L’État : définition, caractères, éléments constitutifs, formes

Les caractères, les éléments constitutifs et les formes de l’État

Le juriste Carré de Malberg, dans ses Contributions à la théorie générale de l’État (1921), définit l’État comme une « communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres une puissance suprême d’action, de commandement et de coercition ». Cette définition met en lumière trois éléments fondamentaux qui caractérisent l’État : la population, le territoire et le gouvernement, auxquels s’ajoute l’idée d’une autorité souveraine capable de réguler la vie collective et de s’imposer sur son territoire.

L’État est une construction sociale, juridique et philosophique. Il ne se limite pas à une simple entité administrative, mais représente également une pluralité d’idées, d’idéologies et de systèmes politiques. Cette pluralité est reflétée dans les conceptions variées et parfois opposées exprimées par des figures historiques et intellectuelles :

  • Eugene M. Kulischer : « L’État, c’est la dernière Révolution qui a réussi » Cette vision met en avant le rôle de l’État comme produit des bouleversements sociaux, consolidant les acquis des luttes révolutionnaires.
  • Bakounine (anarchiste) : « L’État est un immense cimetière où viennent s’enterrer les manifestations de la vie individuelle » Cette critique anarchiste dénonce l’État comme une institution oppressive qui limite les libertés individuelles.
  • Mussolini : « L’État est l’absolu, devant lequel les individus et les groupes ne sont que le relatif » Une apologie de l’État totalitaire, où l’État domine tous les aspects de la vie collective et individuelle.
  • Lénine : « Là où commence l’État, finit la Liberté » Une vision marxiste où l’État est perçu comme une structure de domination, destinée à disparaître dans une société communiste.
  • Louis XIV : « L’État, c’est moi ! » Une affirmation emblématique de l’absolutisme monarchique, où le souverain personnifie l’État.
  • Proudhon : « L’État, c’est nous ! »  Une vision républicaine et participative, mettant en avant le rôle collectif des citoyens dans la construction et la gestion de l’État.

Ces citations reflètent des conceptions variées, issues de contextes historiques, politiques et idéologiques différents. Elles montrent que l’État peut être perçu comme :

  • Oppressif ou émancipateur ;
  • Conservateur ou révolutionnaire ;
  • Centralisé ou participatif.

L’État s’accommode de formes politiques diverses : démocratie, dictature, monarchie, république, etc. Cette flexibilité souligne son caractère subjectif, dépendant des valeurs, idéologies et institutions qui le sous-tendent.

A) Les formes de l’État

1 – L’État et la nation

Pour qu’un État existe, il est indispensable de réunir trois éléments essentiels : un territoire, une population et un gouvernement effectif. Ce dernier exerce son autorité au nom de l’État sur le territoire, manifestant ainsi la souveraineté de celui-ci. La dimension territoriale de l’État est primordiale : elle constitue sa première manifestation concrète. S’il existe des territoires sans État (comme l’Antarctique), il n’existe en revanche aucun État sans territoire.

L’État et le territoire

Le territoire est la base physique sur laquelle l’État exerce sa souveraineté. Il inclut non seulement les terres émergées, mais également les espaces maritimes et aériens. La forme territoriale de l’État est déterminante pour sa structuration, mais aussi pour le distinguer d’autres concepts, comme celui de la nation.

Exemples de territoires sans État :

  • L’Antarctique : un territoire régi par le Traité de 1959, qui en interdit toute appropriation souveraine.
  • L’État palestinien : bien qu’il dispose d’un peuple et d’un gouvernement, la définition de son territoire reste contestée.

L’État et la nation

Distinction fondamentale entre l’État et la nation

L’État et la nation sont des concepts différents bien qu’étroitement liés :

  • L’État est une notion juridique et politique. Il regroupe des institutions qui exercent le pouvoir sur un territoire donné et garantissent l’ordre public.
  • La nation, en revanche, est une notion culturelle. Elle désigne un groupement d’hommes unis par des éléments communs et un sentiment d’appartenance. Ces éléments peuvent être :
    • Objectifs : la langue, le mode de vie, les coutumes, etc.
    • Subjectifs : la conscience collective d’un passé commun (histoire, traditions), une volonté partagée de construire un avenir et de vivre ensemble.

