Les conflits de compétence dans l’ordre administratif

La répartition des compétences dans l’ordre administratif 

La répartition des compétences est souvent difficile à faire et n’est pas toujours d’une bonne logique. Voici les principales juridictions de l’ordre administratif 

  •  Les Tribunaux administratifs ont été créés en 1953. Ils sont depuis cette date les juges administratifs de droit commun du contentieux administratif. Il y a 42 tribunaux administratifs (31 en métropole,11 en outre-mer).
  • Les cours administratives d’appel ont été créées par la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif. Elles sont devenues les juges d’appel de droit commun des tribunaux administratifs, à l’exception du contentieux des élections municipales, cantonales, régionales et européennes, des recours en appréciation de légalité, des recours dirigés contre les décrets, des recours dirigés contre les décision des organismes collégiaux à compétence nationale, des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres, des litiges relatifs à la carrière des fonctionnaires nommés par décret du président de la république, et des litiges nés à l’étranger qui relèvent du Conseil d’Etat.
  • Le Conseil d’Etat est une institution centrale au sein de l’organisation administrative française et qui a inspiré un grand nombre d’expériences étrangères. Il est à la fois juge en premier et dernier ressort, juge d’appel de certains jugements rendus par les tribunaux administratifs et juge de cassation.
  • &1. Les principes de la répartition des compétences

a) Le principe de la compétence du juge administratif en matière administrative

Principe consacré par le juge constitutionnel en 1987.  

La constitutionnalisation d’une compétence minimale du juge administratif en matière administrative 

En vertu du principe fondamentale reconnu par les lois de la République l’annulation ou la réformation des décisions prises par les autorités exerçant le pouvoir exécutif dans l’exercice des prérogatives des puissances publiques, relève d’une décision du juge constitutionnel n° 224 DC 23 janvier 1987, dite Conseil de la Concurrence. L’apport de cette décision c’est que le juge constitutionnel a consacré l’existence d’une réserve de la compétence au profit du juge administratif. Toutefois il a tout de même reconnu dans le même temps qu’il existe des matières appartenant par nature au juge judiciaire. Ce qui constitue donc une exception au principe de la compétence du juge administratif.  

Il faut préciser également que les limites de la compétence du juge administratif ne sont pas intangibles. Le législateur intervient dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. La loi peut décider de constituer des blocs de compétence, au profit soit du juge administratif soit du juge judiciaire. Le principe peut donc être formulé de façon simple : la matière administrative englobe parfois des activités exercées par des personnes privées.   

 

b) Les cas de compétence du juge administratif vis-à-vis des personnes privées  

L’activité de certaines personnes privées peut constituer une activité administrative soit en application de la loi soit en vertu de la jurisprudence. Par ex : relève du juge administratif parce que le législateur l’a décidé, les litiges entre les entrepreneurs de travaux publics et les tiers, ce qui découle de la loi du 28 Pluviose an VIII. Par ex : il a été jugé que des personnes privées chargées d’une mission de service public peuvent adopter des actes administratifs. C’est le juge administratif même qui en juge, si le litige oppose deux personnes privées. Il reste que dans certaines matières la solution est inversée, bien que l’on soit en présence d’activités exercées par des personnes publiques le juge compétent sera le juge judiciaire.  

Les cas de compétence du juge judiciaire en matière administrative  

Certains cas découlent de l’intervention d’une loi et d’autres de la jurisprudence.  

La compétence judiciaire par détermination de la loi  

Il y a plusieurs cas de figure : le 1er ex c’est le contentieux des impôts directs qui relèvent du juge judiciaire et ce en application d’une loi du 22 frimaire an VIII (1799). Autre ex : le juge judiciaire est également compétent pour le contentieux des dommages causés par un véhicule quelconque, loi du 31 déc. 1957, dans un souci de simplicité, tous les litiges liés à l’implication d’un véhicule relève du juge judiciaire (même véhicule de l’administration).  

