La méthode bilatéraliste ou Savignenne de résolution des conflits

LA MÉTHODE  BILATÉRALISTE OU SAVIGNIENNE

 La question de résolution des conflits de loi s’est posée depuis très longtemps : on a envisagé plusieurs méthodes comme la méthode unilatéraliste ou la méthode bilatéraliste.

— Nous évoquerons la méthode la plus évidente c’est à dire la méthode  bilatéraliste ou Savignenne  : après avoir déterminé que le tribunal français est compétent, on applique tout simplement la loi française

 

–     Or, la compétence du tribunal répond à d’autres exigences que la seule détermination de la loi : en effet, la question de la compétence répond avant tout à une question pratique (ex. quel est le tribunal le plus proche ?)

  19e siècle : Frédérich Karl VON SAVIGNY est l’auteur du bilatéralisme, qui est une synthèse de toutes les méthodes passées

  NB : la plupart des pays utilisent cette méthode

  1. LA MÉTHODE BILATÉRALISTE OU LA MÉTHODE SAVIGNIENNE OU LA MÉTHODE DOMINANTE

   On dénomme cette méthode la règle de conflit bilatéral, car elle offre une solution bilatérale (càd, soit l’application de la loi nationale, soit l’application de la loi étrangère)

  La dénomination la règle de conflit multilatéral aurait pu sembler plus approprié lorsque plusieurs lois étrangères rentrent en conflit, mais ce terme n’est pas retenu

  En outre, les règles de conflit bilatéral ont la spécificité de jouer pour une catégorie spécifique (ex. les droits réels immobiliers, les délits internationaux, etc.)

  1. a) La structure de la règle de conflit bilatérale

   La règle de conflit bilatérale se caractérise par 3 éléments

  1ère caractéristique : on ne s’intéresse pas en premier lieu à la loi, mais au rapport de droit lui-même

  2e caractéristique : le rapport de droit peut avoir plusieurs éléments de rattachement

  Lorsque le rapport de droit est éclaté, on est en présence de plusieurs éléments de rattachement

  Ex. lorsque les personnes concernées n’ont pas la même nationalité, le rapport de droit est éclaté

  Ex. lorsque les personnes concernées ne sont pas domiciliées dans le même État, le rapport de droit est éclaté

  Ex. lorsque les autorités françaises connaissent d’une affaire qui s’est déroulée complètement en Italie, il y a un élément de rattachement en France et un élément de rattachement en Italie

  3e caractéristique : on raisonne catégorie par catégorie (au lieu de cas par cas)

  Ex. les délits internationaux, les mariages internationaux, les contrats internationaux, etc.

  La règle de conflit bilatérale consiste en la localisation, pour chaque catégorie, du rapport de droit à partir de l’élément de rattachement le plus caractéristique et ainsi trouver le « siège » du rapport de droit

  Ex. un accident de la route s’est produit en Allemagne entre un anglais et un francais ; en appliquant la méthode bilatéraliste, on recherche l’élément le plus caractéristique du délit international ; en l’espèce, le lieu de situation est le élément de rattachement le plus caractéristique ; on applique donc la loi du lieu de survenance du délit, à savoir la loi allemande

  C’est le législateur, et à défaut le juge, qui va essayer de rechercher, catégorie par catégorie, l’élément de rattachement le plus caractéristique

  1. b) Les caractères de la règle de conflit

   La règle de conflit a 2 caractères marquants

  La règle de conflit est indirecte, puisqu’elle ne donne pas en soi la solution à appliquer, mais seulement une indication : elle n’est pas une règle de fond

  Dans ce sens, il s’agit d’une règle répartitrice, puisqu’elle répartit les compétences : ce mécanisme permet de déclencher une loi, mais sans pour autant donner le montant des dommages à verser, les procédures à suivre, etc.

  Le droit international privé est le seul droit qui se contente d’orienter en laissant le soin à aux lois nationales de donner les précisions

  La règle de conflit est neutre pour 2 raisons

  1ère raison : elle va traiter la loi francaise et la loi étrangère de la même manière

  2nde raison : elle détermine la compétence d’un droit sans en connaître le contenu

  Par conséquent, les auteurs parlent du « caractère aveugle » du bilatéralisme : en effet, on accepte « un saut dans l’inconnu » en quelque sorte

 

  1. LA COMPLICATION OU SOPHISTICATION DE LA MÉTHODE

   Tout l’objectif du droit international privé et de la règle de conflit est de savoir quelle loi est la plus juste/pertinente à appliquer

  À l’origine, la méthode retenue était plutôt simple, mais certains auteurs ont critiqué le caractère aveugle du bilatéralisme : ainsi, a-t-on rendu la méthode plus complexe à 2 égards

  1ère complication : on va rechercher plusieurs éléments de rattachement (au lieu d’un seul)

  2nde complication : lorsqu’une partie est économiquement faible, il faut prendre en compte l’ordre public social de protection