Ainsi, la nation repose sur un lien social et identitaire, tandis que l’État incarne une autorité structurée et organisée.

Exemple de distinction entre État et nation : En Russie, plusieurs nations (par exemple, les Tatars, les Tchétchènes, etc.) cohabitent sous l’autorité d’un même État.

Interactions entre l’État et la nation

L’État est souvent conçu comme l’outil par lequel une nation exprime ses besoins et réalise ses aspirations. Cependant, la manière dont l’État se constitue varie selon les contextes historiques :

  1. Lorsque la nation précède l’État, ce dernier prend souvent une forme fédérale.
    • Exemples :
      • Allemagne : des nations et entités politiques autonomes existaient bien avant l’unification allemande en 1871.
      • États-Unis : les treize colonies se sont regroupées en une fédération après avoir proclamé leur indépendance.
  2. Lorsque l’État et la nation apparaissent simultanément, l’État prend généralement la forme unitaire.
    • Exemples :
      • France : l’État unitaire s’est affirmé au Moyen Âge en même temps que la nation française.
      • Angleterre : l’unité territoriale et politique s’est consolidée parallèlement à la formation de l’identité nationale.

Résumé : La nation exprime une volonté collective de vivre ensemble, unissant les individus par une identité commune fondée sur l’histoire, la culture et une vision de l’avenir. L’État, quant à lui, est une structure institutionnelle qui exerce une autorité souveraine sur un territoire et une population. Si l’État et la nation sont souvent étroitement liés, ils ne coïncident pas toujours : plusieurs nations peuvent coexister au sein d’un même État, tout comme une nation peut être répartie sur plusieurs États.


2 – L’État unitaire

Dans un État unitaire, le pouvoir est centralisé et ne repose que sur un seul centre d’impulsion politique. Il y a un unique système juridique applicable à tous les citoyens, et l’autorité est exercée par une seule entité souveraine. Les subdivisions administratives (communes, départements, régions) ne disposent pas de souveraineté propre et ne sont pas des États autonomes.

Exemple : la France. En France, l’État est unitaire mais connaît des ajustements de centralisation, notamment avec la déconcentration et la décentralisation, pour répondre aux exigences d’un État moderne.

Les modes d’adaptation de l’État unitaire :

  • La déconcentration :
    Ce procédé permet au pouvoir central de déléguer une partie de ses compétences à des représentants locaux de l’État (par exemple, les préfets, les directions départementales). Ces représentants agissent au nom de l’État mais avec une certaine autonomie d’exécution.
    Exemple : Les préfets de région ou de département en France.

  • La décentralisation :
    Avec la décentralisation, l’État transfère certaines compétences aux collectivités territoriales (régions, départements, communes), qui disposent d’une autonomie juridique et financière. Ce transfert de pouvoir respecte le principe de libre administration des collectivités locales, inscrit en France dans l’article 1 de la Constitution, modifié en 2003.
    Différence avec la déconcentration : La décentralisation donne un pouvoir propre aux collectivités, alors que dans la déconcentration, les pouvoirs restent exercés par des représentants de l’État.

Exemple de la Constitution espagnole (1978) :
L’Espagne est un État unitaire mais reconnaît des spécificités culturelles et linguistiques régionales :

  • Article 2-1 : « La Constitution reconnaît l’unité de la nation espagnole ».
  • Article 2-2 : « La nation espagnole reconnaît aussi et garantit l’autonomie et le droit des différentes nationalités. »



3 – L’État fédéral ( fédéralisme)

L’État fédéral repose sur une structure partagée entre un gouvernement central et des États fédérés, chacun disposant de compétences propres. Ce modèle garantit à la fois une solidarité nationale et le respect des particularismes locaux.

Exemples : États-Unis, Allemagne, Suisse, Brésil
Les États fédérés dans ces pays possèdent leurs propres constitutions, parlements et systèmes juridiques, mais doivent respecter la Constitution fédérale. L’État fédéral demeure souverain sur les questions d’intérêt général (défense, politique étrangère, etc.).

A) Les principes fondamentaux du fédéralisme

  1. La superposition :
    Le territoire d’un État fédéral est soumis à plusieurs ordres juridiques. Les citoyens obéissent à la fois aux lois de leur État fédéré et à celles de l’État fédéral.

