La Justice d’Eglise au Moyen-âge

Les réactions face à l’injustice féodale : l’exemple donné par la justice d’Eglise

Au cours du XIIème siècle, le droit pénal se renouvèle notamment grâce à la renaissance du droit romain mais pas seulement car plusieurs phénomènes se produisent, qui sont pour l’essentiel des réactions face à l’injustice féodale ou seigneuriale. Ainsi, on constate que l’Eglise construit une justice plus rationnelle, une justice orientée vers la pacification de la société comme l’ensemble des institutions chrétiennes telles que la chevalerie, la paix de Dieu etc. La justice d’Eglise est plus rationnelle. Se produit un autre phénomène à savoir le phénomène urbain qui va permettre d’attribuer des garanties judiciaires aux bourgeois, quelle que soit l’organisation de la ville ou le statut de chaque ville. Enfin, un troisième phénomène se produit à savoir la restauration d’une véritable justice pénale publique par la monarchie.   L’Eglise exerce plusieurs justices et sa justice spirituelle englobe ce que l’on appelle le for interne et le for externe. Le for interne a pour matière le péché qui conduit le chrétien devant un prêtre pour recevoir le sacrement de pénitence. La juridiction for externe suscite quant à elle des difficultés de délimitation de compétences avec les justices laïques, séculières car il existe des matières mixtes ou des questions mixtes revendiquées par les deux justices. En cas de conflit de compétence, les parties optent le plus souvent pour la justice d’Eglise car à l’époque, elle bénéficie d’une grande autorité. Elle possède un droit écrit, complet et sûr. Les juges d’Eglise sont mieux formés, les juridictions d’Eglise sont bien organisées, l’appel hiérarchique est possible, la procédure est rationnelle et les sanctions sont plus « correctionnelles » que les peines laïques. En principe, le juge ordinaire est l’évêque mais en pratique, il recourt à un auxiliaire spécialisé que l’on appelle l’official.

A) La compétence des cours d’Eglise

Cette compétence est soit exclusive soit concurrente avec les juridictions séculières. Lorsqu’elle est exclusive, seule la cour d’Eglise (l’officialité) peut être saisie. Lorsqu’elle est concurrente, les deux types de juridiction peuvent être saisis. Mais les tribunaux d’Eglise sont compétents au regard de deux critères : soit au regard de la qualité de la personne poursuivie, soit au regard de l’objet du procès.
  • La compétence ratione personae
Les Cours d’Eglise ont donc une compétence : Concurrente pour les procès qui concernent ce que l’on appelle les miserabiles personae (ce sont les veuves, les orphelins, les pauvres, les croisés et pour les écoliers). Exclusive pour les clercs, ils sont titulaires du privilège du for. Un clerc poursuivi par un juge laïc peut demander à être rendu à son évêque. Si ce juge refuse de le rendre, l’évêque interviendra directement. En cas de doute sur le statut clérical, seul le juge d’Eglise est compétent. Ce privilège ne vaut que pour le clerc défendeur et le clerc ne peut y renoncer car c’est un moyen d’assurer la discipline au sein de l’Eglise.
  • La compétence ratione materiae
En matière criminelle, c’est une compétence : Exclusive pour les crimes contre la foi tels que l’hérésie, la sorcellerie, la simonie, les crimes commis dans les lieux sacrés (église ou cimetière) ou encore les infractions à la trêve de Dieu. Concurrente pour les autres affaires criminelles qui touchent à la religion comme le sacrilège, le blasphème, l’adultère ou encore l’usure. Il existe des cas de collaboration entre les deux justices. L’Eglise en appelle à la justice séculière parce qu’elle ne peut pas prononcer de peine de sang. De son côté, le juge laïc ne peut faire arrêter certaines personnes réfugiées dans des lieux d’asile (Eglises, cimetières, monastères et même les universités). Pour les délinquants en fuite, il demandait au juge d’église une excommunication.
  • Les limites royales
La royauté a tenté de limiter l’influence des Cours d’Eglise : – Dans une ordonnance de 1204, elle a donné aux veuves de recourir au Roi. – En 1215, elle a suspendu de manière provisoire le privilège des croisés en matière criminelle. – Elle a donné la possibilité aux juges laïcs d’arrêter et de juger un clerc pris en flagrant délit. En parallèle, la royauté a empêché le développement de la justice d’Eglise en matière féodale et en matière contractuelle.  

