2 causes d’irresponsabilité pénale : contrainte, erreur de droit
Rappel sur l’irresponsabilité pénale : Le Code pénal les évoque dans chapitre intitulé « Des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité » et allant de l’article 122-1 à 122-8. Les causes d’irresponsabilité pénales sont communes à toutes les infractions.
Elles peuvent être classées en faits justificatifs et en non-imputabilité, c’est-à-dire en causes objectives d’irresponsabilité pénale et en causes subjectives d’irresponsabilité pénale.
- Les causes objectives d’irresponsabilité pénale ont un effet in rem c’est à dire qu’elles font perdre aux faits leur qualification juridique, l’infraction n’étant plus constituée pour aucune des personnes impliquées dans la commission de l’infraction.
- Les causes subjectives d’irresponsabilité pénale, telles que le trouble mental, ont un effet in personam et ne s’attachent par conséquent qu’a l’individu qui en prouve l’existence au moment des faits. Parmi les causes d’irresponsablité subjective, on évoque ici la démence (étudié dans un autre chapitre) et la contrainte et l’erreur de droit
I – LA CONTRAINTE
Deuxième cause d’irresponsabilité pénale, après les troubles psychiques ou neuropsychiques, la contrainte. Situation dans laquelle le discernement de l’auteur de l’infraction n’a pas ici disparu mais où, comme je vous le disais en introduction, la volonté se trouve supprimée. Il y a ici perte de liberté, liberté d’agir autrement que comme cette personne a pu le faire.
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L’article 122-2 du Code pénal énonce :
« N’est pas pénalement responsable, la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ».
L’idée étant que telle personne doit être exonérée des conséquences pénales attachées à ses actes car, en effet, elle n’a pas vraiment voulu agir de la sorte mais s’est trouvée livrée en quelque sorte à la puissance des éléments.
Comme je vous le disais également en introduction, de ce point de vue la jurisprudence est extrêmement restrictive dans l’appréciation de la contrainte qu’elle soit physique ou morale.
Dans la mesure où la contrainte n’a subi que peu de modifications entre l’ancien et le Nouveau Code pénal, je vous renvoie à votre document de TD
II – L’erreur de droit
Autre cause qualifiée de subjective d’irresponsabilité pénale toujours, mais qui par certains aspects aurait pu être considérée comme objective : l’erreur de droit ou encore l’erreur sur le droit.
L’article 122-3 du Nouveau Code pénal dispose :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit, qu’elle n’était pas en mesure d’éviter pouvoir légitiment accomplir l’acte ».
Ici, chaque mot a son importance mais avant d’entrer plus dans le détail de l’analyse de ce texte, il n’est pas inintéressant de voir quelle était la situation avant l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal le 1er mars 1994.
Tout simplement, le législateur n’avait pas prévu cette cause d’irresponsabilité pénale. Elle fut donc introduite avec le nouveau Code. Toutefois, bien que non visée par le législateur, cela ne signifiait pas qu’elle n’avait aucune réalité juridique et notamment au niveau des juridictions. En effet, il était toujours possible pour le juge, dès lors que l’auteur d’un acte délictueux invoquait à juste titre une erreur sur le droit, d’accorder des circonstances atténuantes. Mais il ne pouvait considérer l’erreur sur le droit comme une cause de non-responsabilité et prononcer sur cette base la relaxe ou l’acquittement et, si quelques décisions isolées semblent apporter une réponse contraire en ne retenant pas la responsabilité pénale de l’auteur c’est que l’on était en réalité plus près de l’erreur de fait que de l’erreur de droit, nous nous en expliquerons un petit peu plus tard.
Certains n’avaient pas manqué de souligner l’absence de l’erreur de droit dans notre législation comme une lacune regrettable alors que d’autres pays européens, tels que la Belgique, l’Italie ou encore l’Allemagne ou l’Autriche connaissaient ce type d’exonération. Aussi, les projets de réforme du Code pénal de 1974 et de 1983 prévoyaient-ils d’instaurer de façon claire l’erreur de droit comme une cause de non-responsabilité.
