La procédure budgétaire devant le Parlement

I – L’intervention du Parlement

Au niveau financier, la loi de finances est l’enjeu majeur des parlementaires. Le texte doit être voté par le Parlement. On trouve ici une limite entre le Droit constitutionnel et les finances publiques. L’article 28 de la Constitution du 4 oct. 1958 organise une session unique (modification en 95), au cours de laquelle AN et Sénat se réunissent de plein droit. Les 2 chambres débattent le PLF, l’amendent éventuellement, et enfin le votent. Il n’existe pas qu’un unique vote de la loi de finances. L’ensemble de la procédure devant le Parlement fait intervenir plus d’une centaine de votes différents, en commission et en session. À un moment, on aura un vote sur l’ensemble du PLF. Le PLF constitue un texte majeur, mais pourtant sous la V République, le débat budgétaire ne suscite pas l’enthousiasme. Edgar Faure dit que pour qualifier le budget, on peut parler de « litanie [énumération longue et ennuyeuse], léthargie [sommeil profond, anormal], et liturgie [ensemble de règles fixant le culte] ». C’est la règle des 3 L. Il désigne bien cette procédure budgétaire qui est quasiment cultuelle dans son esprit, qui repose sur un mythe, longue et ennuyeuse, et qui endort les parlementaires. On a ici un paradoxe : face à un axe financier majeur devant susciter l’intérêt du Parlement, on ne trouve pas d’intérêt.

Sous les III et IV Républiques, la discussion du budget était le temps fort de la vie politique. Les orateurs les plus brillants se succédaient à la tribune, les débats étaient passionnés, les amendements étaient pertinents, et la vigueur démocratique présentait juste un inconvénient : les budgets n’étaient pas toujours adoptés le 31 décembre, tant la discussion était passionnée. Les pratiques : – La première pratique a consisté certaines années, à bloquer l’horloge de l’Assemblée Nationale le 31 décembre. On sent qu’un consensus va s’établir. Pour ne pas refreiner la vigueur démocratique, une main discrète allait bloquer l’horloge. Le budget était adopté à 4h du matin, mais à 23h30 juridiquement. – De temps en temps, le budget n’était pas à portée, le Parlement n’était pas mûr pour soutenir le Gouvernement, et on recourait à des expédients budgétaires : il est de 2 types. * Recouvrer les impôts. * Le Parlement autorisait le Gouvernement à engager des dépenses à hauteur du douzième du budget de l’exercice précédent pour le mois de janvier. C’est une loi des douzièmes. Deuxième caractéristique de cette vigueur parlementaire : les Gouvernements tombent à ce moment là. C’est une discussion à très haut risque. Les gouvernements de coalition présentent leur PLF. Si l’opposition des parlementaires se manifeste un peu trop fortement à l’égard de ce budget, le Gouvernement présente sa démission. Du coup, du débat budgétaire, on passe à un débat politique, et le Parlement doit renommer un Conseil des Ministres, et donc consacre l’automne à des discussions politiques plutôt qu’à des discussions financières. Le budget ne sera pas adopté le 31 décembre. On aura recours aux douzièmes… Cette vigueur du débat parlementaire sous les III et IV République n’était pas satisfaisante pour des financiers. On a donc opéré une rationalisation du parlementarisme, lorsqu’on a institué la Veme République. Cette rationalisation a permis de fortifier, ou d’asseoir le place du Gouvernement face au Parlement, mais cette rationalisation a encadré très fortement la procédure budgétaire, pour faire en sorte que notre budget, notre PLF ait été discuté, délibéré et voté avant le 31 décembre, quelque soit les répercussions devant le Parlement. Les problématiques susceptibles d’intervenir sont de 2 types : d’un côté, on a l’expression de la démocratie financière faisant intervenir l’article 14 de la DDHC, mais aussi le problème crucial de la continuité de l’Etat. Une mise en balance doit être opérée lorsqu’on se pose ces questions d’encadrement de la procédure budgétaire.

