Les difficiles débuts de la IIIe République (1875-1940)

La mise en place difficile de la IIIe République

Après la chute du Second Empire, la France ne reviendra plus à un régime monarchiste ou dictatorial, exception faite du gouvernement de Vichy sous l’Occupation. Pourtant, il faudra près de deux siècles pour que la République s’impose durablement comme régime politique. Proclamée en 1870, la Troisième République va diffuser ses valeurs démocratiques à travers la société française, notamment grâce à des institutions telles que l’école publique, qui devient un instrument clé de l’éducation républicaine.

La diffusion des valeurs républicainesLa Troisième République va s’attacher à faire adhérer les Français aux valeurs de la République, notamment par :

  • L’éducation : Les lois scolaires de Jules Ferry (1881-1882) rendent l’instruction gratuite, laïque et obligatoire, devenant un vecteur essentiel de diffusion des idéaux républicains.
  • Les symboles républicains :
    • Le drapeau tricolore devient l’emblème national.
    • La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » s’impose.
    • La fête nationale du 14 juillet est instituée en 1880 pour célébrer la Révolution française.
  • Les libertés publiques : La liberté de presse, d’association (loi de 1901) et la laïcité (loi de séparation des Églises et de l’État de 1905) renforcent les principes républicains.

Les crises de la Troisième République : Malgré des crises majeures, comme l’affaire Boulanger ou l’affaire Dreyfus, la Troisième République est le premier régime à perdurer depuis la Révolution de 1789, instaurant des bases solides pour le fonctionnement démocratique de la France :

  • L’affaire Boulanger (1887-1889) : Le général Boulanger, incarnant un populisme autoritaire, menace de renverser la République, mais son mouvement échoue.
  • L’affaire Dreyfus (1894-1906) : Ce scandale politico-judiciaire révèle des fractures profondes entre républicains et conservateurs, notamment sur la question de l’antisémitisme.
  • Les tensions sociales : Les grèves ouvrières et les revendications syndicales secouent la société française, mais elles poussent également à des avancées sociales progressistes (journée de travail limitée, assurance sociale).

La Troisième République marque un tournant dans l’histoire politique française. Malgré des débuts difficiles et des crises récurrentes, elle parvient à s’imposer comme le premier régime démocratique stable en France depuis la Révolution. Son œuvre de diffusion des valeurs républicaines à travers l’éducation, les libertés publiques et les symboles nationaux aura une influence durable, préparant le terrain pour les républiques qui lui succéderont.

&1 : l’organisation provisoire des pouvoirs publics (1870-1875) :

Après la défaite de Sedan en septembre 1870, la France entre dans une période d’incertitudes politiques marquée par une organisation transitoire des pouvoirs. Un gouvernement provisoire, dit gouvernement de la Défense nationale, est instauré sous la présidence du général Trochu, et la République est proclamée. Ce régime transitoire vise à assurer la paix et la réorganisation du pays après la chute du Second Empire. Cette période voit se succéder plusieurs événements et personnalités clés qui contribuent à l’émergence de la Troisième République.

 

A) Le gouvernement Thiers (17 février 1871 – 24 mai 1873) :

Le 17 février 1871, l’Assemblée de Bordeaux investit Adolphe Thiers en tant que chef du pouvoir exécutif. Le régime adopté est un véritable régime d’assemblée, où le chef de l’exécutif est pleinement subordonné au Parlement.

1. Les premiers défis de Thiers : la Commune de Paris

  • À peine en fonction, Thiers doit faire face à la Commune de Paris, une insurrection populaire visant à établir un régime ouvrier et décentralisé.
  • Le mouvement est réprimé violemment au cours de la semaine sanglante (22-28 mai 1871), faisant des milliers de morts et marquant durablement la mémoire politique française.

2. La Constitution Rivet (31 août 1871)

  • Ce texte proclame Thiers Président de la République, mais à titre provisoire.
  • Il reste politiquement responsable devant l’Assemblée, partageant cette responsabilité avec ses ministres.
  • Conséquences : Thiers gagne en influence, ce qui inquiète les monarchistes majoritaires à l’Assemblée, qui craignent une consolidation républicaine.

