Quelles sont les moyens d’action du Parlement pour contrôler l’action gouvernementale ?
Section1. Moyen d’information et de contrôle sans sanction politique.
Le Parlement français dispose de divers moyens pour exercer un contrôle sur l’action gouvernementale sans entraîner de sanction politique directe. Ces outils, essentiels au fonctionnement démocratique, permettent aux parlementaires d’obtenir des informations, d’évaluer les politiques publiques et de formuler des recommandations.
- Droit constitutionnel
- Comment le Parlement contrôle l’action du Gouvernement?
- Comment le Parlement discute et vote la loi?
- Quel est le fonctionnement et l’organisation de l’Assemblée et du Sénat?
- Comment est élu un parlementaire? Quel est son statut?
- Comment fonctionne le Gouvernement? Comment est-il formé?
- Quels sont les pouvoirs du Premier Ministre et des ministres?
1. Le système des questions
Les parlementaires ont la possibilité d’interroger les membres du gouvernement afin d’obtenir des éclaircissements sur des sujets spécifiques. Ces questions se déclinent en plusieurs formes :
- Questions écrites : Tout parlementaire peut adresser une question écrite à un ministre, qui dispose d’un délai de deux mois pour y répondre. Ces échanges sont publiés au Journal officiel, assurant ainsi leur transparence.
- Questions orales sans débat : Posées lors de séances dédiées, elles permettent aux députés d’interroger les ministres sur des sujets souvent d’intérêt local. Les réponses sont apportées immédiatement en séance publique.
- Questions au gouvernement : Institutionnalisées en 2008, ces sessions se tiennent deux fois par semaine à l’Assemblée nationale et une fois au Sénat. Elles offrent aux parlementaires l’opportunité d’interroger le gouvernement sur des sujets d’actualité, avec une répartition équilibrée entre la majorité et l’opposition.
- Questions cribles thématiques : Introduites après 2008, ces sessions permettent d’approfondir un sujet spécifique en présence du ministre concerné, favorisant des échanges détaillés et constructifs.
2. Les commissions d’enquête parlementaire.
Les commissions d’enquête sont des outils puissants mis à la disposition du Parlement pour investiguer sur des sujets précis. Leur création et fonctionnement obéissent à des règles strictes :
- Initiative et création : Une commission d’enquête est créée à l’initiative des parlementaires, via l’adoption d’une résolution. Elle vise à recueillir des informations sur des faits déterminés ou à évaluer la gestion d’un service public ou d’une entreprise publique.
- Composition : Généralement composée de 30 membres, elle reflète la diversité politique de l’assemblée concernée. Souvent, la présidence est confiée à un membre de l’opposition, tandis que le rapporteur est issu de la majorité, garantissant ainsi un équilibre.
- Pouvoirs et fonctionnement : Les commissions d’enquête disposent de larges pouvoirs d’investigation, pouvant convoquer des personnes, exiger la production de documents et organiser des auditions publiques. Toute personne convoquée est tenue de comparaître, à l’exception notable du Président de la République et des anciens présidents, en raison de leur statut particulier.
- Limites : Il est interdit de créer une commission d’enquête sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, afin de respecter la séparation des pouvoirs. De plus, une commission ne peut être créée sur un sujet identique à celui d’une commission ayant siégé dans les douze mois précédents.
- Durée : Leur mandat est limité à six mois, au terme desquels elles remettent un rapport contenant leurs conclusions et recommandations.
- Deux exemples récents :
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- Commission sur le dérapage budgétaire : Face à un déficit public atteignant 6,1 % du PIB en 2024, une commission d’enquête a été créée pour identifier les causes de cette dérive et proposer des solutions. Les auditions ont débuté en décembre 2024, avec la participation de personnalités telles que le Premier ministre et le ministre de l’Économie. JSS
- Commission sur la fraude aux eaux minérales : Suite à la révélation de fraudes majeures concernant le traitement des eaux minérales, une commission d’enquête a été demandée pour approfondir les investigations et assurer la transparence sur cette affaire. Le Monde
En résumé, les questions parlementaires et les commissions d’enquête constituent des instruments essentiels permettant au Parlement d’exercer un contrôle efficace sur l’action gouvernementale, sans pour autant entraîner de sanctions politiques directes, renforçant ainsi la transparence et la responsabilité au sein de la démocratie française.
3. Les résolutions, avis, et motion dans le domaine du droit européen
a) Les résolutions prévues à l’article 88-4 de la Constitution française
Conformément à l’article 88-4 de la Constitution, le gouvernement français est tenu de transmettre au Parlement les projets, propositions et documents issus des institutions européennes après leur réception par le Conseil de l’Union européenne. Ces textes sont ensuite étudiés par les commissions des affaires européennes des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat).
