LE CONTRÔLE DE QUALIFICATION
La question de la qualification se pose au juge pour déterminer la règle de conflit à appliquer. Il est donc en présence d’une question de droit (ex: une séparation entre une française et un étranger) qu’il va falloir faire entrer dans une catégorie de rattachement (ex: succession, régime matrimonial, etc.). La question de droit peut donc porter sur du droit étranger.
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— L’opération de qualification est souvent délicate, même en droit interne (ex. en droit pénal)
— D’un côté, la qualification en droit international ne pose pas de problème spécifique
— Le conflit de catégorie : « Une même règle tombe sous le coup de plusieurs catégories. »
— Ex. lorsque l’on est en présence d’une donation entre époux, on peut hésiter entre au moins 2 catégories, à savoir entre le contrat de mariage et le régime matrimonial
— De l’autre côté, dans le droit international, le rapport juridique a la particularité de pouvoir avoir des liens de rattachements avec plusieurs États
— Le conflit de qualification : « Une même règle tombe sous le coup de plusieurs catégories en raison de ses liens de rattachements avec plusieurs États. Par conséquent, le conflit de catégorie est résolu de différentes manières, selon le lien de rattachement retenu. »
— En France, le rapport de droit va rentrer dans une certaine catégorie : le conflit de catégorie est donc résolu d’une certaine manière
— Dans l’autre pays, le rapport de droit va rentrer dans une autre catégorie : le conflit de catégorie est donc résolu d’une autre manière
— Il y a 2 affaires importantes qui ont permis d’élaborer la théorie des qualifications
— 1ère affaire : la carte du conjoint pauvre anglo-maltais
— 2nde affaire : le testament du hollandais
— Le Code civil hollandais prévoyait l’interdiction du testament olographe (càd, le testament rédigé en entier par la main même du défunt) ; il faut donc qu’un officier ministériel rédige le testament ; or, un hollandais rédige un testament olographe en France ; lorsqu’il décède, on se pose la question de la validité du testament
— D’après la loi hollandaise, la possibilité d’effectuer un testament olographe relève d’un problème de capacité, puisque le dispositif hollandais protège, selon la conception hollandaise, le testateur
— Par conséquent, on applique la loi nationale : le testament serait donc nul
— D’après la loi francaise, il s’agit d’un pur problème de forme de l’acte : or, la règle de conflit francaise déclare que « la forme des actes est soumise à la loi du lieu où l’acte est conclu »
— Par conséquent, on applique la loi francaise : le testament serait donc valable
- LES SOLUTIONS PROPOSÉES AU CONFLIT DE QUALIFICATION
— Lorsque le juge francais est saisi du problème de testament hollandais, 3 solutions lui sont possibles
— 1ère solution : la qualification du droit international privé francais, puisque le tribunal francais est saisi
— 2e solution : la qualification du droit international privé hollandais, puisque le testateur était hollandais
— 3e solution : puisque l’on est en présence du droit international privé, on ne va pas raisonner à partir d’un système particulier, mais à partir de solutions valant pour tous les systèmes juridiques
— On va procéder, avant l’étude des solutions possibles, à quelques précisions d’ordre terminologique
— For : « L’autorité saisie. »
— Lege : « La qualification. »
— Lex : « La loi. »
— Causæ : « La cause. »
— Lege fori : « La qualification de l’autorité saisie. »
— Lege causæ : « La qualification de la loi étrangère désignée par la règle de conflit nationale. »
— Lex causæ : « La loi de la cause ou la loi étrangère désignée par la règle de conflit nationale. »
- a) La qualification lege fori (1ère solution)
— La qualification lege fori est la qualification la plus ancienne qui a été proposée par 2 auteurs en particulier
— Franz KAHN (allemand) considère qu’il faut qualifier selon les conceptions du tribunal saisi, car il s’agit d’une nécessité presque mécanique : le tribunal saisi doit appliquer la règle de conflit nationale, qui ne peut être interprétée que selon la conception francaise
— Étienne BARTIN (francais) arrive au même résultat, mais avec un raisonnement différent : lorsque la règle de conflit francaise désigne une loi étrangère, il y a une abdication de la souveraineté francaise, dont la concession devra retrouver son contrepoids dans le fait que l’ordre juridique francais reste ensuite entièrement maître de la situation
— Cependant, ce raisonnement en terme de souveraineté est totalement dépassé et critiqué, d’autant plus que l’on est en présence d’une situation internationale
- b) La qualification lege causæ (2e solution)
— La qualification lege causæ est souvent critiquée par les auteurs en raison de son aspect fondamentalement illogique : en effet, avant de pouvoir dire qu’il faut appliquer la qualification de la loi étrangère, il faut d’abord appliquer la règle de conflit francaise, d’où l’existence d’une qualification déjà préalable (par la désignation de la règle de conflit francaise)
