Tocqueville, sa vie, ses idées

TOCQUEVILLE

Il est né en 1805 et décédé en 1859. Ses œuvres principales sont : De la Démocratie en Amérique (Tome 1 : 1835 ; Tome 2 : 1840), De l’Ancien Régime et de la Révolution (1856). C’est un philosophe politique, homme politique, historien, précurseur de la sociologie et écrivain français.

Tocqueville est une figure marginale du libéralisme car c’est un libéral différent car son libéralisme est plus inquiet. Son libéralisme est donc plus profond que les autres. Son sociologisme a été oublié car pour nous le père fondateur de la sociologie est Durkheim. Tocqueville pratique la sociologie de façon différente car au lieu de considérer les faits sociaux comme des choses, il est comme Montesquieu et donc sa sociologie n’hésite pas à apporter des changements. Dans les années 1970, on a assisté à un retour vers Tocqueville mais le véritable retour a été de considérer Tocqueville comme un philosophe politique. Cela est lié à la période de la réflexion sur le totalitarisme et surtout à la génération qui essaye de comprendre le line entre la démocratie et le totalitarisme.

Tocqueville est un homme libre car il a le gout de la liberté, d’où sa bibliographie. Il est aussi à l’école de Montesquieu en tant que sociologue et moraliste. Enfin, il voit l’avenir de la liberté dans la démocratie de manière particulière.

Section 1- Le goût de la liberté chez Tocqueville

Il a écrit De la démocratie en Amérique et un livre inachevé concernant l’Ancien Régime et la Révolution. Dans le second, il dit que « qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir, ne me demandez pas d’analyser ce gout sublime, il faut l’éprouver ». Il s’est émancipé pour manifester cette liberté, par rapport à son milieu familial et son milieu politique.

P1- L’émancipation du milieu social

Le milieu social de Tocqueville est caractérisé par deux mots : aristocratie et fidélité. Il est né le 11 Thermidor de l’an III (29 juillet 1805) et meurt en 1959. C’est un aristocrate et sa famille exerce dans les armes avec des propriétés terriennes importantes du côté paternel. Du coté de sa mère, il appartient aux plus grandes familles du Parlement de Paris et donc des familles qui ont l’habitude de servir le roi judiciairement ou administrativement. Cette famille est marquée par la fidélité à l’Ancien régime et donc elle soutient la Restauration. Cette famille a été très persécutée sous la Révolution, du côté de sa mère. Le père de Tocqueville vit dans l’obscurité sous l’empire en essayant de reconstruire sa fortune. Sous la Restauration, le père est préfet et en 1827 et il est nommé père de France et fait comte.

Tocqueville s’émancipe de ce milieu, par deux événements. Le premier est son mariage qui ne faisait pas à l’époque dans son milieu social. Il a fait un mariage d’amour avec une anglaise non riche, non jolie et bourgeoise. Le second est le voyage en Amérique entre mai 1831 et février 1832. Les circonstances de son départ en Amérique sont que Tocqueville a prêté serment à Louis Philippe. Il souhaite donc prendre du recul. Le motif apparent était la volonté d’étudier le système pénitencier américain, notamment celui de l’enfermement individuel. En réalité, ce projet en cachait un autre : Tocqueville voulait étudier la société américaine. Il voulait reconnaître aux Etats Unis en tant que société démocratique les effets de la marche inéluctable de l’égalité dans une société. Il volait donc comprendre les bienfaits d’une démocratie. Or, la démocratie pour lui est la négation de tout ce qu’il représente en tant que famille, aristocrate et donc il va là bas pour se dire implicitement qu’il a une chance de continuer à vivre dans ce type de société prenant en compte ce qu’il est. La question qui se pose est de savoir si ce qu’il représente a un avenir.

