La naissance de la personne morale et son identification

La naissance de la personne morale

 Le mot société désigne deux réalités. Deux questions se posent :

–         Comment fonctionne cette institution avant d’acquérir la personnalité juridique?

–         Quelles sont les conséquences attachées à la jouissance de la personnalité morale? Il s’agit de son identification (son nom, sa nationalité, son domicile…

Section I – La période de formation

Depuis une loi de 1966 systématisée par une loi de 1978, la personnalité morale nait d’une formalité, l’immatriculation au RCS. Cette règle figure à l’article 1832 du Code civil.

La période de formation est celle qui va précéder cette immatriculation au RCS. Elle est plus ou moins longue, et la société n’existe pas encore en tant que personne juridique, mais il y a quand même ses fondateurs qui se sont réunis et qui ont rédigés les statuts. Pour autant, des litiges ont pu naître dans cette période.

 

  Cela soulève deux types de problèmes.

  –         La question des rapports internes entre associés, qui est réglée par l’article 1842 du Code civil qui dispose que «jusqu’à l’immatriculation, les rapports entre les associés sont régis par le contrat de société et par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations». À ce stade là, ce sont les règles du droit des contrats qui s’appliquent.

 –         Ainsi, concrètement, la modification des statuts ayant été signés n’est possible qu’avec l’accord unanime des associés, en vertu de l’article 1134 du Code civil.

  –         La question des rapports avec les tiers, très souvent, il sera nécessaire à ce stade là de conclure un certain nombre de contrats (avec EDF, la Compagnie des eaux, prêt bancaire, achat de matériel, achat d’un immeuble, location d’un fonds de commerce). À priori, la solution serait que les fondateurs signent eux-mêmes ces contrats, mais il faut préserver leurs intérêts, et il y a en conséquence trois contraintes.

  • Il faut que celui qui va agir puisse se décharger ultérieurement sur la société.
  • Cela sans avoir à solliciter le consentement du tiers avec qui il va contracter aujourd’hui.
  • Si l’acte en question est un acte translatif de propriété, il ne faut pas que cette opération se traduise par un double transfert de droit, sinon il y aura deux fois paiement des droits de mutation (cela ne doit pas donner : l’associé achète le bien et le revend à la société).

  Il faut rechercher une solution dans les mécanismes de droit civil relatifs aux relations à trois personnes.

  –         A priori, la représentation correspond parfaitement. Le mandataire agit pour le mandant ; le problème, c’est que la société n’existe pas au moment où le supposé mandataire agit.

  –         La stipulation pour autrui pourrait répondre à ces besoins : le problème, c’est qu’elle permet de faire naître une créance au bénéfice de celui qui n’y consent pas, mais il n’est pas concevable de faire naître une dette.

  –         Le législateur a donc institué un mécanisme spécifique pour répondre à ce cahier des charges, c’est la reprise des actes de la période de formation, innovation de la loi de 1966 et généralisée en 1978. Ce mécanisme est prévu :

  • Par l’article L.210-6 du Code de commerce, propre aux sociétés commerciales, qui dispose que «les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société».
  • Par l’article 1843 du Code civil, général, qui dispose que «les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci».
  • Dans un premier temps, une personne va agir au nom de la société en formation ; dans un deuxième temps, la société, une fois immatriculée, une fois devenue une personne juridique, va reprendre ces actes.
  • 1 – Une personne agit au nom de la société en formation

  Cela signifie que celui qui agit indique à son partenaire qu’il agit pour le compte d’une société en formation. La réussite du mécanisme en dépend.

 Ex : dans un acte notarié, dans la comparution, il sera spécifié qu’il agit pour une société en formation, actuellement en cours d’enregistrement des statuts, en cours d’immatriculation …

 Celui qui va agir est personnellement tenu.

  • 2 – La reprise de l’engagement par la société

  La reprise, qui intervient après immatriculation au RCS, a un effet rétroactif, tout se passe comme si c’était la société elle-même qui avait conclu l’acte.

 Il y a une substitution de contractants, en vertu de laquelle le fondateur, ou la personne qui a passé les actes, est libéré. Par ailleurs, elle n’implique pas l’accord du cocontractant, puisque celui-ci a été prévenu lors de l’échange des consentements.

 Enfin, cette reprise n’entraîne pas un double transfert de propriété puisque la société est réputée avoir conclu l’acte.