Voici le processus détaillé :
- Instruction par la commission des affaires européennes : Une fois le texte transmis, la commission peut proposer une résolution. Cette proposition est ensuite transmise à une commission permanente compétente pour un examen approfondi.
- Décisions de la commission permanente : La commission permanente peut :
- Adopter la proposition de résolution ;
- L’amender pour en modifier le contenu ;
- La rejeter purement et simplement.
- Adoption définitive : Une proposition de résolution devient définitive si, dans un délai de huit jours, aucune demande d’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée plénière n’est formulée.
- Examen en plénière : Si une telle demande est faite, l’assemblée plénière se prononce sur l’adoption ou le rejet de la résolution par un vote.
Ces résolutions, bien qu’elles ne soient pas juridiquement contraignantes, servent à influencer la position du gouvernement français dans les négociations européennes. Par exemple, elles permettent de renforcer la défense des intérêts nationaux face à des propositions perçues comme défavorables.
b) Les avis au titre de l’article 88-6 de la Constitution
Les dispositions de l’article 88-6 permettent à l’Assemblée nationale et au Sénat d’émettre des avis motivés sur la conformité des projets d’actes législatifs européens au principe de subsidiarité. Ce principe fondamental de l’Union européenne établit que les décisions doivent être prises au niveau le plus proche des citoyens, sauf si une action au niveau européen offre une valeur ajoutée manifeste.
Les étapes essentielles sont les suivantes :
- Examen des projets législatifs européens : Si un projet d’acte législatif européen est perçu comme violant le principe de subsidiarité, les assemblées peuvent adopter un avis motivé.
- Transmission de l’avis : Cet avis est envoyé simultanément au président du Parlement européen, à la Commission européenne et au gouvernement français.
- Droit de recours : En vertu du même article, un groupe d’au moins 60 députés ou 60 sénateurs peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour contester la légalité d’un acte législatif européen au regard du principe de subsidiarité.
Un exemple récent est l’examen par le Parlement français des propositions législatives liées à la taxation numérique. Si un projet est jugé inefficace à l’échelle européenne et plus pertinent à l’échelle nationale, l’activation de cet outil peut être envisagée.
c) Les motions prévues à l’article 88-7 de la Constitution
En application de l’article 88-7, les deux assemblées parlementaires françaises peuvent adopter, dans les mêmes termes, une motion visant à s’opposer à des modifications dans les règles de fonctionnement de l’Union européenne. Cela concerne principalement les propositions de révision des traités européens ou de nouvelles délégations de compétence.
- Adoption des motions : La procédure requiert un texte identique voté par l’Assemblée nationale et le Sénat.
- Impact : Ces motions traduisent une opposition politique forte à une évolution institutionnelle jugée défavorable par le Parlement français.
4. Les déclarations à caractère thématique de l’art 50-1
L’article 50-1 permet au gouvernement de faire des déclarations thématiques devant l’une ou l’autre des assemblées. Ces déclarations, suivies d’un débat mais sans vote, portent généralement sur des sujets d’actualité ou des dossiers européens stratégiques.
- Exemple pratique : Une déclaration récente a concerné la réforme du marché européen de l’électricité, mettant en avant les priorités françaises face à la crise énergétique.
Section 2. Les procédés de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement.
La responsabilité politique du gouvernement est une des pierres angulaires de la Ve République. Elle permet de sanctionner le gouvernement, soit à son initiative, soit à celle de l’Assemblée nationale. Ces mécanismes, régis principalement par l’article 49 de la Constitution, sont exclusivement exercés par l’Assemblée nationale, car seule cette chambre peut être dissoute, ce qui équilibre les rapports de force entre l’exécutif et le législatif.
1. Procédure à l’initiative du gouvernement
a. La question de confiance (article 49, alinéa 1)
Le Premier ministre peut, après délibération en Conseil des ministres, engager la responsabilité politique du gouvernement sur :
- Une déclaration de politique générale, ou
- Son programme d’action.
Cette procédure est souvent utilisée par un nouveau Premier ministre pour légitimer son gouvernement auprès de la majorité parlementaire.
Déroulement :
- Le Premier ministre présente ses objectifs et explique sa politique.
- Les groupes politiques s’expriment pour indiquer leur position (favorable, défavorable, ou abstention).
- Un vote des députés a lieu, et une majorité relative suffit pour accorder la confiance.
Conséquences :
- Si le vote de confiance est obtenu, le gouvernement est confirmé.
- Si la confiance est refusée (cas hypothétique depuis 1958), le gouvernement doit démissionner, et le Président de la République nomme un nouveau Premier ministre.
