La légitime défense, une cause d’irresponsabilité pénale

 Qu’est-ce que la légitime défense ?

  La légitime défense est une cause d’irresponsabilité pénale. Cela signifie que, dans certaines conditions, une victime d’agression peut riposter sans être punie à son tour. Elle est définie par l’article 122-5 du code pénal, pour la défense des personnes et des biens. 

  1)   La notion de légitime défense

  La légitime défense qui constitue en quelque sorte une permission expresse de la Loi de commettre une infraction est prévue à l’article 122-5 du Nouveau Code pénal au lieu et place de l’article 328 de l’ancien Code.

  Le nouvel article énonce :

  « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf – précise l’article – s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».

  Dans ce premier alinéa, le législateur organise la légitime défense des personnes, mais nous le verrons un petit peu après, dans un alinéa deux, il organise également et, c’est là une innovation du moins au regard des textes, la légitime défense des biens.

L’article 122-6, quant à lui, organise une présomption de légitime défense dès lors que certaines conditions sont réunies.

Donc, voilà pour les textes.

Par ailleurs, les choses paraissent simples à la lecture des articles, mais elles se compliquent dès lors qu’il s’agit d’apprécier l’étendue et les conditions d’application de cette légitime défense, même si, il faut le reconnaître, le législateur a eu le mérite dans cette nouvelle rédaction, contrairement à l’ancienne, de donner quelques élément d’interprétation.

Mais en tout état de cause, la légitime défense est sujette à controverse.

Entre une jurisprudence qui cherche plutôt à faire une application assez stricte de cette théorie et une opinion publique générale plutôt favorable à celle-ci.

 

Pourtant, cette légitime défense n’est pas une notion nouvelle ; on la retrouve dans les civilisations anciennes de l’Inde, de la Grèce ou de Rome, même si elle ne fait pas l’objet d’une construction juridique d’ensemble véritablement, elle est assimilée à un droit naturel voire même à un devoir de l’homme.

Le droit canon lui-même en fait une nécessité excusable, même si la fuite plutôt que la riposte est jugée meilleure, en tout cas il ne prévoit pas de sanction pour l’acte en cause seulement des pénitences.

L’ordonnance de Villers Cauterets de 1539 ne va pas jusqu’à en faire un droit, celui qui a agi pour se défendre n’est pas absout par le législateur, mais par l’obtention de la grâce du roi.

Il faut attendre le premier Code pénal de 1791 pour que cette légitime défense soit considérée comme un véritable droit repris en cela par le Code de 1810 qui l’envisage à la fois comme un droit et un devoir pour le citoyen.

Pour les fervents défenseurs de la légitime défense, celle-ci n’est pas seulement un acte de nécessité, c’est aussi un acte de justice.

Dans la mesure où il ne peut y a voir un gendarme derrière chacun, chacun doit pouvoir assurer sa défense et se substituer à l’autorité défaillante pour la défense de ses droits menacés.

Il a toutefois été mis en avant que la légitime défense peut représenter un danger indéniable. Car avec ce texte il est accordé à chacun un pouvoir de police privée et ce « pouvoir de police privée » entre guillemets bien entendu ne doit pas se transformer, toujours entre guillemets, en « pouvoir de justice privée » qui se transformerait assez vite pour certains en outil de vengeance personnelle comme il l’a été très justement souligné, la légitime défense est une mesure de police qui permet d’assurer une protection utile et urgente des personnes et des biens, mais n’a pas pour effet d’alléger la mission de la justice.

D’où la nécessité de rechercher un équilibre.

La jurisprudence d’abord et le législateur maintenant l’ont fait : d’une part, en exigeant que cette défense soit d’une certaine nature et qu’elle présente certains caractères ; d’autre part, en créant en présence de certaines circonstances, une présomption de légitime défense

La légitime défense des personnes

Premier point donc, l’application générale de la légitime défense, le deuxième point sera consacré aux cas privilégiés de légitime défense.

S’agissant de l’application générale, il convient de distinguer la légitime défense des personnes de celle des biens comme nous l’avons vu.

La légitime défense des personnes tout d’abord. Dans la mesure où le nouvel article du Code reprend les dispositions anciennes, en y ajoutant la consécration du principe de proportionnalité entre la riposte et l’attaque, principe requis par les tribunaux eux-mêmes, les règles dégagées par la jurisprudence gardent, là encore, tout leur intérêt.