  Quelles sont les modalités de cette reprise ? Le texte légal est complété par des textes réglementaires, les articles R.210-5 et 6 du Code de commerce pour les SARL et les sociétés par actions, et l’article 6 du décret du 3 juillet 1978 pour les autres sociétés.

 Il y a plusieurs modalités de reprise des actes accomplis durant la période de formation. La loi ne précise pas en effet quel organe va reprendre ces actes : le décret parle de décision collective, c’est-à-dire à priori de l’assemblée des associés.

 Ces textes réglementaires permettent par ailleurs d’organiser des reprises automatiques des actes effectués durant la période formation. En effet, pour peu que l’on respecte ces modalités, que l’on anticipe la reprise, celle-ci sera automatiquement effective au moment de l’immatriculation au RCS. Pour cela, il faut que les associés qui signent les statuts soient au courant de l’acte en question et donnent leur consentement. Il faut distinguer deux situations :

  –         Quand les actes ont été conclus avant la signature des statuts, lors de celle-ci, on présente aux associés une liste de tous les actes conclus et une explication des engagements qui en résultent.

 –         Quand il est question des actes qui seront conclus ultérieurement, les fondateurs donnent mandat à l’un d’entre eux pour les accomplir ; ce n’est pas un mandat banal et général, mais un mandat spécial et précis qui doit viser les actes (par exemple, le mandat pour signer un bail prévu pour tant de temps, à tel endroit et à tel prix). On assure la sécurité de celui qui s’engage, qui rend service à la société.

Section II – Les conséquences attachées à la jouissance de la personnalité morale : L’identification de la personne morale

  La société va être identifiée, comme le serait la personne physique, va avoir un patrimoine, mais va aussi avoir une vie juridique, une capacité, elle engagera sa responsabilité, et même sa responsabilité pénale (depuis 1994).

   Comme la personne physique, la société aura un nom, un domicile, une nationalité.

  A – Le nom

  On parle de dénomination sociale ; à la différence du nom patronymique, elle est librement choisie, et elle peut changer, sans formalités très lourdes puisqu’il ne faut que la seule modification des statuts.

 Cette liberté de choix n’a pas toujours existé : autrefois, une vieille règle, qui a subsisté jusqu’en 1985 dans la SNC, faisait que celle-ci devait être obligatoirement désignée par la raison sociale, c’est-à-dire le nom des associés, indéfiniment de leur responsabilité sociale (ex : Tartanpion et cie). C’était une forme de publicité, la personnalité des associés dans la SNC étant essentielle. À l’époque du RCS et d’internet, cela n’avait plus d’importance.

  La liberté de choix n’est pas totale, il faut respecter le droit des tiers : on ne peut choisir sans son consentement le nom patronymique d’un associé, la dénomination sociale d’une société préexistante, une marque déposée par son titulaire.

 B – Le domicile

On l’appelle le siège social ; il obéit à quelques règles générales qui font l’objet d’un cas particulier.

 1-     Les règles générales

 Toute société n’a qu’un seul siège social ; il doit être mentionné dans les statuts ; il doit correspondre à une réalité, au principal établissement de la société.

 Ces règles soulèvent des questions :

 –         Quel est le principal établissement ? Dans un premier sens, cela peut être le principal centre de son activité économique (activité industrielle : usine principale), et dans un second sens, le principal centre de décision (là où se réunissent les assemblées générales). La jurisprudence a tranché en faveur de la seconde interprétation, le principal établissement est là où se trouve le centre de la vie juridique de la société.

 –         Que se passe-t-il lorsque le siège réel ne coïncide pas avec le siège statutaire ? La solution figure dans la loi mais est tirée d’un principe général du droit civil : on est en présence d’un phénomène qui ressemble beaucoup à la simulation, même si elle n’est pas forcément volontaire. Il y a une apparence, et une réalité différente de celle-ci. On trouve dans le Code civil l’article 1837 alinéa 2, en vertu duquel «les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la société si le siège réel est situé en un autre lieu».

 2-     Le cas particulier

 C’est le cas des sociétés à succursales multiples. Une succursale est un établissement secondaire délocalisé par rapport au siège social, qui a une certaine autonomie (qui a à sa tête un directeur ayant le pouvoir d’engager cette société).

Il ne faut pas confondre la succursale avec la filiale, celle-ci étant une autre société ayant son propre siège social, qui exploite un établissement secondaire par exemple. La succursale n’est qu’une série de biens.

En principe, le siège social reste là où se trouve l’établissement principal. C’est analogue au fait qu’une personne physique puisse avoir plusieurs résidences mais un seul domicile.