3. La loi de Broglie (13 mars 1873)

  • Cette loi limite le rôle de Thiers dans les débats parlementaires :
    • Le Président ne peut plus participer directement aux délibérations de l’Assemblée.
    • Il est exclu de toute implication dans la politique intérieure, renforçant ainsi les pouvoirs parlementaires.
  • Conflit avec l’Assemblée : Thiers propose une Constitution républicaine pour pérenniser le régime, mais cette initiative est rejetée par les monarchistes.

4. La démission de Thiers (24 mai 1873)

  • En raison d’un climat de défiance croissant, notamment après les élections partielles d’avril 1873 où un candidat soutenu par Thiers est battu, celui-ci décide de démissionner.
  • Il est remplacé par le maréchal Mac Mahon, un militaire monarchiste, ce qui marque un tournant politique.

 

B) Les débuts de la présidence du Maréchal Mac Mahon (24 mai 1873 – 16 juillet 1875) :

Le 24 mai 1873, le maréchal Mac Mahon est élu Président de la République par l’Assemblée, marquant une tentative des monarchistes de rétablir la monarchie tout en consolidant le pouvoir exécutif.

1. La loi du 20 novembre 1873 : instauration du septennat

  • Cette loi confie le pouvoir exécutif à Mac Mahon pour une durée de sept ans, stabilisant temporairement la présidence.
  • Le mandat présidentiel est prolongé pour satisfaire :
    • Les républicains, qui espèrent utiliser ce délai pour asseoir durablement le régime républicain.
    • Les monarchistes, qui espèrent que ce délai permettra de préparer un éventuel retour de la monarchie.
  • Effets :
    • La fonction présidentielle gagne en stabilité.
    • Le Président devient politiquement irresponsable devant l’Assemblée, marquant une évolution institutionnelle majeure.

2. L’amendement Wallon (30 janvier 1875)

  • Ce texte prévoit que :
    • Le Président de la République est désormais élu par les deux chambres parlementaires réunies en Assemblée nationale (chambre des députés et Sénat).
    • La fonction présidentielle est définie de manière impersonnelle, dissociant le rôle de la personne élue.
  • Conséquences :
    • L’amendement marque un tournant décisif en institutionnalisant la fonction présidentielle et en garantissant la pérennité du régime républicain.
    • Il jette les bases des lois constitutionnelles de 1875, qui établiront officiellement la Troisième République.

Conclusion : La période transitoire de 1870 à 1875 a été marquée par une lutte constante entre républicains et monarchistes. Si les monarchistes ont tenté de reprendre le contrôle des institutions, leurs divisions internes et les compromis institutionnels comme le septennat et l’amendement Wallon ont progressivement ouvert la voie à la consolidation d’un régime républicain. Ces événements annoncent la stabilisation politique qui sera consacrée par les lois constitutionnelles de 1875, actant définitivement la naissance de la Troisième République.

 

&2 : les lois constitutionnelles de 1875 :

L’année 1875 marque une étape fondamentale dans l’établissement de la Troisième République. Trois lois constitutionnelles sont adoptées successivement :

  • La loi du 24 février 1875, portant sur le Sénat.
  • La loi du 25 février 1875, relative à l’organisation des pouvoirs publics.
  • La loi du 16 juillet 1875, concernant les rapports entre les pouvoirs publics.

Ces textes posent les bases du régime républicain en définissant les attributions respectives des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que les modalités de fonctionnement des institutions.

A) Le pouvoir exécutif

1. Le Président de la République

Le chef de l’État dispose de prérogatives importantes, notamment :

  • Élection :
    • Le Président est élu pour sept ans par les deux chambres parlementaires réunies en Assemblée nationale (chambre des députés et Sénat).
    • Il est indéfiniment rééligible, une innovation significative par rapport à la pratique sous la monarchie de juillet.
  • Irresponsabilité politique :
    • Il est politiquement irresponsable devant les chambres parlementaires, sauf en cas de haute trahison.
    • Ses actes doivent être contresignés par les ministres, ce qui leur confère une responsabilité indirecte.