    • Exemple : Aux États-Unis, la peine de mort est autorisée dans certains États fédérés mais interdite dans d’autres, car la législation pénale relève de leur compétence.
  2. L’autonomie :
    Les États fédérés disposent d’un pouvoir de décision exclusif dans les domaines qui leur sont attribués par la Constitution fédérale. Cette autonomie protège les compétences locales contre l’ingérence du gouvernement central.

    • En général, la Constitution fédérale établit une liste des compétences réservées aux États fédérés (par exemple, l’éducation ou la police locale). Les autres matières relèvent de l’État fédéral (défense, politique étrangère, monnaie).
  3. La participation :
    Les États fédérés participent activement à la prise de décisions au niveau fédéral, notamment par le biais de parlements bicaméraux :

    • Une chambre représente les États fédérés (exemple : le Sénat américain, le Bundesrat allemand).
    • L’autre chambre représente le peuple dans son ensemble (exemple : la Chambre des représentants aux États-Unis, le Bundestag en Allemagne).
      Les États fédérés sont également associés à la révision de la Constitution fédérale, souvent avec des exigences de majorité qualifiée ou d’unanimité.

B) Particularités du fédéralisme

  • Une minorité dans le monde :
    Le fédéralisme concerne un petit nombre d’États dans le monde, souvent ceux ayant un territoire vaste ou une grande diversité culturelle.
    Exemple : Les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Inde.

  • Une exception notable :
    La Chine, bien qu’étant un vaste territoire, reste un État unitaire, en raison de son système totalitaire qui exige une concentration du pouvoir.

Résumé : L’État unitaire et l’État fédéral sont deux modèles distincts d’organisation du pouvoir. L’État unitaire centralise l’autorité tout en offrant des degrés variables d’autonomie aux collectivités territoriales. À l’inverse, l’État fédéral repose sur une répartition claire des compétences entre le niveau fédéral et les États fédérés, garantissant leur autonomie tout en assurant la cohésion nationale.

C) Comparaison entre l’État unitaire et l’État fédéral

Caractéristiques État unitaire État fédéral
Organisation du pouvoir Pouvoir central unique Pouvoir partagé entre État central et États fédérés
Autonomie locale Limitée, par déconcentration ou décentralisation Importante, protégée par la Constitution fédérale
Système juridique Unique pour tous les citoyens Plusieurs ordres juridiques superposés
Exemples France, Espagne, Italie États-Unis, Allemagne, Suisse


4 – Quid de l’Union Européenne

Depuis sa fondation avec le traité de Rome (1957), puis sa transformation en Union Européenne (UE) par le traité de Maastricht (1992), l’Union Européenne a connu une évolution remarquable, se distinguant des modèles classiques d’États et d’organisations internationales. Cette structure unique repose sur un transfert de compétences des États membres vers une entité supranationale, créant un système hybride souvent qualifié de sui generis. Ce transfert touche des domaines fondamentaux comme la monnaie, la citoyenneté, la défense et la diplomatie, renforçant l’intégration européenne.

L’Union Européenne repose sur des traités qui structurent ses institutions et son fonctionnement :

  • Le traité de Maastricht (1992) : fondation de l’UE et introduction de la citoyenneté européenne.
  • Le traité d’Amsterdam (1997) et le traité de Nice (2001) : réformes institutionnelles pour préparer les élargissements.
  • Le traité de Lisbonne (2007, en vigueur en 2009) : simplification et renforcement des institutions européennes.

Ces traités ont permis des transferts de souveraineté dans des domaines clés, tels que la monnaie (zone euro), la politique commerciale, l’environnement ou encore les droits fondamentaux.

A) L’Union Européenne est-elle un État fédéral ? Une analyse par les principes du fédéralisme

Pour évaluer si l’Union Européenne peut être considérée comme un État fédéral, il est utile de l’examiner à travers les trois principes fondamentaux du fédéralisme : superposition, autonomie et participation.

1. La superposition

Le principe de superposition implique la coexistence de plusieurs niveaux juridiques sur un même territoire, chaque niveau s’adressant directement aux citoyens. Ce principe est respecté au sein de l’Union Européenne :

  • Les citoyens des États membres sont soumis simultanément au droit national et au droit communautaire européen.
  • La primauté du droit européen sur les législations nationales est reconnue, notamment par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
    Exemple : Les directives européennes s’imposent aux États membres et doivent être transposées dans leurs systèmes juridiques.

