Vème République : fin du Président effacé et du Parlement inefficace

La Vème République, la volonté de tirer les leçons de l’histoire constitutionnelle

La Ve République, en réaction aux limites des IIIe et IVe Républiques, recentre le rôle du Président, désormais acteur clé grâce à des pouvoirs renforcés (choix du Premier ministre, droit de dissolution). Elle corrige l’inefficacité parlementaire en limitant l’instabilité politique et en rationalisant le fonctionnement des institutions, notamment via l’article 49-3 et un contrôle accru de l’exécutif sur le Parlement. Cette Constitution marque une rupture institutionnelle en faveur d’une stabilité politique durable, bien que critiquée pour son présidentialisme. Les objectifs poursuivis à la création de la Ve république sont donc double :

  • le refus de voir un Président de la République effacé (section 1)
  • éviter un Parlement divisé et donc inefficace dans la gestion de l’État (section 2)

Les réformes et impacts de la Ve République

Thème Situation sous IIIe/IVe Républiques Réformes de la Ve République Impact
Rôle du Président Président marginalisé, fonctions symboliques Pouvoir de nommer le Premier ministre (article 8), droit de dissolution (article 12) Renforcement de l’exécutif
Efficacité parlementaire Instabilité chronique, fragmentation des majorités, débats inefficaces Rationalisation via l’ordre du jour encadré, motion de censure à majorité absolue Action publique plus efficace
Pouvoirs exécutifs Exécutif affaibli, parlementarisme absolu Primauté présidentielle, contrôle législatif par l’article 49-3 Centralisation et stabilité institutionnelle
Stabilité gouvernementale Chutes fréquentes des gouvernements, dissolution quasi inapplicable Dissolution facilitée, élections simultanées pour aligner Président et majorité parlementaire Réduction de l’instabilité politique
Légitimité présidentielle Élu par le Parlement, sans lien direct avec le peuple Élection au suffrage universel direct depuis 1962 Président légitime, figure centrale

 

Section 1 : la Vème République ou le refus du Président de la République effacé

La Ve République, conçue pour remédier aux faiblesses des IIIe et IVe Républiques, rejette le modèle d’un Président de la République marginalisé et réduit à un rôle purement symbolique. Cette marginalisation, observée dès la IIIe République, résultait de conflits politiques et institutionnels qui avaient dépouillé le chef de l’État de ses prérogatives essentielles, notamment le choix du chef du gouvernement et le droit de dissolution.

I. La perte du pouvoir de choisir le chef du gouvernement sous la IIIe République

A. Le contexte politique de la crise du 16 mai 1877

La crise du 16 mai 1877 illustre le conflit entre un Président de la République monarchiste, Mac Mahon, et une Chambre des députés républicaine. Ce conflit marque le début de l’effacement du chef de l’État sous la IIIe République.

  1. Mac Mahon et la cohabitation forcée :

    • Élu en 1873, Mac Mahon, conservateur et monarchiste, se retrouve confronté à une majorité républicaine à la Chambre des députés après les élections de 1876.
    • La situation crée une cohabitation de facto, avant même que ce terme ne soit formalisé.
  2. Le conflit autour du chef du gouvernement :

    • Mac Mahon nomme Jules Simon, un républicain modéré, mais le désavoue rapidement.
    • En réponse, il tente d’imposer des conservateurs, comme le Duc de Broglie, malgré l’opposition des députés républicains.

B. Les dérapages de la cohabitation

  1. La dissolution de la Chambre des députés :
    • Face à l’impasse, Mac Mahon dissout la Chambre avec l’accord du Sénat, alors conservateur, et convoque de nouvelles élections.
    • Gambetta prévient : « En cas de victoire républicaine, le chef de l’État devra se soumettre ou se démettre ».
  2. La victoire républicaine et la soumission de Mac Mahon :
    • Les élections d’octobre 1877 renforcent la majorité républicaine.
    • Contraint par la réalité politique, Mac Mahon accepte un gouvernement républicain et déclare : « Je me conforme à la réponse du pays ».
    • Cette crise affaiblit durablement la position du Président de la République dans le système politique.

II. La perte du droit de dissolution sous la « Constitution Grévy »

A. Le tournant politique de 1879

Avec la démission de Mac Mahon en janvier 1879 et l’élection de Jules Grévy, républicain convaincu, à la présidence, la IIIe République bascule d’un régime parlementaire dualiste à un régime parlementaire moniste.

  1. Un Président soumis au Parlement :

    • Grévy renonce explicitement à exercer son droit de dissolution.
    • Dans son message aux Chambres du 6 février 1879, il affirme : « Je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels ».
  2. Le triomphe de l’hégémonie parlementaire :

    • Le gouvernement devient exclusivement responsable devant le Parlement.
    • Le Président de la République est désormais une figure symbolique, cantonnée à un rôle protocolaire.