Il convient en premier lieu d’analyser cet acte de défense pour voir s’il est justifié ou non et, à un premier niveau, quant à la nature de la riposte tout d’abord.

2)       La nature de la riposte

Bien sûr tout laisse à penser que seuls l’homicide, les blessures et les coups sont les infractions qui peuvent se trouver justifiées par la légitime défense mais en réalité, il est admis que des actes moins graves opposés en riposte peuvent se trouver justifiés même s’il est vrai qu’on les retrouve moins fréquemment comme par exemple des menaces, des violences légères, une atteinte aux biens mobiliers de l’agresseur ou encore une séquestration temporaire.

L’interprétation des tribunaux est ici à la fois large dans les formes de cette infraction et restrictive quant à la catégorie puisqu’elle exige qu’il s’agisse d’une infraction volontaire et non d’une infraction d’imprudence.

Cette affirmation peut sembler curieuse de prime abord tant elle paraît logique car comment peut-on se défendre involontairement, comment la riposte à une agression peut-elle être non volontaire ?

Mais c’est aller un peu vite dans l’analyse du comportement de celui qui riposte involontairement.

Il faut en effet établir une distinction dans les délits involontaires entre le vouloir de l’acte et le vouloir du résultat.

Ainsi, dans une affaire jugée par la Chambre criminelle le 16 février 1967, une sorte de cas d’école, dans laquelle un individu à l’occasion d’une querelle en repousse sans ménagement un autre pris de boisson qui fait un chute et se blesse très grièvement.  Les juges qualifient le comportement de « blessures involontaires » alors que le prévenu, lui, revendique la qualification de « blessures volontaires ».

Conséquence de la qualification des juges du fait, dans la mesure où il s’agit d’une infraction involontaire, la légitime défense ne peut pas jouer, le prévenu a bien commis un acte volontaire – repousser l’ivrogne – mais n’a pas voulu le résultat – les blessures graves – d’où la qualification d’infraction involontaire.

Le droit pénal en effet ne prend pas en considération le DOL PRITER INTENTIONNEL [mot en latin que je n’ai pas retrouvé — désolée] c’est à dire quand l’acte est voulu mais pas le résultat obtenu, sauf en cas de violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Ainsi en arrive-t-on à la situation dans laquelle l’auteur de la riposte involontaire va plaider la riposte volontaire, c’est à dire les blessures volontaires bien plus sévèrement punies bien sûr par l’arsenal répressif, dans l’unique but de bénéficier de la légitime défense. Un individu préférant se voir accusé d’un crime pour répondre des Assises, plutôt que des tribunaux correctionnels, et où, face à un jury populaire il aura plus de chance de bénéficier de la légitime défense et ainsi d’avoir plus de chances d’être acquitté comme ce fut le cas par exemple avec la fameuse affaire LEGRAS, l’affaire du transistor piégé placé dans un placard qui va blesser mortellement un des voleurs et atteindre grièvement l’autre après avoir pénétré avec effraction au domicile du prévenu. Tout ceci est expliqué dans un arrêt de la Cour d’appel de Reims du 9 novembre 1978, mais c’est une affaire qui va se terminer par l’acquittement de l’accusé devant les Assises.

Cette position de la jurisprudence a été critiquée en son temps en raison des conséquences peu logiques qu’elle peut entraîner et dans la mesure où l’article 328 ne distinguant pas les infractions volontaires des infractions involontaires pour la légitime défense, la Cour avait établi une dissociation non prévue par le législateur manifestant en cela une attitude généralement restrictive quant aux cas d’ouverture de ce fait justificatif qu’est la légitime défense.

Alors qu’une défense ne peut être que volontaire, même si le résultat est involontaire ; c’est la nature de la riposte qui doit être prise en compte et non son résultat ou ses conséquences.

A noter que cette position restrictive a été encore confirmée mais non expliquée par d’autres décisions de jurisprudence notamment dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 juin 1985 ou encore dans un arrêt de la Chambre criminelle du 9 juillet 1984.

Après la nature de la riposte, voyons maintenant les caractères de cette riposte.

3)     Les caractères de la riposte

Celle-ci, pour être retenue au titre de la légitime défense et conduire ainsi à la non responsabilité de son auteur, cette légitime défense, cet acte de riposte, doit présenter certaines caractéristiques.

Elle doit être actuelle, répondre à une agression injuste, elle doit nécessaire et mesurée.

Elle doit être actuelle tout d’abord. Qu’est-ce que cela veut dire ?