2. L’autonomie

L’autonomie des États membres est préservée grâce au principe de subsidiarité, inscrit à l’article 5 du Traité sur l’Union Européenne (TUE). Selon ce principe, l’UE n’intervient que dans les domaines où une action commune est plus efficace que l’action individuelle des États.
Exemple : La compétence exclusive de l’UE dans les politiques commerciales extérieures, mais la compétence partagée avec les États membres en matière d’environnement.

En France, ce principe a été intégré dans la Constitution avec la réforme constitutionnelle de 2003, renforçant l’idée que seules les compétences nécessaires doivent remonter au niveau européen.

3. La participation

La participation des États membres est centrale dans le fonctionnement de l’Union :

  • Au niveau du pouvoir constituant : Toute modification des traités européens nécessite l’approbation unanime des États membres.
  • Au niveau du pouvoir législatif : Les États participent directement à l’élaboration des lois européennes par l’intermédiaire du Conseil de l’Union Européenne, où siègent les ministres nationaux, et du Parlement européen, élu au suffrage universel depuis 1979.

Cependant, cette participation repose sur des quotas et des règles de majorité qualifiée, garantissant un équilibre entre les intérêts des grands et des petits États.

B) Pourquoi l’Union Européenne n’est-elle pas un État fédéral ?

Malgré ces similitudes avec un État fédéral, l’UE reste une organisation unique et non un État. Plusieurs éléments le montrent :

  1. Absence de souveraineté propre :
    L’Union ne dispose que de compétences déléguées par les États membres. Ces compétences restent réversibles, comme en témoigne le Brexit.
  2. Absence de gouvernement supranational :
    L’UE fonctionne grâce à des institutions supranationales (Commission européenne, Parlement européen), mais elles ne disposent pas d’une souveraineté indépendante.
  3. Manque de volonté politique :
    Les divergences entre États membres sur des sujets clés, comme la défense ou la fiscalité, freinent toute transformation en État fédéral.

C) La question de la Constitution européenne

L’idée d’une Constitution européenne a émergé lors du Conseil européen de Laeken en 2001, visant à répondre à plusieurs enjeux :

  • Rapprocher les citoyens européens du projet communautaire.
  • Structurer un espace politique pour une Union élargie.
  • Renforcer le rôle de l’Union Européenne comme acteur stabilisateur sur la scène internationale.

L’usage du mot « Constitution » a posé problème :

  • Il a laissé supposer une transformation de l’Union en un État fédéral, ce qui n’était pas politiquement accepté.
  • Il a contribué à une confusion conceptuelle, affaiblissant la perception du caractère suprême qu’une Constitution doit avoir dans un État souverain.

Le projet de Constitution européenne, adopté en 2004, visait à simplifier les traités et à renforcer la légitimité démocratique de l’Union. Cependant, il n’a pas été ratifié, en raison des rejets par référendum en France et aux Pays-Bas en 2005.

Le texte a été remplacé par le traité de Lisbonne (2007), qui a intégré certaines réformes prévues dans le projet constitutionnel, notamment :

  • La création d’un président du Conseil européen élu pour 2 ans et demi.
  • Le renforcement des pouvoirs du Parlement européen.
  • L’introduction d’une initiative citoyenne européenne, permettant aux citoyens de proposer des législations.

D) L’Union Européenne : une entité sui generis

L’Union Européenne ne correspond pas aux critères traditionnels d’un État. Bien qu’elle possède :

  • Un territoire : celui des 27 États membres.
  • Une population : les citoyens européens.

Elle manque d’une souveraineté propre et d’un véritable gouvernement indépendant. Les institutions européennes (Commission européenne, Conseil de l’Union Européenne, Parlement européen) exercent des pouvoirs délégués par les États membres, mais ces derniers conservent la maîtrise ultime de leur souveraineté.

Conclusion : Une union unique et évolutive. L’UE reste un modèle inédit, oscillant entre une organisation internationale et une fédération inachevée. Sa nature hybride lui permet d’innover tout en s’adaptant aux réalités politiques des États membres. À défaut d’une Constitution, elle fonctionne sur la base de traités, ajustés pour répondre aux défis contemporains, comme en témoigne le traité de Lisbonne (2007). L’Union Européenne combine des éléments de fédéralisme (superposition, autonomie, participation) avec des caractéristiques d’organisation intergouvernementale. 

