OBJET, RÔLE, CONTENU DES CONSTITUTIONS
Selon Gicquel, la Constitution est la « loi des lois », car elle établit les règles fondamentales qui encadrent l’élaboration des autres lois et structure l’ensemble de l’ordre juridique. Son caractère de loi supérieure impose une distinction claire avec les lois ordinaires, tant dans son contenu que dans la procédure nécessaire à sa modification. Dans le cas d’une Constitution rigide, comme celle de la France, toute révision est soumise à une procédure spécifique et renforcée.
A) La diversité des constitutions
Un objet universel mais des formes variées
Les Constitutions, bien que différentes dans leur contenu et leur structure, partagent un objectif commun : organiser la dévolution et l’exercice du pouvoir au sein d’un État.
- Elles incarnent la forme juridique fondamentale de l’État, reflétant son organisation politique, ses mécanismes de fonctionnement et les valeurs sur lesquelles il repose.
- Cette diversité reflète les spécificités historiques, culturelles et sociales propres à chaque pays, tout en traduisant des principes universels comme la souveraineté populaire ou la séparation des pouvoirs.
Un texte synthétique et structurant
Les Constitutions sont généralement relativement brèves, se concentrant sur les principes fondamentaux et laissant les détails aux :
- Lois organiques : Elles précisent certaines dispositions constitutionnelles et en définissent les modalités d’application.
- Règlements internes des chambres parlementaires : Ces textes détaillent les mécanismes liés à la vie législative.
De plus, la coutume interprétative ou supplétive joue un rôle important dans l’enrichissement ou la clarification des dispositions constitutionnelles.
B) La Constitution : organisation politique et philosophie
Un texte organisant le pouvoir politique
La Constitution constitue le cadre légal qui encadre l’exercice du pouvoir au sein d’un État.
Liste des autres articles :
- Elle fixe les règles de fonctionnement des institutions, ainsi que les relations entre les différents organes du pouvoir (exécutif, législatif, judiciaire).
- Elle garantit également une stabilité institutionnelle, en définissant clairement les responsabilités de chaque organe et les procédures à suivre en cas de crise politique ou institutionnelle.
Un texte reflet d’une philosophie politique
La Constitution n’est pas uniquement un texte juridique ; elle incarne également une vision de la société et des valeurs fondamentales.
- Elle énonce les droits et libertés reconnus aux citoyens, reflétant des principes universels tels que la liberté, l’égalité ou la justice.
- Ces droits sont souvent basés sur des principes inhérents à la nature humaine, traduisant des aspirations collectives et individuelles.
Constitution politique vs Constitution sociale
La Constitution peut être divisée en deux dimensions :
- Constitution politique :
- Elle concerne les règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir.
- Elle est centrée sur l’organisation institutionnelle de l’État.
- Constitution sociale :
- Elle reflète les valeurs fondamentales de la société et les droits des citoyens, qu’ils soient civils, politiques ou sociaux.
- Cette dimension intègre des principes qui vont au-delà de l’organisation politique pour inclure des aspirations sociales, comme le droit à l’éducation ou à la protection sociale.
C) Les droits et libertés dans la Constitution
1) L’énoncé des droits de l’Homme
Les Constitutions modernes comportent généralement un énoncé des droits fondamentaux, soit sous forme d’un préambule, soit directement intégré dans le texte constitutionnel :
- Préambule : Ces déclarations énoncent les principes fondamentaux sur lesquels repose l’organisation de l’État.
- Garantie des droits : Lorsque ces droits sont intégrés dans le corps même de la Constitution, ils acquièrent une force juridique contraignante, formant ainsi une véritable garantie.
2) Valeur juridique des droits en France
En France, la distinction entre une déclaration symbolique et une garantie juridiquement contraignante est plus théorique que pratique :
- Décision du Conseil constitutionnel (16 juillet 1971) : Cette décision historique a conféré une valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, lui accordant la même force juridique que la Constitution elle-même.
- Cette décision a également intégré dans le bloc de constitutionnalité le Préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004, donnant un statut renforcé aux droits fondamentaux.
3) Évolution des droits fondamentaux
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Première génération de droits (18e siècle) :
- Ces droits civils et politiques sont centrés sur les libertés individuelles et visent à protéger les citoyens contre l’arbitraire étatique.
- Exemples :
- Liberté d’expression.
- Droit de propriété.
- Liberté religieuse.
- Contexte historique :
- La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 illustre parfaitement cette philosophie libérale et l’idée d’un État abstentionniste, qui n’intervient pas dans la sphère privée des individus.
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Deuxième génération de droits (20e siècle) :
- Ces droits économiques et sociaux traduisent une nouvelle vision de l’État, vu comme un acteur actif dans la garantie de conditions de vie dignes.
- Exemples :
- Droit au travail.
- Droit à la santé.
- Sécurité sociale.
- Contexte historique :
- Après la Seconde Guerre mondiale, les droits sociaux sont consacrés dans de nombreuses Constitutions, comme en France avec le Préambule de la Constitution de 1946, qui évoque les droits au travail, à la protection sociale et à l’éducation.