  

La compétence judiciaire en vertu de principes jurisprudentiels  

On a quatre grandes hypothèses dans ce cas de figure :  

Les opérations de gestion privée de l’administration :  

Chaque fois que l’administration se comporte comme un simple particulier elle est traitée comme tel. Autrement dit on doit lui appliquer les règles du droit commun et c’est le juge ordinaire qui est compétent en cas de litige. On précise que la gestion privée recouvre d’une part la gestion du domaine privé des personnes publiques, et d’autre part la gestion de certains services publics ce qu’on appelle services publics à gestion privée, à savoir les SPIC (services publics à caractère industriel ou commercial).  

Les biens des personnes publiques sont classés en deux catégories, d’un côté les biens de leur domaine public de l’autre côté les biens de leur domaine privé. Les biens du domaine public sont affectés à un usage public, par ex les rues, les locaux des universités sont affectés aux services publics, affectation à l’intérêt général. Tous ces biens-là ont les classes dans le domaine public des personnes publiques. D’autre biens sont placés dans le domaine privé des personnes publiques, ce sont ceux que les personnes publiques possèdent comme le ferait un simple particulier : ex d’immeubles à usage de logement appartement à l’Etat ou aux communes. Ces biens-là, ces personnes publiques gèrent ces biens dans les conditions du droit commun, et en cas de litige, le contentieux relève du juge judiciaire. 

La  gestion des services publics à caractère industriel ou commercial : ce sont des services publics qui sont assimilés à des activités privées, ex : la distribution de l’électricité. Chaque fois que les personnes publiques se comportent comme des commerçants, des industriels on les traite comme des particuliers relevant du droit commun.  

 

 L’état civil et la capacité des personnes :  

En matière d’état civil ou en matière d’application des règles de capacité même si l’administration intervient c’est le juge judiciaire qui est compétent.  En matière de francisation des noms ou des prénoms suite à une naturalisation par ex : les litiges relèvent du juge administratif (exception). 

Les libertés individuelles et le droit de propriété :  

A la base c’est une solution jurisprudentielle mais aujourd’hui on a un texte, l’article 66 C. qui fonde la compétence du juge judiciaire dans ces matières. L’al 2 dispose que l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.  Deux grandes théories jurisprudentielles sont issus de cette conception : la théorie de l’emprise irrégulière et la théorie de la voie de fait. Il y a emprise irrégulière lorsque l’administration a dépossédé ou laisser déposséder par un tiers de manière irrégulière un particulier de sa propriété sur un bien immobilier. C’est le cas par ex lorsque l’administration construit un mur dans votre jardin en dehors de tout cadre légal. En cas d’emprise irrégulière, le juge judiciaire est seul compétent pour réparer les effets d’une telle atteinte à la propriété privée. Tribunal des conflits 17 mars 1949 société immobilière Rivoli-Sébastocole, qui désigne le juge judiciaire pour réparer les effets d’une emprise irrémédiable. En revanche c’est le juge administratif qui est compétent pour décider du caractère régulier ou irrégulier d’une emprise. Si la dépossession porte sur un bien meuble et non un immeuble elle relève du juge administratif, aussi bien pour constater l’irrégularité que pour la réparer.  

 

La voie de fait : lorsqu’un acte grossièrement irrégulier porte atteinte à une liberté fondamentale ou au droit de propriété. La première remarque c’est que la notion de liberté fondamentale est entendue largement ici, ça veut dire que ça peut-être une liberté classique mais ça peut-être aussi un agissement moins facile à qualifier par ex la voie de fait peut être un acte insusceptible de se rattacher à un quelconque pouvoir de l’administration. La voie de fait peut aussi consister en l’exécution forcée irrégulière d’une décision administrative régulière.  

Dans le cadre d’une voie de fait l’atteinte au droit de propriété peut concerner aussi bien un meuble qu’un immeuble. Ex : expulsion d’un étranger en dehors de tout cadre légal, sera volontiers qualifié par le juge de voie de fait. En raison de sa gravité, la voie de fait peut être constatée aussi bien par le juge administratif que par le juge judiciaire. En revanche seul le juge judiciaire peut apprécier les conséquences d’une voie de fait, car il est le seul gardien des libertés individuelles. Décision du Tribunal des conflits du 17 mars 1949, société Hôtel du vieux beffroi. 

