Le Conseil constitutionnel, garant du respect de la liberté d’expression.
Dans le cadre de ses compétences d’attribution, le Conseil constitutionnel a pu interpréter l’article 11 de la DDH et préciser à l’occasion des décisions rendues, les garanties afférentes à l’exercice de ce droit qui doivent être mises en œuvre par le législateur. En effet, au titre de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de préciser l’exercice des droits fondamentaux[37].
Le Conseil constitutionnel a précisé le champ d’application de la liberté de communication
Le Conseil constitutionnel a assorti, les garanties légales qui encadrent la libre communication des pensées et des opinions, d’objectifs à valeur constitutionnelle qui renforcent l’effectivité de ce droit fondamental. Il appartient au législateur de fixer les règles définissant le pluralisme des médias. Il en va plus généralement du régime juridique applicable aux supports de cette liberté de communiquer les pensées et les opinions. Les libertés de communiquer au public par voie audiovisuelle ou électronique ne sont que des libertés publiques, autrement dit protégées par la loi. La liberté de la presse bénéficie, dans le cadre de l’article 11 (tout citoyen peut imprimer librement) -d’un statut constitutionnel même si son régime juridique découle de la loi. C’«est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale»[38]. Son statut exclut la possibilité d’en faire une liberté réglementée et de la soumettre à un régime d’autorisation préalable; « qu’à supposer même que les dispositions de la loi aient pour objet de réprimer des abus au sens de l’article 11, cette répression ne saurait être confiée à une autorité administrative »[39].
La liberté de communiquer par voie audiovisuelle bénéficie d’un statut moins privilégié ; elle fait partie de ces libertés « qui ne sont ni générales, ni absolues »[40], ne pouvant s’exercer que dans le cadre d’une réglementation légale[41]. Il est loisible au législateur de soumettre les différentes catégories de service de communication audiovisuelle à un régime d’autorisation administrative. Ce régime d’autorisation n’est que la résultante de contraintes techniques inhérentes à la pénurie des fréquences hertziennes disponibles dans le cadre d’une diffusion en mode analogique. Il ne se justifie plus à l’égard d’autres supports tels que le câble, le satellite, l’ADSL ou plus largement dans le cadre d’une diffusion en mode numérique. Il se justifie moins encore à l’égard du phénomène de convergence des médias qui a pour conséquence de diffuser via le réseau tout type de message dans les conditions prévues par les dispositions de la loi n°2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur[42].
A l’égard des services de communication audiovisuelle, le législateur peut charger une autorité administrative indépendante de veiller au respect des principes constitutionnels[43].
La liberté de communication par voie électronique est, quant à elle, une liberté surveillée, limitée notamment par « le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ». Cette limitation insérée dans le texte permet de baliser l’étendue du contrôle répressif, et par ailleurs, est conforme à l’esprit de protection des libertés supposant la conciliation de droits et libertés de même rang.
Le Conseil constitutionnel précise son régime juridique. En vertu de l’article 34 de la Constitution, le législateur est exclusivement compétent pour préciser l’exercice des droits fondamentaux[44]. Il est donc compétent pour fixer le régime du droit à la libre communication des pensées et des opinions.
« Le principe libre communication des pensées et des opinions ne s’oppose point à ce que le législateur édicte des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ; cependant, s’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son existence est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres droits ou principes de valeur constitutionnelle [… ] ; s’il est loisible au législateur, lorsqu’il organise l’exercice d’une liberté publique en disposant des pouvoirs que lui confère l’article 34 de la Constitution, d’adopter pour l’avenir, s’il estime nécessaire, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur, il ne peut, s’agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses: celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle ou leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif constitutionnel poursuivi »[45].
Plus généralement, même si le Conseil constitutionnel a souhaité par le passé instaurer une règle générale de « non retour en arrière » en matière de communication audiovisuelle, il a fait valoir dans une jurisprudence plus récente qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions; lui est également loisible d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont lui appartient d’apprécier l’opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu’il estime excessives ou inutiles. Cependant, l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel[46].
Les garanties légales peuvent être renforcées par des objectifs, à valeur constitutionnelle ; tel est le cas en matière de presse et de communication audiovisuelle. Le Conseil constitutionnel a affirmé Ies objectifs de pluralisme et de transparence financière comme «étant une condition de la démocratie». S’agissant du régime de la presse, l’objectif de pluralisme préside le libre choix des lecteurs « le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre Il de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; en effet, la libre communication des pensées et des opinions, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents »[47]. Pour satisfaire à cette exigence de pluralisme, le législateur doit contrôler le mécanisme des concentrations[48] .