Usage depuis 1958 :
- 34 questions de confiance ont été posées.
- Aucun gouvernement n’a été renversé par ce mécanisme.
b. La motion de censure provoquée (article 49, alinéa 3)
Le Premier ministre peut engager la responsabilité de son gouvernement sur un texte législatif en discussion. Cela a pour effet de :
- Accélérer la procédure législative, car le texte est considéré comme adopté sans vote, sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures.
- Mettre en jeu la survie politique du gouvernement.
Déroulement :
- Le gouvernement annonce qu’il engage sa responsabilité sur un texte.
- Une motion de censure peut être déposée dans un délai de 24 heures, sous certaines conditions de recevabilité :
- Signée par au moins 58 députés (1/10 des membres de l’Assemblée nationale).
- Débat et vote dans les 48 heures suivant le dépôt de la motion.
- La motion doit être adoptée à la majorité absolue des députés (289 sur 577).
Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 :
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Usage limité aux textes budgétaires : Le 49.3 peut être utilisé de manière illimitée pour les projets de loi de finances (budget de l’État) et les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Ces textes sont essentiels pour le fonctionnement de l’État, et leur adoption est souvent considérée comme une priorité gouvernementale.
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Usage restreint pour les autres textes : Pour les projets de loi autres que ceux relatifs au budget ou à la sécurité sociale, le 49.3 ne peut être utilisé qu’une seule fois par session parlementaire. Une session parlementaire ordinaire s’étend généralement de septembre à juin.
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Usage depuis 1958 :
Depuis l’instauration de la Ve République en 1958, l’article 49, alinéa 3 de la Constitution française, connu sous le nom de « 49.3 », a été utilisé à de nombreuses reprises pour faire adopter des textes législatifs sans vote parlementaire. Jusqu’en décembre 2023, cette procédure a été employée 104 fois par différents Premiers ministres. En décembre 2024, le Premier ministre Michel Barnier a activé l’article 49.3 pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025. Le Figaro
Cette utilisation s’ajoute aux précédentes, portant le total à 105 occurrences depuis 1958. L’usage du 49.3 a varié selon les gouvernements et les contextes politiques. Par exemple, entre mai 2022 et décembre 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a eu recours à cette procédure à 22 reprises, principalement pour faire adopter des lois de finances et des réformes majeures
2. La procédure à l’initiative de l’assemblée nationale : La motion de censure spontanée art 49 alinéa 2.
Contrairement aux mécanismes précédents, la motion de censure spontanée est une initiative des députés, visant directement à renverser le gouvernement.
Conditions de recevabilité :
- Signée par au moins 58 députés (La motion doit être signée par au moins 10 % des députés donc 58 sur 577)
- Depuis 2008, les limitations suivantes s’appliquent :
- Un député ne peut signer plus de trois motions de censure par session ordinaire.
- Une seule motion peut être signée durant une session extraordinaire.
Déroulement :
- La motion est déposée par des députés insatisfaits de la politique du gouvernement.
- Un débat et un vote ont lieu, suivant les mêmes règles que pour la motion provoquée (majorité absolue nécessaire).
Usage depuis 1958 :
- 54 motions de censure spontanées ont été déposées.
- 2 ont abouti,
- Le 6 octobre 1962, lorsque le gouvernement de Georges Pompidou a été renversé après avoir proposé une réforme constitutionnelle via l’article 11, contournant l’article 89.
- En décembre 2024, le Premier ministre Michel Barnier a engagé la responsabilité de son gouvernement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale en utilisant l’article 49, alinéa 3. Le Monde
Conséquences en cas de censure : Le Premier ministre doit présenter la démission de son gouvernement au Président de la République, qui nomme un nouveau chef de gouvernement.
Section 3 – Les limites des procédés de responsabilité politique
Malgré ces mécanismes, le gouvernement sous la Ve République reste en position de force :
- L’Assemblée nationale peut être dissoute par le Président de la République (article 12), ce qui dissuade les députés de censurer un gouvernement, surtout en période de majorité stable. Le président Emmanuel Macron a d’ailleurs utilisé la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale en 2024.
- L’usage du vote bloqué (article 44, alinéa 3) et de l’article 49, alinéa 3 confère au gouvernement des outils pour contourner les oppositions parlementaires. Depuis 1958, l’article 49, alinéa 3, a été utilisé plus de 100 fois, notamment 28 fois par Michel Rocard entre 1988 et 1991. Idem sous le Gouvernement
En résumé, les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement – question de confiance, motion de censure provoquée et motion spontanée – garantissent un équilibre entre exécutif et législatif, tout en reflétant la prééminence du gouvernement dans le système institutionnel de la Ve République.