La compétence des juridictions administratives :
L’administration est soumise au contrôle du juge administratif et judiciaire.
Jusqu’à la moitié du 19èmesiècle, le problème de la compétence des juridictions administratives était simple.
En effet, jusque là, le juge administratif était compétent pour connaître des activités de l’administration mais si cette compétence était exclusive, elle était limitée.
Certaines activités administratives échappaient à tout contrôle du juge administratif comme celui du juge judiciaire.
Cette compétence était fondée sur le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires affirmée par la loi des 16 et 24 août 1790 qui est toujours en vigueur.
La juridiction administrative ne donnant pas des gages suffisant d’indépendance à l’égard du pouvoir. Le juge judiciaire s’est donc vu reconnaître progressivement un certain nombre de compétences à l’égard des activités administratives, en particulier lorsqu’était en cause les libertés individuelles et le droit de propriété.
Depuis, le juge judiciaire est considéré comme le gardien des libertés individuelles et du droit de propriété.
S’est développé l’idée que l’administration devait dans certains cas être soumise aux mêmes règles que les particuliers et donc relever de la compétence du juge judiciaire.
A partir de la moitié du 19èmesiècle, les activités administratives ont été soumises à un double contrôle : celui du juge administratif (contrôle de principe) et celui du juge judiciaire.
S’est donc posé la question de la définition d’un critère général permettant de définir ce qui relève du juge administratif et ce qui relève du juge judiciaire.
Or ni la Constitution, ni le législateur, ni la Jurisprudence, ni la doctrine n’ont jamais pu définir un tel critère.
Au contraire même, les interventions du législateur n’ont fait que rendre les choses plus complexes et embrouillées.
Face à cette réalité, le Conseil Constitutionnel à pris position dans sa décision du 23 janvier 1987 dite conseil de la concurrencemais en donnant seulement une indication ; en affirmant l’existence d’un noyau constitutionnel de compétence pour la juridiction administrative concernant l’annulation et la réformation des actes administratifs unilatéraux.
Cette décision n’a fait que rendre encore plus difficile la délimitation des domaines respectifs de compétence du juge administratif et judiciaire à l’égard de l’administration.
Certains auteurs faisant partie de la doctrine estiment qu’il est totalement vain et illusoire de rechercher un critère général de compétence.
Une démarche consiste à affirmer que le juge administratif est en principe compétent à l’égard des activités administratives et que le juge judiciaire n’est comptent que par exception à ce principe et cela que dans certains cas.
Section 1 : La compétence de principe du juge administratif à l’égard des activités administratives :
Le juge administratif, comme cela est admis par tous, est le juge de droit commun des activités administratives françaises.
La difficulté est alors de définir ce qu’il faut entendre par activité administrative.
Cette notion d’activité administrative peut être appréhendée de 2 manières, soit d’une manière positive, soit d’une manière négative.
Paragraphe 1) L’aspect positif :
ON considère que d’une manière générale, sont considérées comme activité administrative les activités exercées par des personnes publiques françaises.
Dans cette perspective, on constate que relève de la compétence des juridictions administratives les actions qui intentées par les administrés contre l’Etat et ses établissements publics, contre les collectivités territoriales et leurs établissements publics (syndicats de commune, communauté de commune,…), mais aussi les différents litiges entre les agents et les personnes publiques et même les différents entre personnes publiques.
ON peut retenir un critère organique : il ya compétence administrative en principe à chaque fois qu’est en cause une personne publique. On peut même dire qu’il ya une véritable présomption de compétence du juge administratif à l’égard des activités des personnes publiques.
Paragraphe 2) L’aspect négatif :
L’activité administrative peut aussi se définir d’une manière négative parce qu’elle n’est pas.
On constate que :
– le juge administratif est en principe incompétent à l’égard des personnes publiques étrangères.
– Le juge administratif est en principe incompétent à l’égard de l’activité des personnes privées. Néanmoins, ce principe n’a qu’une portée relative.
En effet, sont considérées comme administratives, les activés dites de service public administratif gérées par les personnes privées, et disposant pour ce faire utilisant des prérogatives de puissance publique.
– Le juge administratif est incompétent pour les activités des personnes publiques de l’Etat qui se rattachent à la fonction législative et à la fonction juridictionnelle.
Section 2 : L’exception : l’activité administrative soumise au juge judiciaire :
L’activité administrative relève par exception du juge judiciaire dans 4 hypothèses :
Sous section 1 : La gestion privée :
La théorie de la gestion privée repose sur une idée selon laquelle dans certaines conditions, l’application du droit administratif à l’activité administrative n’est pas nécessaire, pas opportune.
On considère en effet que dans certains cas, l’administration doit être soumise aux mêmes règles que les particuliers. Cela implique la compétence du juge judiciaire.
§1. La gestion du domaine de droit privé :
Toutes les personnes publiques sont titulaires de droits et d’obligations. Elles disposent d’un patrimoine, à savoir un domaine. Ce domaine peut être public ou privé.
Le domaine public rassemble les biens affectés à l’usage du public ou d’un service public.
Ils font l’objet d’un aménagement spécial.
