La saisie conservatoire des biens meubles corporels
La saisie conservatoire peut porter sur des biens meubles corporels appartenant au débiteur, elle permet ensuite au créancier de pratiquer, le cas échéant, la mesure d’exécution correspondante: la saisie-vente. Toutefois, la loi ne confère ni droit de gage ni droit de préférence au premier créancier qui pratique une saisie conservatoire sur les meubles corporel. Cette saisie conservatoire n’a donc d’intérêt que si elle est convertie très rapidement en une mesure d’exécution i.e. en une saisie-vente. Cependant, elle peut toujours être utilisée comme une simple mesure d’intimidation.
1) Le domaine de la saisie conservatoire des biens meubles corporels
- Le Juge de l’exécution (JEX) : désignation, compétence, procédure
- L’huissier et les personnes chargées de l’exécution
- Les procédures civiles d’exécution : définition, domaine…
- Le créancier saisissant et le débiteur saisi
- La saisissabilité des biens du débiteur
- Quels sont les biens insaisissables?
- Les conditions relatives à la créance, cause de la saisie
La saisie conservatoire des biens meubles corporels peut être pratiquée sur tous les meubles corporels: meubles meublants, marchandises, animaux, machines et véhicules. Certaines juridictions avaient même admis, avant la réforme, la saisie conservatoire d’une prothèse dentaire.
– Immeubles (non): les immeubles en sont exclus des saisies conservatoires car ils ne peuvent faire l’objet que d’une mesure conservatoire particulière: l’hypothèque judiciaire conservatoire.
– Immeubles par destination (non): au regard du droit des biens, les immeubles par destination ont en principe une nature mobilière et peuvent donc faire l’objet d’une saisie conservatoire mais ils deviennent immeubles s’ils sont rattachés à un immeuble par nature au service duquel ils sont affectés (Code Civil Article 524) ou s’ils sont attachés à perpétuelle demeure (Code Civil Article 525) et alors, perdant leur nature mobilière, ils relèvent de la saisie immobilière et non de la saisie conservatoire des biens meubles corporels.
Exception: les meubles devenus immeubles par destination peuvent être saisis indépendamment pour le paiement de leur prix.
– Meubles par anticipation (oui): les récoltes sur pied sont considérées comme des meubles par anticipation dans les 6 dernières semaines précédant la période normale de maturité, elles peuvent donc faire l’objet d’une saisie conservatoire de biens meubles incorporels dans ces 6 dernières semaines.
– Monnaie (non): aucune disposition n’interdit de pratiquer une saisie conservatoire sur des espèces sonnantes et trébuchantes mais cette saisie semble exclue car la saisie conservatoire doit pouvoir être convertie dans une saisie-vente or la monnaie ne peut être vendue à un cours supérieur ou inférieur à sa valeur faciale, dès lors si une saisie conservatoire est pratiquée sur de la monnaie, il sera impossible de la convertir en une saisie-vente puisque la monnaie ne peut être vendue. Donc, en principe, il est impossible de pratiquer une saisie conservatoire sur de la monnaie.
2) Les opérations de saisie
Le déroulement des opérations de saisie (A) va produire certains effets (B).
- A) Le déroulement des opérations de saisie
Il faut distinguer selon que le bien est en la possession du débiteur (1) ou se trouve dans les mains d’un tiers (2).
1) Les opérations de saisie des biens en la possession du débiteur
Les opérations de saisie passent par l’établissement d’un acte de saisie qui est ensuite notifié au débiteur.
- a) L’acte de saisie
– Sans commandement de payer préalable et titre exécutoire, l’huissier de justice ne peut pas, en principe, pénétrer dans l’habitation du débiteur pour pratiquer directement une saisie conservatoire. Cependant, le principe de l’inviolabilité du domicile du débiteur peut être transgressé dès lors que la mesure est précédée d’une autorisation préalable. Ainsi, avant de pratiquer la saisie, l’huissier doit présenter soit l’autorisation judiciaire préalable soit le titre exécutoire (qui dispense de l’autorisation). La saisie doit être pratiquée dans les 3 mois de l’autorisation à peine de caducité de celle-ci (Décret de 1992, Article 214 cf. supra.).
– « Après avoir rappelé au débiteur qu’il est tenu de lui indiquer les biens qui auraient fait l’objet d’une saisie antérieure et de lui en communiquer le procès-verbal, l’huissier de justice dresse un acte de saisie » (ancien PV de saisie avant la réforme) (Décret de 1992, Article 221 al.1) Décret de 1992, Article 221 al.2 et suivants.
