La hiérarchie des normes

La hiérarchie des normes en droit administratif

« Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Par cette phrase, Montesquieu énonce la nécessité de délimiter les normes qui régissent la société, afin d’éviter toutes contradictions entre celles-ci.

Un État de droit implique nécessairement la soumission de l’action administrative au respect des règles de droit supérieures, y compris celle des plus hautes autorités publiques et donc les autorités de l’exécutif : soumission sanctionnée par des recours censurant d’éventuelles violation. Popularisé par Hans Kelsen au milieu du vingtième siècle, qui mit au point une représentation pyramidale du droit, la hiérarchie des normes apparaît véritablement en France avec la constitution de 1958, qui rend effective la supériorité de la constitution.

Paragraphe 1 => le fondement du principe : l’idée de hiérarchie des normes

Kelsen, dans sa Théorie pure du droit, pose la théorie selon laquelle chaque échelon normatif est subordonné aux règles qui sont placées à des échelons supérieurs : «pyramide des normes«

A/ L’idée de hiérarchie des normes

La hiérarchisation des normes, instaurée en partie lors de la constitution de 1958 fixe la place et la valeur des lois, règles ou principes les uns par rapport aux autres. La hiérarchie des normes est l’organisation de l’ensemble des normes où chaque règle de droit, mis à part la norme suprême, se subordonne à une autre. Ainsi, les normes apparaissent comme une limite, un cadre pour les normes qui leurs sont inférieurs. Seul le bloc constitutionnel, situé en haut de la hiérarchie, n’a pas cadre mis à part lui même. On peut également préciser que la hiérarchie des normes et en rapport avec la loi au sens formel, car elle provient du pouvoir législatif de l’état investi par la constitution.

– cette idée de hiérarchie des normes a envahi le vocabulaire juridique actuel y compris au sein des juridictions qui y font directement référence (avant, référence au principe de légalité) : CE 1999, Meyet emploie l’expression «d’exigences inhérentes à la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique interne»

– part du constat que l’action administrative s’insère dans un «corpus normatif» dont elle doit tenir compte dès lors que ces normes se situent à un niveau supérieur.

– même si on parle de principe de légalité (= loi), la soumission de l’Administration à la règle de droit ne se limite pas aux simples lois stricto sensu, mais concerne toutes les normes auxquelles elle doit obéir.

– la question est de savoir comment s’établit cette hiérarchie (position réciproque de chaque norme)

B/ La détermination de la hiérarchie des normes

  1. le critère organique

– des critères se combinent dont le principal est organique : la hiérarchie des normes reproduit la hiérarchie qui existe entre les divers auteurs : le législateur pouvant imposer à l’Administration, la loi est > à l’acte administratif ; le détenteur du pouvoir constituant étant le peuple (auquel se soumet le législateur), la Constitution est > à la loi

– d’autres critères peuvent compléter/interférer avec le critère organique

  1. Le critère formel

– permet d’établir une hiérarchie entre des actes pris par une même autorité et est basé sur la plus ou moins grande solennité de procédure d’édiction de l’acte : une décision en Conseil d’Etat est supérieur à un déc. simple

  1. Le critère matériel

– dans la même sphère de pn d’une norme (sphère administrative), le principe veut qu’un acte à caractère général s’impose aux mesures individuelles prises à sa suite

– le critère matériel peut parfois contrarier le critère organique : un acte général pris par une autorité inférieure peut s’imposer à une autorité > qui souhaiterait prendre une mesure individuelle

CE 1931, Commune de Clamart considère que l’acte général pris par la commune dans ses compétences posant les règles général de mise à la retraite de ses personnels s’impose au ministre souhaitant prendre un arrêté vs

  1. Le critère textuel

– le lien hiérarchique entre deux types de norme peut être déterminé par un texte : 55 de la Constitution pose la supériorité sur la loi d’un traité international ratifié, publié et appliqué réciproquement

Paragraphe 2 => les différentes normes s’imposant à l’action administrative

I – Les sources supra-législative

A/ La Constitution

– les lois votées doivent respecter la Constitution : la Constitution s’impose au législateur, et (a fortiori) à l’Administration notamment lorsqu’il n’y a pas de loi faisant écran

– toute norme Constitutionnelle est considérée norme de droit écrit, même si certaines n’ont de consistance que parce que le Conseil Constitutionnel leur en a donné (PFRLR)

  1. Le corps articulé de la Constitution

– certaines dispositions intéressent directement ou non l’action administrative : règles de compétence et de procédure dans l’édiction des textes réglementaire principaux (signature par le Président de la République ou Premier Ministre, contreseing, distinction 34/37 Constitution)

– des règles de fonds peuvent concerner l’action de l’Administration : 72 de la Constitution pose la libre action des collectivités territoriales

