L’UNILATÉRALISME OU LA MÉTHODE UNILATÉRALE
— L’unilatéralisme s’est développée suite aux critiques portées à la méthode bilatérale, mais il est considéré comme étant une méthode résiduelle par la plupart des auteurs : il faut nuancer ces propos.
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— 1ère nuance : il faut reconnaître à l’unilatéralisme une certaine importance dans le droit international privé francais
— 2nde nuance : les lois de police, malgré qu’elles représentent une technique tout à fait à part, empruntent à la méthode unilatéraliste
— L’unilatéralisme consiste à dire que la méthode bilatérale porte atteinte à la souveraineté de l’État, lorsqu’elle indique notamment qu’on applique la loi de la commission du délit : il entre dans la prérogative de l’État et du juge de décider si oui ou non la loi nationale s’applique
LA TECHNIQUE DE L’UNILATÉRALISME- a) La méthode de l’unilatéralisme
— La démarche est inverse à celle de la méthode bilatérale : on va d’abord se focaliser sur la loi francaise (et non sur l’élément de rattachement) en délimitant son champ d’application
— Si la loi francaise est applicable, le juge francais appliquera la loi francaise
— Si la loi francaise n’est pas applicable, le juge francais devra néanmoins statuer : dans ce cas, le juge doit voir quelle est la loi étrangère qui se veut applicable
— Ex. un accident de route se produit en Allemagne entre un anglais et un francais ; pour que la loi allemande soit applicable, il faut que la règle de conflit allemande précise que la loi allemande sera applicable à tous les accidents de route ayant eu lieu en Allemagne
- b) Les critiques
— La méthode unilatéraliste peut paraître séduisante, puisque chaque règle de conflit national va délimiter son champ d’application : or, 2 critiques majeures sont à formuler
— 1ère critique : la méthode est extrêmement complexe
— Dans un premier temps, il faut consulter la règle de conflit francaise
— Dans un second temps, si la loi francaise ne s’avère pas applicable, le juge devra consulter la règle de conflit de tous les États concernés (qui peuvent être de plusieurs dizaines notamment dans le cas d’un carambolage) : or, cela alourdit beaucoup la procédure
— 2nde critique : la méthode présente 2 problèmes, auxquels la méthode unilatéraliste n’apporte aucune réponse satisfaisante
— Le problème de lacune : « La règle de conflit francaise ne se veut pas applicable, mais aucune autre règle de conflit étrangère ne se veut pas non plus applicable. »
— Ex. un anglais, domicilié en France, se marie en France ; or, la règle de conflit unilatérale francaise ne se veut pas applicable, puisqu’elle s’applique qu’aux nationaux francais et la règle de conflit unilatérale anglaise ne s’applique qu’aux personnes domiciliées en Angleterre
— Les auteurs qui défendent l’unilatéralisme considèrent que, dans ce cas de figure, il faut appliquer la loi du tribunal ou de l’autorité saisie : or, il paraît aberrant d’appliquer la loi de l’autorité saisie alors que l’on sait pertinemment que la règle de conflit de loi ne se voulait pas applicable
— Le problème de cumul : « La règle de conflit francaise ne se veut pas applicable, mais plusieurs autres règles de conflit étrangères se veulent applicables. »
— Ex. un espagnol, domicilié en Italie, se marie en France ; or, les règles de conflit espagnole et italienne se veulent applicables
— Les auteurs qui défendent l’unilatéralisme considèrent que, dans ce cas de figure, il faut appliquer la loi francaise ou la loi qui est la plus effective : or, la loi francaise est la seule loi concernée qui ne se veut pas applicable et il n’y aucun critère prédéterminé pour savoir quelle règle est la plus efficace
- LES TRADUCTIONS DE L’UNILATÉRALISME EN DROIT POSITIF
— Il y a 2 sortes de traductions de l’unilatéralisme en droit positif
— 1ère traduction : les règles de conflit unilatérales bilatéralisées
— Dans la plupart des cas, lorsque l’on est face à un conflit de règle unilatérale, les juges francais vont la « bilatéraliser »
— Ex. lorsque le juge utilise l’article 3 (alinéa 3) du Code civil qui déclare que « l’état et la capacité des personnes françaises sont régies par la loi francaise », on est en présence d’une règle de conflit unilatérale, puisque le juge va d’abord déterminer le champ d’application de la loi francaise
— Or, les juges vont non seulement utiliser cet article comme principe général en matière d’état et de capacité francais, mais ils vont aussi l’utiliser en matière d’état et de capacité étrangers (càd, qu’elle déterminera l’application de la règle étrangère, lorsqu’il s’agit d’un étranger) : les juges ont donc bilatéralisé l’article 3 (alinéa 3) du Code civil
