La protection de la possession en droit français

La protection de la possession et la fin de l’action possessoire

Avant 2015, quand une personne possèdait un bien, elle pouvait protéger cette possession grâce à des actions possessoires.  Les actions possessoires, historiquement prévues par le Code civil et le Code de procédure civile pour défendre efficacement le possesseur d’un bien, ont été abrogées par la loi du 16 février 2015. Les critiques formulées à l’encontre de ces anciennes procédures, notamment leur longueur et leur complexité, ont conduit le législateur à simplifier le contentieux en privilégiant l’action en référé. La Cour de cassation, dans un arrêt de la 3ᵉ chambre civile du 24 septembre 2020, a confirmé que la possession demeure protégée grâce à cette procédure de référé. Désormais, seul le référé de droit commun permet de faire cesser un trouble ou d’empêcher un dommage imminent, sans préjuger du fond du droit, et ce à la fois pour les biens immobiliers et mobiliers, conformément à l’article 2278 du Code civil.

I) Résumé : Avant et après la réforme

A) Disparition des actions possessoires spécifiques

Avant 2008, le Code civil prévoyait trois actions possessoires distinctes :

  1. La complainte (contre un trouble de possession)
  2. La dénonciation de nouvel œuvre (pour stopper des travaux menaçant la possession)
  3. La réintégrande (pour retrouver la possession après une dépossession violente)

Ces actions ont été supprimées au motif qu’elles étaient complexes et parfois inutiles face aux actions de droit commun.

B) Protection actuelle de la possession

Depuis la réforme, la protection de la possession repose sur :

  • Les référés civils devant le juge des contentieux de la protection ou le tribunal judiciaire pour obtenir une remise en état rapide.
  • Les actions en responsabilité civile pour obtenir des dommages et intérêts en cas de trouble.
  • L’action en revendication (pétitoire) si le possesseur invoque un droit de propriété.

 

II) Les fondements historiques et doctrinaux de la possession


La possession a toujours fait l’objet d’une attention particulière dans la tradition juridique française. Les grands auteurs, à l’instar de Carbonnier, la définissaient par une formule imagée : « La possession est l’ombre de la propriété. » Cette célèbre métaphore souligne le lien étroit qui existe entre la propriété (un droit réel) et la possession (un fait). D’un point de vue théorique, la possession consiste en l’exercice effectif d’un pouvoir sur une chose, accompagné de la volonté de se comporter comme un propriétaire ou un titulaire d’un autre droit réel. Dans la pratique, cette situation de fait n’est pas toujours simple à cerner, car elle implique deux éléments fondamentaux :

  • L’élément matériel : une maîtrise effective sur la chose, exercée directement ou par l’intermédiaire d’une personne agissant au nom du possesseur.
  • L’élément intentionnel : la volonté de s’affirmer titulaire du droit réel (généralement celui de propriétaire) sur la chose.

La détention, quant à elle, ne requiert que l’élément matériel et implique une reconnaissance de l’existence d’un droit appartenant à autrui. Ainsi, le détenteur n’a pas l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire mais agit pour le compte du véritable titulaire de la chose. Cette différence a souvent suscité des débats, car l’article 2255 du Code civil établit un lien entre détention et possession, alors même que la doctrine met en garde contre toute confusion entre les deux notions.

III) Le rôle essentiel de la possession dans la protection des biens


Une personne qui se considère possesseur peut en réalité ignorer qu’elle est ou non propriétaire. La possession, néanmoins, produit des effets juridiques importants. Elle confère à celui qui possède une protection indépendante du fond du droit, évitant ainsi le recours à l’autodéfense et protégeant, dans le même mouvement, l’intégrité de la propriété. Les tiers traitant avec le possesseur y trouvent aussi un intérêt, puisqu’ils peuvent supposer que leur cocontractant a un pouvoir réel sur la chose.

Dans une perspective historique, différents auteurs ont souligné la place centrale de la possession dans la stabilité sociale. Jhering avait ainsi mis en avant que la possession, considérée comme un « bastion de la propriété », joue un rôle préventif contre les atteintes violentes ou les conflits de voisinage. De même, Savigny rappelait qu’en défendant la possession paisible, on évite nombre de litiges susceptibles de troubler la paix publique.