  1. Le Préambule de la Constitution

– même valeur juridique que le corps de la Constitution : DC 16 juillet 1971, liberté d’associon (CE reconnaissait déjà certains principes : CE 1960, S Eky pleine valeur juridique à 8 Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen)

– le préambule fait essentiellement référence à certains textes auxquels le peuple français. proclame son attachement : DDHC, Préambule 1946, Charte de l’environnement 2004

Préambule 46 : droits sociaux («principe particulièrement nécessaires à notre temps« ) et PFRLR (non listés mais déterminés par le Conseil Constitutionnel à partir de 1971)

– au sein de ce préambule, la jurisprudence dispose d’une grande marge de manoeuvre d’interprétation du contenu de ces principe, la plupart étant toutefois soit flous, soit anciens, soit parfois contradictoire (droit de propriété inviolable et sacré (DDHC) vs nationalisation d’entreprise. (Préambule 46))

  1. La compétence juridictionnelle pour interpréter les normes constitutionnelles

– la compétence de principe incombant au Conseil Constitutionnel (vérifie la compatibilité d’une loi avec les dispositions Constitutionnelles) n’est pas exclusive : la Constitution peut sévir de norme de référence au Juge Administratif dans le contrôle qu’il opère sur l’Administration

CE 1996, Koné (déc. d’extradition) dégage un PFRLR sur lequel le Conseil Constitutionnel ne s’était jamais prononcé et imposant à l’Etat de refuser l’extradition d’un étranger lorsqu’elle est demandée dans un but politique

– CE interprète parfois certaines dispositions précises de la Constitution sans forcément se référer à l’interprétation qu’en donne le Conseil Constitutionnel (CE 1987, Peltier interprète une disposition de la DDHC sur la liberté fondamentale d’aller et venir en jugeant qu’elle implique celle de quitter le territoire national)

– Conseil d’Etat se conforme souvent aux interprétations données par le Conseil Constitutionnel mais une discordance reste possible en dépit de 62 Constitution imposant à toutes les autorités françaises de se conformer aux décisions du Conseil Constitutionnel (ne vise que le dispositif de la décision (censure => non application de la loi)) sans imposer que le raisonnement tenu par le Conseil Constitutionnel soit épousé par toutes les autres juridictions

B/ Les actes extranationaux

  1. Traités et accords internationaux (article 55 de la constitution)

– traités (formes solennelles)/accords (plus informels) sont des Convention passée entre Etats s’engageant sur certaines obligation mutuelles, de différents types (clivage oppose traités/accords bilatéraux ou non)

  1. a) La question de l’applicabilité en droit interne

– soumise à certaines condition posées par la Constitution elle mêmes ou par le juge

* les conditions posées par la Constitution

– article 55 de la Constitution : «Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité > à celle des lois, sous réserve, (…), de son application par l’autre partie«

– la publication : pour être applicable, le traité/accord doit avoir fait l’objet d’une publication officielle (en général au Journal Officiel), et le juge vérifie à la fois l’existence de cette publication et sa régularité

– la ratification pour un traité (intervention d’un décision du Président de la République) ou l’approbation (texte moins solennel) pour un engagement international ordinaire signé par le Premier Ministre ou le ministre concerné

– parfois il faut l’autorisation préalable du Parlement dans les deux cas (modification de disposition législateur, mise à la charge de l’Etat d’une contribution)

– traditionnellement, le juge ne vérifiait que l’existence d’une ratification/approbation, et non sa régularité qu’il estimait liée aux relations internationales (assimilable à un acte de gouvernement) : CE 1926, Dame Caraco

CE 1998, Parc d’activité de Blotzheim revient sur cette position et accepte de vérifier si l’autorisation parlementaire nécessaire a bien été donnée (vérifie la régularité de la ratification)

– la condition de réciprocité : traditionnellement, Conseil d’Etat saisi de ce problème posait la question au MAE pour savoir si tel était bien le cas (s’en remettait à son avis) : jurisprudence CE 1981 Rekhou vs à la Cour EDH qui exige au nom du principe d’indépendance des juges que ceux-ci ne s’en remettent pas dans le cadre d’un litige à l’avis d’une autorité exécutive qui pourrait conditionné l’issue de ce litige

CE 2010, Cheriet Benseghir change de jurisprudence. : Désormais le juge doit déterminer si la condition de réciprocité est remplie ou non en faisant usage si nécessaire de ces pouvoirs d’instruction (demander aux service ministériels de produire des éléments qui seront soumis à la procédure contradictoire)

– la question est de savoir si tous les traités sont concernés par la clause de réciprocité : de l’avis général on considère que ce n’est pas le cas, notamment pour les traités multilatéraux (surtout sur la protection des droits de l’homme), 55 Constitution ne visant que de la non application par l’autre partie

