L’ÉTABLISSEMENT DU CONTENU DE LA LOI ÉTRANGÈRE
— Il faut soulever 2 points dans l’établissement du contenu de la loi étrangère
— 1er point : jura novit curia (c’est à dire, « la Cour connaît le droit »)
— En droit francais, le juge est donc réputé connaître le droit, mais cette maxime ne joue que partiellement lorsqu’une loi étrangère est invoquée : on retrouve ici la nature hybride du droit étranger
— En effet, on ne demandera pas au juge d’apporter systématiquement la preuve du droit étranger : on sort donc du cadre procédural classique.
- Droit international – Partie 1 : Le conflit de lois
- Qualification et contrôle de qualification en droit international
- La méthode bilatéraliste ou Savignenne de résolution des conflits
- Les méthodes de résolution des conflits de loi
- La méthode unilatérale de résolution des conflits
- Le renvoi en droit international privé
- La fraude à la loi en droit international
— 2nd point : on parle souvent de « problème de preuve du droit étranger », mais il s’agit, d’un abus de langage, puisque cela reviendrait à aligner le régime juridique étranger sur une question de simple fait
— Or, une partie à un litige ne subit pas la charge et le risque de la preuve, lorsqu’il établit le contenu d’une loi étrangère
— Lorsqu’une partie invoque un fait mais n’arrive pas à le prouver, sa prétention est rejetée : elle subit donc la charge et le risque de la preuve
— Lorsqu’une partie invoque une loi étrangère mais n’arrive pas à en établir le contenu, sa prétention ne sera pas automatiquement rejetée, puisqu’on va retomber sur une solution subsidiaire, à savoir l’application du droit français : elle ne subit donc pas la charge et le risque de la preuve
a) La charge d’établir le contenu de la loi étrangère
— La charge d’établir le contenu de la loi étrangère dépend selon que l’on est confronté à des droits disponibles ou non disponibles
— En ce qui concerne les droits indisponibles, c’est au juge d’appliquer d’office la règle de conflit : il incombe donc au juge francais de rechercher la teneur de la loi étrangère que la règle du conflit lui prescrit d’appliquer
— La jurisprudence tend à aller dans ce sens
— 1 juillet 1997 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation déclare que « l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition impose aux juges de rechercher la teneur de cette loi »
— 16 novembre 2004 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme cette jurisprudence constante
— Cependant, en pratique, c’est néanmoins aux parties d’apporter les éléments nécessaires pour la recherche de la teneur de la loi étrangère : or, le juge risque d’être confronté à des parties récalcitrantes, puisqu’elles ne souhaitent pas nécessairement se voir appliquer une loi étrangère
— En ce qui concerne les droits disponibles, le juge n’est pas tenu d’appliquer d’office la règle de conflit : le juge a simplement la faculté de l’appliquer
— Lorsque le juge use de sa faculté, c’est à lui d’établir le contenu de la loi étrangère
— 27 janvier 1998 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
— Lorsque le juge n’use pas de sa faculté, mais c’est une partie qui fait rentrer l’élément conflictuel dans le litige, la solution est moins claire
— Auparavant, il y avait une divergence de jurisprudence
— La solution de la chambre commerciale consistait à dire que c’est au plaideur qui soutient que la loi étrangère débouche sur un autre résultat que la loi francaise d’en démontrer le contenu
— 16 novembre 1993 : l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation déclare que « c’est à la partie qui a intérêt à l’application de la loi étrangère de justifier que cette loi étrangère aboutirait à une solution différente que celle que commande la loi francaise »
— La solution de la chambre civile a évolué dans le temps
— D’abord, elle tranchait les litiges de la même manière que la chambre commerciale
— Cette solution semble logique, puisqu’on demande à la partie qui a intérêt à l’application de la loi étrangère d’en établir le contenu
— Depuis quelques temps, elle considère qu’il suffit qu’une partie mette en évidence le rôle que doit tenir la règle de conflit, afin que le juge doive établir la teneur du droit étranger en cause
— Cette solution semble la plus équitable, pour 3 raisons
— 1ère raison : le juge a souvent des moyens plus importants que les parties (ex. l’instruction) pour établir la teneur du droit étranger
— 2e raison : c’est la seule solution qui permet d’assurer l’égalité entre les parties (en raison des frais de traduction, de recherche, etc.)
