La IVe République (1946-1958), un régime instable

La IVe République (1946-1958) :

La Quatrième République, en place en France de 1946 à 1958, est un régime marqué par des enjeux majeurs. Elle s’attache à reconstruire le pays, dévasté par la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation allemande, tout en affrontant la question complexe de la décolonisation. Bien que l’indépendance soit accordée à des colonies comme l’Indochine, le Maroc et la Tunisie, le régime échoue face à la gravité du conflit algérien. Par ailleurs, dès 1951, la France joue un rôle clé dans les débuts de la construction européenne aux côtés de six pays voisins.

Cependant, la Quatrième République est affaiblie par les attaques constantes des gaullistes et du Parti communiste français, mais aussi par l’éclatement des forces politiques. Ce morcellement entraîne une instabilité gouvernementale chronique, avec plus de vingt gouvernements en douze ans. En tant que régime d’assemblée, elle repose sur l’Assemblée nationale, qui investit et renverse les gouvernements, rendant leur stabilité dépendante des députés.

Cette situation complique considérablement la gouvernance, notamment en raison de l’absence de majorités stables. Pierre Mendès France, dont le dynamisme suscite pourtant de grands espoirs, est renversé en 1955 après seulement sept mois au pouvoir. Cette crise accentue les difficultés pour ses successeurs, rendant la formation d’un gouvernement de plus en plus ardue.

Section 1 : l’établissement laborieux du régime :

La mise en place de la Quatrième République fut marquée par des débats intenses et des échecs successifs avant de parvenir à une solution institutionnelle. Cette période de transition illustre la complexité des choix auxquels la France était confrontée après la Libération, entre continuité républicaine et refonte des institutions.

I. Une question fondamentale : restaurer ou refonder ?

Après la Libération, une interrogation centrale émerge : quel régime adopter pour la France ?

  1. Deux options possibles :
    • Considérer que le régime de Vichy était une simple parenthèse illégitime et restaurer la Troisième République.
    • Reconnaître que la rupture de 1940 nécessitait de créer de nouvelles institutions, adaptées aux enjeux modernes.
  2. Le référendum d’octobre 1945 :
    • Deux questions sont soumises aux Français :
      • Souhaitent-ils que l’assemblée élue devienne une assemblée constituante ?
      • Acceptent-ils l’organisation provisoire des pouvoirs publics proposée ?
    • Les réponses sont massivement favorables, ouvrant la voie à l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
  3. Résultats des élections constituantes :

    • Trois grands partis dominent l’Assemblée constituante :
      • Le Parti communiste français (PCF).
      • La Section française de l’internationale ouvrière (SFIO).
      • Le Mouvement républicain populaire (MRP).

II. L’échec du premier projet de Constitution

1. Les tensions au sein de l’assemblée constituante

  • Dès novembre 1945, une loi constitutionnelle confère à l’Assemblée le pouvoir de désigner le chef du gouvernement et de composer ce dernier, tout en établissant un délai de sept mois pour rédiger une nouvelle Constitution.
  • L’Assemblée constituante, au lieu de se concentrer sur sa mission, s’arroge des prérogatives exécutives. Cette confusion des rôles provoque la démission du général de Gaulle, qui quitte la présidence du gouvernement le 26 janvier 1946, dénonçant un régime d’assemblée qu’il considère inefficace.

2. Le projet de Constitution rejeté

  • Le 19 avril 1946, un premier projet de Constitution voit le jour. Il instaure un régime d’assemblée où l’Assemblée nationale détient l’essentiel des pouvoirs :
    • Elle désigne le président de la République, le président du Conseil et son propre président.
    • Elle concentre l’intégralité du pouvoir législatif.
    • Elle investit le gouvernement, politiquement responsable devant elle.
  • Ce projet est jugé déséquilibré, notamment par le général de Gaulle, et rejeté par référendum le 5 mai 1946 (53 % de « non »).

III. Le succès du second projet de Constitution

1. Une nouvelle assemblée constituante

  • Après l’échec du premier projet, de nouvelles élections sont organisées le 2 juin 1946. Le MRP (Mouvement républicain populaire) devient le premier parti de France, suivi de la SFIO et du PCF. Georges Bidault, leader du MRP, prend la tête du gouvernement.