Cas de non-conformité à l’objectif de pluralisme: «en l’état de leur rédaction, les dispositions de l’article 11, d’aménager, comme pouvait le dire le législateur, Ies modalités de protection du pluralisme de la presse et, plus généralement, des moyens de communication dont la presse est une composante, ne permettent pas de lui assurer un caractère effectif; elles ont même pour effet, par leur combinaison avec l’abrogation de la législation antérieure de priver de protection légale un principe de valeur constitutionnelle »[49].
La réalisation de l’objectif de pluralisme dépend d’un autre objectif de valeur constitutionnelle qui est celui de transparence financière (« loin de s’opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en œuvre de l’objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté; en effet, en exigeant que soient connus du public les dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l’objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s’y trouver engagés, le législateur met les lecteurs à même d’exercer leurs choix de façon vraiment libre et l’opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d’information qui lui sont offerts par la presse écrite »[50]).
Pour assurer le respect des droits fondamentaux, le législateur est amené à les concilier avec des principes de même valeur, souvent contradictoires, y apposant des limites. Par cette conciliation, le législateur assure la mise en œuvre de la liberté de communication des pensées et des opinions.
L’exercice de la liberté de communication est confié, en matière de communication audiovisuelle à une autorité administrative indépendante : l’institution d’une Commission nationale de la communication et des libertés chargée en particulier de favoriser l’expression généraliste des courants d’opinion, est conforme à la Constitution; « il convient d’examiner si les modalités de mise en œuvre des principes énoncés […] le sont également; que cette mise en oeuvre repose, pour partie, par des règles posées par la loi et qui sont directement appliquées, pour partie, sur des règles qui seront autorisées par décret et dont l’application effective dépendra de l’intervention de la Commission nationale de la communication et des libertés, selon des modalités qui diffèrent suivant qu’il s’agit du secteur privé ou du secteur public»[51] ; «il est loisible au législateur de charger une autorité administrative indépendante de veiller au respect des principes constitutionnels en matière de communication audiovisuelle»[52].
La désignation d’une autorité administrative indépendante du gouvernement susceptible d’exécuter une mission aussi importante au regard de la liberté de communication audiovisuelle, que celle d’autoriser l’exploitation du service de la radiotélévision mis à la disposition du public sur un réseau câblé, constitue une garantie fondamentale pour l’exercice d’une liberté publique et relève de la compétence exclusive du législateur[53].
Le législateur ne peut déléguer cette compétence à l’autorité administrative indépendante, sans indiquer avec précision le contenu même de cette compétence («Considérant que la loi a confié au Comité supérieur de la télématique le soin d’élaborer et de proposer à l’adoption du Conseil supérieur de l’audiovisuel, auprès duquel il est placé, des recommandations propres à assurer le respect par certains services de communication de règles déontologiques, sans fixer à la détermination de ces recommandations, au regard desquelles des avis susceptibles d’avoir des incidences pénales pourront être émis, d’autres limites que celles, de caractère très général, résultant de l’article 1er de la loi susvisées du 30 septembre 1986; qu’ainsi, le législateur a méconnu la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution »[54]).
En matière de communication audiovisuelle, la loi peut, sans qu’il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, doter l’autorité indépendante chargée de garantir l’exercice de cette liberté d’un pouvoir de sanction dans la limite nécessaire à l’accomplissement de sa mission[55]. L’exercice de ce pouvoir de sanction doit être précédé d’une mise en demeure, par exemple des titulaires d’autorisation pour l’exploitation d’un service de communication audiovisuelle, de respecter les obligations qui leurs sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis à l’article premier de la loi du 30 septembre 1986, et faute pour les intéressés de respecter lesdites obligations ou de se conformer aux mises en demeure qui leurs ont été adressées[56]. Le caractère quasi-systématique de cette mise en demeure ne résulte pas, en tant que tel, des dispositions de la loi, mais d’une réserve d’interprétation posée par le conseil constitutionnel[57]. L’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel ne saurait faire obstacle au contrôle du juge de l’excès de pouvoir[58]. Dans l’exercice de ses compétences, le Conseil supérieur de l’audiovisuel sera, à l’instar de toute autorité administrative, soumise à un contrôle de légalité qui pourra être mis en œuvre tant par le gouvernement que par toute personne qui y aurait intérêt[59]. La décision de sanction « peut faire l’objet devant le Conseil d’État d’un recours de pleine juridiction ». Toute décision prise par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, « qui interviendrait en violation des dispositions législatives et réglementaires serait susceptibles d’entraîner la mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique»[60].