— Cependant, certaines règles de conflit ne sont pas bilatéralisables
— 2nde traduction : les lois de police ou les lois d’application immédiate ou les lois d’application nécessaire
- a) Les règles de conflit unilatérales
— La règle de conflit unilatérale la plus connue en droit francais est l’article 310 du Code civil (issu de la loi de 1975) : « Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi francaise : lorsque l’un et l’autre époux sont de nationalité francaise, lorsque les époux ont l’un et l’autre leur domicile sur le territoire francais, lorsque aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence. »
— Cette règle n’a pas été bilatéralisée, parce qu’elle n’est pas susceptible de bilatéralisation : en effet, il n’y a pas de règle générale, mais seulement plusieurs hypothèses
— Ex. si les époux sont étrangers, sachant que seulement l’un d’entre eux est domicilié en France, le juge doit rechercher si une loi étrangère se reconnaît compétente : on est donc bien dans une règle de conflit unilatérale, puisqu’il faut d’abord consulter la règle de conflit francaise et seulement ensuite la règle de conflit étrangère
— L’article 310 du Code civil répond au problème de lacune, en invitant le juge à appliquer la loi matérielle étrangère en dernier ressort, mais le problème de cumul demeure : ex. si la loi francaise ne se veut pas applicable, mais que 2 lois étrangères se veulent applicables, l’article 310 du Code civil n’apporte pas de solution
— Selon les auteurs qui défendent la règle de conflit unilatérale, il faudrait soit appliquer la loi francaise, soit rechercher la loi qui est la plus effective
— Dans la pratique, les Cours d’appel appliquent la loi francaise et ne choisissent jamais entre les différentes lois étrangères en cause
— NB : la Cour de cassation n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur la question
— La loi du 6 février 2001 sur l’adoption consacre une autre règle de conflit unilatérale à l’article 370-4 du Code civil : « Les effets de l’adoption prononcée en France sont ceux de la loi francaise. »
- b) Les lois de police ou les lois d’application immédiate ou les lois d’application nécessaire
1) Les différentes appellations de la loi de police renvoyant à ses divers caractères
— Les lois de polices : « Des règles tellement fondamentales dans l’ordre juridique francais que, même si on est face à une situation à caractère international et que le rapport de droit se rattache à plusieurs ordres juridiques, on va tout de même appliquer la loi francaise. »
— Ce raisonnement est mis en évidence dès la moitié du 20e siècle jusqu’à la 2e guerre mondiale par des auteurs allemands : ex. les lois de polices relatives à la confiscation des biens des juifs
— Abstraction faite des exemples critiquables donnés par ces auteurs, le raisonnement peut malgré tout être retenu pour des lois de police qui sont beaucoup plus respectueuses des droits fondamentaux
— Les différentes dénominations de ces lois sont descriptives de leurs différents aspects
— La loi d’application nécessaire : les règles doivent être appliquées, car sinon l’ordre juridique francais en souffrirait trop gravement
— Les lois d’application immédiate : les règles françaises sont appliquées sans même rechercher la règle de conflit
— On traite l’affaire comme un litige purement franco-francais
— Les lois de police : les règles sont obligatoires sur le territoire francais
— L’article 3 du Code civil : « Les lois de police et de sûretés obligent tous ceux qui habitent le territoire. »
— Les lois de police sont unilatérales, car elles délimitent elles-mêmes leur propre champ d’application : elles n’interviennent cependant pas systématiquement, mais s’appliquent que dans un certain champ géographique, à savoir le territoire francais
— Les lois de police ne sont donc pas tout à fait unilatérales : on parle d’unilatéralisme partiel
— En effet, les règles de conflit unilatérales ont vocation de s’appliquer exclusivement, alors que les lois de police n’ont vocation de s’appliquer que lorsque l’on est en présence de l’élément de rattachement géographique
— En réalité, l’élément de rattachement n’est pas le domicile en France (comme l’indique l’article 3 du Code civil ), mais de manière plus générale, le territoire francais en tant que lieu où se trouve la personne ou le rapport juridique