Toutefois, curieusement, le projet de 1989 qui allait conduire au Code de 1994 lui ne prévoyait rien, sans doute le gouvernement craignait-il, comme il s’en était ouvert lors de la discussion du texte devant le Sénat que cette disposition pourrait je cite « au plan de la sécurité juridique exposé à des risques dont nous ne sommes à même de mesurer l’ampleur. Retenir l’erreur de droit comporte des dangers que nous pourrions ne pas maîtriser ». Cette crainte, à la différence des Avocats évidemment était partagée par la magistrature elle-même.
C’est donc sous la pression du Sénat que l’erreur de droit fit son apparition dans le Nouveau Code pénal, mais à en juger par la rédaction, par l’interprétation et l’application du texte par les Tribunaux, l’erreur de droit devrait présenter un caractère exceptionnel. Même si souvent invoqué par les justiciables, il ne devrait que très rarement être retenu par les juridictions.
Voyons, après ces quelques considérations introductives, l’articulation de cette cause de non-responsabilité.
Et, avant même d’examiner ces conditions et les effets qui y sont attachés, il nous faut mettre en lumière que l’erreur de droit est étroitement liée à un principe que vous connaissez bien, vous l’avez étudié en première année de droit : nul n’est censé ignorer la Loi.
Quelles conséquences emporte ce principe général du droit (qui d’ailleurs ne figure dans aucun texte écrit).
La conséquence c’est que tout citoyen ne peut arguer de son ignorance de la Loi. La Loi bien sûr entendue dans son sens large et à laquelle on peut même ajouter la coutume et les usages et Lois aussi bien civiles que commerciales, administratives ou pénales, même bien entendu si c’est en droit pénal que l’adage « nul n’est censé ignorer la Loi » s’applique sans doute avec le plus de rigueur.
Une fois ce principe énoncé, il convient toutefois de reconnaître qu’en présence de ce que l’on peut bien appeler une inflation législative, il est bien difficile pour le citoyen lambda de s’y retrouver. Ne dénombre-t-on pas, comme le soulignait un magistrat, pas moins de 9 000 incriminations pénales.
Certes, un justiciable pourrait difficilement invoquer qu’il ne savait pas qu’il était interdit de violer (pour caricaturer bien entendu), ce qui correspond à ce que l’on appelle généralement les infractions naturelles qui expriment les valeurs fondamentales d’une société. Mais quid en face de dispositions pénales en matière de droit de l’urbanisme, du travail, des transports, de l’environnement et j’en passe… Malgré tout, il serait certainement dangereux de ne pas organiser avec rigueur cette présomption de connaissance car cela laisserait s’instaurer, dirons-nous, presque un droit acquis à l’impunité.
C’est donc aux tribunaux d’apprécier, au cas par cas l’état d’ignorance. Et, il convient d’observer qu’en la matière la jurisprudence avant l’entrée du Nouveau Code pénal a toujours adopté une position particulièrement restrictive, même si cela a souvent été critiqué par la doctrine, la Cour de cassation déclarant de façon presque systématique que l’erreur de droit ou encore l’ignorance alléguée, n’est ni un fait justificatif ou une excuse et que cela est sans influence sur la culpabilité.
Il nous faudra voir si cette attitude a évoluée avec l’affirmation de l’erreur de droit de façon expresse comme cause de non-responsabilité dans le Nouveau Code pénal.
L’erreur de droit : conditions
S’agissant des conditions de cette cause de non-responsabilité, on peut d’emblée les qualifier de restrictives puisque le législateur parle d’erreur inévitable, certains parlent d’erreur invincible, à supposer que ces deux qualificatifs soient synonymes.
Comment, premier point, définir l’erreur invincible, l’erreur inévitable ?
Le législateur n’ayant donné aucune précision particulière, on peut là encore à la lecture de la circulaire du 14 mai 1993 pour l’application du Nouveau Code pénal, obtenir ou tenter d’obtenir quelques éléments de réponse.
S’il est vrai qu’il est dit qu’il appartient à la jurisprudence de fixer les contours de cette nouvelle cause d’irresponsabilité, la circulaire précise toutefois que seules deux hypothèses ont été envisagées au cours des débats parlementaires.
Première hypothèse : l’information erronée fournie par l’autorité administrative interrogée préalablement à l’acte et, on pourrait d’ailleurs y ajouter l’autorité judiciaire.