B. La marginalisation du Président et la montée du parlementarisme absolu

  1. Le Parlement comme institution omniprésente :

    • Le régime parlementaire évolue en un véritable régime d’Assemblée, où le Parlement domine toutes les institutions.
    • Le gouvernement est choisi par la majorité parlementaire sans que le Président de la République ait son mot à dire.
  2. Un Parlement inefficace et divisé :

    • L’absence de partis majoritaires transforme le Parlement en une institution fragmentée et peu fonctionnelle.
    • Cette inefficacité devient particulièrement criante dans les années 1920, notamment sous Alexandre Millerand, qui doit démissionner en 1924 après avoir tenté de restaurer l’autorité présidentielle.

III. La rupture de 1958 : la réhabilitation de la fonction présidentielle

La Constitution de 1958, élaborée sous la direction de Charles de Gaulle, marque une rupture nette avec les IIIe et IVe Républiques. Elle vise à restaurer la place du Président de la République en tant qu’acteur central de l’exécutif.

A. Un Président au cœur des institutions

  1. Le choix du chef du gouvernement :

    • L’article 8 de la Constitution confère au Président le pouvoir de nommer le Premier ministre.
    • Ce choix est renforcé en période de fait majoritaire, où le Président contrôle indirectement la majorité parlementaire.
  2. Le droit de dissolution restauré :

    • L’article 12 redonne au Président la capacité de dissoudre l’Assemblée nationale, sans condition préalable.
    • Ce pouvoir a été utilisé plusieurs fois, notamment par De Gaulle en 1962 pour surmonter l’opposition parlementaire à l’élection du Président au suffrage universel direct.

B. L’élection présidentielle au suffrage universel direct

  1. Une légitimité renforcée :

    • L’instauration en 1962 de l’élection du Président au suffrage universel direct fait du chef de l’État une figure centrale et légitimée par le peuple.
    • Le Président devient l’arbitre et le moteur de la politique nationale.
  2. Une prééminence en période de fait majoritaire :

    • Dans le cadre du quinquennat (introduit en 2000), le Président et l’Assemblée nationale sont élus presque simultanément, réduisant le risque de cohabitation.
    • L’inversion du calendrier électoral en 2001 (présidentielle avant les législatives) garantit généralement une majorité parlementaire favorable au Président.

Conclusion : Le refus d’un Président effacé est au cœur de la Ve République, qui redéfinit l’équilibre institutionnel en faveur de l’exécutif. Alors que les IIIe et IVe Républiques avaient marginalisé le chef de l’État, la Constitution de 1958 lui redonne un rôle central, en rupture avec les pratiques du passé. Ce rééquilibrage a permis une stabilité politique durable, bien que parfois critiquée pour son caractère présidentialiste, éloignant le régime de ses origines parlementaires.

 

Ici quelques exemples récents illustrant le refus d’un Président de la République effacé sous la Ve République :

  1. Réforme des retraites en 2023 : Le président Emmanuel Macron a soutenu activement la réforme visant à repousser l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans. Malgré une forte opposition sociale et des manifestations massives, le gouvernement a utilisé l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la loi sans vote à l’Assemblée nationale, démontrant la détermination présidentielle à mener des réformes structurelles.

  2. Gestion de la pandémie de COVID-19 (2020-2022) : Face à la crise sanitaire mondiale, le président Macron a pris des décisions majeures, telles que l’instauration de confinements nationaux, la mise en place du pass sanitaire et la campagne de vaccination massive. Ces mesures ont été prises sous l’autorité présidentielle, illustrant le rôle central du chef de l’État en période de crise.

  3. Dissolution de l’Assemblée nationale en 2024 :En juin 2024, Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, provoquant des élections législatives anticipées. Cette décision, bien que controversée, a démontré l’utilisation par le président de ses prérogatives constitutionnelles pour tenter de résoudre une impasse politique. Financial Times

 

Section 2 : la Vème République ou le refus d’un Parlement inefficace

La Ve République, conçue en réaction aux défaillances des IIIe et IVe Républiques, repose sur un rejet de l’inefficacité parlementaire et sur un rééquilibrage des pouvoirs au profit de l’exécutif. Ces défaillances trouvent leurs racines dans une instabilité politique chronique, une incapacité législative et une fragmentation des majorités.

I. Un Parlement inefficace au lendemain de la Première Guerre mondiale

A. L’affaiblissement de l’institution parlementaire

Après la Première Guerre mondiale, le Parlement voit son rôle décliner face à l’instabilité politique et au renforcement de l’exécutif. Plusieurs facteurs illustrent cet affaiblissement :

  1. Absence de majorité stable :
    • Le manque de phénomène majoritaire empêche toute coalition durable.
    • L’instabilité parlementaire rend difficile l’adoption de mesures rapides et efficaces.
  2. Transfert des compétences vers l’exécutif :
    • Les compétences cruciales, notamment en matière de défense et de relations internationales, passent sous le contrôle du Président du Conseil, une fonction pourtant absente des textes constitutionnels.
    • Les décrets-lois permettent au gouvernement de légiférer dans des domaines clés, renforçant encore son pouvoir.