— 3e raison : l’article 11 du Code de Procédure Civile permet néanmoins d’alléger la charge du juge, en l’autorisant à solliciter la coopération des parties (sachant que le juge peut tirer toutes les conséquences d’une éventuelle abstention/inaction de l’une des parties)
— Aujourd’hui, 2 arrêts récents semblent présager une uniformisation de la jurisprudence, puisqu’ils ont chacun le même attendu pour des faits similaires (relatifs à l’inexécution du contrat)
— 28 juin 2005 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation déclare que « attendu qu’il incombe au juge francais, qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur avec le concours des parties, et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger »
— On tranche donc dans le sens de la solution de la chambre civile depuis quelques temps : c’est au juge d’établir le droit étranger, tout en ayant la possibilité de solliciter la coopération des parties
— 28 juin 2005 : l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rend exactement le même attendu de principe
b) Les modes de preuve
— Le droit étranger peut être établi par tous moyens
— Toutefois, le certificat de coutume est le mode de preuve le plus souvent utilisé : « Une attestation écrite sur la teneur d’un droit étranger, formulée en fonction du litige en cause, et émanant d’une autorité officielle (ex. l’ambassade ou le consulat), d’une autorité religieuse (ex. en ce qui concerne les droits religieux), ou le plus souvent, d’une personne privée (ex. un universitaire, un avocat, un notaire, etc.). »
— Cependant, il y a un problème d’objectivité de l’autorité rédigeant le certificat de coutume : en effet, la plupart des certificats étant rémunérés par l’une des parties, le spécialiste de droit étranger va naturellement essayer de présenter le droit étranger, s’il donne tort à la partie, sous un jour moins défavorable qu’il pourrait l’être
— Par conséquent, le certificat de coutume n’a aucune force obligatoire à l’égard du juge francais
— Aujourd’hui, les autorités françaises et communautaires essayent de plus en plus de mettre en place des systèmes d’informations pouvant servir au juge francais
— 1ère source : le juge francais peut saisir une cellule spécialisée au sein du Ministère de la justice
— 2e source : de plus en plus de conventions bilatérales sont conclues avec des États étrangers
— Ex. la Convention du 29 mars 1974 entre la France et le Sénégal prévoit que les autorités des 2 pays peuvent se communiquer réciproquement des renseignements à propos des lois en vigueur dans leurs États respectifs
— Toutefois, cette coopération est très lente : le juge doit solliciter le Ministère francais, qui va expédier la demande au Sénégal, qui à son tour va étudier le dossier avant de le renvoyer en France
— 3e source (peu utilisée pour l’instant) : le règlement communautaire du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États-membres dans le domaine de l’obtention des preuves simplifie les choses, car la coopération se fait ici directement entre les juridictions étrangères (et non à travers les structures politiques)
— Ex. elle permet de solliciter directement des mesures d’instruction dans un autre État-membre
c) Le contenu non-prouvé de la loi étrangère
— Lorsque la partie ou le juge n’arrive pas à établir le contenu de la loi étrangère, les solutions alternatives sont assez simples
— 1ère alternative : le juge rejette purement et simplement la prétention de la partie se fondant sur la loi étrangère
— 2nde alternative : le juge rejette seulement l’application du droit étranger, mais va appliquer de manière subsidiaire le droit francais concernant la prétention
— Cette alternative est indispensable, puisqu’il serait totalement illogique et injuste de rejeter la prétention d’une partie dans le cas où il incombait au juge d’établir la loi étrangère et que c’est lui-même qui a échoué de l’établir
— Or, cette possibilité ouvre une brèche au juge laxiste pouvant prétendre appliquer le droit français dans tous les cas où il n’arrive pas à établir le droit étranger : par conséquent, la Cour de cassation veille très attentivement à ce que le juge français, qui applique subsidiairement le droit francais, motive suffisamment sa décision
— 13 novembre 2003 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation considère que le juge français doit faire preuve de diligence et a une sorte « d’obligation de moyens » (et non de résultat) dans l’établissement du droit étranger
— Or, 2 questions restent encore en suspens aujourd’hui
— 1ère question : est-ce que le juge doit appliquer le droit français, lorsque la partie, qui a la charge de la preuve du droit étranger, ne satisfait pas à son obligation ?
— Auparavant, le juge devait appliquer subsidiairement le droit français
— 2nde question : quelles sont les conséquences que le juge peut tirer d’un refus de coopération de l’un des parties, en vertu l’article 11 du Code de Procédure Civile ? applique-t-on la 1ère alternative ou la 2nde alternative ?
— Il n’existe pas encore véritablement de jurisprudence significative sur cette question