Les autres biens appartiennent au domaine privé. Ils peuvent être extrêmement importants. Il s’agit essentiellement des forêts.
La question du domaine privé est soumise à un régime de droit privé.
Les litiges relèvent de la compétence du juge judiciaire.
§2. Les services publics à gestion privée
Ce titre de compétence judiciaire au sein des activités de service public est apparu avec la décision fondamentale dutribunal des conflits du 22 janvier 1921, « Société commerciale de l’Ouest africain »appelé communément« Bac d’eloka ».
Jusqu’en 1921, on estimait que tous les services publics étaient soumis au droit administratif.
En 1921, le Tribunal des conflits opère une distinction fondamentale entre les services publics gestion publique, soumis au droit administratif (SPA) et les services à gestion privée soumis au juge judiciaire (SPIC)
La compétence judiciaire n’est pas exclusive. Le juge administratif est compétent pour connaitre tout ce qui concerne la création et l’organisation des services.
Sous section 2 : Les matières réservées par nature au juge judiciaire
Un certain nombre de matière ont été qualifiée par le Conseil constitutionnel comme étant réservé par nature au juge judiciaire.
Ces matières sont traditionnellement :
- – L’état des personnes
- – Les atteintes à la liberté individuelle
- – Les atteintes à la propriété privée
Les questions concernant l’état des personnes relèvent en principe de la seule compétence judiciaire. La règle s’applique à toutes les questions relatives à l’état civil (filiation, mariage, nom…).
Il en est de même pour la capacité, la nationalité et la qualité d’électorat.
Cette compétence est fondée sur un certain nombre de textes de loi.
Sont également considérées comme des matières réservées par nature au juge judiciaire, comme les atteintes à la propriété privée
En matière d’atteinte à la propriété privée, de nombreuses lois donnent compétence au juge judiciaire, par exemple en cas d’expropriation, en cas de réquisition, en cas de servitude.
Sont considérés comme réservées par nature les atteintes à la liberté individuelle. Plusieurs dispositions législatives existent, notamment avec l’article L136 du code de procédure pénal donne compétence aux tribunaux judiciaires.
Par analogie, la jurisprudence la compétence judiciaire en l’absence de textes.
Elle en a fait un principe général consacrant la vieille idée selon laquelle le juge judiciaire protègerait mieux la liberté individuelle et le droit de propriété que le juge administratif.
La jurisprudence a eu tendance à donner à ce principe une portée très générale. Pour autant, ce principe n’entraine pas une compétence judiciaire générale et absolue chaque fois qu’une liberté publique ou que le droit de propriété est en cause.
En dehors des cas expressément prévus par les textes, la compétence judiciaire ne joue qu’en application de 2 théories remarquables : la théorie de la voie de fait et la théorie de l’emprise.
§1. La théorie de l’emprise :
C’est la deuxième théorie jurisprudentielle selon laquelle la compétence judiciaire s’impose lorsque l’administration sans titre juridique valable a dépossédé un particulier d’une propriété immobilière. La décision de référence est celle duTribunal des Conflits du 17 mars 1949, « société Rivoli- Sébastopol ». Le 9 décembre 2013, le Tribunal des Conflits a mis fin à la théorie de l’emprise irrégulière.
Par un arrêt du 9 décembre 2013 (AJDA 2014, p 216), le Tribunal des Conflits a retenu que :
« Considérant que, sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l’Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative ; que cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l’autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle ; que, dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété. »
Une seule juridiction est donc désormais compétente pour :
- – annuler un acte administratif portant illégalement atteinte à la propriété privée,
- – adresser des injonctions à l’administration (libération des lieux, remise en état, etc.),
- – fixer le montant de l’indemnisation du préjudice subi.
§2. La théorie de la voie de fait
L’arrêt de principe est la décision dutribunal des conflits du 8 avril 1935, l’arrêt « Action française ».On dit qu’il y a voie de fait lorsque dans l’accomplissement d’une activité matérielle d’exécution, l’administration commet une irrégularité grossière ou manifeste portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique fondamentale.
En d’autres termes, la voie de fait est une irrégularité particulièrement grave commise par l’administration à tel point que le Conseil d’État estime qu’il s’agit d’un dévoiement, d’une dénaturation de l’action administrative. Cela fait que l’administration se place hors jeu, qu’elle est déchue de sa qualité et qu’elle perd alors ses prérogatives, notamment de juridiction.
C’est à dire qu’il n’y a pas plus lieu ou pas lieu d’appliquer le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et par conséquent, que l’administration est soumise au juge de droit commun, à savoir le juge judiciaire.
A. Le champ d’application de la théorie
Trois conditions cumulatives doivent être remplies pour que la théorie joue.
La menace d’exécution est considéré comme suffisante si elle est précise et même si elle n’est pas suivie d’exécution.
- II – La voie de fait suppose qu’il y ait une atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique fondamentale
L’atteinte au droit de propriété : la voie de fait joue lorsqu’il y a atteinte aussi bien à la propriété immobilière ou mobilière.
