L’évolution du droit de la responsabilité
1) Au moment de la codification
Code Civil, article 1382: tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
C’est le sacro-saint principe du droit civil! Qui casse les verres les répare! Cette article mit une partie de la doctrine dans un état de béatitude alors que finalement, le principe est très simple. On observe également que les notions de faute, de cause, de dommage ne sont pas définies, ce qui laissera finalement à la jurisprudence une grande latitude.
L’article 1383 du Code Civil élargit la notion de faute aux fautes d’imprudence, de négligence. On considère que cet article concerne cette fois les quasi-délits alors que l’article 1382 concerne les délits.
Code Civil, article 1383: chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son propre fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
A côté de ce régime général de responsabilité pour faute, dans lequel la faute doit être prouvée, le législateur avait posé des présomptions de faute. Ce sont les cas posés par les articles 1384, 1385, 1386.
- Droit de la responsabilité civile
- L’évolution du droit de la responsabilité civile (histoire)
- La responsabilité du fait des choses : naissance et domaine
- La présomption de responsabilité du fait des choses
- La notion de garde de la chose
- La responsabilité des commettants : conditions et effets
- La responsabilité parentale
Code Civil, article 1384:
- al 1. on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses dont on a la garde.
- al 2. toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens immobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis à vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.
- al 3. cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du Code Civil.
- al 4. le père et la mère, en tant qu’ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
- al 5. les maitres et commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
- al 6. les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.
- al 7. la responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les pères et mères et les artisans ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le faut qui donne lieu à cette responsabilité.
- al 8. en ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences, ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance.
Code Civil, article 1385:
le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fut sous sa garde, soit qu’il fut égaré.
Code Civil, article 1386:
le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction.
1.2 Depuis la codification
1.2.1 La notion de faute objective
Une faute objective est une faute sans élément moral, i.e. constituée uniquement d’un élément matériel.
On considère généralement qu’une faute est composée de deux éléments: un élément moral (la conscience du caractère répréhensible de l’acte) et un élément matériel (la faute dans sa réalité). L’émergence de cette notion de faute objective correspond à un courant appelé la victimisation, i.e. la prise en compte de la victime, prise en compte qui frôle parfois l’obsession : on raisonne de la façon suivante (et qui me semble pour ma part tout à fait erronée) : est-il juste de laisser une victime sans réparer son dommage ? Question idiote, réponse idiote… S’il n’est pas acceptable d’engager la responsabilité d’une personne démente, on a considéré qu’il était encore plus anormal de ne pas indemniser la victime: résultat, un dément peut être poursuivi. On peut reprendre une remarque de la doctrine: si un dément tue une personne avec une arme, le fait qu’il soit dément fait qu’il n’a pas le contrôle de ses actes, mais pour autant, la personne qui a le contrôle de son revolver c’est bien le dément! S’il n’a pas le contrôle de ses actes, il a le contrôle du revolver.
1.2.2 L’élargissement des régimes de responsabilité
Comme nous l’avons vu, au moment de la codification, on ne connaissait que des régimes de responsabilité pour faute, que la faute soit à prouver ou présumée.
Néanmoins, et comme souvent en matière de responsabilité, les circonstances sociales vont pousser la jurisprudence à adopter un nouveau régime de responsabilité(cf. l’évolution actuelle de la responsabilité des médecins et de leur obligation d’information). Nous sommes à la fin des années 1800, les accidents du travail se multiplient et il est souvent difficile de rapporter la faute de l’employeur soit pour des raisons de preuve (comment rapporter un témoignage, les expertises sont beaucoup moins performantes…) soit tout simplement parce que l’employeur n’a pas commis de faute (la chose avait un vice interne indécelable). Or, cette situation est très difficile pour la victime: sans travail, elle n’a plus d’argent, elle est exclue… C’est pourquoi, deux auteurs vont proposer une réflexion: Saleilles et Josserand proposent de considérer l’article 1384 al 1 comme une entité autonome et non plus comme un prologue aux alinéas suivants. Il faut dire que cet article étant rédigé en termes généraux, on obtient un résultat saisissant:
Code Civil, article 1384:
- al 1. on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses dont on a la garde.
Saleilles et Josserand vont ainsi fonder le principe de responsabilité du fait des choses: « on est responsable du dommage causé par les choses dont on a la garde ». C’est justement le régime de responsabilité que l’on recherchait. Il n’y avait donc plus besoin de faute pour engager la responsabilité, uniquement un fait de la chose. Pour nos deux auteurs, ce régime de responsabilité s’imposait: l’employeur fait courir un risque à ses employés mais il en tire corrélativement un profit; il était normal que l’employeur voit sa responsabilité engagée. C’est ce que l’on appela la théorie du risque-profit.
L’idée de Saleilles et Josserand fut totalement critiquée par la doctrine qui trouvait dans cette idée quelque chose d’immoral: vous êtes responsables sans le savoir!! A l’insu de votre plein gré!!!( ;->>>>>) Pour autant, la jurisprudence se rallia à la position de Saleilles et Josserand dans un fameux arrêt du 16/06/1896, Teffain. L’une des questions essentielle soulevée dans cet arrêt était de savoir comment on pourrait s’exonérer, autrement dit s’agissait-il d’un régime de responsabilité pour faute présumée ou d’un régime de responsabilité sans faute pur et dur, i.e. dont le seul moyen d’exonération est la cause étrangère. La jurisprudence opta pour la deuxième solution, la plus favorable aux victimes.
Un régime de responsabilité objective (ou de plein droit ou encore sans faute ou encore présomption de responsabilité) est un régime de responsabilité dans lequel on ne peut s’exonérer que par la cause étrangère. La faute n’est pas à être prouvée.
Après la naissance de ce premier système de responsabilité objective, on a vu le domaine du droit commun (responsabilité pour faute) se réduire: un régime de responsabilité de plein droit du fait des personnes dont on doit répondre semble se dessiner, au surplus, la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés s’est transformée en responsabilité objective comme celle des parents du fait de leurs enfants.
Enfin, on recourt parfois au domaine contractuel pour permettre d’indemniser le mieux possible. On serait donc tenté de dire qu’aujourd’hui, la tendance est à la victimisation, i.e. à la prise en compte croissante de la victime et à la recherche (peut-être excessive) de l’indemnisation (Cf. loi de 1985 sur les accidents de la circulation).
Le législateur a également crée des régimes spéciaux de responsabilité qui excluent parfois le droit commun, parfois non.
1.2.3 L’élargissement de la notion de préjudice réparable
Au départ, la jurisprudence ne connaissait que les préjudices matériels. En effet, peut-on donner un prix aux larmes? Il faut ajouter à cela que l’objectif des dommages-intérêts n’est pas de sanctionner mais de réparer, donc l’idée selon laquelle peu importe que les larmes puissent être chiffrées mais de toute façon il faut faire payer pour sanctionner n’est donc pas recevable.
Aujourd’hui, les chefs de préjudice admis sont très larges et très différents: on connaît le préjudice d’affection, le préjudice d’agrément, le préjudice sexuel… la notion de préjudice moral sera indemnisé pour la première fois dans un arrêt Cheval d’Unes de 1962. Les préjudices des victimes par ricochet ont également évolué.
Toutefois, si le tribunaux acceptent largement le principe de cette différenciation des préjudices, leur réparation est souvent symbolique ou modeste.