D) La double vocation de la Constitution
La Constitution remplit une double fonction, répondant à la fois aux besoins des gouvernants et des gouvernés :
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Pour les gouvernants :
- Elle établit les règles de dévolution et d’exercice du pouvoir, organisant les institutions et les rapports entre elles.
- Elle garantit un cadre institutionnel stable et prévisible.
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Pour les gouvernés :
- Elle protège les droits et libertés fondamentaux, mettant les citoyens à l’abri de l’arbitraire et des abus de pouvoir.
- Elle instaure une relation de confiance entre l’État et les citoyens, grâce à des garanties constitutionnelles fortes.
E) Exemples historiques
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France, IIIe République (1870-1940) :
- Bien que la Constitution de la IIIe République n’ait pas inclus une déclaration explicite des droits et libertés, l’État respectait un fonctionnement libéral, garantissant implicitement les droits fondamentaux des citoyens.
- Cette absence d’une déclaration formelle reflète une tradition juridique française axée sur le respect des principes libéraux sans nécessiter de codification explicite.
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Massachusetts (États-Unis, 1780) :
- La Constitution de l’État du Massachusetts est la première à intégrer une déclaration de droits, énonçant des libertés fondamentales telles que :
- La liberté d’expression.
- La liberté religieuse.
- Le droit de propriété.
- Ce texte a influencé d’autres Constitutions américaines et la Déclaration des droits (Bill of Rights) intégrée à la Constitution fédérale américaine.
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France, Constitution de 1946 :
- Après la Seconde Guerre mondiale, la France adopte une approche hybride en incluant des droits de première et de deuxième génération dans le Préambule.
- Cette intégration témoigne de la volonté d’affirmer à la fois les libertés individuelles et les droits sociaux dans un contexte de reconstruction.
F) Réflexion sur l’importance des droits
L’évolution des droits fondamentaux met en lumière deux grandes priorités qui ont façonné les Constitutions modernes : d’une part, la sécurité et l’intervention de l’État, apparues comme des nécessités après les bouleversements du 20e siècle, et d’autre part, une évolution continue visant à adapter les droits aux nouveaux défis sociaux et environnementaux. Ces deux dimensions illustrent la complémentarité entre des besoins historiques pressants et une volonté d’inscrire les droits dans une perspective durable.
1) Sécurité et intervention de l’État
Les tragédies de la Seconde Guerre mondiale ont profondément modifié la conception des droits et libertés dans les Constitutions modernes. Les priorités des sociétés démocratiques ont évolué pour accorder une place prépondérante à la sécurité collective et à la protection sociale, nécessitant une intervention accrue de l’État.
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Changement de paradigme :
- Avant-guerre, les droits de première génération (libertés individuelles) dominaient, reflétant une vision libérale et un État abstentionniste.
- Après-guerre, l’accent s’est déplacé vers les droits de deuxième génération (droits économiques et sociaux), reflétant une volonté de prévenir les inégalités et de garantir une sécurité matérielle et sociale.
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Exemples marquants :
- Sécurité sociale : En France, le Préambule de la Constitution de 1946 affirme que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, ou de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
- Droits au logement et à la santé : Ces principes, renforcés dans les politiques publiques après la guerre, sont devenus des priorités constitutionnelles dans de nombreux pays.
2) Évolution continue
L’intégration des droits de première et deuxième générations dans les textes constitutionnels illustre la nécessité d’une évolution permanente pour répondre aux défis sociaux et économiques :
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La Constitution française de 1958 :
- Le Préambule renvoie à deux textes fondamentaux :
- La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, garantissant les libertés individuelles.
- Le Préambule de la Constitution de 1946, affirmant les droits sociaux et économiques.
- Cette combinaison montre la volonté d’associer les droits traditionnels et les nouvelles aspirations sociales issues du 20e siècle.
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Actualité des droits :
- Les droits constitutionnels continuent de s’adapter aux enjeux contemporains, tels que la protection de l’environnement ou les droits numériques :
- Exemple : La Charte de l’environnement de 2004, intégrée dans le bloc de constitutionnalité, garantit le droit à un environnement sain et impose des devoirs à l’État et aux citoyens pour protéger les ressources naturelles.
- Les débats actuels sur l’intégration de nouveaux droits, comme le droit à l’accès à Internet, illustrent cette évolution constante.
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Enjeux internationaux :
- La France, comme d’autres démocraties, inscrit ses droits fondamentaux dans des cadres internationaux, renforçant leur portée au-delà des frontières nationales.
- Exemple : La Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), adoptée en 1950, est une référence clé pour les droits de première génération en Europe.
Conclusion / Résumé : La Constitution est bien plus qu’un simple cadre juridique : elle est le reflet d’une vision politique et sociale. En fixant les règles d’organisation du pouvoir et en protégeant les droits fondamentaux, elle établit une relation de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Sa capacité à intégrer à la fois des principes universels et des évolutions sociétales en fait le pilier central de l’État et de la démocratie.
Le Cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs fiches :