– de même tous les traités qui créent un ordre juridique intégré (comme l’UE) ne permettent pas à l’Etat de se dispenser de ses obligations au prétexte que l’une des parties ne l’exécuterait pas

* la condition jurisprudentielle de l’effet direct

– condition qui se surajoute aux précédentes : l’acte international doit créer des droits/Obligation envers les administrés (ou à leur charge) pour que ceux-ci puissent s’en prévaloir, ce qui, pour le juge, peut ne pas être le cas des engagements internationaux trop vagues, trop généraux ou manifestement programmatoire (un but chimérique : pacte des Nations-Unies de 1966 pose le droit de toute pers. d’obtenir un travail librement choisi ou accepté)

– le juge estime parfois qu’un traité nécessite des mesures internes d’exécution avant de pouvoir être appliqué, de trouver effet direct et d’être invocable

– les traités ne créent d’Obligation qu’à l’encontre de l’Etat et non au profit de leurs administrés (prêter assistance ou fournir une aide à un autre Etat) qui ne peuvent donc s’en prévaloir

– en vertu de tous ces critères on considère que certains traités sont globalement dotés d’un effet direct (tout le traité peut être invoqué en droit interne) comme la Convention EDH 4 nov. 1950 dont tous les articles. et protocoles additionnels sont invocables par un administré

– parfois, certaines stipulation seulement seront applicables (degré de précision) comme l’article 12 Convention de New-York sur les droits de l’enfant du 26 janvier 1990 prévoyant le droit pour l’enfant d’être entendu soit personnellement soit par l’intermédiaire d’un représentant, dans les procédures juridictionnelles le concernant, et dont les disposition sont suffisamment précises et donc d’effet direct : CE 2008, Etarh

  1. b) La question de l’interprétation de tels actes

– comme n’importe quelle source du droit, les traités et accords peuvent être obscurs et nécessiter de la part du juge une interprétation de leurs stipulations : comme en matière de réciprocité, le juge posait auparavant une question préjudicielle au MAE pour déterminer le sens d’un acte obscur.

– depuis CE 1990, GISTI le juge accepte désormais d’interpréter lui même

  1. Les actes constitutifs ou émanant de l’Union européenne

– ces actes ont une place à part parmi les actes internationaux : ils n’étaient pas régis par 55 Constitution avant la révision Constitutionnelle4 fév. 2008 venu les soumettre à 88-1 Constitution, entré en vigueur le 1er déc. 2009 comme le Traité de Lisbonne auquel il renvoie

– le droit de l’Union Européenne dispose d’une primauté par rapport aux droits nationaux et s’impose donc selon la CJUE à toutes les normes nationale (en Allemagne, on considère que le droit de l’Union Européenne prime sur la Constitution, alors qu’en France, il y a primauté de la Constitution, d’où la nécessité d’un art. posant cette primauté)

  1. a) Les principales sources du droit de l’Union européenne supérieures au droit interne

* Le droit originaire

– droit constitutif de l’Union Européenne : initialement Rome, 1957 remplacé par Lisbonne, 13 décembre 2007 (Traité Fondateur de l’Union Européenne) ayant mis en place certaines institution communes productrices de normes (Conseil des ministres, Commission européenne, Parlement européen,…) appelées «Droit dérivé»

– différentes catégories de normes : règlements communautaires (actes généraux et impersonnels s’imposant en tout point aux différents Etats) ; décision (obligatoire dans tous ses éléments aux destinataires visés) ; directives (fixent un but à atteindre selon un délai fixé en laissant le choix des moyens) ; avis et recommandation (souvent de la Commission, moins normatifs que les précédents)

II – Les sources législatives

– principales normes de référence de l’action administrative que le juge est tenu d’appliquer et de subordonner l’action de l’Administration, sauf deux hypothèses : loi soumise à une QPC (lui permettant, si elle aboutit, de l’écarter) ; ou vs à une stipulation d’un traité ou à une norme Union Européenne (inconventionnalité de la loi)

A/ La distinction loi ordinaire, loi organique

– les Lois organiques sont prévues par la Constitution en vue de préciser/expliciter certaines de ses disposition : procédure d’édiction plus lourde : accord des 2 assemblées. et obligmt soumises au Conseil Constitutionnel (saisine pour les lois ordinaires)

– Loi Organique s’impose à la loi ordinaire en vertu de la Constitution, sa violation constituant une inconstitutionnalité pour le Conseil Constitutionnel (ce qui ne signifie pas qu’elle a une valeur Constitutionnelle) : elle s’impose donc à l’action administrative