L’article 122-5 exige que l’agression et la riposte aient lieu dans le même temps ; je reprends ici l’expression du législateur, un temps trop long ne doit pas s’être écoulé entre les deux et c’est au juge qu’il appartient d’apprécier ce délai.

Le danger doit en effet être irrésistible et imminent. Si le danger est passé, l’acte de défense ne se justifie plus, il y a alors vengeance privée. A moins bien sûr que l’agressé ait toutes les raisons de croire que l’agression peut se répéter, se réitérer.

Là encore tout est question d’espèce. Ainsi, des coups de feu tirés par un cafetier sur un groupe de jeunes perturbateurs dans son bar 20 minutes après qu’ait eu lieu l’incident initial a été considéré comme un délai trop long faisant passer l’acte de défense dans la catégorie de l’acte de vengeance inspiré par la peur, l’émotion ou la colère.

En cas de rixe en plusieurs phases, il a été également admis par les juges, qu’après s’être trouvés dans un premier temps en état de légitime défense à la suite d’une agression, les prévenus s’étant dans un second temps rués sans nécessité sur leurs adversaires nous dit la Cour, et bien ceux-ci ont alors commis le délit de violences volontaires et ne se sont pas vus reconnaître la légitime défense.

Inversement, si le danger et le péril qui menacent ne sont qu’éventuels ou futurs, celui qui se prétend menacé ne saurait justifier une infraction commise de manière préventive.

 

S’agissant, en allant plus loin, d’hypothèses extrêmes des atteintes putatives c’est à dire qui n’existent que dans l’imagination de celui qui se défend, celles-ci ne sont retenues par les tribunaux que dès lors qu’elles sont vraisemblables, et les juges sont ici généralement exigeants bien entendu.

Ce caractère éventuel ou futur pose bien évidemment le problème de la légitime défense assurée par des moyens automatiques, pièges à feu ou tout autre engin explosif de fabrication plus ou moins artisanale où l’on ne peut nier ici le côté de défense préméditée : c’est à dire qu’il n’y a pas la concomitance avec cette caractéristique, que l’engin est actionné par l’agresseur lui-même, et non par l’agressé.

La jurisprudence n’écarte pas systématiquement ces actes de défense prémédités et les admet au titre de la légitime défense dès lors qu’il y a nécessité actuelle de se défendre ou de défendre ses biens et que la réaction défensive n’est pas hors de proportion avec les intérêts menacés.

Ainsi, celui qui a déjà été cambriolé à plusieurs reprises, qui avise les services de police de l’installation d’un dispositif explosif chez lui, qui prend toutes précautions utiles pour avertir les tiers qu’un tel système est en service dans son jardin ou dans sa maison afin d’éviter les accidents, devrait dès lors pouvoir bénéficier de la légitime défense qu’il y ait blessures voire mort d’homme, comme c’était le cas dans l’affaire LEGRAS.

L’acte de défense doit répondre ensuite à une agression injuste, c’est la deuxième condition.

C’est à dire qu’elle ne doit pas être fondée en droit, ni autorisée, ni ordonnée par la Loi. Ce caractère injuste apparaît dans le texte du nouvel article 122-5, cette condition ayant été dégagée par la jurisprudence antérieure au Nouveau Code pénal.

Ainsi en cas d’arrestation, de perquisition, de fouilles opérées par les forces de police ou toute autre autorité investie du pouvoir d’y procéder, celui qui frappe l’agent ne peut invoquer la légitime défense.

Mais, qu’en est-il lorsque l’action de l’autorité publique est illégale ?

A ce sujet, les analyses doctrinales et les solutions jurisprudentielles varient entre l’obéissance passive et la rébellion justifiée et il apparaît difficile de tirer une règle générale, tout est question d’espèce à vrai dire, la balance pencherait plutôt peut-être pour l’absence d’impunité ou alors une impunité sur un fondement autre que la légitime défense.

L’attitude, le comportement de l’officier public est parfois pris en compte par les Tribunaux.

Ainsi, en matière de saisie exécution, dans une décision de la Chambre Criminelle du 20 mars 1991, on a pu déclarer la condamnation d’une personne pour rébellion pour opposition violente à une saisie exécution pratiquée par un huissier de justice mais saisie exécution exécutée dans les règles.