— Ex. les lois sur les agents de joueurs de football sont réglementées par le législateur francais ; la jurisprudence considère qu’une de ces lois datant des années 1990 était une loi fondamentale ; elle pose certaines conditions à l’exercice de cette activité (ex. le diplôme, la moralité, etc.) ; la Cour de cassation a considéré qu’il s’agissait d’une loi de police ; par conséquent, la loi s’applique aux francais, mais également aux étrangers exerçant leur activité sur le territoire national francais ; a contrario, elle ne s’applique pas aux francais, ni aux étrangers exerçant leur activité à l’étranger
2) Les différentes définitions
— La loi de police n’a pas de définition exacte : plusieurs définitions successives ont été proposées
— Le critère de la nécessité (la plus célèbre) : « Sont des lois de police celles dont l’observation est nécessaire à la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique. »
— Or, toutes les lois sont nécessaires, puisque lorsque le Parlement adopte une loi, c’est qu’elle est, par essence, nécessaire : par conséquent, cette définition amène à dire que toutes les lois seraient des lois de police
— Il conviendrait mieux de parler « de lois dont l’observation est le plus nécessaire » : or, cela supposerait que l’on classifie les lois
— Le critère de l’organisation étatique (assez vague) : « On des en présence d’une loi de police dans les cas dans lesquels il n’y va pas seulement de l’intérêt particulier, ni même de l’intérêt commun en tant que somme des intérêts particuliers, mais bien de l’ensemble de ces intérêts, quand ils sont pris en charge par l’organisation étatique. »
— Cette définition renvoie à l’importance de la loi de police : celle-ci apparaît lorsque l’État est particulièrement intéressé par l’application de cette loi
— Le critère communautaire : « La loi de police vise les dispositions nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci. »
— 23 novembre 1999 : l’arrêt « ARBLADE » de la CJCE donne, de manière assez surprenante, cette définition qui fait apparaître une hiérarchie entre les lois
— Afin d’identifier les lois de polices, il faut s’accrocher aux idées directrices de ces définitions et identifier les lois au cas par cas, en se servant de la jurisprudence
3) L’identification des lois de police par la jurisprudence
— Dans certain cas, l’identification est facile, puisque le législateur précise dans loi elle-même qu’il s’agit d’une loi de police : ex. l’article L121-1 du Code du travail dit que « le contrat de travail, constaté par écrit et à exécuter sur le territoire francais, est rédigé en francais »
— NB : une loi peut être seulement partiellement (ex. un dispositif unique) une loi de police, mais on l’appellera néanmoins une loi de police
— Dans la majorité des cas, il faut se fier à la jurisprudence qui interprète la volonté du législateur : on va étudier plusieurs exemples
— 29 juin 1973 : l’arrêt « DES WAGONS-LITS » du Conseil d’État est un arrêt célèbre
— La société belge « des wagons-lits » exerce certaines de ses activités en France, et en particulier, il y avait différents lieux où cette société employait plus de 50 salariés ; dans l’une de ces structures, les syndicalistes exigeaient la mise en place d’un comité d’entreprise ; or, la société belge considérait que la loi belge s’appliquait, puisque le siège social était situé en Belgique
— Le Conseil d’État déclare de manière lapidaire que « même si la société a son siège social en Belgique, elle doit se soumettre à la législation francaise sur les comités d’entreprise »
— 1ère remarque : il n’y a pas de confrontation de règles de conflit, puisqu’on applique immédiatement la loi francaise (que l’entreprise soit francaise ou étrangère) du moment que l’on se trouve sur le territoire francais
— 2nde remarque : la loi sur les comités d’entreprises est une loi de police, puisqu’on considère que les comités d’entreprises témoignent d’une conception fondamentale des relations de travail francaise
— 10 juillet 1992 : l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation tranche dans le même sens pour les lois relatives aux représentants du personnel, en considérant qu’il s’agit aussi de lois de police
— 14 janvier 2004 : la chambre sociale de la Cour de cassation confirme la solution
— 27 octobre 1964 : l’arrêt « MARO » 1ère chambre civile de la Cour de cassation
— Un enfant, qui était sur le point de mal tourné, est en cause ; le Code civil prévoit certaines dispositions particulières aux enfants en danger qui auraient pu être appliquées en l’espèce ; or, l’enfant, domicilié en France, était étranger, alors qu’en principe, concernant l’état et la capacité des personnes, on applique les lois nationales de la personne
— La Cour de cassation déclare que les lois relatives aux enfants en danger sont applicables à tous les mineurs qui se trouvent sur le territoire francais