IV) Avant 2015 : l’existence d’actions possessoires spécifiques


Jusqu’à une réforme législative récente, la possession bénéficiait de voies d’action particulières pour faire respecter son intégrité. Le Code civil et le Code de procédure civile prévoyaient en effet :

1. La complainte

La complainte permettait de protéger la possession contre un trouble de fait (acte matériel comme passer sur un terrain sans droit) ou un trouble de droit (contestation de la qualité de possesseur). La possession doit être paisible (art. 2283 C. civ.) et durer au moins un an (art. 2264 C. civ.), sauf pour un détenteur précaire qui n’a pas besoin de ce délai.

Si les conditions étaient remplies, le juge met fin au trouble :

  • Pour un trouble de fait, il peut interdire l’usage du bien ou ordonner la restitution des fruits.
  • Pour un trouble de droit, il confirme la qualité de possesseur sans trancher la propriété.
  • Des dommages et intérêts peuvent être accordés en cas de préjudice.

2. La dénonciation de nouvel œuvre

Elle permettait de suspendre des travaux avant qu’ils ne causent un trouble à la possession. L’action est recevable tant que les travaux sont en cours et qu’aucun trouble n’est encore constaté.

3. L’action en réintégration

Elle avait pour but de protéger contre une dépossession violente (ex. : expulsion forcée). L’action est recevable sans condition de délai, mais la possession doit être paisible. Peu importe si l’auteur du trouble a des droits, la justice privée est interdite.

Ces actions, spécifiques à la possession, ne devaient pas se confondre avec l’action pétitoire, laquelle porte sur la reconnaissance du droit de propriété lui-même. De plus, le principe du non-cumul interdisait d’exercer simultanément une action possessoire et une action pétitoire. Le demandeur devait alors opter pour l’une ou l’autre, afin d’éviter l’enchevêtrement de revendications relatives à la preuve de la possession et de la propriété.

V) Les critiques et la réforme de 2015


Plusieurs rapports et études doctrinales, dont le rapport annuel de la Cour de cassation de 2009 ou le projet de réforme du droit des biens de l’Association Henri Capitant, pointaient les difficultés liées à ces voies d’action. Les reproches portaient principalement sur :

  • Leur complexité : la procédure présentait de nombreuses règles techniques.
  • Leur lenteur : la saisine du tribunal de grande instance pouvait rallonger les délais.
  • Leur coût : la procédure nécessitait souvent le recours à un avocat, ce qui engendrait des frais parfois élevés pour le demandeur.

Face à ces constats, la pratique judiciaire tendait déjà à utiliser la procédure de référé pour obtenir des mesures rapides en cas de trouble dans la possession. Le juge des référés, compétent pour statuer dans l’urgence, était saisi dès lors que le trouble présentait une gravité ou un caractère manifestement illicite. Dans ce contexte, le législateur est intervenu par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit.

Cette loi a abrogé l’article 2279 du Code civil, lequel prévoyait et encadrait les actions possessoires, ainsi que les articles 1264 à 1267 du Code de procédure civile, relatifs aux conditions d’ouverture de ces actions. Le but recherché était de consacrer l’usage du référé en tant que voie de droit principale pour faire cesser rapidement les atteintes à la possession et limiter la complexité qui entourait les anciennes procédures.

VI) La décision de la Cour de cassation du 24 septembre 2020 : un rappel décisif


Dans un arrêt de la troisième chambre civile, rendu le 24 septembre 2020, la Cour de cassation est venue préciser les conséquences concrètes de cette abrogation. Elle a mis en lumière que la protection possessoire n’avait pas disparu avec la suppression des actions possessoires, et qu’elle subsistait sous la forme de l’action en référé.

  • Les faits concernaient des titulaires d’une servitude de passage qui souhaitaient faire enlever une clôture et une barrière rendant impossible l’exercice de leur droit.
  • Les demandeurs, se fondant sur l’article 2278 du Code civil, soutenaient que la possession demeure protégée sans égard au fond du droit. La cour d’appel de Limoges avait accueilli leur demande en considérant que, malgré l’abrogation légale des actions possessoires, celles-ci existaient encore de manière implicite.
  • La Cour de cassation a censuré cette analyse, précisant qu’il ne subsiste aucune action possessoire autonome depuis 2015 et que la protection de la possession se fait désormais exclusivement via le référé de droit commun.