— Cependant, il y a aujourd’hui un renouveau de cette qualification : si l’on dépasse cet illogisme caricatural, la qualification présente néanmoins 2 avantages lorsque l’on connaît les ordres juridiques en contact avec la situation
— 1er avantage : elle permet une ouverture vers les conceptions étrangères
— 2nd avantage : elle permet d’identifier clairement une institution juridique
- c) La qualification internationale (3e solution)
— La qualification internationale est préconisée par des auteurs allemands : au lieu de raisonner selon les conceptions nationales (qui mènent à une impasse), il faut essayer de qualifier selon des concepts généraux et unanimement partagés
— En principe, les règles de conflit sont nationales par leur source, mais internationales par leur objet : elles sont destinées à régler des situations juridiques à caractère international
— En revanche, la qualification internationale suppose des règles de conflits internationales également par leur source
— Cette solution est très attrayante, mais le droit international privé reste largement national, puisque chaque État a ses propres conceptions : il serait impossible d’aboutir à des qualifications qui seraient identiques dans tous les États-membres
— Ainsi, la qualification internationale est théoriquement intéressante, mais en pratique, la communauté de droit n’est pas suffisante à l’heure actuelle
- L’ÉBAUCHE D’UNE SOLUTION SATISFAISANTE : L’ESSAI D’UNE SOLUTION SYNTHÉTIQUE
— Il y a du bon et du mauvais dans chaque méthode
— Toutefois, on privilégie la qualification lege fori en France : il ne s’agit pas néanmoins d’une méthode exclusive et les autres méthodes ont aussi une place résiduelle à tenir
- a) Le principe : la qualification lege fori
– Cette qualification est retenue, car elle est la méthode la plus simple : le juge francais va simplement utiliser les éléments figurant dans son propre ordre juridique
— La jurisprudence a affirmé à de nombreuses reprises la qualification de lege fori
— 22 juin 1955 : l’arrêt « CARASLANIS » de la chambre civile de la Cour de cassation consacre cette méthode
— M. CARASLANIS a épousé une femme francaise à Paris ; 2 ans plus tard, la femme demande le divorce devant les juridictions françaises ; M. CARASLANIS s’oppose au mariage, parce qu’il le considère nul ; en effet, selon la loi grecque en vigueur à l’époque, un grec orthodoxe doit nécessairement se marier devant un prêtre orthodoxe ; or, en l’occurrence, les époux se sont mariés devant un officier d’état civil ; est-ce que la présence du prêtre orthodoxe est une condition du fond du mariage ou une simple condition de forme ?
— Si l’on est en présence d’une condition de fond, le mariage est nul et non avenu : il s’agit de la conception grecque
— Si l’on est en présence d’une condition de forme, la femme pourra divorcer : il s’agit de la conception francaise
— La Cour de cassation fait prévaloir la qualification francaise étant donné que « le caractère religieux du mariage est une règle de forme »
— 12 janvier 1966 : le jugement « STROGANOFF » du TGI de la Seine confirme cette méthode
- b) Le domaine de la qualification legecausæ
— La qualification n’est pas seulement une application mécanique d’une règle de conflit : elle fait appel à des raisonnements plus subtils
— 1ère subtilité : il faut savoir appréhender la prétention d’un demandeur fondé sur une loi étrangère
— Ex. la répudiation, grâce à laquelle l’un des époux peut mettre de manière discrétionnaire et unilatérale fin au mariage, est une institution qui n’existe plus en France, mais existant dans d’autres pays (ex. l’Algérie) ; or, si un demandeur étranger demande la répudiation, le juge francais ne peut pas se prononcer seulement sur la conception francaise, puisque cette technique n’existe tout simplement pas dans l’ordre juridique francais ; le juge doit donc se demander ce qu’est cette institution étrangère, afin de pouvoir l’appréhender
— L’opération de qualification revient, selon un auteur, à « placer l’étoffe juridique étrangère dans les tiroirs du système national »
— 2nde subtilité : les qualifications en sous-ordre
— Certains problèmes de qualifications ne se posent pas au stade du raisonnement conflictuel, mais seulement après que l’on a trouvé la loi applicable
— Ex. les parties à un contrat désigne la loi suisse comme applicable ; on connaît donc la loi applicable ; or, comment savoir s’il s’agit d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise ? ; étant donné que l’on sait que la loi applicable est suisse, il faudra rechercher la qualification du contrat par le droit suisse
— Il s’agit d’un problème de qualification apparent, mais en sous-ordre
- c) La qualification internationale
— La qualification internationale occupe une place résiduelle dans le droit communautaire, puisque la CJCE va quelque fois retenir des qualifications « autonomes » : celles-ci ne relèvent pas de la qualification d’un État membre en particulier, mais il s’agit de qualifications purement communautaires
— On assiste donc à l’apparition à des qualifications purement internationales dans un espace restreint