 

C) Les éléments constitutifs de l’État

L’État repose sur 3 éléments constitutifs indispensables : une population, un territoire et un gouvernement. En l’absence de l’un de ces trois éléments, on ne peut juridiquement parler d’État. Cependant, ces notions, bien qu’apparemment simples, recouvrent des réalités complexes et parfois mouvantes.

a) La population

La population d’un État est composée des individus qui y vivent et qui sont liés à celui-ci par un lien juridique : la nationalité. Ce lien confère des droits et des devoirs spécifiques entre l’individu et l’État. Chaque État détermine souverainement les critères qui définissent qui peut être considéré comme national ou non. Deux systèmes principaux existent pour attribuer la nationalité dès la naissance :

  • Le droit du sol : la nationalité est attribuée à tout individu né sur le territoire de l’État, indépendamment de la nationalité de ses parents.
  • Le droit du sang : la nationalité est accordée à tout enfant dont au moins un parent est lui-même national de l’État, quel que soit le lieu de naissance.

Les problématiques liées à la nationalité

Ces deux systèmes, bien que simples en apparence, peuvent donner lieu à des problèmes juridiques et humains complexes :

  • L’exclusion des enfants d’immigrés : dans un État appliquant strictement le droit du sang, un enfant d’immigrés peut grandir et s’intégrer dans le pays sans obtenir automatiquement la nationalité. Cela peut entraîner une marginalisation juridique et sociale.
  • La double nationalité : certains individus peuvent obtenir plusieurs nationalités, ce qui, bien que souvent perçu comme un avantage, peut créer des conflits, notamment en cas de double service militaire obligatoire ou d’incompatibilité des lois nationales.
  • L’apatridie : le problème le plus grave demeure l’absence de nationalité. Une personne peut se retrouver apatride en raison de lacunes dans les systèmes juridiques (naissance dans des contextes non couverts par les lois en vigueur), de la disparition d’un État (comme dans le cas de certains États après des changements géopolitiques majeurs) ou encore de la déchéance de nationalité imposée à titre de sanction. Ce dernier cas soulève des interrogations sur les droits humains et la conformité avec le droit international.

Face à la montée en flèche du nombre d’apatrides après la Seconde Guerre mondiale, la Convention de 1954 relative au statut des apatrides a été adoptée. Elle oblige les États signataires à garantir aux apatrides des droits fondamentaux et, dans la mesure du possible, à leur fournir une nationalité ou des documents d’identité officiels.

L’acquisition de la nationalité par naturalisation

Outre la nationalité obtenue à la naissance, une personne peut devenir citoyen d’un État par naturalisation. Ce processus permet à un individu de demander la nationalité d’un pays, généralement en justifiant d’un certain attachement à celui-ci. Les critères varient selon les États, mais ils incluent souvent :

  • Une résidence prolongée sur le territoire ;
  • Une intégration culturelle ou sociale, comme la maîtrise de la langue nationale ;
  • Une participation à des activités nationales importantes (par exemple, un service militaire ou des investissements significatifs).

Chaque État conserve la liberté d’établir ses propres conditions de naturalisation, ce qui reflète sa souveraineté.

Le pouvoir de réguler les étrangers

En plus de définir qui est national, chaque État dispose du pouvoir de réglementer l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire. Ce contrôle découle directement de la souveraineté étatique. Cependant, une fois sur le territoire, la question des droits accordés aux étrangers (comme le droit au travail ou à la protection sociale) demeure un enjeu important. Les choix faits en la matière varient largement selon les traditions juridiques et politiques des États.



b) Le territoire

Un État ne peut exister sans un territoire, qui constitue son assise géographique. Toutefois, des nuances comme la taille ou la continuité de ce territoire ne sont pas déterminantes dans la reconnaissance d’un État. Avec le temps, la notion de territoire s’est étendue bien au-delà des simples terres émergées pour inclure les espaces maritimes, aériens et même certaines zones particulières encore non attribuées.