2. Prérogatives du Président

Le chef de l’État exerce un rôle actif dans les domaines exécutif et législatif :

  • Exécution des lois :
    • Il dispose du pouvoir règlementaire pour l’exécution des lois et veille à leur application.
  • Commandement et diplomatie :
    • Il commande les forces armées.
    • Il signe et ratifie les traités internationaux, sous réserve d’autorisation parlementaire pour les plus importants (déclaration de guerre ou alliances).
  • Participation législative :
    • Il partage l’initiative des lois avec les parlementaires.
    • Il peut demander une nouvelle délibération sur une loi adoptée par les chambres.
  • Relations avec le parlement :
    • Il peut convoquer les chambres en session extraordinaire.
    • Il peut ajourner les travaux parlementaires pour une durée maximale d’un mois.
    • Sur avis conforme du Sénat, il peut dissoudre la chambre des députés, un pouvoir rarement utilisé, mais symboliquement fort.

3. Les ministres

Le Président de la République nomme et révoque librement les ministres.

  • Les ministres forment un gouvernement collégial (le conseil des ministres) et sont politiquement responsables devant la chambre des députés.
  • Leur responsabilité est collective et solidaire, ce qui implique qu’un gouvernement doit démissionner en cas de motion de censure.
  • Ils sont les auxiliaires du Président, car ils doivent contresigner ses actes, participant ainsi indirectement au contrôle de son action.
  • Les ministres peuvent assister aux séances des chambres et y intervenir.

B) Le pouvoir législatif

Le parlement est composé de deux chambres :

  • Le Sénat, prévu par la loi du 24 février 1875.
  • La chambre des députés, définie par la loi du 25 février 1875.

1. Le Sénat

  • Composition :
    • 300 sénateurs, dont 275 élus au suffrage universel masculin indirect, par des collèges composés de délégués des conseils municipaux et départementaux.
    • Les 25 autres sénateurs sont désignés librement par l’Assemblée nationale.
    • Les sénateurs doivent avoir 40 ans et sont élus pour 9 ans, renouvelés par tiers tous les trois ans.
  • Attributions :
    • Le Sénat partage l’initiative législative avec la chambre des députés et le Président de la République.
    • Il donne son avis conforme pour des décisions majeures comme la dissolution de la chambre des députés ou l’autorisation de déclarer la guerre.

2. La chambre des députés

  • Composition :
    • Les députés sont élus au suffrage universel masculin direct.
    • Une loi ultérieure (30 novembre 1875) fixe la durée de leur mandat à 4 ans, renouvelable.
  • Attributions :
    • La chambre des députés a une priorité sur les lois financières (budget).
    • Elle dispose du pouvoir d’investiture du gouvernement et peut voter des motions de censure.

3. Relation entre les deux chambres

  • Les deux chambres sont sur un pied d’égalité dans l’exercice du pouvoir constituant.
  • En cas de désaccord législatif, un mécanisme de conciliation est prévu, mais la chambre des députés bénéficie d’une prééminence dans les questions budgétaires et certaines procédures.

C) Les relations entre les pouvoirs publics

La loi du 16 juillet 1875 fixe les rapports entre les institutions :

  • Le régime parlementaire dualiste repose sur une double responsabilité du gouvernement :
    • Devant le Président de la République.
    • Devant le parlement, principalement la chambre des députés.
  • Cette dualité garantit une certaine stabilité, mais la dissolution de la chambre reste subordonnée à l’accord du Sénat.

D) Les apports des lois constitutionnelles

Les lois constitutionnelles de 1875, bien que conçues comme un compromis entre monarchistes et républicains, ont jeté les bases de la stabilité institutionnelle :

  1. Un régime républicain accepté : Le système équilibre les aspirations monarchiques (avec un Président fort) et républicaines (avec un parlement souverain).
  2. Un bicamérisme renforcé : Le Sénat agit comme un contrepoids à la chambre des députés, assurant une réflexion plus approfondie sur les lois.
  3. Un exécutif structuré : Bien qu’important, le pouvoir présidentiel reste limité par la responsabilité des ministres et le contrôle parlementaire.

Ces lois resteront en vigueur jusqu’en 1940, contribuant à l’essor d’un régime parlementaire dominant qui caractérisera la Troisième République.

 

&3 : la crise du 16 mai 1877 :

Les lois constitutionnelles de 1875 avaient instauré un régime parlementaire équilibré. Cependant, ce système, de type orléaniste, conférait un rôle prédominant au Président de la République. Cette configuration institutionnelle, combinée à une opposition idéologique entre le Sénat conservateur et la chambre des députés républicaine, a conduit à des tensions croissantes. Ces divergences culminèrent avec la crise du 16 mai 1877, qui marqua un tournant dans l’histoire de la Troisième République.