Alors que plus récemment, dans une décision du 20 octobre 1993, la légitime défense a été reconnue à une commerçante séquestrée entre guillemets dirons-nous dans des conditions contestables et qui s’est libérée par acte de défense consistant en l’utilisation d’une bombe lacrymogène, nous reviendrons sur cette décision pour illustrer un autre aspect de la légitime défense et son caractère mesuré.

Un mot seulement sur la riposte opposée à une attaque par une personne irresponsable, un fou ou encore un animal.

Cette agression perd-elle son caractère injuste ?

Sûrement non car nul n’est tenu de se laisser blesser ou tuer que l’attaquant soit responsable ou irresponsable. Comme on l’a dit, le droit de se défendre peut exister là même où le droit de punir n’existerait pas mais, à la condition malgré tout qu’il y ait une certaine proportionnalité là encore entre l’attaque et la défense.

Toutefois, n’est-on pas ici plus près de l’état de nécessité dont nous allons parler un petit peu plus loin, que de la légitime défense ?

Troisième caractéristique de la défense, celle-ci doit être nécessaire.

L’acte en cause doit être en effet, le seul moyen de se défendre contre l’agression, ce caractère nécessaire déjà clairement énoncé dans l’article 328 de l’ancien Code pénal l’est également dans le nouveau qui parle d’un acte commandé par la nécessité de la légitime défense.

L’idée est ici que l’individu évoluant dans un système où ne lui est pas reconnu le droit de se faire justice lui-même, dès lors en cas de péril, celui-ci doit se placer sous la protection des autorités mises en place à cet effet. Ce n’est que lorsque les défenses personnelles s’avèrent l’ultime recours qu’elles conduisent à l’impunité.

Se pose la question de savoir si, dans une situation où la fuite aurait été possible, l’individu qui choisit de riposter pourra invoquer la légitime défense.

Là encore tout est question d’espèce et les Tribunaux prennent le plus souvent en compte les circonstances entourant l’agression ; si elle est le fait d’un enfant ou d’une personne invalide, la riposte était-elle vraiment nécessaire ? La fuite n’aurait-elle pas été préférable ?

Les magistrats se montrent en général assez rigoureux quant à la nécessité de la riposte considérant que celle-ci doit être indispensable pour éviter les conséquences de l’agression, et les tribunaux ont ainsi pu refuser le bénéfice de la légitime défense dans quelques décisions récentes sur la base du fait que l’agressé avait la possibilité d’alerter les services de police ou de gendarmerie pour assurer sa protection plutôt que de recourir à des violences.

En pratique, la question de la nécessité de la défense, de son caractère absolument nécessaire pour reprendre l’expression de la Convention Européenne des Droits de l’Homme est le plus souvent liée à la question de la proportionnalité de la riposte à l’attaque.

D’où quatrième caractéristique, la défense doit être mesurée.

Cette proportionnalité est un élément jurisprudentiel repris par le législateur dans l’article 122-5 et qui n’apparaissait pas dans l’article 328 qui parlait de « nécessité » seulement.

Ce nouvel article énonce qu’il y a légitime défense sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

Cette exigence de proportionnalité dégagée très tôt par les tribunaux est une question de fait laissée à l’appréciation des juges du fond.

Mais leur motivation doit être claire et précise pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle.

Certaines situations bien sûr ne posent pas de problème pour l’appréciation de cette mesure, celui qui répond à une gifle par un coup de révolver ne bénéficiera pas de la légitime défense.

De même, dans une affaire jugée en 1961, celui qui avait été pris au collet par une personne de sa connaissance lors d’une querelle dans un bar et qui avait riposté en explosant une bouteille sur la tête de son agresseur en lui causant une blessure très grave n’avait pas obtenu le bénéfice de la légitime défense. Pour la lui refuser, les magistrats avaient pris bien soin de motiver leur position énonçant que les antagonistes qui se connaissaient bien se trouvaient dans le café, entourées de personnes connues habitant le même village qui pouvaient intervenir pour les calmer et les séparer, que cette bouteille cassée avec violence équivalait à une arme dangereuse et que cette défense n’était pas nécessaire. La défense du prévenu était en disproportion avec l’agression dont il était l’objet, le péril actuel commandant la nécessité de la blessure faite ne pouvait être admis, tout en retenant l’excuse de provocation bien sûr.

Excuse de provocation supprimée par le Nouveau Code pénal – il convient de le rappeler- les juges avaient à bon droit évidemment écarté la légitime défense, même, bien entendu, si la peine allait se trouver réduite en raison précisément de cette excuse de provocation.