Les territoires maritimes

Pour les États côtiers, le territoire comprend non seulement la terre, mais également une extension maritime définie par des règles de droit international. Cette extension a évolué en réponse à des impératifs de sécurité, d’économie et de gestion des ressources.

  • Les eaux intérieures et la mer territoriale
    • Les eaux intérieures incluent les zones maritimes situées à l’intérieur d’une ligne de base, tracée entre les points saillants de la côte (caps, baies). Ces eaux sont juridiquement assimilées au territoire terrestre, mais elles sont soumises à certaines règles du droit maritime. Par exemple, un État ne peut refuser l’accès à un port à un navire en détresse.
    • La mer territoriale, initialement définie à 3 milles nautiques (environ 5,6 km) en raison de la portée des canons, s’étend aujourd’hui jusqu’à 12 milles nautiques à partir de la ligne de base. Cette zone relève de la souveraineté de l’État, bien que certains droits internationaux y demeurent, comme le passage innocent, qui permet à des navires étrangers de traverser la mer territoriale tant qu’ils ne menacent pas la sécurité ou l’ordre public.
  • Les zones économiques exclusives (ZEE) : Au-delà de la mer territoriale, des impératifs économiques ont conduit à la création de zones économiques exclusives (ZEE). Ces zones, fixées à une distance maximale de 200 milles nautiques (environ 370 km), permettent à l’État de contrôler l’exploitation des ressources maritimes (pêche, forages pétroliers ou gaziers, etc.). Cette pratique a été légitimée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer adoptée à Montego Bay en 1982.
    • Par exemple, grâce à ses territoires d’outre-mer, la France bénéficie de l’une des plus grandes ZEE au monde, incluant des zones étendues autour d’îles telles que Clipperton, conférant à ce petit territoire une importance stratégique en raison de sa vaste zone économique.
  • Les plateaux continentaux : Les États riverains d’un plateau continental (prolongement naturel sous-marin de leur territoire terrestre) peuvent également en revendiquer l’exploitation des ressources biologiques et minières. Ce principe, posé par le président américain Harry Truman en 1945, a été largement adopté par la suite, bien qu’il ait soulevé des controverses à ses débuts.
  • La haute mer : La haute mer, zone maritime au-delà des ZEE, reste un espace non approprié par les États. Elle est régie par le droit international, qui protège notamment contre la piraterie ou le trafic illicite. Cependant, aucune entité spécifique n’a la responsabilité directe de sa gestion.
  • Les grands fonds marins : Les fonds marins situés au-delà des juridictions nationales, également appelés « Zone », contiennent des ressources précieuses comme les nodules polymétalliques. Ces ressources sont considérées comme le patrimoine commun de l’humanité depuis une résolution de l’ONU en 1967, renforcée par la convention de Montego Bay. Leur exploitation est gérée par l’Autorité internationale des fonds marins, qui redistribue les bénéfices pour financer le développement des pays en voie de développement.

Les espaces aériens

La maîtrise de l’espace aérien au-dessus du territoire terrestre et maritime a été reconnue comme essentielle après la Première Guerre mondiale, avec l’essor de l’aviation. La convention de Paris de 1920 a établi le principe de souveraineté aérienne, autorisant les États à contrôler l’utilisation de l’espace au-dessus de leur territoire jusqu’à la stratosphère. Chaque État peut ainsi interdire le survol de certaines zones sensibles et organiser des couloirs aériens pour gérer le trafic aérien.

La convention de Chicago de 1944 a ensuite modernisé ces règles, en tenant compte de l’essor des transports aériens commerciaux et des vols internationaux. Elle reste le cadre juridique principal pour réguler les survols, les droits d’atterrissage et les obligations des États en matière de sécurité aérienne.

Les territoires non appropriés (terra nullius)

Bien que le monde soit largement partagé entre les États, certains territoires restent non appropriés, notamment :

  • La haute mer : comme mentionné, elle n’appartient à aucun État mais est soumise au droit international.
  • Les plaines abyssales : elles recèlent des ressources précieuses, mais leur exploitation reste limitée en raison des coûts élevés et des règles strictes établies par la Convention de Montego Bay.
  • L’Antarctique : ce continent glacé, potentiellement riche en hydrocarbures, fait l’objet de revendications territoriales gelées par le Traité sur l’Antarctique de 1959, qui consacre son usage à des fins pacifiques et scientifiques.
  • L’espace extra-atmosphérique : selon une convention de l’ONU, ni la Lune ni les autres corps célestes ne peuvent être revendiqués par un État. Cette disposition interdit également leur militarisation.