B) Le procès des cours d’église

  • 1) La procédure accusatoire initiale
Elle s’inspire de la procédure ordinaire romaine ou de la procédure germanique. On la qualifie à l’époque de procédure romano-canonique.
  • L’introduction du procès
Selon le droit commun, un accusateur est nécessaire. Il doit apporter la preuve du crime et s’expose à la rétorsion de la peine. Mais il existe quelques cas où un accusateur n’est pas nécessaire, exigé : Le premier est bien évidemment en cas de flagrant délit, lorsque le crime est notoire ou manifeste c’est-à-dire que le peuple le tient pour certain. Dans ce cas, le juge peut se saisir d’office sans avoir à faire la preuve du crime évident. Puis, aucun accusateur n’est nécessaire en cas de dénonciation dont il existe plusieurs variantes : il existe une dénonciation évangélique qui ne relève pas du droit pénal, c’est celle que fait un chrétien à la communauté religieuse d’une faute grave commise par l’un de ses membres et qui refuse de se repentir. C’est donc un acte de charité car l’objectif est de lui imposer une pénitence et permettre donc son amendement et lui permettre d’accéder à son salut ; Il existe également une dénonciation judiciaire qui est destinée à infliger une peine au coupable. Elle peut être publique c’est-à-dire faite par un dignitaire religieux, ce qui oblige le juge d’Eglise à poursuivre ; elle peut aussi être privée faite par un particulier dont les intérêts ont été lésés par un délit privée (vol, injures verbales). Le juge conserve la liberté de pouvoir engager ou non des poursuites.
  • Le déroulement du procès
Lorsque le juge est saisi par un particulier, une victime ou sa famille, au moyen d’un libellé écrit, il garde un rôle passif c’est-à-dire qu’il cite les parties devant son tribunal et les invite à administrer leurs preuves. Les preuves reçues sont l’aveu, le serment, le témoignage et l’écrit.
  • L’issue du procès
Les peines qui peuvent être prononcées tendent au repentir du pêcheur. Elles sont là pour le corriger, l’amender, le racheter. Cependant, si le condamné refuse de faire pénitence publique, il est excommunié c’est-à-dire rejeté de la communauté chrétienne. Cette excommunication n’est pas une peine en soi, c’est un moyen de pression. L’excommunié a un délai d’un an pour se faire absoudre, sinon il subit ce que l’on appelle « l’aggrave » qui consiste en différentes incapacités (impossibilité de témoigner en justice etc) et aussi la possibilité pour le juge de saisir ses biens. Si l’excommunié s’entête, il subira « la réaggrave » c’est-à-dire qu’il va être privé de tous ses droits civils et canoniques. En pratique, les pénitences sont tombées en désuétude et l’excommunication a perdu de son efficacité. Les juges d’Eglise ont donc préféré infliger des amendes, prononcer des pèlerinages voire condamner parfois à l’emprisonnement mais sans jamais prononcer de peine de sang.
  • 2) La procédure inquisitoire nouvelle
C’est une enquête menée par le juge, contradictoirement avec le suspect, au terme de laquelle il va rendre une sentence. Cette procédure a été mise en place par le pape Innocent III pour pouvoir réprimer plus efficacement les délits commis par les clercs. Cette procédure a progressivement pris forme à travers différentes décrétales entre 1198 et 1213. Elle est consacrée par un texte du Concile de Latran de 1215. Cette procédure est venue s’ajouter aux anciennes formes procédurales.
  • Le déclenchement des poursuites
Le juge peut se saisir d’office et faire arrêter un suspect sans accusateur ni dénonciateur en cas de diffamatio c’est-à-dire lorsque l’opinion publique attribue un crime grave à une personne déterminée. Un crime grave est constitué par la simonie, l’adultère, le concubinage notoire un prêtre, l’inceste, le parjure ou encore l’hérésie. Un juge doit mener une enquête préparatoire lorsqu’un crime est certain mais qu’aucun accusateur ne se présente, par exemple lorsqu’on découvre le cadavre d’un homicidé dans un lieu sain sans aucun indice quant à son meurtrier. Les éléments découverts lors de cette enquête doivent permettre d’ouvrir une nouvelle enquête (inquisitio specialis) contre un individu déterminé. A ce moment-là, le juge invite d’éventuels accusateurs à se manifester pour administrer la preuve. A défaut d’accusateur, le juge pourra proposer au suspect de se disculper en prêtant serment (purgation canonique) qu’il est innocent ou bien il peut procéder à l’instruction.
  • L’instruction de la sentence