Deuxième hypothèse : le défaut de publication du texte normatif en question empêchant en cela la connaissance de la disposition par le justiciable. Si la situation apparaît peu probable en matière de Lois ou de décrets publiés au JO, en revanche la publication d’arrêts municipaux par exemple, pourrait poser ce type de difficultés – le problème de défaut de connaissance de ce genre de dispositions.
A l’évidence, si les Tribunaux se limitaient à ces deux situations, ils adopteraient une position plutôt restrictive, mais comme les autres causes de non-responsabilité pénale, l’admission de l’erreur de droit sera laissée à leur entier pouvoir souverain d’appréciation s’agissant là encore d’une question de fait. Il leur appartiendra de vérifier si l’erreur ne pouvait vraiment pas être évitée.
Mais l’appréciation se fera-t-elle in concerto c’est à dire juger l’attitude de l’auteur de l’erreur par rapport à lui-même, à ses propres capacités et à la diligence dont il a fait preuve, ou in abstracto c’est à dire l’erreur que tout homme raisonnable aurait pu commettre ou éviter ?
Avant le Nouveau Code pénal, la doctrine préconisait plutôt une interprétation in abstracto qui semblait être celle adoptée par la jurisprudence.
Mais, depuis 1994, à l’inverse, elle semble préconiser une appréciation in concerto. Attendons de voir véritablement de voir quelle sera la position donc des juridictions.
Deuxième point, voyons comment définir le champ d’application de cette cause de non-responsabilité qu’est l’erreur de droit.
S’agissant du domaine, on l’a dit, cela peut concerner tout type de texte normatif en droit civil, administratif, commercial ou pénal. Il peut s’agit de n’importe quelle règle de droit, loi, règlement ou arrêté.
La question s’est aussi posée de savoir si en matière d’infractions pénales, seules les infractions de commission c’est à dire correspondant à un acte positif du délinquant étaient visées, laissant hors du champ, les infractions d’omission, le texte de l’article 122-3 parlant d’accomplir l’acte.
Mais, s’il est vrai que la Loi pénale est d’interprétation stricte, on ne peut pas négliger l’analogie in favorem c’est à dire faite à l’avantage du délinquant et les tribunaux pourront donc étendre le bénéfice de l’erreur de droit aux délits d’omission. Une autre interprétation aurait assurément peu de cohérence d’autant que se multiplient les textes incriminant l’attitude passive des individus, mais là encore il convient d’attendre pour voir quelle sera l’attitude des magistrats sur ce point.
Troisième point, s’agissant de la charge de la preuve. Comme pour toutes les causes de non-responsabilité, c’est à celui qui l’invoque qu’incombe la charge d’établir qu’elle a commis une erreur ; le texte dit « la personne qui justifie avoir cru pouvoir légitimement accomplir l’acte » – ici il n’y a pas de grande difficulté.
Enfin, quatrième point on l’a dit depuis le début de nos développements, l’erreur doit porter sur une règle de droit, soit dans sa méconnaissance, soit dans sa mauvaise interprétation, mais il existe également des situations où il n’y aura pas erreur de droit, mais erreur de fait. C’est à dire que l’auteur ne se méprend pas sur la règle de droit mais ne se rend pas compte de ce qu’il est en train de faire et que ce qu’il est en train de faire correspond à une infraction.
L’exemple souvent repris est celui du pharmacien qui, par erreur délivre à un client non pas le remède prescrit mais un poison et qui commet ainsi une erreur de fait et qui par-là même sera considéré comme coupable, non pas du crime d’empoisonnement, mais du délit d’homicide par imprudence. De même, il n’y aura pas détournement de mineur par exemple si la personne peut établir qu’elle avait toutes les raisons de croire que la victime était majeure.
Ici, le défaut d’intention, le défaut de dol, d’intention dolosive soit va supprimer l’infraction purement et simplement, soit transformer le crime en délit ou encore le délit en contravention. Toutefois, celui qui tue Pierre en croyant tuer Paul reste coupable de meurtre ou d’assassinat car ici l’erreur de fait ne change rien à l’intention. L’erreur de fait est donc sans incidence si elle ne supprime pas le dol c’est à dire l’élément moral de l’infraction.
