La notion de compte courant
Le compte courant est un dispositif juridique très ancien. Il remonte au 12ème siècle, dans les villes commerçantes d’Italie.
Encore actuellement, il n’y a pas de définition légale, ni de règle de fonctionnement de ce qui est le compte courant.
Le compte courant est une construction à la fois prétorienne et de la jurisprudence du 19ème siècle. Le compte courant doit être distingué du compte de dépôt, mais aussi du compte courant d’associé. En effet, il est propre aux comptes des sociétés commerciales, la fonction du compte courant d’associé est différente car c’est un instrument de financement des associés résultant de la conclusion des contrats de prêt, entre la société et les associés.
Le compte courant enregistre une série d’opérations, en sens contraire, entre le titulaire du compte et la banque. Rien ne limite le fonctionnement du compte courant. Ce compte concerne les commerçants ou les non commerçants ; mais il est avant tout le compte des commerçants. Rare sont les non commerçants qui en ont un.
Ce compte est dit courant, car il enregistrement une succession d’opérations entre les titulaires de ce compte.
Les différences transparaissent par 2 critères :
– critère relatif à la nature juridique du compte courant.
– critère avec une finalité spécifique du compte courant.
Ce compte courant existe principalement entre un établissement bancaire financier et un commerçant. Il s’agit d’organiser les relations entre eux. C’est une invention de la part des commerçants, car cet instrument apparait comme un élément facilitant les relations professionnelles, lorsque des relations existent entre une banque et un commerçant de manière répétée. Le compte courant n’apparait que dans l’hypothèse d’une périodicité répétée des opérations : la banque opère des avances au profit des commerçants et les remises opérées par les commerçants (remise de chèque, billet à ordre).
L’objectif est de ne plus à avoir à appréhender les opérations, et à analyser chaque effet de paiement, au profit d’une fusion de toutes ces opérations, en sens contraire, dans un solde unique. La seule conséquence est que l’on va retenir un solde global qui fluctue au gré des avances opérées par la banque ou des remises.
- l’effet de règlement : le compte courant se caractérise par l’effet de règlement. Tout se passe comme si toutes les créances étaient réglées dès l’entrée du compte courant. Cela vaut règlement à partir du moment où la créance est entrée dans le compte courant sans avoir à se demander l’origine de la créance. En d’autres termes, toutes les créances sont immédiatement apurées à partir du moment où elles sont affectées au compte courant.
- l’effet de garantie: toutes les créances vont être fusionnées au sens du compte courant. L’effet de garantie résulte de la compensation réciproque des créances et des dettes affectées au compte courant. Un effet de fusion et de compensation de toutes les sommes au débit et au crédit laisse place à un solde unique.
Ce compte, à travers cette double spécificité est intéressant pour celui qui en bénéficie mais pose des difficultés au regard de sa nature.
Thaller, économiste, est à l’origine de l’image véhiculée concernant ledit compte courant. Le compte courant peut être assimilé à un creuset où toutes les créances et dettes vont se fondre ne laissant apparaitre un solde unique. L’originalité du fonctionnement de ce compte rend difficile son analyse au regard de la qualification du droit commun des contrats.
3 comparaisons :
- compte courant et novation et indivisibilité : le compte courant serait une forme de novation. Une partie de la doctrine s’est référée à la novation pour expliquer le compte courant et surtout l’extinction des créances, et pour expliquer la création d’un solde unique.
La créance qui entre dans le compte va disparaitre avec ses actions et suretés pour devenir un article de compte. Les défenseurs de cette analyse disent que les créances sont liées par un élément d’indivisibilité ; elles sont agrégées et se rassemblent de façon indivisible jusqu’à la clôture du compte. Seul le solde dégagé au terme de la clôture sera éligible.
La jurisprudence la condamne au regard du mécanisme de la novation. Elle a admis qu’au delà du solde définitif qui, seul, peut être exigé du créancier dans le cadre du fonctionnement du compte, au moment de sa clôture, il pouvait exister un solde provisoire. Cette admission fait voler en éclats la notion d’indivisibilité qui était attachée à la novation.
La novation suppose une extinction d’une créance et un nouveau lien d’obligation. Pour le compte courant, il y a bien extinction, en raison de l’entrée en compte de la créance, mais dans le cadre du fonctionnement du compte courant, il n’existe aucune nouvelle obligation. Le compte courant ne peut être assimilé à une nouvelle forme d’obligation (cour de cassation, 4 juillet 2006). Certains arrêts font tout de même référence à la novation.
- compte courant et compensation: au fur et à mesure que les créances entrent dans le compte courant, les créances se compensaient réciproquement les unes et les autres. Les tenants de cette analyse affirment que chaque créance serait réglée par une autre créance. En sens inverse, la créance du commerçant à l’encontre de la banque serait réglée par la créance de la banque envers le commerçant.
La loi y fait parfois référence : l’article L. 624-18 du code de commerce évoque la compensation en tant que compte courant.
