Dévalorisation de la loi et émergence de la figure du juge

Le culte du droit et de l’Etat de droit auquel on assiste aujourd’hui se traduit par une dévalorisation de la loi et par l’émergence de la figure du juge. En baisse, en hausse.

La cote du législateur est en baisse, celle du juge en hausse. Ce sont là les ingrédients d’une post modernité dans laquelle le sujet n’est plus tenu pour le fruit d’une raison moderne, le sujet n’est plus rationnel, il est irrationnel, il n’est plus considéré comme éclairé, il est totalement irrationnel. Il faut se méfier du législateur, contrairement au contexte de la révolution française, voilà que nous assistons à l’inverse. Nous avons un législateur qui est dévalorisé, discrédités, perçu comme irrationnel. Au contraire on a un juge qui a nouveau est considéré comme éclairé.

Cette dévalorisation de la loi est le signe d’une crise aiguë de la souveraineté. Nous avons assisté à deux moments d’ébranlement de la souveraineté.

D’abord à la fin du XIXème siècle, puis aujourd’hui ; A l’un comme à l’autre moment, cet ébranlement de la souveraineté correspond une révolution technique. Comme le dit si bien hAnna Arendt, la technique influence beaucoup les idées. Effectivement, on s’aperçoit que la souveraineté a été victime d’une révolution technologique. Le XIXème siècle, c’est la révolution des transports, cela a permis au prolétariat de se constituer. Le code civil a été affecté dans ses assises libérales. Il y a un ébranlement des certitudes verticales du code civil. L‘Etat est remis en question, il est prié d’intervenir dans l’économie et de brouiller la frontière entre le droit public et privé. Une inflation de l’Etat en tant qu’agent économique. Nous avons là, une horizontalisation des rapports juridiques, imputable à cette révolution technologique. Heidegger: L’homme finira par être broyé par la technique. Il avait dénoncé la raison instrumentale. Jusqu’au XXème siècle, la science avait une finalité, le bonheur, la santé, l’intérêt général, avec le XXème siècle, la science n’a d’autre finalité que le progrès, le progrès pour le progrès. Le progrès devient un processus sans tête.

Le progrès technologique avait permis au code civil d’être dépoussière, relu, revisité, dans le sens d’un brouillage de la frontière entre le droit public et le droit privé.

Il y a une inflation des normes, le législateur ne peut pas tout embrasser, il ne peut pas tout gérer alors il faut des lois sans contraintes, des lois molles. Il recours a des circulaires, des directives, il a un droit de moins en moins simple. Maintenant la loi ne peut être comprise qu’à la lumières des décisions de justice. Tout ceci a été provoqué par l’accélération de la communication. Donc une autonomisation du prince.

Le deuxième élément, c’est l’émergence de la figure du juge, qui participe à la relégation de la volonté.

D’abord l’invention et la généralisation du contrôle de constitutionnalité des lois, c’est l’acquis majeur du droit constitutionnel poste moderne. Un juge qui juge le politique, le souverain, la loi. Il y a une réactivation de la dualité loi/droit. Ce contrôle de constitutionnalité répond à une logique éminemment objectiviste. Ce n’est pas hasard si L. Duguit qui au début du XXème siècle en fit un programme. Duguit partageait cela avec Hauriou.

Hauriou est aussi objectiviste, c’est celui qui dit que la loi est fondée par l’institution. Chez Hauriou, bien qu’il faut partisan de la théorie de la puissance publique, il était aussi comme Duguit, objectiviste. Il était favorable au contrôle de constitutionnalité et il était théoricien institutionnaliste. Il considère que ce n’est pas la loi qui crée l’institution, mais l’institution qui créé la loi. Il soulignait cela en disant que le droit c’est la durée.

Cette révolution ontologique, anti volontariste a conduit à objectiviser le droit à en faire une chose autonome par rapport à la volonté. Le droit retrouve une autonomie qu’il avait chez les anciens, à tel point que nos auteurs, ont réactivé la dualité droit / loi et ont donc permis à l’Etat de droit de prospérer.

Ce culte participe d’une dévalorisation de la loi, la loi a perdu son aura au profit de normes plus générales, plus globales.