De même, l’erreur de fait n’a pas d’incidence en cas d’infraction non intentionnelle puisque l’élément moral réside précisément dans la faute d’imprudence ou de négligence ou encore d’inobservation des règlements. Ainsi, malgré l’erreur commise, l’auteur reste punissable, celui qui tue accidentellement un ami ou un parent alors qu’il croyait que le fusil qu’il nettoyait n’était pas chargé reste coupable d’homicide involontaire, la faute résidant ici encore précisément dans cette erreur de fait.
S’agissant non plus des conditions de l’erreur sur le droit, mais des effets de celle-ci, très rapidement retenons que dans les rares cas où elle sera retenue, l’auteur de l’acte sera d’un point de vue pénal reconnu irresponsable et, selon certains auteurs, à la différence du trouble mental, les personnes morales devraient pouvoir en invoquer le bénéfice. En revanche, d’un point de vue civil, les conséquences qui s’y attachent ne sauraient être écartées, s’il peut y avoir irresponsabilité pénale fondée sur l’erreur de droit, il ne peut y avoir irresponsabilité civile. L’auteur de l’infraction sera donc tenu à réparation.
Pour conclure sur l’erreur de droit, quelques mots seulement sur la jurisprudence rendue en la matière depuis l’entrée en vigueur de ce Nouveau Code pénal. L’attitude restrictive qui caractérisait la position de la Cour de cassation avant 1994 semble se confirmer, ainsi une personne a pu être condamnée récemment du chef de violation de domicile, en l’occurrence celui de l’épouse dont il était séparé, alors même que, après avoir consulté son Avoué, celui-ci lui avait confirmé par écrit que la demande de divorce ayant été rejetée par le Tribunal, tout en autorisant les époux à résider séparément, il ne lui était pas interdit de regagner ce logement où était implicitement fixée la résidence familiale. Les juges suprêmes dans une décision du 11 octobre 1995 ont ici considéré qu’une décision judicaire ne peut être la source d’une erreur car celui qui s’en prévaut est en mesure de l’éviter en recourant à une procédure d’interprétation de la décision.
Donc position extrêmement sévère. De même, dans une décision rendue le 5 mars 1997 par la Chambre criminelle, l’erreur de droit invoquée par un chef d’entreprise sur la portée d’une ordonnance sur la durée du temps de travail n’est pas retenue, les magistrats considérant que l’erreur aurait pu être évitée par la simple consultation d’un inspecteur du travail.
Toujours dans le même sens, une décision du 19 mai 1997 confirme là encore la difficulté d’invoquer l’erreur de droit et ce, pour une grande société de distribution qui, malgré de refus répété de la commission d’urbanisme commercial, avait quand même construit de nouveaux locaux commerciaux et qui se prévalait pour se défendre d’un avis du Ministère compétent consulté par l’administration lors de l’instruction de la demande et selon lequel l’opération envisagée ne nécessitait pas une autorisation de l’urbanisme commercial dès lors que certaines conditions étaient respectées. L’erreur sur l’interprétation de l’avis donné par une administration, là n’est pas retenue sur la base du fait nous dit la Cour que ladite grande société de distribution qui est en mesure de disposer de juristes qualifiés pour l’éclairer sur ses choix de stratégie commerciale a agi en connaissance de cause.
Dans une approche restrictive encore, la Chambre criminelle a pu décider dans une décision du 15 octobre 2002 que ne pouvait invoquer l’erreur sur le droit, le directeur d’une grande surface qui avait proposé à la vente un produit réservé aux pharmaciens alors qu’il ne l’était pas lui-même. L’argument avancé par ce dernier consistant à dire que la qualification de médicament du produit en question était si controversée qu’il pensait pouvoir légitimement le vendre. Cet argument est écarté par les Juges qui ont considéré qu’il appartenait au prévenu de s’entourer des conseils appropriés.
Alors, on le voit donc d’une façon générale quand même, la Chambre criminelle adopte une position plutôt restrictive qui était déjà celle qu’elle manifestait avant que le législateur ne fasse expressément de l’erreur sur le droit ou de l’erreur de droit une cause d’irresponsabilité pénale prévue par le Code pénal. Cette position sévère est, bien entendu, souvent mal ressentie par le simple justiciable.