La seule voie d’action actuelle : le référé de droit commun


Aujourd’hui, celui qui subit un trouble dans l’exercice de sa possession doit saisir le juge des référés, sur le fondement des articles 834 et 835 du Code de procédure civile, afin d’obtenir des mesures destinées à :

  • Faire cesser un dommage imminent (ancienne dénonciation de nouvel œuvre).
  • Mettre fin à un trouble manifestement illicite (ancienne complainte ou réintégrante).

Le référé se caractérise par sa rapidité et son adaptabilité. Pour être recevable, il convient d’établir :

  • L’urgence de la situation, si l’on se fonde sur l’article 808 du Code de procédure civile.
  • L’absence de contestation sérieuse ou l’existence d’un trouble évident, si l’on se réfère aux articles 834 et 835 du Code de procédure civile.

De fait, le recours au référé n’est pas jugé incompatibles avec la « protection possessoire » telle que l’imagine l’article 2278 du Code civil. L’objectif est le même que celui des anciennes actions possessoires : faire cesser le trouble rapidement et préserver l’ordre public. Cependant, cette saisine en référé interrompt le cours de la prescription acquisitive (usucapion) en vertu de l’article 2241 du Code civil, alors que, précédemment, les actions possessoires n’avaient pas cet effet interruptif.

Les enjeux de la protection possessoire moderne

  1. Préserver la paix publique : En offrant une voie de recours rapide, on évite les affrontements directs entre voisins ou entre différents possesseurs.
  2. Assurer la stabilité des échanges : La protection de la possession sécurise les transactions immobilières ou mobilières, dans la mesure où les tiers savent que le possesseur bénéficie d’une garantie procédurale immédiate.
  3. Sauvegarder la propriété : Comme le relève Jhering, la protection de la possession revient souvent à défendre le véritable propriétaire, puisque, statistiquement, il arrive fréquemment que le possesseur soit aussi le titulaire légitime du droit.
  4. Favoriser la simplicité et l’efficacité : Les actions possessoires se heurtaient à des obstacles procéduraux complexes. Désormais, le référé de droit commun facilite l’exercice de la protection et accélère le règlement du conflit.

Élargissement de la protection possessoire : biens meubles et immeubles
Bien que la jurisprudence se soit longtemps focalisée sur les biens immeubles, l’article 2278 du Code civil n’opère aucune distinction entre biens meubles et immeubles. La protection possessoire par référé est donc, en principe, ouverte à toute personne démontrant une possession paisible sur n’importe quel type de bien. L’ancien régime des actions possessoires mettait plus particulièrement l’accent sur les immeubles, car les contentieux de voisinage ou d’occupation illicite concernent souvent la propriété foncière. Toutefois, les mêmes principes de base peuvent s’appliquer à la possession de biens meubles corporels si un trouble survient.

Évolutions récentes et perspectives d’avenir
Depuis la création du Tribunal judiciaire au 1ᵉʳ janvier 2020 (fusion des tribunaux d’instance et de grande instance), les compétences en matière de référé se trouvent réunies sous l’autorité du président du tribunal judiciaire. Cette centralisation vise à simplifier la vie des justiciables. En matière de possession, la saisine du juge des référés représente désormais la seule voie pour obtenir urgemment :

  • Une cessation du trouble ou de la menace de trouble.
  • La remise en état des lieux, notamment lorsqu’une clôture, une construction ou tout autre obstacle matériel empêche l’exercice paisible de la possession.
  • Des mesures conservatoires destinées à sauvegarder les droits du possesseur en attendant, le cas échéant, une procédure au fond portant sur la propriété ou un autre droit réel.

L’avenir du contentieux possessoire dépendra probablement de l’équilibre trouvé entre l’exigence de rapidité et la nécessité de préserver les droits de chacun. La Cour de cassation, par son arrêt de 2020, a clairement confirmé que le régime de la protection de la possession est aujourd’hui fondé sur le référé de droit commun. On observe, en pratique, un contentieux plus simple, moins coûteux et plus efficace, bien qu’il puisse exiger une vigilance accrue pour démontrer l’urgence ou le caractère manifestement illicite du trouble.

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