Le vol en droit pénal sénégalais

 Le vol en droit pénal sénégalais

 le vol en droit pénal sénégalais est réprimé par l’article 364 du Code pénal. C’est l’infraction la plus répandue parce que facile à commettre. C’est aussi la forme primitive d’une atteinte au droit de la propriété. Il est très rare dans la vie des affaires mais son étude se justifie parce qu’il permet la compréhension des autres catégories d’infraction. Son étude se fera à travers l’analyse de ses éléments constitutifs, de son régime juridique et de sa répression.

 Le vol est puni d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 500 000 francs CFA, ou de l’une de ces deux peines seulement [1].

SECTION I : LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU VOL EN DROIT PENAL SENEGALAIS

        En vertu de l’article 364 du Code Pénal, « Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol ». Cette définition met en exergue la nécessité d’un élément matériel auquel se joint un élément intentionnel.

 

 Paragraphe 1 : L’élément matériel du vol

       Il comporte trois aspects : La soustraction, la chose objet du vol et la propriété d’autrui sur la chose.

  A/ La soustraction

        Selon la jurisprudence, il n’ya de vol que lorsque la chose objet du délit passe de la possession de l’ultime détenteur à celle de l’auteur du délit à l’insu et contre le gré du premier. Cependant, en faisant intervenir la possession dans la définition du vol, la jurisprudence va étendre l’incrimination à des soustractions sans enlèvements matériels. Elle retient ainsi une conception restrictive de la soustraction et une conception extensive  

1 / La conception restrictive

Selon cette conception, il y a vol lorsqu’il  y a un déplacement matériel, il faut que le sujet pénal enlève ou emporte la chose contre le gré de son propriétaire. Exemple : Une personne verse la somme représentant le prix d’un bien qu’il vient d’acheter, mais le commerçant a déposé l’argent sur le comptoir et l’acheteur s’empare de la somme, dans ce cas, il y a vol car il y’a appréhension matérielle de la chose contre le gré du propriétaire. En revanche, la qualification de vol doit être exclue faute de déplacement matériel lorsque la chose a été remise volontairement par celle qui la détenait légitimement.De même, il n y a pas vol si la remise a été faite par erreur .Ex : un commerçant vous remet de la monnaie en trop que vous gardez ; vous avez profité de son erreur mais il n’ya pas vol. Cependant, il faut préciser que l’erreur ne doit pas être provoquée car dans ce cas, le droit pénal doit s’appliquer. De même, la remise ne doit pas être le fait d’une personne inconsciente où dont les facultés mentales sont altérées. La même solution doit aussi être retenue lorsque la remise a été obtenue à l’aide de la violence ou de menaces.

 2/ La conception extensive de la soustraction

Ici, la soustraction est considérée comme l’usurpation de la possession. Dans ce cas, l’individu ne transmet pas la possession mais seulement le corpus. Cette forme de soustraction peut se réaliser lorsque la remise était provisoire et précaire ou lorsqu’elle était sous condition tacite. Le non restitution d’une chose à titre précaire constitue une soustraction par usurpation de la possession. Autrement dit, la soustraction est constituée que lorsque l’agent pénal se comporte comme un véritable propriétaire alors qu’il ne dispose que du corpus où qualité d’un simple détenteur. Exemple : Un individu remet un billet de loterie à une personne pour que celle-ci vérifie si le numéro est gagnant. Cette personne garde le billet et empoche le montant lui-même. L’acte ainsi commis est un vol car la remise ne porte que sur la détention et non sur la possession. De même, il y a vol lorsqu’un client ne restitue pas au commerçant un objet remis pour essai.

La conception extensive est aussi retenue pour  punir les vols dans les ventes au comptant.

En droit français, la vente est parfaite par le seul fait de l’échange des volontés. C’est l’enseignement qu’on peut tirer de l’art 1583 du Code Civil qui précise que le transfert de propriété est effectif dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix. Ce texte pose problème car il ne permet pas de poursuivre pour vol le client qui garde la chose qui lui a été remise. Pour appliquer les règles du droit pénal,la jurisprudence a considéré que dans la vente au comptant, il y a une sorte de remise conditionnelle et celle-ci ne se transformera en transfert de propriété que par le paiement.Ainsi, en droit français, il n’y a de vol que si l’acheteur au comptant emporte sans payer le prix l’objet remis par le vendeur.

En droit sénégalais, la théorie du droit pénal est conforme au droit civil, la vente ici est un contrat consensuel mais le transfert de propriété n’existe qu’après remise de la chose et paiement du prix. La solution sénégalaise va ainsi dans le même sens que la jurisprudence française. Les solutions rendues en matière de vol dans les ventes au comptant ont été étendus dans les ventes de libre service. Selon la cour de cassation française, cette forme de vente est une vente au comptant, la remise est limitée à la simple détention matérielle jusqu’au moment où le prix sera payé. En application de cette règle, il y a soustraction lorsque le client franchit la caisse sans présenter tout ou partie de marchandises prélevées sur les rayons… De même, réalise une soustraction une vendeuse qui s’approprie des marchandises dans des magasins où elle vend car lorsque l’appropriation a porté sur l’objet même du mandat, il n’y a pas abus de confiance mais vol.