Il comprend une fois là bas qu’il est entre deux mondes. Il comprend très bien que c’est la raison de sa lucidité. Il est à la fois aristocrate mais i accepte la démocratie. Il dit être partagé entre la raison et le cœur. Sa science va donc être au service de la politique. Il a comprit que la démocratie est inéluctable. Mais, par la passion, il reste attaché à certaines valeurs aristocratiques et il va essayer de sauver la place de ces valeurs malgré la venue de la démocratie. Le 22 mars 1837, dans une lettre, il dit « en un mot, «j’étais si bine en équilibre entre le passé et l’avenir que je ne me sentais attirer ni vers l’un ni vers l’autre et je n’ai pas au besoin de grands efforts pour jeter des regards tranquilles des deux côtés ».

P2- L’émancipation du milieu politique

En 1829, Tocqueville dit « il n’y a pas à dire, c’est l’homme politique qu’il faut faire en nous ». C’est donc la volonté d’être homme politique. A l’époque, il est magistrat à Versailles mais sa volonté politique est déjà forte malgré sa jeunesse. Pour lui, la politique est le seul lui où il peut déployer un caractère aristocratique.

A- La formation politique de Tocqueville

Deux grandes influences marquent la pensée de Tocqueville. La première est Guisot qui est libéral et dans l’opposition. Tocqueville est ébloui par les cours d’histoire de Guizot qui introduit l’histoire moderne. Tocqueville découvre avec Guizot une approche globale de l’histoire en matière de civilisation. Tocqueville est marqué par certains thèmes que Guizot lance : la lutte des classes, l’analyse du déclin de la féodalité, les jugements critiques contre la philosophie des Lumières. La seconde est Pierre Paul Royer-Collard qui est l’un des principaux doctrinaires. Sa grande idée est de réconcilier la branche aimée des Bourbons avec les principes issus de la Révolution. Les doctrinaires acceptent en partie la démocratie mais ils distinguent la démocratie sociale et la démocratique politique en acceptant la dernière et rejetant la dernière. La démocratie sociale concerne l’égalité civile. Pour eux, la Révolution est donc terminée car elle a proclamée l’égalité civile. Le problème est qu’en 1830 Royer-Collard comprend son échec et que la démocratie politique a gagné. Il se tait définitivement. Tocqueville refuse cette position et dit à Royer-Collard qu’il veut croire à un avenir en lui pour sauver la liberté dans la démocratie.

B- Tocqueville et la Monarchie de Juillet

Cette période chez Tocqueville est l’occasion de marquer une double rupture politique. La première est le rejet du légitimisme. Il se fait élire à une élection partielle en 1829. La seconde est le rejet du conservatisme. Lorsqu’il est élu, tout le monde le veut dans son groupe. Immédiatement élu, il combat la politique de Guizot. Il critique la bourgeoisie qui arrive au pouvoir en 1830 et sa critique est très sévère et montre que cette bourgeoisie s’est mise dans toutes les places et vit du trésor public a lieu de son industrie. Il qualifie cela de dégradation de la vie politique qui pour li est une menace permanente dans une démocratie.

Il donne certains éléments : une disparition de la pensée politique, une vie qui ramène tout à des petites choses, un rapide développement de la richesse publique, une politique extérieure sans aucune grandeur. Ainsi, Tocqueville voit la Monarchie de Juillet de ce qu’il appelle l’esprit général de la classe moyenne lorsqu’elle parvient au gouvernement. « Modérer en toute chose, excepter dans le gout du bien être est médiocre ».

C- Tocqueville et 1848

Il pense que la France est au bord de la révolution car la société a des mœurs publiques dégradées. Du point de vue intellectuel, la période est remarquée par deux points. Le premier est la liberté vaut mieux que la forme du régime. A partir du moment où la dynastie a disparu, rien ne sépare Tocqueville des autres républicains modérés. La seconde idée est le rejet du socialisme car il leur reproche d’avoir provoqué la lutte des classes. Tocqueville admet qu’en matière de constitution sociale, le champ du possible est bien plus vaste que les hommes se l’imaginent. Notamment, au moment du débat sur la constitution en 18498, on se pose la question de savoir si on inscrit le droit au travail dans la constitution mais Tocqueville s’oppose formellement à cela. Dans son discours de l’épique, il distingue le communisme et le socialisme. Dans le communisme, l’Etat centralise l’économie alors que le socialisme confit à l’Etat régulateur. Il oppose au droit au travail l’accroissement de la charité publique qui ne donne pas un droit aux travailleurs sur l’Etat. L’Etat n’a pas à suppléer l’indifférence et la désorganisation individuelle.