Conclusion :Le territoire est un élément essentiel de l’État, et sa définition a évolué pour intégrer des espaces maritimes, aériens et même des zones d’exploitation partagée. Ces extensions répondent à des impératifs de souveraineté, de sécurité et de gestion des ressources, tout en étant encadrées par des conventions internationales. Les rares espaces encore sans maître, tels que les fonds marins ou l’Antarctique, témoignent de la volonté de la communauté internationale de préserver certains territoires comme patrimoine commun de l’humanité.



c) Le gouvernement

Un gouvernement est essentiel pour qu’un État puisse exister en tant qu’entité politique et juridique. Il représente l’organe chargé d’administrer et de diriger la population sur un territoire donné. Peu importe la forme que prend ce gouvernement — qu’il soit démocratique, autoritaire ou autre —, l’essentiel est qu’il exerce une autorité reconnue et qu’il puisse agir en tant qu’interlocuteur international.

Les fonctions du gouvernement : Le gouvernement est responsable de plusieurs fonctions clés :

  • La gestion interne : il établit les lois, gère les institutions publiques et administre les services essentiels pour le fonctionnement de la société.
  • La représentation extérieure : il agit comme le représentant officiel de l’État auprès des autres entités internationales, qu’il s’agisse d’autres États ou d’organisations supranationales comme l’ONU ou l’OMC.

Les situations exceptionnelles : Dans certains cas, un gouvernement peut exister sans que l’ensemble des éléments constitutifs de l’État soit réuni. Par exemple, en Palestine, on trouve une population et un gouvernement (l’Autorité palestinienne), mais le territoire reste disputé et n’est pas pleinement défini ni reconnu comme appartenant à un État souverain. Cela illustre la complexité de la notion d’État dans un contexte international, où les critères théoriques peuvent entrer en conflit avec la réalité géopolitique.

Une interaction nécessaire entre les trois éléments

L’État, tel qu’il est défini en droit international, ne peut exister sans la combinaison des trois éléments constitutifs que sont la population, le territoire et le gouvernement. Cependant, ces notions évoluent constamment, et leur mise en œuvre dépend largement des contextes historiques, politiques et juridiques. L’interaction entre ces trois facteurs est au cœur des débats sur la définition et la reconnaissance des États dans le monde contemporain.

 

D) Les caractères de l’État

L’État est traditionnellement défini comme une personne morale souveraine, une notion qui repose sur deux piliers fondamentaux : la personnalité morale et la souveraineté. Ces concepts, bien qu’ancrés dans la tradition juridique, ont évolué au fil du temps, notamment à travers les développements internationaux et les défis contemporains.


a) La personne morale
En droit, une personne morale désigne une entité juridique autonome, distincte des personnes physiques qui la composent. Cette entité dispose de droits et d’obligations propres, lui permettant d’agir de manière indépendante. Parmi les exemples de personnes morales, on trouve les associations, les entreprises, les organisations non gouvernementales (ONG) ou encore les institutions étatiques.

Les avantages de la personnalité morale

La personnalité morale confère une continuité juridique à l’entité, indépendamment des membres qui la composent. Ainsi, le décès ou le départ d’un dirigeant n’affecte pas l’existence de l’entité. De plus, la séparation entre la personne morale et ses membres protège ces derniers sur le plan financier : par exemple, les actionnaires d’une société commerciale ne sont pas personnellement responsables des dettes de l’entreprise au-delà de leurs apports.

Les critiques et évolutions historiques

Cette autonomie juridique a longtemps suscité des critiques, notamment de la part des positivistes, qui considèrent la notion de personne morale comme une construction abstraite. Pendant des décennies, la séparation entre la personne morale et ses dirigeants a permis d’éviter toute responsabilité individuelle, y compris dans des contextes où des actes graves étaient commis. Ce paradigme a changé après la Seconde Guerre mondiale, avec le procès de Nuremberg (1945-1946), où les dirigeants nazis furent tenus responsables des crimes du Reich malgré l’existence de l’ »écran » juridique de l’État.

