Responsabilité civile contractuelle / responsabilité civile délictuelle
Le système juridique français présente, en matière de responsabilité civile, une particularité ignorée par la majorité systèmes juridiques étrangers, et qui consiste à opérer une distinction entre la responsabilité civile délictuelle et la responsabilité civile contractuelle, distinction qui semble être dictée par l’origine différente des sources d’obligation à réparation. En effet, l’obligation de réparation est, en matière délictuelle, la résultante d’une obligation légale visant à réparer un délit ou un quasi délit civil (art 1382/1383), alors qu’en matière contractuelle elle est d’origine conventionnelle (art 1134 – les conventions valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont souscrites). Cette opposition des sources nous conduit à constater qu’il existe une différence de régime entre la responsabilité civile délictuelle et la responsabilité civile contractuelle, opposition qui s’illustre en premier lieu par la règle du non cumul de ces responsabilités : dès lors qu’il existe un contrat, la responsabilité civile contractuelle prévaut sur la délictuelle. Néanmoins, malgré les spécificités présentées par chacune de ces responsabilités (I), particularités qui bien évidemment s’apprécient dans leurs effets (B) mais aussi d’une manière singulière dans les conditions de mise en oeuvre (A) ; ces deux systèmes de réparation présentent des similitudes certaines (II), qu’il s’agisse des modalités de mise en oeuvre (A) ou encore des effets qui en découlent (B).
I – Affirmation de l’approche dualiste : Spécificités propres à chacun des deux systèmes :
Des règles particulières s’attachent à démontrer le caractère autonome tant de la responsabilité civile contractuelle que de la responsabilité civile délictuelle notamment celles guidant à leur mise en oeuvre et qui pour la plupart sont d’ordre procédural.
A – Spécificités quant à la mise en oeuvre :
En matière contractuelle, le créancier d’une obligation inexécutée doit impérativement adresser une mise en demeure à son débiteur afin de pouvoir se prévaloir des dispositions régissant la responsabilité civile contractuelle. Cette exigence est totalement ignorée en matière délictuelle, où le seul fait anormal ayant engendré un dommage certain génère la mise la mise en œuvre de cette responsabilité. Cet aspect factuel est d’ailleurs fondamental pour ce qui concerne les règles portant au mode de la preuve, puisque dans le domaine délictuel, elle peut se faire par tout moyen alors que dans le domaine contractuel elle ne peut être apportée qu’en regard de la nature de l’objet de l’obligation contractuelle. D’autre part les délais de prescription diffèrent selon que l’on se situe dans le contexte de la responsabilité civile délictuelle (prescription décennale) ou au contraire dans celui de la responsabilité civile contractuelle (prescription trentenaire).
Enfin, pour ce qui concerne l’application de lois nouvelles dans le temps, l’application sera immédiate pour les situations nées d’un litige relevant de la responsabilité civile délictuelle, alors qu’en matière contractuelle, l’espèce sera régie par les lois en vigueur lors de la formation du contrat, et ce dans un souci évident de sécurité juridique.
Cette première approche nous conduit à présent à nous interroger sur les oppositions existantes quant aux effets de chacun des deux systèmes de réparation.
B – Spécificités quant aux effets :
La différence essentielle s’apprécie en regard du dommage.L’article 1382 précise que tout fait de l’homme causant un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. En revanche, dans le domaine contractuel seul le dommage prévu ou prévisible peut faire l’objet d’une réparation, ce qui en matière contractuelle permet d’aménager la responsabilité des co-contractants au moyen de clauses spécifiques, qu’il s’agisse des clauses élusives ou limitatives de responsabilité, ou encore des clauses pénales. Cette possibilité qui s’offre aux parties à un contrat réside dans le principe de l’autonomie de la volonté même si à ce jour sa portée doit être relativiser en raison du rôle conféré au juge quant à sa faculté de déclarer une clause exclusive ou limitative de responsabilité comme abusive ou encore de réviser une clause pénale. Dans le domaine délictuel il ne saurait être question de tels aménagements qui sont contraires à l’essence même de cette responsabilité dont on peut constater qu’aujourd’hui elle s’apparente plus à une créance d’indemnisation qu’en une dette de responsabilité (P. Y.Lambert-Faivre).