« Cet acte contient, à peine de nullité :
- § 1° La mention de l’autorisation du juge ou du titre en vertu duquel la saisie est pratiquée ; ces documents sont annexés à l’acte ; […]
- § 2° La désignation détaillée des biens saisis [, le cas échéant avec des photographies en annexe de l’acte (Décret de 1992, Article 221 al.11 et Article 90). Si aucun bien n’est saisissable ou si les biens n’ont aucune valeur marchande, l’huissier dresse un procès verbal de carence (Décret de 1992, Article 92)] ;
- § 3° Si le débiteur est présent, sa déclaration au sujet d’une éventuelle saisie antérieure sur les mêmes biens ;
- § 4° La mention, en caractères très apparents, que les biens saisis sont indisponibles, qu’ils sont placés sous la garde du débiteur, qu’ils ne peuvent être ni aliénés, ni déplacés, si ce n’est [si une cause légitime rend leur déplacement nécessaire et avec information préalable au créancier avec indication du lieu de déplacement (Décret de 1992, Article 91 al.2) ex: déménagement du débiteur], sous peine des sanctions [pénales de détournement d’objet saisi (CP Article 314-6)] […], et que le débiteur est tenu de faire connaître la présente saisie à tout créancier qui procéderait à une nouvelle saisie sur les mêmes biens ;
- § 5° La mention, en caractères très apparents, du droit qui appartient au débiteur, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, d‘en demander la mainlevée au JEX du lieu de son domicile ;
- § 6° La désignation de la juridiction devant laquelle seront portées les autres contestations, notamment celles relatives à l’exécution de la saisie ;
- § 7° L’indication, le cas échéant, des nom, prénom et qualité des personnes qui ont assisté aux opérations de saisie, lesquelles doivent apposer leur signature sur l’original et les copies ; en cas de refus, il en est fait mention dans l’acte ;
- § 8° La reproduction de« CP Article 314-6 (détournement d’objet saisi) et de Décret de 1992, Article 210 à 219 (conditions de validité de la saisie conservatoire).
– Ces mentions tendent à assurer la protection du débiteur et à sauvegarder ses droits, c’est pourquoi elles sont exigées à peine de nullité. S’agissant d’une nullité de forme, la nullité de l’acte de saisie est subordonnée à la preuve d’un grief et ce même si la formalité omise est une formalité substantielle.
- b) La notification de l’acte de saisie au débiteur
– « Si le débiteur est présent aux opérations de saisie, l’huissier de justice lui rappelle verbalement le contenu des mentions des 4° et 5° de l’article 221 [(effets de la saisie et droits ouverts au débiteur)]. Une copie de l’acte portant les mêmes signatures que l’original lui est immédiatement remise ; cette remise vaut signification » (Décret de 1992, Article 222 al.1).
– « Lorsque le débiteur n’a pas assisté aux opérations de saisie, une copie de l’acte lui est signifiée [à personne ou à domicile selon les règles classiques de signification des actes de procédure], en lui impartissant un délai de 8 jours pour qu’il porte à la connaissance de l’huissier de justice toute information relative à l’existence d’une éventuelle saisie antérieure et qu’il lui en communique le procès-verbal » (Décret de 92 Article 222 al.2).
2) Les opérations de saisie des biens entre les mains d’un tiers
– Les opérations de saisie débutent par la présentation de l’autorisation judiciaire préalable ou du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée.
– L’acte de saisie (ancien PV de saisie) comprend les mêmes mentions qu’en cas de saisie des biens entre les mains du débiteur.
La saisie est pratiquée sans que le débiteur n’en soit informé, une étape supplémentaire s’impose donc:
– Décret de 1992, Article 224 « L’acte de saisie est signifié au débiteur dans un délai de 8 jours. Il contient en outre, à peine de nullité :
- 1° Une copie de l’autorisation du juge ou du titre, selon le cas, en vertu duquel la saisie a été pratiquée ;
- 2° La mention, en caractères très apparents, du droit qui appartient au débiteur, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, d’en demander la nullité au JEX du lieu de son propre domicile ;
- 3° La reproduction des articles 210 à 219 [(conditions de validité des mesures conservatoires)] ».