L’appréciation de la légalité et l’interprétation des actes administratifs :  

La loi des 16 et 24 aout 1790 ont posé le principe de séparation des fonctions judiciaires et administrative et ce principe interdit au juge judiciaire de connaitre (se prononcer) des actes administratifs. Toutefois ce principe n’est pas absolu : il existe des atténuations qui concernent l’appréciation de la légalité d’un acte administratif ainsi que son interprétation. Elles sont justifiées par l’intérêt d’une bonne administration de la justice : importance de ne pas trop faire durer les procès. Or il arrive fréquemment lorsque le juge judiciaire est saisi d’un litige qu’il ait besoin de savoir si un acte administratif est régulier, il arrive aussi qu’il ait besoin d’interpréter un acte administratif  pour résoudre la question qui lui a été posée. Les règles reposent sur une distinction selon que la juridiction saisie est une juridiction civile ou pénale. Le juge civil peut interpréter les actes réglementaires mais pas les actes individuels (sauf en cas de voie de fait). En revanche le juge civil, dans tous les cas ne peut pas apprécier la légalité d’un acte administratif quelle que soit sa nature. En cas de doute sur la légalité de l’acte administratif, le juge civil doit sursoir à statuer et renvoyer la question au juge administratif. Cette distinction repose sur une décision de principe du Tribunal des conflits, la décision du 16 juin 1923, Septfonds. En revanche le juge pénal, est compétant tout à la fois pour interpréter et pour apprécier la légalité des actes administratifs quelle que soit leur nature. Article 111-5 du Code pénal. Ces prérogatives supplémentaires accordées au juge pénal se justifient par sa mission, en effet le tribunal des conflits a toujours considéré que la mission du juge pénal fait peser sur lui une responsabilité considérable qu’il doit pouvoir assumer entièrement. Mission beaucoup plus lourde que le juge civil, car il peut aller jusqu’à la privation de liberté, c’est pour cela qu’on estime légitime de lui accorder une plénitude de juridiction, y compris vis-à-vis des actes administratifs. Il faut éviter de ralentir le procès pénal, c’est encore plus important qu’un procès pénal se déroule rapidement.  

Cas particulier :  

Le cas particulier du service public de la justice : c’est un cas particulier car c’est un service public qui se situe au carrefour de la compétence du juge administratif et de celle du juge judiciaire. Et c’est même un service public administratif, et ainsi logiquement il devrait relever de la compétence du juge administratif mais d’un autre côté on a ce fameux principe de la séparation des fonctions administratives et judiciaires qui conduit plutôt à exclure la compétence du juge administratif en matière de justice. On se trouve face à des exigences contradictoires. Face à cela le tribunal des conflits a été amené à adopter une solution de compromis : décision du Tribunal des conflits du 27 nov. 1952, Préfet de la Guyane. Dans cette décision le T.C décide que le juge administratif est compétent en matière d’organisation du service public de la justice tandis que son fonctionnement relève du juge judiciaire. L’acte de juger relève du juge judiciaire mais aussi les actes préparatoires aux décisions de justice, par ex : en matière pénale, la décision d’engager ou non des poursuites, rattachée par le T.C au fonctionnement des services publics et donc relève du juge judiciaire. Et la plupart des actes d’exécution des décisions de justice lorsqu’elles sont contestées relèvent également du juge judiciaire (ex liberté conditionnelle).  

 

  • &2. Les mécanismes de règlement des conflits de compétence

On parle d’un tel conflit lorsqu’il est prétendu qu’un ordre de juridiction a été saisi ou privé à tort d’un litige. 