En fait, on le voit, tout est question d’appréciation du péril et l’analyse se fait in abstracto.

La légitime défense sera admise toutes les fois où elle sera vraisemblable, quand chacun placé dans une situation équivalente aurait pu croire au péril et se sentir menacé.

Toutefois la jurisprudence peut parfois tempérer cette analyse par des considérations in concreto. Par exemple le fait que la personne qui s’est défendue est un vieillard ou une femme ou un enfant ou une personne handicapée qui ne peuvent pas avoir les mêmes réactions défensives.

Ainsi, généralement, les Tribunaux admettent qu’en cas de viol et bien une femme puisse tuer le violeur.

De même, dans l’affaire mettant en cause un huissier de justice un peu trop zélé, affaire que nous avons déjà évoquée, a-t-il été admis qu’une femme puisse tenter de se libérer d’une séquestration abusive en utilisant une bombe lacrymogène. L’officier public, l’huissier en l’occurrence et ses accompagnateurs ayant pénétré dans le magasin à l’insu de la commerçante par une porte non accessible au public afin d’obtenir auprès de son petit-fils des renseignements et l’avait ensuite empêchée de sortir des lieux en lui subtilisant ses clefs.

Face à ces méthodes plutôt musclées pour la simple obtention d’informations concernant un tiers détenteur d’un véhicule à saisir, la Chambre criminelle dans sa décision du 20 octobre 1993 a pu confirmer le bénéfice de la légitime défense, cette femme ayant eu un comportement mesuré et proportionnée à l’agression dont elle était l’objet, violation de domicile, séquestration, pressions et voies de faits diverses.

La Cour de cassation continue donc d’exercer son contrôle sur la question de la proportionnalité et plus que jamais dirons-nous puisque désormais la notion de proportionnalité est prévue par le législateur.

 

A signaler également que les tribunaux ne semblent pas toujours exiger au titre de la proportionnalité que l’attaque se traduise par une atteinte ou une menace d’atteinte à l’intégrité d’un individu, à son intégrité physique.

Ainsi, la Chambre criminelle dans un arrêt du 18 juin 2002 a pu admettre la légitimité d’une riposte à une attaque portant atteinte aux intérêts moraux d’une personne, en l’occurrence une agression verbale d’une particulière violence, à laquelle il fut répondu par un coup de pied aux fesses, vous trouverez cette décision dans votre fascicule de TD.

A noter que la légitime défense est dans l’ensemble admise assez facilement en cas d’atteinte à la personne, mais qu’en revanche, l’appréciation semble plus rigoureuse en cas d’atteinte aux biens qui apparaît moins légitime que la défense de l’individu.

La légitime défense des biens

Donc quelques mots sur cette légitime défense des biens qu’il convient maintenant de traiter à part dans la mesure où le Nouveau Code pénal d’une part reconnaît expressément cette légitime défense des biens et, d’autre part, lui consacre un alinéa ; en l’occurrence l’alinéa second de l’article 122-5, ne l’amalgamant pas à la légitime défense des personnes.

Elle connaît d’ailleurs des conditions différentes, la protection des choses matérielles étant moins ouverte que celle de l’individu, pour des raisons qui s’expliquent bien entendu.

Cette légitime défense des biens n’était pas prévue spécifiquement dans l’ancien Code pénal, mais la jurisprudence l’admettait, considérant l’article 328 notoirement incomplet. Le Nouveau Code pénal entérine donc la jurisprudence relative à la légitime défense des biens dont il précise et limite les contours.

Lors de la discussion du texte au Parlement, les avis étaient partagés quant à sa reconnaissance explicite dans un texte. Pour l’assemblée nationale, l’interprétation de la légitime défense devait être faite par les tribunaux, les députés craignant précisément que cette reconnaissance explicite dans un texte ne conduise à des excès, à des dérapages. Le Sénat, en revanche, jugeant préférable qu’elle soit organisée dans un texte et non pas seulement soumise à la libre interprétation des tribunaux.

S’agissant de son régime, comme on l’a dit, elle est bien moins large que la légitime défense des personnes à deux égards et la Circulaire de la chancellerie du 14 mai 1993 est claire là-dessus.

—             D’une part, il est exigé que l’acte de défense soit strictement nécessaire au but poursuivi et il appartient à la personne poursuivie de démontrer que le principe de proportionnalité a été respecté alors qu’en matière de légitime défense des personnes, c’est au Ministère Public de prouver que les moyens de défense sont disproportionnés.