A) Contexte et déclenchement de la crise

1. Une opposition croissante entre exécutif et législatif

  • À la suite des élections législatives de 1876, les républicains obtiennent la majorité à la chambre des députés, tandis que le Sénat reste dominé par les conservateurs.
  • Mac Mahon, Président de la République et monarchiste convaincu, nomme successivement deux présidents du conseil :
    • Jules Dufaure, homme de centre-gauche.
    • Puis, en décembre 1876, Jules Simon, un républicain modéré, dans une tentative d’apaisement.

2. La lettre de Mac Mahon à Jules Simon (16 mai 1877)

  • Mac Mahon adresse une lettre publique à Jules Simon, critiquant sa politique jugée trop favorable aux républicains.
  • En réponse, Jules Simon démissionne, ce qui est interprété comme un coup de force de la part du chef de l’État.
  • Mac Mahon nomme alors le duc Albert de Broglie, un monarchiste conservateur, à la tête du gouvernement, ce qui accroît les tensions avec la chambre des députés.

B) Déroulement de la crise

1. La réaction des parlementaires

  • La chambre des députés, outrée par l’intervention présidentielle, se réunit dès le 16 juin 1877.
  • Elle adopte un ordre du jour affirmant que le ministère Broglie n’a pas la confiance des représentants de la nation.

2. Dissolution de la chambre des députés

  • Le 25 juin 1877, sur avis conforme du Sénat, Mac Mahon dissout la chambre des députés, dans l’espoir que de nouvelles élections renforceront le camp conservateur.
  • Les élections législatives des 14 et 28 octobre 1877 voient cependant un triomphe des républicains, qui remportent 326 sièges contre 210 pour les conservateurs.

3. Fin du ministère Broglie et la nomination de Rocheboüet

  • Suite à la défaite électorale, le ministère Broglie démissionne le 23 novembre 1877.
  • Mac Mahon nomme un nouveau gouvernement dirigé par le général Gaétan de Rocheboüet, composé de conservateurs.
  • La chambre des députés refuse de coopérer avec ce gouvernement, adoptant un nouvel ordre du jour le 24 novembre, déclarant qu’elle ne reconnaît pas ce ministère.

4. Capitulation de Mac Mahon

  • Isolé et sous pression, Mac Mahon demande à Jules Dufaure de former un gouvernement compatible avec la majorité républicaine.
  • En 1878, il accepte de se soumettre à une politique républicaine, malgré ses convictions personnelles.

C) Conséquences de la crise

1. La démission de Mac Mahon (30 janvier 1879)

  • Au début de 1879, les républicains obtiennent la majorité au Sénat, privant Mac Mahon de son dernier appui institutionnel.
  • Il démissionne et est remplacé par Jules Grévy, élu par les deux chambres réunies en assemblée nationale.

2. La « Constitution Grévy »

  • Jules Grévy promet, dans un message adressé aux parlementaires le 7 février 1879, de ne jamais entrer en conflit avec la volonté nationale, exprimée par ses représentants constitutionnels.
  • Ce texte consacre une évolution coutumière des institutions, marquant :
    • La mise en retrait du Président de la République.
    • La fin du régime parlementaire dualiste, où le gouvernement était responsable à la fois devant le Président de la République et le parlement.
    • Une suprématie parlementaire, limitant l’usage de la dissolution.

3. Révisions constitutionnelles

  • Révision du 21 juin 1879 : déplace le siège des pouvoirs publics de Versailles à Paris.
  • Révision du 14 août 1884 : « déconstitutionnalise » certains articles, notamment ceux permettant une éventuelle restauration monarchique.

4. Réformes électorales

  • Une loi ordinaire du 9 décembre 1884 modifie la composition du Sénat.
    • Le nombre de sénateurs est fixé à 300, élus au suffrage universel indirect par des délégués des conseils municipaux.
    • Cette réforme renforce le caractère républicain des institutions.

Bilan : La crise du 16 mai 1877 marque une étape décisive dans la consolidation de la Troisième République. Elle met fin à la prédominance orléaniste et au pouvoir personnel du Président de la République, inaugurant une époque de suprématie parlementaire. Toutefois, cet équilibre reposant sur la marginalisation de l’exécutif contribuera à l’instabilité institutionnelle qui caractérisera le régime jusqu’en 1940.

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