voler des marchandises dans un supermarché : il a remplacé les bouteilles d’un vin à bas prix par du vin plus cher dans un carton. Son complice devait l’attendre sur le parking du magasin, et le délinquant abandonne le chariot, quitte le magasin, et est arrêté à ce moment là par le vigile. Une plainte est alors déposée pour tentative de vol.

La Cour de cassation a considéré que le facteur externe est qu’il a surpris un vigile qui le regardait avec insistance ainsi que le départ de son complice, et que donc le désistement était involontaire.

  • b) L’antériorité du désistement

Pour être effectif, le désistement doit être antérieur à l’infraction : ainsi, quelqu’un qui vole un portefeuille mais rend ce dernier à la victime peu après pourra tout de même être poursuivi pour vol. On parle cependant de « repentir actif » : bien qu’il n’efface jamais l’infraction, ce repentir actif permettra aux juges de réduire le quantum de la peine.

B/ L’infraction impossible

Dans ce cas, le délinquant va accomplir totalement les différentes opérations devant conduire à l’infraction, sans atteindre le résultat escompté : il n’a pas été interrompu, mais un évènement qui lui était totalement étranger a empêché la réalisation de l’infraction. On s’est alors demandé si cet acte pouvait être condamné sur le fondement de la tentative, bien qu’elle soit nécessairement infructueuse.

On a commencé à s’interroger sur l’infraction impossible à partir du XIXe siècle. On s’était alors posé la question suivante : peut-on condamner un paysan ayant effectué un pèlerinage pour souhaiter la mort de son voisin ? La doctrine a appelé ce type de comportement l’infraction surnaturelle, qui a donné naissance au concept d’infraction impossible.

Au début du XIXe, la plupart des auteurs se sont prononcés sur l’impunité : ils se sont appuyés sur l’inexistence d’un commencement d’exécution. Pourtant, certains auteurs comme Saleilles ont souligné qu’à partir du moment où la volonté criminelle s’est manifestée par des actes suffisamment explicites, on ne devait pas distinguer si le résultat de l’action était ou non réalisable. Les auteurs ont alors proposé de dissocier deux hypothèses : l’hypothèse de l’impossibilité absolue (impunité), et l’hypothèse de l’impossibilité relative (permettant des poursuites).

La jurisprudence aussi a apporté une pierre à la création du concept d’infraction impossible : ainsi, lorsqu’une personne souhaite empoisonner une autre personne avec un produit qui s’est révélé totalement inoffensif, ou encore lorsque quelqu’un essaye de tirer sur quelqu’un avec un pistolet qui s’avère vide, les juges appréciaient au cas par cas les faits.

La Cour de cassation, après plusieurs années (voire siècles) d’hésitation jurisprudentielle, a posé le principe dans un arrêt du 9 novembre 1928 que l’impossibilité du résultat n’ayant été qu’une circonstance indépendante de la volonté des auteurs, par suite de laquelle la tentative a manqué ses effets, la tentative est constituée.

Selon une formule d’un arrêt du 16 janvier 1989, «il importe peu, pour caractériser une tentative d’homicide volontaire, que la victime soit déjà décédée au moment où les violences dans l’intention de donner la mort dont exercées par l’accusé».

Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 21 septembre 2004 à l’égard de l’infraction impossible, il s’agissait d’une tentative d’évasion dont le prévenu a fait valoir qu’il s’agissait d’une infraction impossible puisque sa cellule se trouvait à 6 mètres du sol. La Cour d’appel a décidé que peu importaient que l’infraction soit réalisable ou non, seules les conditions de la tentative doivent être analysées. Or la volonté d’évasion avait été clairement établie, bien que l’infraction soit irréalisable.