B/ La distinction loi parlementaire et loi référendaire

– la plupart des lois sont votées par le Parlement (39 et 60 Constitution) à l’issu d’une navette (Assemblée Nationale peut avoir le dernier mot) mais par exception (propre à la Ve République), 11 Constitution prévoit qu’une loi peut être directement votée par référendum et est alors soumise à un régime spécifique (expression de la volonté nationale donc Conseil Constitutionnel refuse de vérifier leur constitutionnalité : 1962 puis DC 23 sept. 1992)

– la question reste posée de savoir si le Conseil d’Etat accepterait de les soumettre à un contrôle de conventionalité, notamment par rapport aux traités/DUE : certains arrêts semblent aller dans ce sens, mais ce serait politiquement difficile à réaliser (viendrait à censurer une disposition directement votée par le peuple)

C/ Les lois à part entière et les actes assimilés

a priori, ne sont qualifiables de lois que les mesures votées par le Parlement selon la procédure prévue par la Constitution ; mais quelques exception : ordonnance de 38 Constitution prises par l’exécutif dans le domaine de 34 Constitution (ne devenant de réelles lois qu’après ratification Parlementaire (fausse exception)) et les mesures relevant de 34 Constitution prises par le Président de la République en période d’application de 16 Constitution (par exception, une AA édicte des lois)

III – Les sources quasi législatives

– seule une loi peut écarter ces normes : le cas échéant, elle s’impose à toute l’action administrative.

A/ Les règles jurisprudentielles qualifiées de principes généraux du droit

– dégagées pour combler certains vides textuels, notamment en matière de droits et libertés : c’est à l’issue de la SECONDE GUERRE MONDIALE («épuration« ) que la théorie. se développe : CE 1944, Trompier-Gravier (Droits de la défense : possibilité pour une pers. sur le point d’être sanctionnée par l’Administration d’être informée des reproches adressés et d’être en mesure de contester efficacement la sanction : communication du dossier, assistance juridique…)

  1. La détermination des principes généraux du droit

– consiste essentiellement pour le juge à tenir compte de certains indices (application du principe dans des textes épars législateur ou réglementaire, ou visé par des textes > comme le Préambule ou des traités internationaux)

– généralisation d’un principe posé dans un texte : droits de la défense prévus par loi de 1905 pour les fonctionnaires

– inspiré du Préambule : principe d’égalité (1950) <= DDHC 1789 (valeur juridique en 1971)

– le principe peut être déduit des caractéristiques ou de la nature juridique d’une institution : continuité du Service Public (CE 1950, Dehaene : une action d’intérêt général, il doit fonctionner en continue sans être interrompue)

  1. Le problème actuel de la notion : sa valeur juridique exacte

– si le PGD concerné ne recoupe pas une norme >, sa valeur est quasi-législateur, il s’impose à tout acte administratif (interdiction de licencier une femme enceinte : CE 1973, Dame Peynet), et une loi peut l’aménager

– un PGD peut recouper une norme supralégislateur : Conseil Constitutionnel a dégagé les droits de la défense comme des normes Constitutionnelles fondées sur 8 DDHC, ce qui n’empêche pas le Juge Administratif d’utiliser parfois la notion de PGD en la matière => divergence de valeur entre deux normes matériellement identiques ? En réalité, le Juge Administratif fait référence aux PGD car dans son examen (excluant la Constitutionnalité d’une loi), une norme quasi-législatrice suffit pour contrôler l’action administrative => prestige ? En tout cas, permet une marge de manoeuvre au Juge Administratif surtout lorsqu’il n’est pas d’accord sur le contenu donné par le Conseil Constitutionnel

B/ Le droit international coutumier

– coutumes internationales : règles ne figurant pas dans un traité, progressivement formées dans la pratique des relations entre Etats, et ayant une circonstance suffisante (application régulière) pour être reconnues source du droit

Préambule 46, al. 14 : «la France se conforme aux règles du droit public. international» <= la volonté du constituant atténue la frontière droit interne/externe.

CE 1997, Aquaronne reconnaît (a contrario) l’irrégularité d’un acte administratif méconnaissant une coutume (ancien agent du greffe de la Cour International de Justice se prévalait d’une coutume exonérant sa charge de l’impôt sur le revenu : réponse négative du Conseil d’Etat acceptant néanmoins de contrôler le moyen)

– ces règles n’ont pas valeur supralégislateur (une loi peut les écarter), mais supradécrétale : 55 Constitution donne une valeur > à la loi aux seuls traités et accords (règles écrites) : CE 2011, Saleh confirme ce point : une loi peut écarter une disposition de droit international coutumier.

IV – Les sources infralégislatives

– les décisions administratives sont des sources du droit et s’imposent aux autres acte administratif situés à un échelon < (voir critères étudiés dans la hiérarchie des normes : organique, matériel…)