 A  Le tribunal des conflits 

Il a été institué par la Constitution de 1848, supprimé au IInd Empire puis remis en place en 1872. Le tribunal des conflits est une juridiction paritaire, composée de 8 membres : 3 conseillers d’Etat et à la Cour de cassation élus par leurs pairs pour 3 ans, et 2 membres cooptés par les 6 élus. Le président du tribunal des conflits est le Garde des sceaux, mais n’intervient qu’en cas de partage égal des voix. Le tribunal des conflits a un rôle plutôt modeste, puisque ce tribunal doit se borner à indiquer la juridiction compétente sans trancher lui-même le litige. Mais en réalité, ce rôle va bien au-delà d’un simple aiguilleur puisque bien souvent, le tribunal des conflits oriente la jurisprudence de façon décisive. 

 Exemples : 

            – Le tribunal des conflits a donné naissance aux SPIC, faisant basculer dans le contentieux judiciaire tout un pan de l’action de l’administration (arrêt du 22/01/21, Société commerciale de l’Ouest africain). 

            – Le tribunal des conflits a fondé l’autonomie de la responsabilité administrative (arrêt du 08/02/1873, Blanco). 

B) Les divers types de conflit

Il y a 3 sortes de conflits mais 4 voies d’accès au tribunal des conflits. 

Le conflit positif. 

Il y a un tel conflit lorsque le préfet d’un département estime que c’est à tort que le juge judiciaire a été saisi d’un litige, au détriment du juge administratif. Dans ce cas-là, le préfet adresse au juge judiciaire un déclinatoire de compétence : en cas de refus de ce juge le préfet peut prendre un arrêté de conflit, arrêté qui a pour effet de suspendre le procès devant le juge judiciaire et saisir le tribunal des conflits. Une fois saisi, il a 3 mois pour statuer : l’arrêté de conflit est soit confirmé auquel cas le juge administratif est saisi, soit infirmé auquel cas l’affaire reprend son cours devant le tribunal judiciaire. 

Le conflit négatif. 

Il y a un tel conflit lorsque 2 juridictions appartenant chacune à un ordre différent se déclarent successivement incompétentes pour connaitre d’un litige. Cependant, le conflit négatif n’est pas le symétrique du conflit positif càd le cas dans lequel le juge administratif se serait déclaré à tort compétent : ce cas de figure n’a pas été prévu par les textes, donc ne peut être tranché par le tribunal des conflits. Toujours est-il que l’existence d’un conflit négatif présente le risque d’un déni de justice, si le justiciable ne pouvait pas faire trancher la question de la compétence juridictionnelle. L’institution du renvoi a éliminé la plupart des cas de conflits négatifs. 

L’institution du renvoi. 

Un décret du 25/07/60 a institué 2 procédures de renvoi direct au tribunal des conflits, pour éviter les conflits négatifs : 

            – renvoi obligatoire : il concerne l’hypothèse dans laquelle une juridiction s’estime incompétente pour connaitre d’un litige, à propos duquel une juridiction de l’autre ordre s’est déjà déclarée incompétente. La 2nde juridiction saisie est tenue de renvoyer au tribunal des conflits le soin de trancher la question 

            – renvoi facultatif : il concerne l’hypothèse dans laquelle un litige soulève des difficultés sérieuses de compétence. Les juridictions suprêmes peuvent saisir le tribunal des conflits. 

 

Le conflit de décision au fond 

Il se produit lorsque deux juridictions qui appartiennent chacune à un ordre différent rendent sur le même dossier deux décisions rigoureusement contraires. C’est un conflit qui porte sur le fond même du droit. Ex : d’une frégate française, Lysis a été jeté pendant la guerre de Crimé par la tempête à portée des canons russes de Sébastopole, la frégate a coulé. Le bateau était assuré contre les risques de mer par une compagnie d’assurance privée et c’est l’Etat qui garantissait l’armateur contre les risques de guerre. Le problème c’est que le juge judiciaire a considéré que la frégate avait coulé par suite de fait de guerre. Alors que le juge administratif a considéré que si la frégate a coulé c’était à cause de la tempête (interprétation différente du lien de causalité, du fait générateur), arrêt de 1857. C’est une loi du 20 avril 1932 qui a décidé qu’en cas de conflit de décision le litige est porté devant le tribunal des conflits qui le tranche en intégralité.  

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