L’atteinte à une liberté fondamentale : le Conseil d’État exige depuis l’arrêt du 8 avril 1961, arrêt Klein, il faut entendre l’inviolabilité du domicile la sécurité des correspondances postales, la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté d’aller de venir tant sur le territoire national qu’à l’extérieur du territoire national.
Il y a eu un contentieux important avec les imprésarios du showbiz.
III. La voie de fait suppose une irrégularité manifeste flagrante grossière
Cette irrégularité peut être de 2 types depuis une décision du TC du 10 décembre 1956, l’arrêt Guyard. Cette irrégularité peut résulter de la décision administrative elle-même. Il arrive que l’administration dérape, dans un tel cas le juge censure la décision en estimant que celle-ci est manifestement « insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ». on trouve la même formule dans les arrêts du CE depuis un arrêt du CE du 18 novembre 1969, arrêt Carlier.
C’est le cas le plus fréquent. Il peut s’agir de simple mission de formalité dite substantielle. L’exemple le plus fréquent est celui où l’administration prend possession d’un bien ou d’une propriété sans avoir au préalable pris ou fait prendre la décision autorisant la dépossession du propriétaire.
Dans la plupart des cas les voies de fait résultent d’un recours à la procédure de l’exécution forcée dans des conditions irrégulières.
Depuis l’arrêt Tribunal des Conflits dans l’arrêt du 2 décembre 1902, l’arrêt «société immobilière Saint Juste» l’administration a le pouvoir de pouvoir procéder par la force à l’exécution de ses propres décisions.
Il arrive aussi que la voie de fait soit double, c’est-à-dire qu’elle résulte à la fois de la décision elle-même et de son exécution forcée irrégulière.
B. Le régime juridictionnel de la voie de fait :
Initialement, lorsqu’étaient réunis les éléments constitutifs de la voie de fait, la compétence du juge judiciaire était exclusive. Elle ne l’est plus depuis la décision du tribunal des conflits du 27 juin 1966, l’arrêt Guigon
Elle est extrêmement étendue. En effet, il est admis que lorsque l’administration commet une voie de fait, qu’elle se place en dehors de l’application des règles du droit public et qu’elle perd alors le bénéfice des prérogatives reconnues à l’administration.
Et que les tribunaux judiciaires ont alors plénitude de juridiction pour constater la voie de fait mais aussi pour faire cesser la voie de fait. Pendant longtemps et jusqu’à une date récente, le juge judiciaire était reconnu comme étant seul compétent pour adresser des injonctions à l’administration alors que le juge administratif ne disposait pas d’un tel pouvoir.
Le juge judiciaire peut réparer les conséquences de la voie de fait.
Depuis l’arrêt Guigon en 1966, le TC a reconnu la compétence du juge administratif mais elle est limitée. Il peut uniquement constater la voie de fait et reconnaître éventuellement l’inexistence de la décision contestée.
Quand il y a voie de fait, on considère que la décision n’est pas nulle mais inexistante.
Sous section 3 : les questions accessoires
Le principe de la séparation des pouvoirs s’opposent à ce que les tribunaux judiciaires soient saisis d’action tendant à l’interprétation ou à l’appréciation de la légalité des actes administratifs.
On peut s’interroger pour savoir si la solution doit être identique lorsque la question est posée d’une manière incidente par voie d’exception : une question accessoire.
Dans un procès entre deux particuliers soumis à une juridiction particulière, quand un des plaideurs soutient qu’un acte administratif invoqué par son adversaire est illégal, le tribunal judiciaire peut-il se prononcer sur la légalité de cet acte ?
C’est une question accessoire. La solution du litige dépend de cette question.
Si le juge judiciaire peut lui-même trancher le litige, on dira que la question est préalable.
Si on considère que le juge judiciaire ne peut directement trancher le litige et qu’il doit sursoir à statuer en renvoyant au juge administratif, on dira que la question est préjudicielle.
Le principe de la séparation des pouvoirs impose le système de la question préjudicielle mais il s’oppose au principe de la plénitude de juridiction qui veut que le juge de l’action soit le juge de l’exception et qui implique le système de la question préalable.
Comment se combine ces deux principes ?
Il faut distinguer selon qu’il s’agisse de la compétence du juge civil ou répressif.
§1. La compétence du juge civil
Le juge civil est considéré compétent pour interpréter des actes règlementaires.
Décision du Tribunal des conflits du 16 juin 1923, arrêt septfonds. C’est une solution parfaitement logique. Le juge civil peut interpréter la loi, il peut donc logiquement interpréter un acte règlementaire.
En revanche le juge civil est incompétent pour interpréter les actes individuels.
En ce qui concerne l’appréciation de la légalité des actes administratifs, le juge civil est incompétent qu’il s’agisse d’actes règlementaires ou individuels.
Sauf s’il s’agit d’un acte constitutif d’une voie de fait.
§2. La compétence du juge répressif (du juge pénal) :
L’état du droit a été modifié par la réforme du code pénal en 1994. Et aujourd’hui la question est réglée par l’article 111-5 du nouveau code pénal.
Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes règlementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque de cet examen dépend la solution du procès pénal qui lui est soumis.