Le Conseil constitutionnel sanctionne les incompétences négatives du législateur dès lors qu’il abandonne au pouvoir réglementaire la détermination de la règle, ou bien qu’il pose une règle mettant en œuvre des garanties insuffisantes, en deçà de ses prérogatives[61].
- [37] Cons. Const. , n°71-44 DC du 16 juillet 1971
- [38] Cons. Const., n°84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, GDCC, n° 36, p. 599.
- [39] Ibidem.
- [40] Cons. Const., n°82-141 DC, 27 juillet 1982, RJC-I, p. 126.
- [41] Cons. Const., n° 86-217 DC, 18 septembre 1986, GADA, n° 42, p. 245.
- [42] V. infra.
- [43] Cons. Const., n°88-248 DC, 17 janvier 1989, GADA, n° 51, p. 319.
- [44] Cons. Const., n°71-44 DC, 16 juillet 1971, GDCC, n°19, p.252.
- [45] Cons. Const., n°84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, GDCC, n° 36, p. 599.
- [46] v. par exemple: Cons. Const., n° 2001-446 DC du 27 juin 200 l, cons. 4, Rec. Cons. Const., p.74.
- [47] Cons. Const., n° 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, GDCC.
- [48] V cas où la loi est conforme à l’objectif de pluralisme; «dans l’acception ainsi strictement définie, les dispositions ne sont contraires ni à l’article 11 de la Déclaration de 1789, ni à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle concernant la liberté définie par ce texte; elles n’empêchent ni la création de nouveaux quotidiens ni le développement des quotidiens existants lors même qu’il en résulterait un dépassement des plafonds fixés; elles ne font application de ces plafonds qu’au cas où leur dépassement résulterait de pures transactions financières de nature à desservir le pluralisme dont le maintien et le développement sont nécessaires à l’exercice effectif de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », Cons. Const., n° 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, GDCC.
- [49] Cons. const., décis. n° 86-210 DC, 29 juillet 1986, RJC-I, p. 270.
- [50] Cons. const., décis. n°84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, GDCC.
- [51] Cons. const., décis. n° 86-217 DC, 18 septembre 1986.
- [52] Cons. const., décis. n°89-248 DC, 17 janvier 1989, GADA, n°51.
- [53] Cons. const., décis. n° 84-173 DC, 26 juillet 1984, RJC-I, p. 187.
- [54] Cons. const., décis. n°96-378 DC, 23 juillet 1996, RJC-l, p. 675.
- [55] Cons. const., décis. n° 88-248 DC, 17 janvier 1989, GADA, n° 51, p. 319.
- [56] Cons. const., décis., n° 88-248 DC, 17 janvier 1989, GADA, n° 51, p. 319.
- [57] V pour application de cette réserve d’interprétation, CE, Ass., 1er mars 1994, S.A. La Cinq: en se prononçant sur la conformité à la Constitution du texte adopté par le Parlement, le Conseil constitutionnel, par sa décision n°248 DC du 17 janvier 1989 a estimé que les pouvoirs de sanction dévolus au Conseil supérieur de l’audiovisuel ne sont susceptibles de s’exercer qu’après mise en demeure; e’est sous réserve de cette interprétation que les articles mis en cause ont été déclarés conformes à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et à l’article 34 de la Constitution.
- [58] Cons. const., décis. n°84-185 DC, 18 janvier 1985, RJC-I, p. 219.
- [59] Cons. const., décis. n°93-333 DC, 31 janvier 1994, RJC-I, p. 569.
- [60] Cons. const., décis. n°88-248 DC, 17 janvier 1989, GADA, n°51, p. 319.
- [61] Cons. const., décis. n°84-173 DC, 26 juillet 1984, RJC-I, p. 187; Cons, const., décis. n°86-217 DC, 18 septembre 1986, DA, n°42, p. 245.