La montée en puissance de la figure du juge a été valorisée par plusieurs discours :

Le XXème siècle est le siècle de la naissance du contrôle de constitutionnalité qui conduit à réaffirmer cette dualité droit / loi.

Duguit et Hauriou était d’accord sur ce point, à savoir qu’au-delà de la constitution, il y a des normes opposables à la volonté politique du souverain.

Cet instrument trouve surtout ses racines dans deux sources d’inspiration intellectuelle, qui appartiennent à une culture objectiviste :

  • la première, c’est l’arrêt de 1803 Marbury vs Madison. Le jugement de constitutionnalité devient un moyen pour résoudre un procès, cela devient banal. Cet élément jurisprudentiel baigne dans une culture d’inspiration objectiviste. La culture constitutionnelle américaine est objectiviste. L’Amérique a été influencée par les français, L’abbé Sieyès est le père fondateur entre pouvoir constituant et constitué.

Le pouvoir constitué fait la loi, mais dans les moments solennels, quand il faut réviser des principes importants, il faut une assemblée spéciale, le pouvoir constituant.

  • La deuxième source d’inspiration, Kelsen, auteur objectiviste par excellence, « ce n’est pas la volonté qui fait la norme, c’est la norme qui fonde la volonté ».

Cet objectivisme Kelsennien a permis à l‘homme d’inventer le contrôle de constitutionnalité concentré. Une culture légicentriste, qui a empêché le contrôle de constitutionnalité à l’Américaine de se répandre. Kelsen va alors trouver une technique pour compenser cet empêchement, à alléger le poids de cette culture légicentriste. Le Contrôle de constitutionnalité est un instrument qui au lieu d’éliminer le conflit droit positif / droit naturel, ce que faisait l’école légaliste au XIXème siècle, Kelsen nous dit que les jusnaturalistes sont ceux qui utilisent le droit naturel non pas pour contester le droit positif mais pour le conformer. Au lieu de quoi la culture objectiviste exacerbe ce conflit et permet à un juge, certes spécial, objective le droit par son action.

On peut également pour caractériser cette période objectiviste spécifique au droit post moderne et caractéristique de la montée en puissance du juge, s’appuyer sur des exemples d’incidents démocratiques. La crise démocratique américaine de l’élection de G. Bush jr. Election qui a été contestée. La cour suprême a, contre l’avis de beaucoup d’observateurs, définitivement investi G. Bush, de sorte que si on sait ce que l’Amérique a objectivement voté, on ne sait pas ce qu’elle a subjectivement voulue.

Crise de la démocratie classique, de la volonté donc. C’est-à-dire un système dans lequel, c’est le juge qui intronise le prince. Et c’est le juge dont la décision est objectivement valable. Malgré cette objective décision on ne connait pas la volonté des électeurs.

Pour terminer, participe également de cette montée en puissance de l’expert, la technocratie. L’UE de plus en plus est conçue comme une structure qui souffre d’un déficit démocratique, dans laquelle la visibilité du souverain est de plus en plus compromise. On ne sait plus trop qui gouverne. Enfin, les élections européennes de 2014, vont re donner un espace publique à l’Europe. Cette raison instrumentale se répend un peu partout, a tel point que l’on se rend de plus en plus compte que le politique n’a pas de connaissance technique, et n’est pas plus avancé aujourd’hui qu’à l’époque des droits divins. La volonté de la nation n’est pas plus rationnelle que le droit divin dont s’autorisaient les monarques d’ancien régime. Si bien que le politique a de plus en plus recours aux sages, aux experts, aux technocrates. De plus en plus d’experts sont consultés, on assiste finalement, petit à petit, au retour du philosophe roi. Celui qui gouverne, c’est l’homme sage, celui qui sait. Une sorte de cognitivisme érige le savoir au rang de souverain. C’est une totale disqualification des acquis de la modernité.

Il y a de plus en plus de juge qui ont recours aux experts. Cela peut être dangereux, le risque c’est la dérive vers le scientisme. On observe dans le droit contemporain de plus en plus de marque de déférence du politique à l’égard du savant.