B/ La chose objet du vol

Le vol ne peut porter que sur une chose. C’est ce que prévoit la loi. Mais elle ne précise pas la nature de la chose susceptible d’être soustraite. La jurisprudence a ainsi été amenée à déterminer la nature de la chose objet du vol.

 

1/ Les meubles corporels

En ce qui les concerne, il n’y a pas de grandes difficultés liées au déplacement matériel. Ils sont visés par la loi et cela peu importe leur valeur (une lettre missive d’argent, des meubles meublant).

2/ Les immeubles

              Par nature, ils ne peuvent faire l’objet de soustraction, faute de déplacement matériel. Ainsi, ne peut être poursuivi pour vol le locataire qui ne paie pas son loyer. Toutefois, le vol pourra être retenu si on a réussi à mobiliser la chose. Exemple : celui qui démolit une construction et emporte les matériaux peu être poursuivi pour vol. S’agissant des immeubles par destination, la thèse du droit pénal ne rejoint pas celle du droit civil. Etant simplement des biens meubles affectés au service d’un immeuble, ils sont susceptibles d’être soustraits.

3/ Les meubles incorporels

Les meubles incorporels ou droits mobiliers ne sont pas susceptibles d’appréhension matérielle. Toutefois, il y aura vol si on soustrait le titre qui les constate (reconnaissance de dettes).

4/ L’eau et l’électricité

Il s’agit de l’eau distribuée par la SDE et de l’électricité distribuée par la SENELEC. La jurisprudence considère qu’elles ne sont pas susceptibles de faire l’objet de soustraction lorsque l’usager utilise un moyen quelconque pour s’en approprier sans payer le prix. On remarque que la qualification de vol n’est  retenue que si l’usager modifie l’appareil distributeur en procédant à un branchement clandestin ou en utilisant un instrument qui lui permet de recevoir une quantité supérieure à celle indiquée sur le compteur.La qualification de vol cède la place à celle d’escroquerie si l’agent pénal traque ou altère le compteur.

5 / Le cas des données

                 Une discussion à propos de l’exploitation frauduleuse de données commerciales, comptables ou informatiques appartenant à autrui. Les données en elles mêmes sont considérées comme des biens incorporels, donc insusceptibles de soustraction. En France, l’auteur de l’usage illicite des données informatiques peut être poursuivi pour contrefaçon par exportation de logiciel appartenant à autrui. Cependant, l’utilisation du support matériel de données justifie le recours à l’incrimination pour vol…. Il y’a aussi soustraction frauduleuse dans la fait de détourner des données informatiques figurant sur une disquette appartenant à autrui. De même, il y’a soustraction dans le fait par un employé de photocopier un document à des fins personnelles à l’insu de son employeur.Dans différents exemples, la qualification de vol est retenue car la soustraction porte sur un objet corporel et non pas seulement des données en elles-mêmes… La même question peut se poser à propos de la communication téléphonique qui constitue une prestation de service non susceptible d’appréhension et par conséquent n’entrant pas dans le cadre des choses visées par la loi… La même solution a été retenue à propos de l’utilisation frauduleuse de décodeurs pour détourner des émissions de télévision destinés à un public d’abonnés. Devant le vide juridique, le législateur français est intervenu par une Loi du 05 Janvier 1988 en prévoyant un délit spécifique : celui du piratage de programmes de télévision réservé à un public d’abonnés.

C / La propriété d’autrui sur la chose 

       L’article 364 du Code Pénal exige que la chose soit la propriété d’autrui. Mais il importe que le véritable propriétaire soit connu ou désigné dans la condamnation. Pour l’application du droit pénal, il suffit que l’on fasse la démonstration que la chose n’appartient pas à l’auteur de la soustraction. C’est au ministère public, partie poursuivante de faire ce travail. Cependant, la personne poursuivie peut se défendre en démontrant soit que la chose lui appartient soit qu’elle n’appartient à personne.    

1/ La chose appartient à la personne poursuivie

L’infraction de vol est exclue si le voleur est le propriétaire de la chose soustraite. Ainsi, le propriétaire qui détruit, détourne ou tente de détruire la chose saisie sur lui ne peut être poursuivi de vol  sur la base de l’article 373 al 1 du Code Pénal. De même que celui qui remet une chose en gage à son créancier et profite de l’inattention de ce dernier pour reprendre le bien échappe à l’art 364 du C P. Son comportement relève d’une qualification spéciale : il s’agit du délit de détournement d’un objet en gage (art 373 al 2 du CODE PENAL). La qualification de vol peut cependant être retenue à l’égard du propriétaire lorsque son droit de propriété est partiel. Exemple : il y’a vol si l’inventeur s’approprie la part du trésor qui revient au droit du propriétaire du terrain dans lequel la découverte a été faite….. Mais peut-on parler de vol lorsqu’un vendeur d’articles à tempérament reprend la chose parce qu’il n’a pas été payé ? La réponse à cette question est positive car le vendeur n’est plus propriétaire de la chose.