II – Le déroulement de la procédure budgétaire devant le Parlement

Tout découle de l’article 47 de la Constitution. Cet art. vient encadrer très précisément cette procédure. Cet encadrement fait intervenir 2 données majeures : – Les délais sont très précis, – L’urgence est de droit.

Les délais encadrant la délibération :

Globalement, on est bien confronté à un délai de 70 jours. Le budget doit être discuté, amendé, délibéré dans ce délai. Dans la mesure où on précise ce délai de 70 jours, avant le 31 décembre. Le délai de 70 part du 1er mardi d’octobre. Au pire, le budget est déposé le 1er mardi d’octobre, et sera adopté le 16/12, 70 jours plus tard. Cela découle de l’article 39 de la loi organique, auquel l’article 47 de la Constitution renvoie expressément. Cette rationalisation de la procédure est un fait constitutionnel, précisé par la loi organique. l’Assemblée Nationale dispose de 40 jours, le Sénat de 20 jours. Il y a 10 jours accordés à l’accord des 2 chambres. Ces différents délais sont susceptibles d’être interprétés lâchement. Le Conseil Constitutionnel a interprété lâchement ces 70 jours. Dès les premières lois de finances (pour 61 et pour 62), l’adoption a été formalisée le 71ème jour. Le Conseil Constitutionnel a admis dès le début que le délai formait un cadre qui devait permettre d’exercer un contrôle parlementaire du budget. L’essentiel étant de faire adopter ce budget avant le 31 décembre. Le Gouvernement dépose de manière anticipée le PLF sur le bureau du président de l’Assemblée Nationale. Le texte prévoit au plus tard le 1er mardi d’octobre. On observe que le PLF est généralement déposé aux alentours du 15 septembre. Le Conseil des Ministres présente le texte, à l’issue du Conseil des Ministres de rentrée. Cette marge de manoeuvre a mené à des contentieux : CC, 30 juillet 1986, a validé cette pratique du délai supplémentaire, en précisant que ce dépassement du délai ne doit pas avoir pour conséquence de réduire le délai imparti au Sénat. Si ces 70 jours sont interprétés de manière lâche, il faut faire en sorte que ça ne soit pas à l’avantage des parlementaires qui passeraient à 50 jours. Le texte même de la Constitution a prévu une possibilité de réduire le délai du Sénat à 15 jours. Comme la Constitution prévoit cette réduction, le Conseil Constitutionnel a cru bon de prévoir que cela ne signifiait pas que l’interprétation lâche des 70 jours devait se faire au détriment du Sénat. L’important, dans cette procédure et dans ces délais, consiste bien à maintenir la continuité de l’Etat, et cette possibilité de délibération par les représentants de la Nation. Ici encore, il a fallu organiser au-delà du délai une sanction. Cette sanction est politiquement très forte, et vient du fait qu’en gros : si une chambre ne respecte pas ses délais, le Gouvernement est susceptible de transmettre à l’autre chambre le texte qu’il a présenté ! Si les parlementaires dépassent le délai, c’est le PLF d’origine qui est transmis au Sénat. Si le Sénat ne respecte pas les délais, c’est le PLF avec les amendements des députés qui est adopté. La chambre qui ne respecte pas les délais perd son pouvoir d’amendement théoriquement. Cela reste théorique, dans la mesure où le Gouvernement peut reprendre à son compte certains amendements. Dans les délais, on a un encadrement très strict de l’intervention du Parlement.