2. Les orientations de De Gaulle

  • Dans son discours de Bayeux le 16 juin 1946, le général de Gaulle propose les bases d’un nouveau régime :
    • Un exécutif fort et indépendant.
    • Une séparation claire des pouvoirs.
    • Une organisation institutionnelle stable pour éviter les dérives d’un régime d’assemblée.
  • Malgré cette mise en garde, les recommandations gaullistes ne sont pas suivies par la nouvelle assemblée constituante.

3. Adoption de la Constitution

  • Un nouveau projet de Constitution est élaboré, cherchant à corriger les défauts du premier texte sans abandonner le principe d’un régime parlementaire.
  • Le 13 octobre 1946, le texte est approuvé par référendum (53 % de « oui ») malgré une forte abstention.
  • La Constitution de la Quatrième République est promulguée le 27 octobre 1946.

IV. Les caractéristiques du régime

  1. Un régime parlementaire :
    • La nouvelle Constitution conserve un déséquilibre en faveur de l’Assemblée nationale, qui dispose du pouvoir de renverser le gouvernement.
    • L’exécutif, incarné par un président de la République aux pouvoirs limités et un président du Conseil souvent instable, reste faible face à une Assemblée éclatée entre plusieurs partis.
  2. Des tensions structurelles :
    • L’instabilité gouvernementale devient une constante, favorisée par la fragmentation politique et l’absence de majorité claire.
    • Les débats autour du rôle de l’exécutif et de l’Assemblée nationale reflètent les failles institutionnelles du régime.

Conclusion : L’établissement de la Quatrième République a été marqué par des choix complexes et des compromis laborieux. Le rejet initial du premier projet de Constitution a permis de clarifier les attentes, mais n’a pas totalement résolu les problèmes structurels. Le régime parlementaire instauré en 1946 souffrira de cette instabilité, conduisant progressivement à sa remise en question et à son remplacement par la Cinquième République en 1958.

 

Section 2 : les institutions politiques de la IVe République :

 

La Quatrième République repose sur une organisation institutionnelle marquée par une domination du pouvoir législatif, un pouvoir exécutif fragmenté et affaibli, et la création de l’Union française, destinée à intégrer les territoires d’outre-mer et les États associés.

1. Le pouvoir législatif : une prééminence parlementaire

Le Parlement de la Quatrième République est bicaméral, composé de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République, mais le véritable pouvoir est concentré dans les mains de l’Assemblée nationale.

A. Organisation et composition

  • L’Assemblée nationale :
    • Élue au suffrage universel direct.
    • Tient une session ordinaire annuelle de sept mois, mais peut être convoquée en session extraordinaire par son président ou à la demande de la majorité des députés.
    • Nombre de députés fixé librement par l’Assemblée.
  • Le Conseil de la République :
    • Se substitue à l’ancien Sénat.
    • Élu au suffrage universel indirect par les communes et départements.
    • Comptait entre 250 et 320 membres, selon les dispositions constitutionnelles.

B. Rôle et prérogatives

  • Initiative législative : partagée avec le Conseil des ministres.
  • Maîtrise de la procédure législative :
    • Vote et discussion des lois.
    • Droit d’amendement non limité, permettant une influence étendue sur les textes.
  • Hiérarchie entre les deux chambres :
    • L’Assemblée nationale domine :
      • Elle a le dernier mot en cas de désaccord avec le Conseil de la République.
      • Elle est seule habilitée à voter les lois, notamment dans le domaine des finances.
    • Le Conseil de la République donne un avis consultatif dans certaines matières, comme la politique extérieure.

C. Pouvoir de contrôle

  • Confiance et censure :
    • L’Assemblée nationale investit tout nouveau gouvernement.
    • Elle peut censurer un gouvernement en fonction, entraînant sa chute immédiate.

2. Le pouvoir exécutif : un rôle éclaté et affaibli

Le pouvoir exécutif est exercé par deux organes : le Président de la République et le président du Conseil, mais ce dernier joue un rôle prépondérant, reflétant une concentration des pouvoirs au niveau gouvernemental.