B. Une instabilité politique structurelle

  • Instabilité gouvernementale : Entre 1924 et 1939, on dénombre 12 lois de pleins pouvoirs adoptées en seulement 15 ans. Cette pratique traduit l’incapacité du Parlement à exercer pleinement ses fonctions.
  • Démissions successives : Les gouvernements tombent fréquemment sous la pression des parlementaires, alimentant un cycle d’instabilité.
  • Inertie parlementaire : L’incapacité du Parlement à résoudre des crises majeures est illustrée par l’exemple de la crise économique des années 1930.

C. Le paradoxe institutionnel

Malgré son déclin, le gouvernement se renforce :

  • La présidence du Conseil acquiert une reconnaissance institutionnelle en 1934, avec des services administratifs propres situés à Matignon.
  • L’exécutif se structure face à un Parlement divisé et politiquement affaibli.

II. Une continuité de l’échec parlementaire sous la IVe République

La Constitution de 1946, adoptée après la Seconde Guerre mondiale, avait pour ambition de rationaliser le parlementarisme et d’éviter les écueils de la IIIe République. Cependant, cette rationalisation a échoué en pratique.

A. L’échec des moyens pour limiter l’instabilité gouvernementale

La IVe République prévoyait des mécanismes constitutionnels pour stabiliser les relations entre le Parlement et l’exécutif :

  1. Investiture du Président du Conseil :

    • Le Président du Conseil devait être investi par l’Assemblée nationale à la majorité absolue.
    • Cependant, dès 1947, cette exigence disparaît, remplacée par une majorité simple.
    • La pratique parlementaire revient rapidement à un marchandage politique pour constituer des coalitions fragiles.
  2. Responsabilité du gouvernement :

    • La Constitution limite la responsabilité politique du gouvernement à l’Assemblée nationale, excluant le Conseil de la République.
    • En théorie, une motion de censure nécessitait une majorité absolue, mais en pratique, des votes calibrés (majorité simple) contournent cette règle, fragilisant davantage l’exécutif.
  3. Inutilité de la dissolution :

    • La dissolution de l’Assemblée nationale devait être possible après deux crises ministérielles formellement constatées.
    • En réalité, les censures n’étant pas adoptées à la majorité absolue, la dissolution devient quasi inapplicable.

B. L’incapacité législative du Parlement

Malgré sa prééminence théorique, le Parlement de la IVe République échoue à remplir ses fonctions législatives :

  1. Blocages récurrents :
    • En 1952, l’incapacité du Parlement à établir un ordre du jour sur la situation en Tunisie est symptomatique. Ce phénomène, qualifié de « tunisification », illustre l’inefficacité des débats parlementaires.
  2. Délégation abusive au gouvernement :
    • En dépit de l’interdiction constitutionnelle, le Parlement délègue fréquemment sa compétence normative au gouvernement, notamment via des décrets-lois.
  3. Fragmentation politique :
    • L’absence de bipartisme favorise une fragmentation excessive des partis, rendant toute coalition instable.

III. Le rejet de cet héritage sous la Ve République

La Constitution de 1958, adoptée dans un contexte de crise, tire les leçons des défaillances des régimes précédents. Elle renforce l’exécutif et limite les pouvoirs du Parlement.

A. Les principes de rationalisation du parlementarisme

  1. Encadrement de l’ordre du jour parlementaire :
    • Le gouvernement dispose d’un contrôle sur une partie de l’ordre du jour, limitant les débats inutiles ou bloqués.
  2. Motion de censure :
    • Une motion de censure ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale. Cette règle vise à stabiliser l’exécutif.

B. Renforcement du rôle de l’exécutif

  1. Primauté présidentielle :
    • Le Président de la République, élu au suffrage universel direct depuis 1962, devient le centre du pouvoir.
  2. Dissolution plus flexible :
    • L’article 12 permet au Président de dissoudre l’Assemblée nationale sans condition de crise ministérielle.

C. Une volonté de redonner efficacité à l’action publique

  1. Limitation des débats parlementaires :
    • L’article 49-3 permet au gouvernement d’adopter un texte sans vote, sauf si une motion de censure est adoptée.
    • Bien que controversé, cet outil a été fréquemment utilisé, notamment par les Premiers ministres Élisabeth Borne (réforme des retraites en 2023) et Manuel Valls (loi Macron en 2015).
  2. Rôle du Conseil constitutionnel :
    • Créé en 1958, il veille à ce que le Parlement respecte le cadre constitutionnel, notamment en matière de lois.

Conclusion : Le refus d’un Parlement inefficace a conduit à un rééquilibrage majeur sous la Ve République, marquant une rupture nette avec les régimes précédents. En renforçant l’exécutif tout en encadrant les prérogatives du Parlement, cette Constitution a permis une stabilité et une efficacité inédites dans l’histoire institutionnelle française. Cependant, ce renforcement de l’exécutif, parfois perçu comme excessif, alimente régulièrement des débats sur une éventuelle révision constitutionnelle visant à réhabiliter le rôle du Parlement.

Isa Germain

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