L’examen du PLF :

L’examen du PLF se déroule en plusieurs phases. L’article 39 de la loi organique précise la manière dont se déroule le PLF au sein du Parlement. En ce qui concerne l’AN, on a tout d’abord un examen en commission. L’examen en commission est à distinguer selon qu’il s’agit de l’examen de la commission des finances ou dans les autres commissions permanentes. En commission des finances, on nomme un rapporteur général, qui va donc se prononcer sur l’ensemble du PLF. Le rapporteur général rédige donc un rapport en 3 tomes. Le tome 1er est consacré à l’analyse globale du budget. Le tome 2 est consacré à la 1ère partie du PLF. Le tome 3 est consacré logiquement à la 2ème partie du PLF. Le rapporteur général se focalise sur le texte de la loi de finances. Des rapporteurs spéciaux de la commission des finances examinent la loi de finances. La loi organique, art. 57, leur accorde des pouvoirs d’investigation sur pièce et sur place, ainsi qu’un droit de communication de tous les droits financiers. On a 34 rapporteurs spéciaux. Ils se penchent sur les bleus budgétaires, sur les crédits de chaque programme. Les rapporteurs spéciaux peuvent aller dans les ministères, ou au ministère des finances pour voir comment a été préparé le budget et de voir si certains ministères ont des besoins. Les rapporteurs spéciaux peuvent adresser au ministre des questions écrites avant le 10 juillet. La Cour des comptes rend son analyse sur le budget de l’année n–1 au mois de juin. Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances lisent dans ces rapports ce qui les concerne. Les rapporteurs spéciaux se prononcent par missions. Le rapporteur général se prononce par budget. En commission des finances, on propose des amendements. Il y a une cinquantaine d’heures qui est consacrée à l’étude du PLF à l’AN, et quasiment autant au niveau du Sénat. À côté de cette commission des finances, il existe des commissions permanentes. Les commissions permanentes vont désigner des rapporteurs pour avis, qui vont se prononcer sur les parties des missions qui les concernent. Une fois que les commissions se sont prononcées, le projet est renvoyé en séance, et en séance, la procédure est très particulière. On procède d’abord ici encore à une discussion générale. Au cours de cette discussion générale, le ministre des finances va intervenir, puis le rapporteur général de la commission des finances, puis les rapporteurs de chaque parti interviennent. On procède ensuite à une discussion article par article, des articles de la première partie. Le vote sera un vote d’ensemble sur la première partie du PLF. Ensuite, on aborde la 2ème partie, où l’on a les crédits des missions ainsi que des dispositions permanentes. On distingue dans la 2ème partie la discussion par mission, qui fera intervenir le rapporteur spécial, et les différents parlementaires (président de 68 groupes), et d’un autre côté les autres dispositions qui vont être discutées article par article. À la fin, on procède à un vote d’ensemble sur le projet de loi de finances.

La navette parlementaire :

L’article 40 de la loi organique prévoit que le PLF est examiné selon la procédure d’urgence. Cela signifie que la procédure d’urgence vient contraindre la navette parlementaire, et qui est prévue à l’article 45 de la constitution du 4 oct. 1958. Cette procédure permet au Premier Ministre de convoquer une commission mixte paritaire à l’issue de la première lecture. Cette commission mixte paritaire ayant pour but de trouver un accord entre les 2 chambres va tenter d’établir un compromis sur les dispositions restantes en discussion. Le Conseil Constitutionnel a précisé dans sa décision du 28 déc. 1976 pour une loi de finance rectificative que ces dispositions restantes en discussion sont celles qui n’ont pas été adoptées dans les 2 assemblées. La commission mixte paritaire va donc avoir à se prononcer en fait sur les amendements du Sénat et/ou les amendements AN qui auraient été rejetés par le Sénat. La commission mixte paritaire (CMP) dispose théoriquement de 10 jours, ce qui est assez rapide. Ici, – Soit la CMP arrive à un compromis et soumet au vote son texte aux 2 chambres. – Soit elle ne parvient pas à un compromis, et dans les 2 cas, (compromis ou pas) le dernier mot reviendra à l’Assemblée Nationale. À la fin du délai, si les parlementaires ne parviennent pas à s’accorder sur leurs amendements, le Premier Ministre saisira l’Assemblée Nationale. L’encadrement en termes de délai, et de recours à l’urgence, permet une mise en forme de la continuité de l’Etat. Tout cela assure que l’acte financier soit adopté avant le 31 décembre.