A. Le Président de la République

  • Mode de désignation :
    • Élu pour sept ans par les deux chambres parlementaires réunies en Congrès.
    • Rééligible une seule fois.
  • Rôle et prérogatives :
    • Faible participation au pouvoir législatif :
      • Perte de l’initiative législative.
      • Pouvoir limité à des actions symboliques comme la promulgation des lois.
    • Fonctions exécutives et diplomatiques :
      • Nomme des agents publics et diplomatiques.
      • Ratifie les traités internationaux.
      • Préside le Conseil des ministres et le Conseil supérieur de la défense nationale.
    • Responsabilité politique :
      • Irresponsable sur le plan politique.
      • Ne peut exercer le droit de grâce qu’au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

B. Le président du Conseil et le gouvernement

  • Nomination et rôle :
    • Désigné par le Président de la République après consultation des chambres parlementaires.
    • Présente son gouvernement et programme à l’Assemblée nationale, qui doit accorder sa confiance.
  • Pouvoirs étendus :
    • Initiative législative, partagée avec le Conseil des ministres.
    • Exécution des lois.
    • Nomination des agents civils et militaires (hors nominations présidentielles).
    • Direction des forces armées et coordination de leur action.
  • Responsabilité gouvernementale :
    • Les ministres sont collectivement responsables de la politique générale devant l’Assemblée nationale.
    • Ils sont individuellement responsables de leurs actes personnels.
  • Dissolution de l’Assemblée nationale :
    • Possible en cas de deux crises ministérielles successives dans un délai de 18 mois.
    • Ne peut être prononcée durant les 18 premiers mois d’une législature.

3. L’Union française : un cadre pour les territoires d’outre-mer

La Constitution de la Quatrième République institue l’Union française, destinée à réorganiser les relations entre la métropole et les territoires ultramarins.

A. Composition et structure

  • L’Union regroupe :
    • La France métropolitaine.
    • Les départements et territoires d’outre-mer.
    • Les États et territoires associés.
  • Organes principaux :
    • Le Président de l’Union :
      • Fonction exercée par le Président de la République.
    • Le Haut Conseil :
      • Composé de représentants des différentes entités territoriales.
      • Rôle exécutif, assiste le gouvernement.
    • L’Assemblée de l’Union :
      • Réunit des représentants de l’État et des territoires ultramarins.
      • Donne des avis consultatifs.

B. Rôle et limites

  • L’Union française vise à intégrer les colonies dans un cadre institutionnel plus souple.
  • Cependant, elle reste marquée par un déséquilibre : les entités non métropolitaines disposent de peu de pouvoir décisionnel, alimentant les revendications indépendantistes.

Conclusion  : Les institutions de la Quatrième République reflètent un régime parlementaire déséquilibré, où l’Assemblée nationale domine le pouvoir exécutif. Cette organisation a conduit à une instabilité chronique, amplifiée par la multiplicité des partis politiques et les tensions liées à la décolonisation. En dépit des efforts pour inclure les territoires ultramarins dans l’Union française, le régime n’a pas su surmonter les crises majeures de son époque, précipitant sa chute en 1958.

Section 3 : les difficultés de fonctionnement de la IVe République :

 

La Quatrième République, instaurée en 1946, a rapidement montré ses limites en raison de deux phénomènes majeurs : une instabilité gouvernementale chronique et un dérèglement institutionnel. Ces faiblesses structurelles ont contribué à l’effondrement progressif du régime, conduisant à l’avènement de la Cinquième République en 1958.

1. L’instabilité gouvernementale

La Quatrième République s’est illustrée par une succession incessante de gouvernements, résultant d’une combinaison de crises politiques, d’un rôle excessif des partis et des limites des modes de scrutin.

A. Une production de crises à répétition

  • Rythme effréné des changements :
    • En seulement douze ans, pas moins de 24 gouvernements se sont succédé, chacun ayant une durée de vie moyenne d’environ six mois.
  • Cadre constitutionnel insuffisant :
    • La Constitution de 1946 prévoyait que la chute d’un gouvernement ne pouvait se produire que dans deux hypothèses :
      • Le refus par l’Assemblée nationale d’une question de confiance posée par le gouvernement.
      • Le vote d’une motion de censure à la majorité absolue des députés.
    • En pratique, aucune motion de censure formelle n’a été votée, mais des gouvernements ont souvent démissionné dans des cas non prévus par la Constitution :
      • Rejet à la majorité relative d’un projet de loi considéré comme essentiel par le gouvernement.
      • Démission anticipée face à des ruptures internes au sein de la coalition majoritaire.