Il y a cela dit une adaptation de ce principe pour répondre à un problème particulier, la compétence territoriale des tribunaux : il y a un engorgement des tribunaux parisiens car bon nombre de sociétés ont leur siège social à Paris, et lesdites sociétés sont généralement de grandes sociétés.

C’est la raison pour laquelle la jurisprudence, entre les deux guerres, a assoupli la règle en développant la théorie des gares principales. Ainsi, lorsqu’un litige est né dans une succursale, le plaideur adverse est en droit de considérer que le siège social de la société est celui de la succursale, mais seulement en ce qui concerne les questions de compétence.

 C – La nationalité

  Cela va permettre de déterminer la loi applicable, en particulier en droit français, où les règles discriminatoires ne traitent pas de la même manière les sociétés françaises et étrangères. Attention, ces discriminations ne sont pas forcément au détriment des sociétés étrangères, bien au contraire : ce fut le cas par exemple des nationalisations de 1981, les sociétés étrangères n’ont pas été nationalisées.

Il y a le critère du siège social qui consiste à dire qu’est française la société dont le siège social réel se trouve en France. Les avantages de ce système sont sa simplicité et sa stabilité. L’inconvénient est qu’il n’est pas tellement réaliste : imaginons la filiale d’une société étrangère qui installera son siège social en France et qui n’emploiera que des travailleurs étrangers, n’utilisera que des capitaux étrangers et rapatriera sa production à l’étranger ; au final, elle ne sera pas si française que cela.

On a donc retenu le critère du contrôle, qui consiste à déterminer la nationalité de la société en fonction de la nationalité de ceux qui la contrôlent, ce qui comporte des variantes au regard de qui contrôle la société. Ce système a pour avantage d’être réaliste, mais a pour inconvénients d’être complexe, incertain (cascade de holdings) et variable.

Les deux critères s’opposent car leurs avantages et inconvénients s’opposent réciproquement.

 Le critère du siège social est le critère traditionnel ; le critère du contrôle est apparu dans un contexte précis, celui de la première guerre mondiale, où l’on s’employait à placer sous séquestre les biens des sociétés ennemies.

Aujourd’hui, le principe figure à l’article 1837 alinéa 1er du Code civil, et à l’article L.210-3 du Code de commerce. Le premier dispose que «toute société dont le siège est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française». C’est donc le critère du siège social réel.

Lorsqu’il s’agit d’appliquer une législation discriminatoire, qui vise spécialement une société française ou assimilée (de l’Union européenne) ou une société extra-européenne, ou bien le texte en cause ne dit rien de particulier, et l’on applique l’article 1837 du Code civil, ou bien le texte discriminatoire prévoit lui-même son critère, et généralement, c’est le critère de contrôle.

Ainsi, le régime des baux commerciaux est discriminatoire, il ne profite qu’aux Français et assimilés (ressortissants de l’Union européenne).

 

 Remarques :

 –         Il existe des systèmes plus souples : il y a notamment le système anglo-saxon de l’incorporation. Il est excessivement formel : ce qui compte est l’inscription, l’immatriculation, peu important la réalité du siège social et, à fortiori, l‘identité de celui qui contrôle la société. Le droit européen s’en inspire un peu, pour la mise en œuvre du principe de libre-établissement, en vertu duquel une société ressortissante d’un Etat membre peut s’établir librement et établir une succursale dans un autre pays européen. L’article 54 du traité consolidé prévoit que va être ressortissante de l’Union européenne la société qui a soit son siège social statutaire soit son principal établissement dans un Etat membre. On peut en déduire qu’une société qui aurait son siège statutaire en France et son principal établissement au Maroc pourrait être de nationalité française. La jurisprudence ne va pas jusqu’à admettre qu’un siège social purement fictif donne la nationalité d’un Etat membre, il faut un établissement secondaire.

 –         La conséquence de ce système, au regard du droit français, est que les sociétés n’ont pas grande mobilité. Le droit français n’admet aucune mobilité du fait de la rigueur de ce critère. C’est la raison pour laquelle a été créée une forme sociale particulière : il s’agit de la société européenne, société anonyme à la réglementation particulière prévue aux articles L.229-1 et suivants du Code de commerce. Elle est aussi régie par un règlement européen du 8 octobre 2001. Sa caractéristique principale est que son siège social peut être transféré vers un autre Etat membre sans la moindre conséquence juridique.

Laisser un commentaire