Donc on le voit, un renversement de la charge de la preuve qui est un point très important.

—             D’autre part, il est expressément indiqué que cet acte de défense ne peut consister en un homicide volontaire. Le législateur considère en effet qu’aucune atteinte aux biens aussi grave soit-elle ne peut justifier la mort d’une personne. Ce point est là encore essentiel car sous l’ancien système, avant le Code donc, c’est précisément en cas d’homicide que s’établissait le clivage entre les tribunaux appréciant plus rigoureusement la riposte en cas d’atteinte aux biens et la pression de l’opinion publique souvent plus encline à défendre la victime cambriolée que le voleur tué sous le coup d’un transistor piégé ou d’une carabine installée sur un chevalet ou toute autre machine infernale.

Une jurisprudence trop permissive confortant les individus à transformer leur habitation ou bureau en place fortifiée ou en bunker miné n’était pas, comment dirais-je, nécessaire.

A noter toutefois, ce qui réduit considérablement la portée de l’interdiction, que seul l’homicide volontaire est interdit mais non les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, ce qui sera souvent le cas en principe.

Enfin, contrairement à ce qui est prévu pour la légitime défense des personnes, celle-ci n’est possible que pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, ce qui exclut la riposte à une simple contravention c’est à dire en pratique la riposte à des dégradations légères aux biens.

Avec le Nouveau Code pénal, la légitime défense des biens doit être nécessaire et proportionnelle.

Quant au caractère actuel, la simultanéité, auquel il n’est pas fait référence dans le nouvel article et qui pose précisément la question des engins automatiques, des pièges, et bien ce sont les tribunaux qui, là encore, apprécieront comme avant.

Donc, de ce point de vue, le texte n’a pas considérablement évolué

Les cas privilégient de légitime défense

 

A côté des cas généraux de légitime défense que nous venons de traiter, la Loi organise ce que l’on appelle des cas privilégiés de légitime défense, c’est à dire des situations précises dans lesquelles, celui qui va agir pour se défendre va bénéficier d’une présomption de légitime défense.

L’article 122-6 reprend les deux cas prévus originellement par l’article 329 de l’ancien Code.

La Loi vise celui qui accomplit l’acte de défense, bien sûr, la riposte dans deux situations possibles.

D’abord ; pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; ensuite, pour se défendre contre les auteurs de vol ou de pillage exécutés avec violence.

Ici, en raison de l’incertitude ou de l’invraisemblance du danger, le législateur fait bénéficier l’auteur de la riposte d’une présomption le dispensant de prouver que les conditions générales de la légitime défense sont bien réunies. Il n’a à prouver que l’existence de la situation particulière c’est à dire les conditions objectives prévues par l’article (que ça c’était passé la nuit, qu’il y avait eu effraction ou qu’il y avait eu violence).

Mais, s’est alors posée la question de savoir si cette présomption présentait ou non un caractère irréfragable, ce qui revient à se demander si l’on peut prouver contre l’auteur de la riposte qu’en dépit des conditions que nous venons de mentionner, il n’était pas en danger et, qu’en conséquence cette riposte n’était pas nécessaire et tout au moins était tout à fait disproportionnée.

Et, pour illustrer le caractère simple de la présomption de légitime défense des biens prévu par l’article 329 de l’ancien Code pénal mais repris sensiblement dans les mêmes termes par l’article 122-6, une décision rendue par la Chambre criminelle le 12 octobre 1993 – donc avant l’entrée en vigueur du Nouveau Code mais, les faits se seraient-ils déroulées après le 1er mars 1994, que la solution aurait été la même pour ce fait divers dramatique – .

Le 30 avril 1990, vers 22 heures 45, un jeune homme se hisse à l’aide d’une échelle sur la toiture donnant accès à la fenêtre de sa bienaimée après lui avoir lancé quelques cailloux pour l’avertir de sa présence. Le père, après avoir identifié le séducteur de sa fille, qui apparemment n’en était pas à son premier essai, va chercher sa carabine y place 5 cartouches, s’allonge sur le sol et tire blessant mortellement le jeune homme.

Le père, déclarant avoir interpellé ce dernier et l’avoir vu porter la main à sa poche droite – fait qui d’ailleurs ne fut pas établi – invoque la présomption de légitime défense de l’article 329 dans la mesure où selon l’accusé il y avait escalade de nuit de sa propriété et ainsi évitait d’être renvoyé devant les Assises comme la Chambre d’accusation l’en avait décidé le reconnaissant coupable d’homicide volontaire.