— 1ère remarque : l’élément de rattachement est le territoire francais (comme dans l’arrêt « WAGONS-LITS »)
— 2nde remarque : la loi bénéficie d’un statut dérogatoire, car elle remplit le critère d’organisation étatique
— Premièrement, ce sont non seulement les intérêts de l’enfant qui sont en cause, mais également l’intérêt social (puisque l’on veut éviter que l’enfant « tourne mal » et nuise à la société)
— Deuxièmement, on va confier l’enfant à des organismes francais exerçant une mission d’intérêt public
— 14 janvier 2004 : l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation est exceptionnel, car la Cour de cassation va justifier expressément la qualification de loi de police
— Le contrat international de vente d’un navire est en cause ; en l’espèce, les prescriptions requises la loi du 3 janvier 1967 pour la vente d’un navire n’ont pas été respectées ; en effet, cette loi impose une forme précise, à savoir la rédaction d’un acte écrit ayant trait à l’identification des parties et du navire
— La Cour de cassation déclare que la loi du 3 janvier 1967 est une loi de police en justifiant que « l’exigence par la loi d’un écrit avec certaines mentions particulières a pour fonction d’assurer un contrôle de sécurité des navires ; or, ce contrôle existe pour des motifs impérieux d’intérêt général »
— Dans ce cas, l’élément de rattachement, c’est l’immatriculation du navire vendu (qu’il s’agisse de celle obtenue après le contrat ou de celle existant avant le contrat)
4) L’impact du droit communautaire sur la notion même de loi de police
— Il y a de plus en plus de droit communautaire et de lois françaises issues de ce dernier : or, la particularité de ces lois, c’est qu’elles sont interprétées par la CJCE en cas de litige à leur sujet
— Ce rôle d’interprétation du droit communautaire permet à la CJCE d’affirmer certains principes, notamment en droit international privé (liste non exhaustive)
— 1er principe : l’élément de rattachement du droit communautaire ou des lois de police issues de ce droit est les territoires de l’ensemble des États membres de la communauté
— 9 novembre 2000 : l’arrêt « INGMAR » de la CJCE
— La société anglaise INGMAR agit en représentation d’une entreprise établie en Californie ; au bout de quelque temps, le contrat est rompu sur l’initiative du représenté ; or, la société INGMAR considère que la rupture est abusive et qu’elle est en droit de réclamer des indemnités sur le fondement du droit anglais ; toutefois, les parties avaient soumis le contrat à la loi californienne
— La juridiction anglaise constate que le droit anglais concerné est issu du droit communautaire et va donc consulter la CJCE, qui considère que la loi anglaise prévoyant une indemnité à l’agent commercial est une loi d’application immédiate : par conséquent, cette loi va s’appliquer sans avoir égard au contrat, à condition que l’agent commercial ait exercé son activité dans un État-membre
— NB : l’élément de rattachement est l’exercice de l’activité au sein d’un État membre
— 2e principe : les lois de police peuvent être imposées par les États membres si et seulement si elles respectent les libertés communautaires
— Le droit communautaire instaure certaines libertés essentielles : ex. la liberté de circulation
— 23 novembre 1999 : l’arrêt « ARBLADE » de la CJCE
— Une société de surveillance établie au Nord de la frontière réussit à obtenir un marché en Belgique ; les employés font systématiquement l’aller-retour entre la France et la Belgique ; les inspecteurs de travail belges considèrent que le droit francais ne peut pas s’appliquer au contrat de travail, car plusieurs lois de police belges (ex. relatives au salaire minimum) réglementent le contrat de travail
— D’un côté, les lois de police s’imposent en principe quelle que soit la situation
— De l’autre côté, on est en présence de 2 pays de l’Union européenne, dans lesquels le droit communautaire impose une liberté de circulation, notamment des travailleurs
— La CJCE déclare que les lois de police belges n’ont en l’occurrence aucun statut dérogatoire et doivent donc respecter le droit communautaire : un État peut imposer les lois de police, mais tout en respectant les libertés communautaires
— Or, étant donné que la société francaise était déjà soumise à des obligations similaires en France, elle ne pouvait plus être soumise à d’autres obligations en Belgique, à moins de violer la liberté de circulation : il faut donc d’abord vérifier s’il n’existe pas dans l’autre pays des règles substantiellement équivalentes
— Toutefois, la France pourra appliquer les lois de police françaises, mais aussi lois de police belges