Mais l’analyse n’est pas convaincante : le compte n’est pas une forme de compensation, car les créances disparaissent dès leur entrée en compte courant, et à partir du moment où la créance est éteinte, il n’est pas possible de se référer à la compensation. E, effet, si la créance est éteinte, on ne peut pas la tenir abstraitement distincte du compte pour en faire une compensation. Les articles du compte sont fusionnés et donc il ne peut pas y avoir compensation
- compte courant et règlement : Il s’agit ici d’une analyse du compte comme un mécanisme distinct. Le compte courant ne pourrait être rattaché à aucune des catégories du droit des obligations. Il s‘agirait d’un mécanisme spécifique sui generis. L’effet de règlement, en raison de la fusion de toutes les créances, se justifieraient. Ce qui est essentiel est de constater que toute créance est payée à partir du moment où elle entre en compte courant. Cette thèse insiste sur l’effet de garantie résultant de cette fusion des articles de compte. Mais certains arrêts continuent à se référer à la thèse de la novation.
- 2 : Les critères d’identification du compte courant
Il existe deux séries de critères. La volonté des parties apparaît comme étant l’un des critères subjectifs.
Problème probatoire : c’est le critère de l’intention. La banque et le client doivent être liés par une convention de compte courant et non de compte de dépôt. Condition indispensable pour les deux parties.
L’arrêt du 13 janvier 1970 a détaillé ce qu’était ce critère intentionnel. Il s’agit de la création du compte courant entretenant des relations d‘affaire. Le compte des entreprises et des commerçants implique de communes intentions, pendant la durée du fonctionnement du compte, de suspendre l’exigibilité des créances et des dettes, de sorte que l’exigibilité des créances et dettes soit reportée sur le solde résultant de la clôture définitive du compte.
Plus que le mode de règlement de créances et de dettes, ce qui importe est le report d’exigibilité du solde sur le solde définitif. La cour de cassation écarte toute mise en œuvre des règles ordinaires de la compensation légale comme mode de règlement de créances et de dette.
Cet élément pose un problème sur la preuve. En principe l’intention relève d’un consensualisme et relève du droit commun de la preuve ; les parties peuvent librement manifester leur intention.
Deux situations :
- Si les parties ont formées explicitement une convention de compte courant, il convient de s’y référer. Cette situation sera d’autant plus fréquente qu’un décret du 24 juillet 1984 impose au banquier d’informer le client de la nature de son compte. L’écrit est la situation la plus simple et la preuve en est donc facilitée.
La jurisprudence est souple en la matière. La jurisprudence admet une preuve implicite résultant de la pratique constatée. Lorsqu’apparaissait, en pratique, un contrat qui correspondait à la définition du compte courant en une incorporation des dettes et créances, et lorsque des faits ou des éléments montraient l’existence d’un compte courant, la jurisprudence y voyait la commune intention des parties.
- lorsqu’il n’y a ni écrit, ni indice, dans la mesure où ce compte concerne majoritairement les commerçants, on prend en compte le principe de souplesse des preuves liées au droit commercial (article L 110-3 du code de commerce).
Deux critères objectifs sont totalement indifférents :
- les règles de présentation du compte
- la tenue du compte courant
Ils ne correspondent pas à un éventuel particularisme lié à la tenue ou la présentation du compte. La jurisprudence a dégagé 4 éléments :
– la condition de propriété : les remises en compte courant doivent être en pleine propriété. La valeur des créances remises doit devenir la propriété du titulaire du compte, en l’espèce, de la banque. C’est dont uniquement cette idée de transmission de valeur auprès de la banque qui importe. La jurisprudence indique que la transmission d’une marchandise ou d’un effet de commerce dans sa globalité rend le remettant, créancier, envers le récepteur d’une somme d’argent. C’est la raison pour laquelle la créance doit présenter certaines caractéristiques : certaines, utiles et exigible.
– la généralité des remises : toutes les créances qui naissent entre la banque et les commerçants doivent être portées obligatoirement au compte courant.
Le compte courant est l’idée de simplification, et plus de facilitation si les créances échappaient au compte courant. Cette idée de généralité illustre ce mécanisme de règlement unique du compte et des créances inscrites en compte.
1ère conséquence : la généralité induit l’automaticité. Toutes les créances entrent dans le compte.
2ème conséquence : les créances seront contractuelles ou conventionnelles, à l’exclusion des créances délictuelles ou quasi délictuelles.
Ce principe supporte une atténuation. Car il s’agit d’un principe d’ordre privé, c’est un principe aménageable par les parties. Il est possible de réserver à telle ou telle créance une affectation particulière, et donc, conserver son originalité et la spécificité de la généralisation.
Remarques : les deux parties doivent être d’accord. Ces exceptions doivent demeurer marginales, c’est un cas d’espèce isolée. Si chaque créance continue à bénéficier de son individualité, l’originalité même du compte courant sera vidée. Cela n’est pas possible.
– la réciprocité des remises : chaque partie au compte courant doit être, tantôt revêtant, et tantôt récepteur. A contrario, pour la jurisprudence, il ne serait être question de compte courant lorsque les remises n’émanent que d’une partie seulement.
La jurisprudence est souple dans la mesure où, tout en exigeant le principe de la réciprocité, elle se contente d’une réciprocité virtuelle et éventuelle.
– l’enchevêtrement : il s’agit de l’idée d’alternance des remises du récepteur et du remettant. La banque et le commerçant vont alternativement faire des remises.
Cette enchevêtrement est contesté par certains. En raison de ce qui a été évoqué précédemment la jurisprudence n’exige pas la réciprocité permanente quotidienne des remises en compte.
Certains auteurs en déduisent la non existence de la condition d’enchevêtrement.
Pourtant certains arrêts se réfèrent à la notion d’enchevêtrement donc la 4ème condition existe tout de même, pour distinguer les situations dans lesquels la réciprocité est réelle ou virtuelle.