2/ La chose n’appartient à personne

Il faut entendre les choses qui n’ont pas encore été appropriées comme choses abandonnées. S’agissant de celles-ci,lorsque la soustraction porte sur la chose qui n’a pas de propriétaire, la qualification de vol peut être retenue car la chose sans maître appartient au premier occupant  car l’occupation consiste à s’emparer de la chose. Pour les choses qui ont fait l’objet d’une appropriation mais qui par la suite ont été abandonnées, s’il n y a aucun doute sur  l’abandon, l’appropriation peut se faire par simple occupation. Cependant, il n’est pas simple de savoir si la chose est abandonnée ou perdue. Pour régler cette difficulté, la jurisprudence a posé un critère simple.

          Si la chose a peu de valeur, usagée ou détériorée, elle est considérée comme abandonnée

          Si elle est neuve ou si elle a une grande valeur, elle est présumée perdue et il y aura vol si la chose est conservée par la personne qui l’a ramassée ou trouvée. Ex : l’acquéreur d’un immeuble qui s’approprie des lingots d’or trouvés dans la cave est coupable de vol car il ne s’agit pas d’un trésor.

 

  Paragraphe 2 : L’élément moral du vol

L’article 364 du Code Pénal exige une intention coupable (soustraction frauduleuse) qu’on peut trouver dans la notion de fraude et qui consiste dans un dol général et dans un dol spécial. Pour qu’il soit réalisé, il faut que l’auteur ait su que la chose appartient à autrui et qu’il ait l’intention d’en user comme le véritable propriétaire;

 

 A/ La connaissance de la propriété d’autrui sur la chose

Le vol est une infraction intentionnelle. Il suppose que l’agent pénal avait la connaissance que la chose appartienne à autrui. Exemple : il n’ya pas vol si par erreur de fait, on prend la chose d’autrui en croyant appréhender sa propre chose (une personne sortant d’une salle se trompe de manteau et porte celui d’une autre). Toutefois, l’erreur de droit n’est pas pris en compte, la jurisprudence considère qu’elle ne fait pas disparaître l’infraction. Il n’ya vol par ailleurs au sens de la loi que si l’infraction a été réalisée en l’absence du consentement du propriétaire. Il faut que la soustraction ait été opérée à l’insu ou contre le gré du propriétaire. La qualification de vol est exclue si le propriétaire a donné son consentement. Dans tous les cas, un problème de preuve va se poser et il appartient à la personne poursuivie si elle veut échapper à la répression de prouver le consentement. Il convient de préciser toutefois que la personne poursuivie ne peut bénéficier de l’impunité que si le consentement de la victime est antérieur à la soustraction

 

B / L’intention d’user de la chose comme propriétaire

C’est le dol spécial. L’agent pénal doit se comporter en maître de la chose. On s’est demandé si cette condition est établie lorsqu’un individu utilise une chose qui ne lui appartient pas et la restitue à son véritable propriétaire. C’est le problème du vol d’usage.

En droit français, au XIX siècle, la Cour de Cassation avait répondu à une telle question par la négative car elle estimait que l’usager n’avait pas l’intention de se comporter comme véritable propriétaire. Cependant, les nécessités de la répression l’ont conduit à modifier sa jurisprudence. Désormais, elle sanctionne le vol d’usage car elle considère que dans une telle hypothèse, l’agent pénal s’est comporté momentanément en propriétaire…

En droit sénégalais, la Cour Suprême s’est prononcé sur le vol d’usage dans un arrête rendu le 30 Avril 1966 dans l’affaire « Mamadou Diarra contre Ministère Public ». Un délégué de personnel qui avait pris dans un atelier un cahier contenant les noms des travaux à effectuer pour chacun afin de prouver que le licenciement d’une partie du personnel était abusif et il en avait informé son chef d’atelier. Selon la Cour d’appel, l’infraction de vol est établie car le délégué de personnel s’est conduit en maître absolu de la chose en faisant un usage personnel destiné à nuire son véritable propriétaire. Par contre pour la Cour Suprême, la soustraction opérée par le délégué n’avait pas un caractère frauduleux car il n’avait pas voulu dépouiller indûment le propriétaire… La solution ainsi rendue est nettement éloignée de celle de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation française en matière de vol d’usage. Elle admet que le fait de se comporter même momentanément en propriétaire est une soustraction frauduleuse, mais elle pense qu’il en va autrement pour le cas de l’individu qui utilise même abusivement la chose d’autrui sans l’intention de la déposséder……. Signalons que pour la caractérisation de l’élément moral, le mobile ou motivation personnelle n’est pas pris en compte


SECTION II : LE RÉGIME JURIDIQUE ET LA RÉPRESSION DU VOL EN DROIT SENEGALAIS

La répression du vol au Sénégal

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