D- Tocqueville et le Second Empire

Il refuse l’autoritarisme du Second Empire et refuse donc de prêter serment à l’empire.

Conclusion :

L’œuvre intellectuelle de Tocqueville est juste un travail préparatoire pour favoriser sa carrière politique. Or, le bilan de la vie politique de Tocqueville est médiocre. Il a été reconnu pour sa valeur par tous ses contemporains mais sur le plan politique il était isolé et sans influences. Il a reconnu en lui en antinomie sans fin entre son indépendance et son engagement politique. Finalement, sa fascination pour Royer-Collard est son influence par ses discours.

Section 2- Tocqueville à l’école de Montesquieu, le sociologue et le moraliste

On ne peut pas comprendre l’analyse de Tocqueville si on ne prend pas en compte son côté sociologue. Au moment où il rédige la démocratie en Amérique, Tocqueville est plongé dans Montesquieu. Il n’est pas un sociologue comme Durkheim car il y a une curieuse alliance entre le politique et le savant chez Tocqueville. Selon Weber, ce sont deux métiers différents. Chez Tocqueville, il y a une alliance curieuse car la politique peut être savant. Le désir d’explication du savant chez Tocqueville n’explique qu’en vue de l’action utile du politique. Tocqueville sociologue, c’est fondamental car il a un souci immense du lien social dans une société démocratique. L’immense inquiétude de Tocqueville est que la démocratie fragilise le lien social et rende donc la liberté menacée. Sans lien social, l’individu se dirige vers le totalitarisme selon Tocqueville.

P1- Tocqueville, sociologue

Raimond Aron soulève deux caractéristiques chez Tocqueville. La première est le souci de la « totalité sociale », c’est la méthode de la première Démocratie, le premier volume de 1835. C’est la volonté de percevoir la société comme formant un tout cohérent. L’ambition de Tocqueville est donc de montrer comment chaque détail ou élément de la vie américaine fait partir d’un tout et ce détail peut être attaché et englobé dans une explication plus large. Tocqueville va reconstituer l’ensemble de la société américaine en partant de la seule idée d’égalité qui peut expliquer toute la cohérence de la société américaine, jusque dans tous ses détails. Ce souci de la totalité sociale rejoint sa très grande préoccupation politique. «Le grand péril des âges démocratiques c’est la destruction ou l’affaiblissement excessif des parties du corps social en présence du tout».

Tocqueville fait donc le lien avec le problème politique fondamental selon lui : traduite les liens entre l’individualisme et la liberté. Ce sont des rapports ambigus car l’individualisme a au fond deux aspects. Le premier contient un risque de dislocation de la société. Le second est que l’individualisme est la condition de la liberté individuelle et c’est ici que se trouve la difficulté.

La seconde caractéristique est celle du type idéal selon le vocabulaire de Max Weber. Cette méthode est celle qui est la plus male comprise selon Raimond Aron. C’est une méthode plus ambitieuse et dangereuse car elle consiste à choisir un trait structurel fondamental pour caractériser toute la société. Chez Weber, le type idéal n’est pas une description de la réalité mais une utopie car le type idéal essaye de dégager un élément dans sa pureté conceptuelle. Cela sert à Weber comme étalon d’analyse de la réalité. Le type idéal permet donc d’analyser la réalité par des comparaisons. Cela est donc dangereux en fonction du type idéal choisi.

