LE FONDEMENT DE LA RÈGLE DE DROIT
Le Droit est universellement reconnu comme nécessaire pour réguler les rapports sociaux, mais la question de son fondement divise les juristes. En effet, plusieurs écoles de pensée proposent des explications différentes sur la justification de la règle de Droit. Voici un aperçu des principales théories et leurs implications.
Le fondement de la règle de Droit peut être interprété de différentes manières selon les écoles de pensée. Pour les positivistes, le Droit se justifie par sa simple existence et sa validité formelle. Les partisans du droit naturel et de l’utilitarisme voient le Droit comme porteur de valeurs et ayant un objectif moral ou pratique, comme la justice ou le bonheur collectif. Quant au positivisme sociologique, il perçoit le Droit comme une expression des faits sociaux. Dans tous les cas, le Droit vise à organiser la vie en société tout en reflétant, ou en influençant, les valeurs sociales et les aspirations humaines.
Les différentes écoles de pensée
Le fondement du Droit divise les juristes selon plusieurs théories. Le positivisme juridique valorise la légitimité formelle, tandis que le droit naturel et l’utilitarisme lient le Droit à des objectifs moraux ou pratiques comme la justice. Le positivisme sociologique, lui, considère le Droit comme le reflet des faits sociaux. Ces visions montrent que le Droit vise à organiser les rapports sociaux, influençant et reflétant les valeurs collectives.
Le positivisme juridique : le Droit se justifie par sa forme
Pour les positivistes, le Droit tire sa légitimité de sa simple existence. Le Droit est en vigueur, donc il doit être respecté. Le terme « positivisme » se réfère au Droit positif, c’est-à-dire le Droit concret, écrit et appliqué à un moment donné. Selon cette approche, le contenu moral ou éthique de la règle de Droit n’a pas d’importance pour sa validité.
Hans Kelsen, un juriste autrichien du XXe siècle, est l’un des principaux défenseurs de cette théorie. Pour lui, le Droit est essentiellement une norme, et la science du Droit est la science des normes. Kelsen explique que le rôle du juriste est d’examiner si une règle a été valablement édictée, selon les procédures et les sources établies par l’État. Le contenu de la règle est, selon Kelsen, un domaine étranger à la science juridique, car il dépend de considérations économiques, morales, ou sociales, ce qui n’est pas le champ d’étude du juriste.
Toutefois, cette approche a été critiquée pour son caractère excessivement formel. Le Droit ne se limite pas à une simple construction de normes abstraites : il est également porteur de valeurs et vise des objectifs précis, comme la justice. En ce sens, la science juridique ne peut être indifférente aux résultats ou aux conséquences des règles de Droit.
Il est utile de connaître deux concepts latins importants dans cette perspective :
- De lege lata : signifie « par rapport à la loi en vigueur ». Il s’agit de l’analyse du Droit positif existant.
- De lege ferenda : signifie « par rapport à la loi à venir ». Ce terme renvoie à la réflexion sur le Droit à adopter ou à améliorer.
Kelsen s’intéresse principalement au Droit de lege lata, c’est-à-dire tel qu’il est en vigueur, sans se préoccuper de l’amélioration ou de la dimension morale des règles.
L’utilitarisme : maximiser le bonheur collectif
Un autre courant de pensée propose de fonder la légitimité du Droit sur son utilité pour la société. Jeremy Bentham, juriste et philosophe du XIXe siècle, est l’un des principaux représentants de l’utilitarisme. Selon lui, le Droit doit avoir pour objectif de maximiser le bonheur et les plaisirs au sein du groupe social. Il ne s’agit pas seulement de créer des règles pour maintenir l’ordre, mais de veiller à ce que ces règles conduisent au bien-être collectif.
L’utilitarisme cherche ainsi à optimiser les effets du Droit sur la société, en mesurant l’impact des règles sur le bonheur ou la satisfaction de la majorité. Cependant, cette approche peut poser des problèmes éthiques, car elle tend à sacrifier les intérêts individuels au profit du bien commun, soulevant des questions sur la légitimité des règles qui nuisent à des minorités.
Le droit naturel : une quête de justice
Contrairement au positivisme, la théorie du droit naturel repose sur l’idée que le Droit tire sa légitimité de principes universels et inébranlables, qui découlent de la nature humaine ou de la nature des choses. Selon cette approche, le Droit n’est pas simplement un ensemble de règles adoptées par une autorité, mais il doit être juste et en accord avec des principes éthiques supérieurs.
Le droit naturel postule que certaines règles idéales existent indépendamment des lois humaines, et que le législateur doit s’en rapprocher. Par exemple, l’Antigone de Sophocle invoque un droit divin pour enterrer son frère, contrevenant à une loi injuste. Cela illustre l’idée que certaines règles morales sont supérieures aux lois établies par l’État.
Cette théorie pose néanmoins un défi majeur : comment définir ces principes universels et comment les appliquer dans des contextes concrets ? Si certains droits naturels, comme le droit à la vie ou à la liberté, semblent évidents, la détermination d’autres principes est plus sujette à débat.