Cette triste affaire en rappelle malheureusement deux autres cas célèbres qui s’étaient d’ailleurs, pour ces deux affaires, finis d’un point de vue judiciaire de façon tout à fait opposée.

Il s’agit de l’affaire DE JEUFOSSE qui fait partie de ces grands arrêts de la jurisprudence, affaire rendue en 1857 où là encore bien que s’agissant d’une mère cette fois et non pas d’un père, celle-ci ne supportant pas les billets doux du galant de sa fille déposés sur le rebord de fenêtre de sa propriété, demande à son garde-chasse d’y mettre fin. Ce dernier sans autre forme de procès, blesse mortellement le soupirant et l’employé ainsi que la mère sont poursuivis pour complicité et pour homicide volontaire. Mais l’affaire se termine par l’acquittement du meurtrier et de son complice par le jury populaire. La juridiction d’instruction toutefois avait quand même jugé bon d’envoyer ces deux individus devant les tribunaux ayant refusé de prononcer le non-lieu.

Puis, c’est la fameuse affaire REMINIAC du 19 février 1959 avec des faits assez semblables où le propriétaire d’une maison tire sur l’ancien amant d’une de ses domestiques et le blesse mortellement après que ce dernier ait escaladé la toiture et pénétré dans le jardin et que le meurtrier ait exhorté vainement le perturbateur à la raison invoquant la présomption de légitime défense prévue par l’article 329.

Mais, ici contrairement à l’affaire DE JEUFOSSE, cette légitime défense ne lui sera pas accordée par les juges ; ceux-ci considérant que le texte en question ne saurait justifier des actes de violence lorsqu’il est démontré qu’ils ont été commis en dehors d’un cas de nécessité actuelle et l’absence d’un danger grave et imminent dont le propriétaire ou les habitants auront pu se croire menacés dans leur personne ou dans leurs biens.

 

Plutôt qu’un revirement de jurisprudence, cet arrêt REMINIAC de 1959 met fin à une sorte de longue controverse en affirmant sans équivoque que l’article 329 du Code pénal n’instaure qu’une présomption simple de légitime défense donc une présomption qui, loin de présenter un caractère absolu et irréfragable, est susceptible de céder devant la preuve contraire, pour reprendre les termes de l’arrêt.

Toutes ces affaires posent donc le problème de la présomption de la légitime défense énoncée par les articles 329 et 122-6 qui nous dit donc :

« Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte, et je le rappelle, pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité. »

Seul ce premier élément nous intéresse ici : repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité. C’est ce qu’invoquait le père meurtrier pour écarter sa responsabilité.

La question n’est plus vraiment bien sûr de savoir si cette présomption est simple ou irréfragable, celle-ci ayant été tranchée par cet arrêt REMINIAC.

Cette présomption n’est que simple. Et pourtant une fois encore, l’accusé tentait de soutenir le contraire. Pour les tribunaux, loin de présenter un caractère absolu et irréfragable, cette présomption est susceptible de céder devant la preuve contraire. Quel est l’intérêt de cette présomption de légitime défense ?

L’intérêt se situe au niveau de la preuve bien sûr. En effet, on l’a dit, c’est à celui qui invoque la légitime défense d’en rapporter la preuve.

Avec l’article 122-6, dès lors que les conditions énoncées par l’article sont établies, c’est au juge qu’il appartiendra de prouver la non légitime défense. L’article 122-6 opère donc là encore un renversement de la preuve et dans l’affaire qui nous intéresse, l’accusé reprochait à la chambre d’accusation d’avoir violé le texte.

D’une part les juges ayant constaté l’escalade de nuit de sa propriété, ils n’avaient pas à établir la nécessité actuelle de défense dans laquelle il se trouvait c’est à dire l’existence d’un danger réel, grave et imminent.

D’autre part, selon lui (selon l’accusé toujours) la défense peut être préméditée sans pour autant perdre son caractère légitime.

La Chambre criminelle considérant que la Chambre d’accusation statuant sur les charges de culpabilité apprécie souverainement tous les éléments constitutifs des crimes et délits ainsi que les faits justificatifs qu’ils comportent ne va pas se donner le pouvoir de vérifier la qualification donnée aux faits.