Le suspect est cité à comparaitre et au besoin incarcéré après avoir été informé des délits qui lui sont reprochés. Les témoins à charge vont déposer en sa présence. Il produit également ses témoins et ses éventuels « faits justificatifs ». Le juge va lui-même susciter des témoignages, ordonner des expertises et des transports sur les lieux. Au terme de cette instruction, si le juge n’est pas convaincu de la culpabilité du suspect, sa sentence absout le suspect. Mais en cas de condamnation, le coupable ne doit pas subir la peine prévue par les textes qui sont prévues pour la procédure accusatoire, mais une peine plus douce qui sera arbitrée par le juge en fonction des circonstances. Cette peine modérée est en fait considérée comme médicinale. Il n’y a que pour les cas de simonie et d’homicide que les juges ne doivent faire preuve d’aucune mansuétude.  
  • 3) L’inquisition
    • Le principe de l’inquisition
Du 13ème au 15ème siècle, les papes ont utilisés la procédure inquisitoire pour lutter contre un phénomène d’ampleur à savoir l’hérésie albigeoise ou l’hérésie des Cathares. Le terme d’inquisition a alors servi à désigner les juridictions spécialement chargées de protéger la foi chrétienne. Cette dénomination d’inquisition a servi encore deux fois : → La première fois en Espagne avec l’inquisition espagnole créée par les rois catholiques en 1478 pour poursuivre les juifs et les musulmans relaps (récidivistes c’est-à-dire retombés dans l’Islam ou le judaïsme après s’être officiellement convertis). La Reconquista qui s’est achevée avec l’expulsion des juifs et musulmans d’Espagne en 1492. Mais, en réalité l’inquisition a véritablement disparu en 1820. → La deuxième fois, pour le protestantisme a été établi la suprême congrégation de l’inquisition établie en 1542 pour lutter contre le protestantisme.
  • Les droits du suspect
Ces droits du suspect ont été progressivement réduits par rapport à la procédure inquisitoire classique. Ainsi, le suspect au cours du procès ignore le nom des témoins à charge. Peuvent témoigner contre lui-même des personnes excommuniées (rejetées de la communauté religieuse). Il n’a pas d’avocat et peut être soumis à la question (la torture) à cause de la gravité du péril que constitue l’hérésie. Dans un premier temps, ce sont des laïques qui ont « donné la question » sur demande des inquisiteurs puis ce sont les inquisiteurs eux-mêmes qui tortureront. En principe, la torture n’intervient qu’à titre subsidiaire et il doit exister des indices graves contre le suspect ou il doit avoir vacillé dans ses réponses. L’aveu extorqué doit être ensuite réitéré, une fois le suspect retiré du tourment. Comme en droit romain, cette torture ne devait pas mettre la vie du patient en danger ou risquer de lui porter une atteinte définitive physiquement.
  • Le déroulement du procès
Le tribunal d’inquisition était composé par un juge inquisiteur assisté d’un jury de 25 à 51 personnes. La procédure commence par ce que l’on appelle un temps de grâce c’est-à-dire à peu près un mois au cours duquel l’inquisiteur assisté de son jury fait une tournée en tenant des assises dans chaque communauté au cours desquelles il prêche contre l’hérésie. Les hérétiques sont invités à venir se repentir pour obtenir leur pardon. Au terme de ce temps de grâce, les poursuites débutent car les chrétiens sont invités à dénoncer les hérétiques. Tous ceux qui sont dénoncés par les chrétiens ou la rumeur, sont cités à comparaitre devant le tribunal qui cherche à obtenir leur aveu. En cas de déni, le juge peut utiliser des moyens de pression, la vexatio (prison, le jeûne forcé voire la question). Une fois cette instruction achevée, une sentence sera prononcée au cours d’une véritable cérémonie officielle que l’on appelle « l’acte de foi », à laquelle tous les fidèles sont tenus d’assister. Les hérétiques portent des robes d’infamie rouges et jaunes. Les absolutions étaient nombreuses et les peines qui étaient prononcées étaient en général très légères. Ils étaient condamnés à des prières, des pèlerinages, parfois des amendes ou encore le port de vêtement d’infamie. Pour les cas les plus graves étaient prévues des peines de prison, que l’on appelle la peine du mur dont il existe trois variantes : – Le murus largus : C’est un emprisonnement en commun dont le condamné est parfois dispensé la journée pour aller travailler. – Le murus strictus : L’emprisonnement cellulaire classique. – Le murus Stricticimus : C’était la réclusion dans l’obscurité et entravée par les fers. Sont aussi prononcées des flagellations à titre accessoire. La peine de mort quant à elle, est plutôt rare voire exceptionnelle. Seuls les hérétiques relaps risquent la peine du bûcher. Les relaps sont ceux qui sont retombés dans l’hérésie après l’avoir abjuré (les récidivistes). Les corps des hérétiques morts dans l’hérésie pouvaient être exhumés et jetés sur la voirie. Cette sentence était irrévocable car l’appel au pape n’était possible qu’avant la fin du procès.        

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