Le positivisme sociologique : le Droit comme reflet de la société
Une approche proche du droit naturel est celle du positivisme sociologique, qui soutient que le Droit est l’expression de la société elle-même. Selon cette vision, la règle de Droit n’est pas simplement édictée par le législateur ou les juges, mais elle reflète les valeurs, les normes et les pratiques sociales dominantes dans un groupe social à un moment donné.
Le sociologue Émile Durkheim, par exemple, pensait que la règle de Droit est le reflet de la solidarité sociale. Selon lui, l’observation du comportement social permet de découvrir la règle de Droit, car les normes émergent naturellement des interactions au sein du groupe.
Cette approche met l’accent sur l’évolution du Droit en fonction des transformations sociales, soulignant que le Droit n’est jamais figé, mais qu’il doit s’adapter aux besoins sociaux et aux changements culturels.
Le syncrétisme moderne : entre positivisme et valeurs
Aujourd’hui, la plupart des juristes adoptent une approche syncrétique, combinant à la fois le positivisme et la quête de valeurs comme la justice. Ils reconnaissent que le Droit positif en vigueur doit être respecté, mais considèrent également qu’une bonne règle de Droit doit véhiculer des valeurs et être en adéquation avec les aspirations sociales. Ce mélange des approches souligne que le Droit n’est pas simplement une forme abstraite, mais qu’il doit aussi viser des objectifs politiques, éthiques et sociaux.
II ) Les 2 principaux de courants de pensée
A) L’idéalisme (théorie du droit naturel) qui considère que le fondement du droit réside dans la loi naturelle
La théorie du droit naturel s’inscrit dans une approche idéaliste du Droit, selon laquelle ce dernier trouve son fondement dans la loi naturelle, c’est-à-dire dans les caractéristiques inhérentes à l’être humain. Cette vision idéaliste repose sur l’idée que le Droit n’est pas simplement une construction sociale ou étatique, mais qu’il est en quelque sorte ancré dans la nature même de l’humanité. Le Droit naturel serait donc une expression des principes fondamentaux qui découlent des aspects essentiels et universels de la condition humaine.
Le droit naturel et la nature humaine
Selon les partisans du droit naturel, il existe des règles universelles, indépendantes des lois posées par les gouvernements, qui sont fondées sur la nature humaine et sur ce que l’on considère comme juste ou moral. L’idée clé est que certaines règles de Droit sont évidentes et existent de manière intrinsèque parce qu’elles reflètent ce qu’il y a de plus profond et de plus universel chez les êtres humains. Par exemple, les droits à la liberté, à la vie, ou à la propriété seraient des droits naturels, parce qu’ils découlent directement de la dignité humaine et de la nature rationnelle de l’homme.
Un fondement idéaliste du Droit
La vision idéaliste du Droit s’oppose au positivisme en ce sens qu’elle ne considère pas le Droit comme un simple ensemble de règles posées par une autorité (l’État), mais comme une manifestation des valeurs fondamentales qui transcendent les lois écrites. L’idéalisme, en fondant le Droit sur la nature humaine, implique que si le Droit existe, c’est parce qu’il exprime ce qu’il y a de plus juste et de plus noble dans l’homme.
Ce type de réflexion donne au Droit un rôle éthique et moral, dépassant la simple organisation des relations sociales. Le Droit devient un reflet des principes universels qui s’appliquent à tous les individus, quels que soient le temps ou le lieu. C’est pourquoi cette approche est qualifiée d’idéalisme, car elle repose sur une conception du Droit fondée sur des idéaux supérieurs et non sur la seule réalité concrète des lois écrites.
L’influence historique de l’idéalisme et du droit naturel
Les théories du droit naturel ont eu une influence majeure au fil des siècles, notamment à partir du XVIIIème siècle, en inspirant de nombreuses révolutions politiques et sociales. L’un des premiers grands théoriciens de cette approche fut Aristote, qui considérait que la loi naturelle découlait de la raison et qu’elle représentait ce qui était juste par nature, en opposition aux lois humaines qui pouvaient être imparfaites ou arbitraires.
Cependant, c’est surtout avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, adoptée lors de la Révolution française, que l’impact des théories du droit naturel devient concret. Cette déclaration repose sur l’idée que certains droits sont inviolables et sacrés, parce qu’ils découlent directement de la nature humaine et de la dignité inhérente à chaque individu. Les droits proclamés, tels que la liberté, l’égalité, et la résistance à l’oppression, reflètent cette conception idéaliste du Droit. Ces droits ne sont pas seulement des créations humaines, mais des droits naturels que tout être humain possède dès sa naissance.
Les implications pratiques du droit naturel
Le droit naturel a donc un impact direct sur la manière dont les sociétés modernes envisagent les droits fondamentaux. Les droits de l’homme, les libertés civiles et les droits constitutionnels trouvent souvent leurs racines dans cette idée que certaines valeurs sont universelles et inaliénables, et qu’elles ne dépendent pas uniquement des lois humaines. Par exemple, les Constitutions modernes, y compris celles des démocraties occidentales, s’appuient sur ces principes de droit naturel pour affirmer des droits fondamentaux, comme la liberté d’expression ou le droit à un procès équitable.