Le type idéal est obtenu en accentuant par la pensée un certain nombre d’éléments déterminés et pris dans la réalité. Il s’agit donc d’observer un groupe permettant de représenter l’idéal. Cela aide donc à l’analyse. Au fond, l’analyse que Tocqueville présente de l’Amérique ne sert pour lui qu’à élaborer le type idéal de la société démocratique. Les deux grands types idéaux dans la pensée de Tocqueville sont l’aristocratie et la démocratie.

P2- Tocqueville, moraliste

Le moraliste est celui qui s’intéresse aux mœurs et aux observations morales. Tocqueville est moraliste dans la tradition de Montesquieu et il reprend les trois grands types de causes des phénomènes sociaux de Montesquieu : les conditions naturelles, les lois et les mœurs. Finalement, pour Tocqueville, la véritable cause de la liberté est à rechercher dans les mœurs, dans les habitudes, dans les croyances. Par exemple, il va attacher une grande importance à l’esprit religieux des américains.

Tocqueville est moraliste également d’une autre manière : par son gout de ce qui est grand en politique. Quand il analyse la démocratie, il est méprisant sur un aspect de la société démocratique. La démocratie est une société qui ne songe qu’à ses plaisirs particuliers. Cette obsession du grand se retrouve dans un chapitre célèbre de son œuvre. Il analyse ce chapitre en constatant une très grande inégalité chez les hommes entre le gout pour la liberté et la passion pour l’égalité, les deux mots marquant la différence. Tocqueville va comparer systématiquement la liberté et l’égalité sur différents plans.

Il regard comment on acquiert les deux. L’acquisition de la liberté se fait pas des sacrifices et des efforts alors que celle de l’égalité s’obtient toute seule, quasi automatique. Quand aux raisons de destruction, la liberté se détruit seule car elle s’échappe si on ne la retient pas alors que la destruction de l’égalité nécessite de long efforts car il est quasi impossible de la faire disparaître, on peut juste la faire diminuer. Les excès de la liberté sont visibles par tous alors que les excès de l’égalité sont vus de peu de gens, s’ils sont attentifs. Concernant les biens faits, ceux de la liberté ne se montrent qu’avec le temps alors que ceux de l’égalité sont des charmes qui se montrent à tous et à tout instant. Cette opposition est quasi caricaturale.

Ce parallèle sert pour Tocqueville à mettre en relief les raisons d’inégalité entre l’égalité et la liberté dans les sociétés. La signification est que la liberté est quelque chose réservé à l’élite, qui est difficile et différé et donc cela correspond à un mot : ascèse. En face, l’égalité concerne la masse, est facile et immédiate et cela correspond au bonheur individuel. Finalement, Tocqueville est un moraliste car seule une élite, une aristocratie nouvelle donc morale, est capable de sauver la liberté contre l’égalité qui triomphe de la masse et s’impose.

Cela explique le penchant de Tocqueville pour le pessimisme. Ce pessimisme de Tocqueville ne l’enferme pas dans le silence car cela le fait agir. Son œuvre veut sauvegarder la liberté dans la démocratie : « c’est donc surtout dans les temps démocratiques que nous sommes que les vrais amis de la liberté et de la grandeur humaine doivent sans cesse se tenir debout et prêts à empêcher que le pouvoir social ne sacrifie légèrement les droits particuliers de quelques individus… ».

Pour Tocqueville, le désir de faire une carrière politique ne correspond pas à une ambition individuelle et une vocation naturelle tenue à la famille. Sa carrière politique classique a été desservie par son caractère et son indépendance. L’engagement politiquer est le moyen de garantir la liberté, comme chez Constant mais cela va plus loin chez Tocqueville. Chez lui, la liberté politique est la figure principale de la morale de l’homme car c’est là que l’homme peut développer une éthique de la grandeur morale. Ainsi, pour lui entrer dans la politique c’est une façon de rester aristocrate dans les temps démocratiques.