Ces mentions sont importantes car ce sera le débiteur qui contestera la saisie et non le tiers.
- B) Les effets de la saisie conservatoire des biens meubles corporels
La saisie conservatoire rend indisponibles les biens saisis, ils sont placés sous main de justice (L91 Article 74 in fine, Décret de 92 Article 91 al.1). Ainsi, les biens saisis ne peuvent plus faire l’objet d’une quelconque opération juridique ou encore d’un déplacement matériel sauf cause légitime et si le créancier en est préalablement informé et que lui est indiqué le lieu de déplacement (Décret de 92 Article 91 al.2), sous peine sanctions pénales de détournement d’objets saisis (CP Article 314-6).
– Efficacité de l’indisponibilité: l’indisponibilité des biens peut être gênante pour le débiteur notamment lorsqu’il est un commerçant et que la saisie porte sur des marchandises destinées à la vente. De plus, contrairement à la saisie conservatoire des créances, il n’y a aucun dispositif de plafonnement automatique de l’indisponibilité car il est impossible d’évaluer la valeur exacte des biens saisis. La saisie conservatoire des biens meubles corporels est donc un moyen de pression efficace mis à la disposition du créancier.
– Mesures particulières assurant le respect de l’indisponibilité:
- « Le JEX peut ordonner sur requête, à tout moment, même avant le début des opérations de saisie, la remise d’un ou plusieurs objets à un séquestre qu’il désigne » (Décret de 1992, Article 97 al.2).
- « En outre, si parmi les biens saisis se trouve un VTM, celui-ci peut être immobilisé jusqu’à son enlèvement en vue de la vente par l’un des procédés prévus [cf.infra] » (Décret de 1992, Article 97 al.3).
– L’indisponibilité des biens saisis ne protège pas totalement le créancier: si malgré la saisie le débiteur vend les biens, le créancier n’est pas certain de pouvoir les récupérer car si la vente est inopposable au créancier, le tiers acquéreur de bonne foi (présumée) peut lui opposer qu’« en fait de meubles, possession vaut titre » (Code Civil Article 2279).
– Sanctions: les sanctions pénales du délit de détournement des biens saisis dissuadent le débiteur de les aliéner ou de les déplacer (CP Article 314-6).
3) Les issues de la saisie conservatoire des biens meubles corporels
– Si le débiteur s’exécute volontairement: le créancier a obtenu satisfaction, il y a mainlevée amiable ou judiciaire de la saisie conservatoire.
– Si le débiteur ne s’exécute pas: le créancier peut convertir la saisie conservatoire en une saisie-vente, mesure d’exécution existant pour cette catégorie de bien.
- A) Les modalités de la conversion en saisie-vente
Le créancier qui n’a pas de titre exécutoire lorsqu’il pratique la saisie conservatoire doit, à peine de caducité de celle-ci, introduire dans le délai d’un mois une procédure pour obtenir le titre qui lui fait défaut (Décret de 92 Article 215, L91 Article 70). La conversion de la saisie conservatoire en saisie-vente se fait au titre d’une instance au fond et non plus d’une instance en validité comme c’était le cas avant la réforme. La conversion débute par un acte de conversion (1), suivi d’une vérification des biens saisis (2) et le cas échéant d’une notification au tiers lorsque le bien n’est pas en la possession du débiteur (3).
1) L’acte de conversion
Décret de 92 Article 226 « Le créancier qui obtient un titre exécutoire […] signifie [par huissier] au débiteur un acte de conversion qui contient, à peine de nullité :
- 1° La référence [à l’acte] de saisie conservatoire ;
- 2° L’énonciation du titre exécutoire ;
- 3° Le décompte distinct des sommes à payer, en principal, frais et intérêts échus, ainsi que l’indication du taux des intérêts ;
- 4° Un commandement d’avoir à payer cette somme dans un délai de 8 jours, faute de quoi il sera procédé à la vente des biens saisis.
La conversion peut être signifiée dans le même acte que le jugement. »
2) La vérification des biens saisis
— « A l’expiration d’un délai de 8 jours à compter de la date de l’acte de conversion [si le débiteur ne s’exécute pas], l’huissier de justice procède à la vérification des biens saisis. Il est dressé acte des biens manquants ou dégradés » (Décret de 1992, Article 227 al.1), en effet, le débiteur est gardien des biens, il ne doit donc pas les dégrader.