Des avancées supplémentaires ont été réalisées dans les années 1990 avec les tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ces juridictions ont marqué une étape clé en établissant que les dirigeants d’un État ou d’une organisation peuvent être personnellement responsables de crimes graves.

La Cour pénale internationale (CPI)

Créée en 1998 par le Statut de Rome (entrée en vigueur en 2002), la Cour pénale internationale constitue une avancée majeure dans la justice pénale internationale. Elle est compétente pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. Toutefois, son efficacité reste limitée par le refus de certains États d’y adhérer, comme les États-Unis, la Chine ou la Russie. Cette réticence illustre les tensions persistantes entre la souveraineté des États et la quête d’une justice universelle.


b) La souveraineté 

La souveraineté, initialement conçue comme un attribut des monarques, s’est progressivement transférée aux personnes morales que sont les États. Elle constitue aujourd’hui le fondement de l’autorité étatique et de son indépendance sur la scène internationale.

La souveraineté interne

Sur le plan interne, la souveraineté signifie que l’État dispose du pouvoir de légiférer et de gouverner sur son territoire sans être subordonné à une autre autorité. Contrairement aux autres personnes morales, comme les associations ou les entreprises, l’État ne tire pas son existence d’une autorisation extérieure : il est auto-institué. Par exemple, les associations en France doivent se conformer à la loi de 1901 et sont soumises à certaines restrictions, tandis que l’État est libre de définir son propre cadre juridique, sous réserve de respecter ses engagements internationaux.

La souveraineté externe

Sur le plan international, la souveraineté implique que les États sont égaux en droit et qu’aucun État ne peut être contraint sans son consentement. Cela explique pourquoi les traités internationaux ne s’appliquent qu’aux États qui les ratifient. Cependant, cette conception traditionnelle est mise à l’épreuve par des enjeux globaux nécessitant une coopération internationale, comme le changement climatique, la lutte contre le terrorisme ou les pandémies.

Les limites de la souveraineté absolue

Bien que théoriquement souverain, un État n’exerce jamais une souveraineté absolue en raison de la multiplicité des acteurs sur la scène internationale. La création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1945 illustre une tentative d’organiser cette coexistence. Sa Charte, notamment le chapitre VII, confère au Conseil de sécurité le pouvoir d’autoriser l’usage de la force pour maintenir la paix et la sécurité internationales.

Un exemple marquant fut la première guerre du Golfe (1990-1991), où l’intervention militaire contre l’Irak, après son invasion du Koweït, fut autorisée par une résolution de l’ONU. À l’inverse, la seconde guerre du Golfe (2003), déclenchée par les États-Unis sans aval de l’ONU, a démontré les limites de ce système. Aucune sanction significative n’a été imposée aux États-Unis, soulignant l’absence d’une autorité supranationale contraignante.

Les défis contemporains de la souveraineté et de la personnalité morale

L’évolution des relations internationales et les crises globales remettent en question les notions traditionnelles de souveraineté et de personnalité morale. Par exemple, l’émergence de multinationales puissantes ou d’acteurs non étatiques (comme les groupes terroristes ou les ONG) modifie l’équilibre des pouvoirs. De plus, des initiatives comme l’Accord de Paris sur le climat (2015) montrent que les États doivent souvent coopérer pour relever des défis communs, ce qui implique des limitations volontaires à leur souveraineté.

 

 

Isa Germain

Recent Posts

A propos / qui sommes nous?

Qui sommes nous? Cours-de-Droit.net Créés en 2009 par des étudiants regrettant l'absence de cours gratuits…

4 semaines ago

Les mesures de police administrative

Les actions des autorités de police administrative La police administrative peut se définir comme étant…

2 mois ago

La légalité des mesures de police administrative

La légalité des mesures de police administrative L’exercice du pouvoir de police est strictement encadré…

2 mois ago

Les autorités de police administrative

Les autorités administratives compétentes en matière de police administrative Les autorités administratives compétentes en matière…

2 mois ago

Police administrative générale et police spéciales

La police administrative générale et les polices administratives spéciales Il convient de différencier, au sein…

2 mois ago

La protection de l’ordre public [police administrative]

La protection de l’ordre public, une des finalité des mesures de police administrative L'ordre public…

2 mois ago