Mais surtout dans cet arrêt, elle va confirmer que, contrairement à ce qui est soutenu par l’accusé, l’article 329 alinéa 1er n’institue au bénéfice de l’auteur soupçonné d’un homicide volontaire qu’une présomption simple. Donc, réaffirmation claire de ce caractère simple de la présomption.

Et, au niveau des faits précisément, les juges du fond vont rechercher dans les éléments de fait que les violences mortelles n’avaient pas été nécessitées par la défense actuelle de lui-même en soulignant la disproportion entre le comportement du jeune homme et la riposte du père.

Celui-ci n’était nullement en danger et s’était en effet abstenu ce soir-là de faire appel aux services de police comme il n’avait pas hésité à le faire en plusieurs occasions les jours précédents, comme le soulignent les magistrats du fond. Le père savait qui il était et ce qu’il voulait. A aucun moment sa vie n’avait été mise en danger, l’allégation selon laquelle la victime aurait tiré un coup de feu n’ayant pas du tout été vérifiée.

C’est donc à juste titre que la chambre d’accusation rejette le fait justificatif de légitime défense face à une agression non établie et à une riposte préméditée et disproportionnée.

On ne peut bien entendu qu’approuver cette décision car affirmer la thèse de la présomption irréfragable de la légitime défense dès lors que l’agression a lieu de nuit par escalade ou effraction, conduirait, comme l’a fort bien exprimé le doyen CARBONNIER à conférer un véritable permis de tuer.

Et même s’il est vrai, comme le souligne l’annotateur sous l’arrêt REMINIAC, que la Loi des 12 tables admet qu’un voleur opérant de nuit et pris sur le fait puisse être immédiatement tué, encore faut-il qu’il s’agisse d’un voleur et non d’un galant.

Certains n’hésitent pas à affirmer que les personnes qui se heurtent à un intrus la nuit, dans leur domicile avec effraction et escalade peuvent évidemment se sentir menacés dans leur vie au point d’être en droit de tuer l’agresseur.

Tout est en fait une appréciation au cas par cas effectuée par les tribunaux.

Et, dans la mesure où une règle générale ne peut être tirée de situations extrêmement diverses, il avait été proposé purement et simplement de supprimer cette présomption de légitime défense. Les rédacteurs du Nouveau Code pénal n’ont pas cru bon de le faire puisque l’article 122-6, comme on l’a vu tout à l’heure, reprend les termes de l’ancien Code et précise même qu’il s’agit d’une présomption, ce que ne faisait pas l’ancien article, ce qui n’apparaissait pas dans le texte 329, s’agissant en fait d’une interprétation purement jurisprudentielle.

A noter d’ailleurs que la circulaire de la chancellerie du 14 mai 1993 relative à l’application du Code pénal précise que cette présomption est simple et cède devant la preuve contraire reprenant ici le courant jurisprudentiel.

Comme le souligne l’annotateur sous l’arrêt de 93, la nuit alors que les défenses sociales ne fonctionnent plus qu’au ralenti, dans son domicile qu’il convient de considérer comme un asile inviolable, l’habitant doit pouvoir assurer sa propre défense de la manière la plus énergique sans être inhibé par la menace de poursuites pénales. Ainsi le législateur doit-il impérativement d’une part, avertir les malfaiteurs qu’ils courent un risque vital en violant de nuit le domicile d’autrui, d’autre part permettre aux victimes de cette agression de réagir sans crainte de poursuites judiciaires.

C’est le maintien de ce double avertissement qu’a choisi le Nouveau Code pénal en précisant la situation dans laquelle un individu se sentant menacé, peut faire sa propre police. Ce sont les termes du débat qui, on le voit là encore sont toujours les mêmes et n’ont guère progressé.

Pour conclure sur la légitime défense, juste une remarque à propos des conséquences civiles de celle-ci.

En effet, dans la mesure où aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de celui qui a riposté en état de légitime défense, celui-ci ne pourra se voir condamné à aucuns dommages et intérêts. La Cour de cassation a toujours rappelé cette solution. La légitime défense exclut toute faute et ne peut donc donner lieu à une action en dommages et intérêts.

En cas de faits justificatifs, aucune responsabilité civile, quel que soit le fondement sur lequel elle s’appuie – que ce soit l’article 1382, 1383, 1384 du Code civil – ne peut être engagée.

Ce n’est que dans les cas où la légitime défense n’aura pas été retenue, les conditions générales n’étant pas réunies, qu’un partage de responsabilité entre l’agresseur et l’agressé pourra être admis par les Tribunaux

 

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