« Dans cet acte, il est donné connaissance au débiteur qu’il dispose d’un délai d’un mois pour vendre à l’amiable les biens saisis dans les conditions prescrites aux articles 107 à 109 qui sont reproduits » (D92 Article 227 al.2).
— « A défaut de vente amiable dans le délai prévu, il est procédé à la vente forcée des biens saisis » (Décret de 1992, Article 229) (vente aux enchères) comme en matière de saisie-vente (cf. infra.). La vente des biens saisis n’a lieu qu’à concurrence du montant de la créance du créancier.
3) Les notifications en cas de saisie dans les mains d’un tiers
Lorsque la saisie conservatoire est pratiquée dans les mains d’un tiers, 2 notifications supplémentaires doivent intervenir:
- « le créancier signifie [au tiers] une copie des actes attestant les diligences requises par l’article 215 [pour obtenir un titre exécutoire], dans un délai de 8 jours à compter de leur date. A défaut, la mesure conservatoire est caduque. » (Décret de 1992, Article 216)
- « une copie de l’acte de conversion est dénoncée [au tiers] » (Décret de 1992, Article 226 al.7) même si aucun délai n’est prévu par les textes, la dénonciation doit intervenir avant l’enlèvement des objets saisis en vue de leur vente.
- B) Les effets de la conversion en saisie-vente
« A défaut de vente amiable dans le délai prévu, il est procédé à la vente forcée [(vente aux enchères)] des biens saisis » (Décret de 1992, Article 229) selon les modalités de la saisie-vente (cf. infra. saisie-vente Partie 3). Le prix obtenu est réparti entre les créanciers conformément aux procédures de distribution (cf. Partie 4).
4) Le concours de saisies conservatoires de biens meubles corporels
Ce concours est spécifiques à la saisie conservatoires des biens meubles corporels (car dans les saisies de biens meubles incorporels, l’indisponibilité est totale cf. surpa.)
« L’huissier de justice qui procède à une saisie conservatoire sur des biens rendus indisponibles par une ou plusieurs saisies conservatoires antérieures signifie une copie [de l’acte de saisie ou de conversion] à chacun des créanciers dont les diligences sont antérieures aux siennes » (Décret de 1992, Article 230 et 231).
— Si le débiteur ne vend pas les biens saisis à l’amiable: il est procédé à la vente forcée conformément aux règles applicables en matière de saisie-vente et le prix obtenu est distribué entre les différents créanciers (cf. Partie 4).
— Si le débiteur présente des propositions de vente amiable: il transmet ces propositions au créancier saisissant
- si le créancier saisissant refuse les propositions: il est procédé à la vente forcée aux enchères publiques et à la répartition du prix.
- si le créancier saisissant accepte les propositions: il « en communique la teneur, par LRAR, aux créanciers qui ont saisi les mêmes biens à titre conservatoire » (Décret de 1992, Article 232 al.1). « Chaque créancier doit, dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la lettre, prendre parti sur les propositions de vente amiable et faire connaître au créancier saisissant la nature et le montant de sa créance » (Décret de 1992, Article 232 al.2)
- si les autres créanciers acceptent les propositions: la vente amiable est réalisée conformément à ces propositions et le prix obtenu est réparti entre les créanciers au marc le franc i.e. par tête. « A défaut de réponse dans le délai imparti, le créancier est réputé avoir accepté les propositions de vente« (Décret de 1992, Article 232 al.3).
- si un des créanciers refuse les propositions: il y a vente forcée et distribution du prix entre les créanciers (cf. partie 4). « Le créancier saisissant qui fait procéder à l’enlèvement des biens en vue de leur vente forcée doit en informer, par LRAR, [les autres créanciers i.e.] les créanciers qui ont pratiqué une saisie conservatoire sur les mêmes biens avant l’acte de saisie ou l’acte de conversion, selon le cas. A peine de nullité, cette lettre indique le nom et l’adresse de l’officier ministériel chargé de la vente et reproduit en caractères très apparents l’alinéa qui suit » (Décret de 1992, Article 233 al.1) « Chaque créancier doit, dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la lettre, faire connaître à l’officier ministériel chargé de la vente, la nature et le montant de sa créance au jour de l’enlèvement. A défaut de réponse dans le délai imparti, il perd le droit de concourir à la distribution des deniers résultant de la vente forcée, sauf à faire valoir ses droits sur un solde éventuel après répartition » (Décret de 1992, Article 233 al.2).