B. Le rôle des partis politiques

  • Fragmentation politique :
    • La République a débuté sous le signe du tripartisme : le PCF, la SFIO, et le MRP dominaient la scène politique.
    • En 1947, le président du Conseil Paul Ramadier révoque les ministres communistes, accusés de manquer à la solidarité gouvernementale. Cette rupture entraîne la disparition du tripartisme et l’émergence de la Troisième Force, une coalition fragile regroupant SFIO, MRP, radicaux et modérés.
  • Double opposition insurmontable :
    • Face à la Troisième Force, deux grands partis d’opposition :
      • Le PCF, fort de son ancrage ouvrier.
      • Le RPF (Rassemblement du Peuple Français) fondé par de Gaulle, prônant un exécutif fort.
    • Ces oppositions privent souvent les gouvernements de la stabilité nécessaire pour gouverner.
  • Conflits d’intérêts internes :
    • Les ministres se comportent souvent comme des représentants de leur parti plutôt que comme membres d’une équipe gouvernementale, fragilisant la cohésion des gouvernements.

C. L’influence des modes de scrutin

  • Représentation proportionnelle :
    • L’élection des députés se fait à la proportionnelle, ce qui empêche tout parti d’obtenir une majorité absolue.
    • Le résultat est une majorité relative, obligeant les gouvernements à former des coalitions incertaines et instables.
  • Conséquences sur la stabilité :
    • Les gouvernements sont constamment menacés par des alliances opportunistes des partis d’opposition.
    • Le système proportionnel accentue la dépendance du gouvernement aux compromis politiques, au détriment d’une action cohérente et durable.

2. Le dérèglement institutionnel

La Quatrième République a également souffert de dysfonctionnements institutionnels, notamment en raison d’un déséquilibre des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement.

A. Un Parlement interventionniste et paralysant

  • Emprise du Parlement sur l’exécutif :
    • L’Assemblée nationale tend à intervenir dans les prérogatives du gouvernement, notamment en engageant régulièrement sa responsabilité sur des textes législatifs ou en usant de son pouvoir d’interpellation.
    • En parallèle, le Parlement délègue souvent au gouvernement la responsabilité de prendre des mesures impopulaires, par le biais de lois d’habilitation prévues par l’article 13 de la Constitution.
  • Un domaine législatif infini :
    • L’absence de définition claire des domaines réservés à la loi permet au Parlement de s’immiscer dans presque tous les aspects de la gouvernance.

B. Une rupture entre le peuple et les institutions

  • Limites de la représentation proportionnelle :
    • Le scrutin proportionnel fragilise le lien entre les citoyens et leurs représentants, en favorisant la formation de majorités de coalition éloignées de la volonté populaire.
    • Les alliances parlementaires sont souvent perçues comme artificielles et opportunistes, accentuant la défiance des citoyens envers les institutions.
  • Contexte politique aggravant :
    • À la fin des années 1950, la situation en Algérie exacerbe les tensions politiques.
    • Les institutions, incapables de répondre aux crises, apparaissent de plus en plus déconnectées des réalités nationales et coloniales.

3. La chute de la IVe République

  • La crise algérienne comme détonateur :
    • Le 13 mai 1958, un mouvement insurrectionnel éclate en Algérie, précipitant une crise institutionnelle majeure.
    • Le Président René Coty demande au Parlement d’investir Charles de Gaulle comme président du Conseil, menaçant de démissionner en cas de refus.
  • Pleine autorité pour de Gaulle :
    • Le 1er juin 1958, de Gaulle est investi et obtient les pleins pouvoirs pour six mois.
    • Le 3 juin, une loi constitutionnelle lui confie la révision de la Constitution, marquant la fin virtuelle de la Quatrième République.

Conclusion  : La Quatrième République, minée par une instabilité chronique et un déséquilibre institutionnel profond, n’a jamais réussi à instaurer un régime capable de répondre aux enjeux de son époque. Ces faiblesses structurelles, aggravées par la crise algérienne, ont abouti à son remplacement par la Cinquième République, conçue pour renforcer l’exécutif et stabiliser la vie politique française.

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