En outre la responsabilité civile contractuelle présente une originalité en regard des sanctions propres qui s’y rattachent, à savoir la résolution à caractère judiciaire ou conventionnel et qui emporte la disparition rétroactive du contrat, la résiliation qui tout en maintenant les effets passés du contrat annihile ses effets futurs, et enfin l’exception d’inexécution propre aux contrats synallagmatiques, et qui peut être soulevée à tout moment par le créancier d’une obligation puisque ce qui se prescrit par voie d’action est imprescriptible par voie d’exception.
Toutefois cette approche visant à souligner le caractère dualiste des deux systèmes objets de notre étude ne serait être objective si on se limitait à ne souligner que les oppositions. Aussi nous nous attacherons à présent à démontrer qu’il existe des convergences entre les deux systèmes.
II – Atténuation de l’approche dualiste : similitudes entre les deux systèmes.
Tout comme nous l’avons fait précédemment nous tenterons de mettre en évidence les rapprochements possibles entre les deux systèmes tant du point de vue de leur mise en oeuvre (A), que de leurs effets (B).
A – Similitudes quant à la mise en oeuvre :
La mise en oeuvre des responsabilités civiles délictuelle et contractuelle supposent que soient réunies trois conditions essentielles : Une faute, Un dommage certain, Un lien de Causalité.
Une faute : celle-ci est retenue par l’un et l’autre des systèmes quelque que soit son degré de gravité. Cependant remarquons, qu’en matière contractuelle ce principe est atténué notamment pour les fautes commises par les employés dans le cadre de leur contrat de travail puisque le degré de celle-ci (légère, grave, lourde) emporte des conséquences différentes pour l’auteur du fait dommageable.
Un dommage certain : le dommage ouvrant droit à réparation peut être matériel ou moral tant dans le domaine contractuel que délictuel.
Un lien de causalité : celui-ci est appréhendé de façon identique par l’un ou l’autre des systèmes de par l’application de la causalité efficiente, ou de la causalité adéquate voire par l’équivalence de conditions selon les cas. Ensuite remarquons que ces deux systèmes, bien qu’obéissant à un régime distinct, s’appliquent à la responsabilité du fait personnelle, du fait des choses et du fait d’autrui. Il convient dorénavant de s’interroger sur les similitudes présentées par la responsabilité civile délictuelle et la responsabilité civile contractuelle au niveau des effets qu’elles produisent.
B – Similitudes quant aux effets :
Elles concernent d’une part le principe guidant à la réparation du dommage, et d’autre part les causes communes d’exonération ou de partage de responsabilité.
Le principe de la réparation :
Il implique pour les deux systèmes de procéder à une réparation intégrale du dommage, ainsi la victime ne doit ni s’enrichir ni s’appauvrir par la voie de l’indemnisation qui lui est accordée, et c’est pourquoi l’évaluation du préjudice intervient le jour même du procès afin que soient prises en considérations l’ensemble des conséquences afférentes au dommages.
Les causes d’exonération :
La force majeure, qui se caractérise par l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité est une cause commune aux deux systèmes d’exonération totale de responsabilité. La faute de la victime ou du créancier, lorsqu’elle présente les caractères de la force majeure ou qu’elle est le fait exclusif du dommage est également un facteur commun d’exonération de responsabilité.
Si de cette étude il ressort que ces deux systèmes comportent des similitudes mais aussi des particularités, il faut néanmoins souligner qu’ils présentent un caractère uniforme et ce depuis que le législateur en a expressément exclu la responsabilité relative à l’indemnisation des dommages survenus par l’utilisation des véhicules terrestres à moteur ainsi que celle concernant le fait des produits dangereux (issue d’une directive européenne et récemment transposée dans notre droit positif), régimes particuliers qui consacrent le dépassement de l’approche dualiste puisque faisant abstraction de la source de l’obligation à réparation pour porter à son paroxysme la notion de victimisation qui elle-même guide tant à la responsabilité civile délictuelle qu’à la responsabilité civile contractuelle.
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