Cette conception continue d’influencer de nombreux débats juridiques contemporains, notamment dans les domaines des droits humains, de l’éthique ou des questions bioéthiques, où les législations s’efforcent de refléter des valeurs considérées comme fondamentales et immuables, au-delà des particularismes sociaux ou politiques.
En résumé, l’idéalisme et la théorie du droit naturel affirment que le Droit tire sa légitimité de principes universels liés à la nature humaine. Contrairement au positivisme, qui voit le Droit comme une construction humaine et étatique, l’idéalisme postule que certains droits sont innés et découlent de la dignité humaine elle-même. Ce courant de pensée a eu un impact majeur sur les concepts modernes de droits de l’homme, influençant des documents comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de nombreuses constitutions à travers le monde.
B) Le Positivisme (théorie du positivisme juridique ou sociologique) qui s’oppose à la théorie idéaliste et proclame sa théorie du droit positif.
Le positivisme est une théorie juridique et sociologique qui se distingue par sa conception du Droit positif, c’est-à-dire le Droit concret et appliqué dans une société donnée à un moment précis. Contrairement aux théories idéalistes qui conçoivent le Droit comme une quête de valeurs absolues ou de principes universels, le positivisme exclut toute dimension métaphysique ou morale dans la définition du Droit.
Droit positif : une règle concrète, non opposée au Droit « négatif »
Malgré ce que son nom pourrait suggérer, le Droit positif n’est pas l’opposé du Droit « négatif ». Il désigne simplement l’ensemble des normes juridiques en vigueur dans une société donnée à un instant précis. Ce sont les règles concrètes, telles qu’elles sont définies et appliquées par l’État et ses institutions. Le fondement de la règle de Droit, pour les tenants de cette théorie, repose donc uniquement sur sa source tangible : le texte juridique lui-même. Cela signifie que le Droit n’a de légitimité que par son existence formelle, et non en raison de principes moraux ou philosophiques sous-jacents.
Le positivisme juridique : la primauté de l’État
Le positivisme juridique est principalement associé à la pensée du juriste autrichien Hans Kelsen, qui a développé une vision systématique et formelle du Droit. Selon cette théorie, la règle de Droit s’impose uniquement parce qu’elle émane de l’État. Ce dernier est vu comme la seule source légitime des normes juridiques, et c’est cette légitimité qui fonde leur caractère obligatoire.
Kelsen décrit cette structure normative par une pyramide : à la base se trouvent les règles spécifiques, comme les lois ordinaires, et à mesure qu’on monte dans la hiérarchie, on trouve des normes de plus en plus fondamentales, jusqu’à la Constitution, qui occupe le sommet. Cette pyramide symbolise l’idée que chaque norme tire sa validité de la norme supérieure. Selon Kelsen, ce qui rend une règle juridique valide, c’est qu’elle s’insère dans cet ordre pyramidal, qui forme un système clos, sans besoin de recours à des valeurs morales extérieures.
En d’autres termes, pour les positivistes juridiques, la légitimité de la règle de Droit ne repose pas sur son contenu moral ou éthique, mais simplement sur le fait qu’elle ait été adoptée conformément aux procédures et par les organes compétents de l’État.
Le positivisme sociologique : le Droit comme expression de la société
En parallèle du positivisme juridique, on trouve le positivisme sociologique, une autre approche du Droit développée par des penseurs comme Émile Durkheim ou Auguste Comte. Cette conception considère que la règle de Droit s’impose non pas simplement parce qu’elle émane de l’État, mais parce qu’elle est le reflet des valeurs, des normes et des pratiques sociales dominantes dans une société donnée à un moment précis. Le Droit, dans cette vision, est l’expression de la société elle-même.
Le positivisme sociologique affirme que le Droit évolue avec la société et qu’il est le résultat d’un consensus social. Les lois traduisent les attentes collectives et s’adaptent aux changements sociaux, économiques ou culturels. Ainsi, pour comprendre une règle de Droit, il faut analyser les conditions sociales et les rapports de force qui ont conduit à son adoption. Par exemple, l’évolution des lois sur le mariage, le travail ou la protection de l’environnement reflète les transformations des valeurs sociétales au fil du temps.
Positivisme juridique vs positivisme sociologique : deux approches complémentaires
Bien que les deux courants partagent une vision pragmatique et réaliste du Droit, ils diffèrent quant à l’origine de la légitimité de la règle de Droit :
- Le positivisme juridique fonde cette légitimité sur la source étatique. La règle de Droit est légitime parce qu’elle émane de l’État et respecte un processus formel.
- Le positivisme sociologique, en revanche, voit la légitimité dans le consensus social. Le Droit est l’expression des valeurs et besoins d’une société à un moment donné.
Ces deux visions ne s’opposent pas nécessairement, mais elles mettent en lumière différents aspects de la nature du Droit. Le positivisme juridique insiste sur le caractère formel et institutionnel des normes, tandis que le positivisme sociologique met en avant le rôle du contexte social dans la création et l’évolution des règles juridiques.