  Dans tous ces cas, les auteurs précisent qu’il s’agit toujours d’une règle de conflit bilatéral, malgré que l’appellation puisse être légèrement modifiée : on parlera de règle de conflit bilatéral à connotation matérielle ou règle de conflit bilatéral à coloration matérielle ou règle de conflit bilatéral à caractère substantiel

  1. a) L’apparition des rattachements multiples

   Les rattachements multiples apparaissent en raison de l’incertitude qui plane quant à la solution de fond : en effet, en raison du caractère indirect du bilatéralisme, on ne peut pas du tout prévoir ce que sera la solution de fond

  Ex. un enfant, dont la filiation est établie envers le père, est abandonné par ce dernier ; l’enfant va donc exercer une action à fin de subsides, sachant que l’enfant est francais et le père est espagnol ; or, le juge va considérer qu’il faut appliquer le droit espagnol sans en connaître le contenu, alors que dans le droit espagnol le père n’est pas contraint de verser des aliments ; l’apparition de règles de conflit à rattachements multiple va permettre d’augmenter les chances de réussite de l’enfant

  La recherche davantage de certitude est liée à un souci de protection des personnes en situation de faiblesse

  Ex. la convention de la Haie du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires considère que l’enfant est une personne en situation de faiblesse qui doit être protégé : par conséquent, on adopte une règle de conflit à rattachements multiple pouvant servir pour plusieurs raisons (liste non exhaustive)

  1ère utilisation : renforcer l’action à fin de subsides

  Dans la convention, la règle de conflit à rattachements multiple se décline en 3 temps : on recherche successivement l’élément de rattachement qui fera aboutir l’action

  Dans un premier temps, on applique la loi de la résidence habituelle de l’enfant

  Dans un second temps, on applique la loi nationale commune du parent et de l’enfant

  Dans un troisième temps, on applique la loi de l’autorité saisie

  Dans l’ordre juridique francais, on est allé encore plus loin : en effet, les éléments de rattachement peuvent être alternatifs (et non seulement successifs comme ci-dessus)

  L’article 311-18 du Code civil : « L’action à fin de subsides est régie au choix de l’enfant soit par la loi de sa résidence habituelle, soit par la loi de la résidence habituelle du débiteur. »

  Cet article est plus avantageux à l’enfant que la convention

  Dans la convention, si le premier élément de rattachement donne satisfaction à l’enfant, il ne pourra plus consulter les deux autres éléments de rattachement

  Or, les autres éléments de rattachement pourraient éventuellement être encore plus avantageux : ex. l’enfant reçoit 1000 euros d’aliments grâce au premier élément de rattachement, alors qu’il pourrait recevoir 2000 euros grâce aux autres

  Dans le Code civil, l’enfant peut choisir entre plusieurs éléments de rattachement

  2e utilisation : faire obstacle à l’obtention d’un résultat nuisible

  6 juillet 1999 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation

  Un enfant avait exercé avec succès une action en reconnaissance de paternité ; au bout d’un certain temps, le père exerce une action en nullité contre l’action en reconnaissance de paternité

  La Cour de cassation déclare que, pour que l’action en nullité aboutisse, elle doit être autorisée non seulement par la loi nationale du père, mais aussi par la loi nationale de l’enfant

  1. b) L’ordre public social de protection

   En droit interne, on essaye de protéger certaines parties faibles à un contrat : ex. le travailleur, le consommateur, etc.

  La protection se fait par des lois d’ordre public auxquelles les contrats ne peuvent pas déroger : ainsi, dans le contrat, on ne peut qu’améliorer la situation des personnes protégées (du moins sur ces points précis)

  En droit privé international, il existe une protection similaire pour les travailleurs et les consommateurs

  En principe, les parties peuvent choisir la loi à appliquer en raison de la liberté contractuelle et de la nécessité pour les commerçants de pouvoir choisir la loi la plus adaptée pour eux (ex. les lois maritimes anglaises sont mieux adaptées pour les contrats de distribution internationale que les lois de Liechtenstein) : la règle de conflit de loi est donc tout à fait particulière en ce qui concerne les contrats internationaux

  Or, plusieurs conventions viennent justement encadrer cette liberté contractuelle

  L’article 5 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles rappelle que les parties à un contrat international peuvent choisir la loi applicable à leur contrat, mais qu’en tout état de cause, le consommateur ne peut être privé de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de sa propre résidence habituelle

  L’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles rappelle aussi que les parties à un contrat international peuvent choisir la loi applicable à leur contrat, mais qu’en tout état de cause, le travailleur ne peut être privé de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du lieu d’exécution du travail

  Le seul problème de cette protection, c’est qu’il peut parfois être délicat de savoir quelle disposition est la plus protectrice : ex. une disposition pourrait prévoir un SMIC plus avantageux, alors que l’autre disposition prévoit plus de congés payés