Les Obligations du médecin et la responsabilité médicale : obligation de moyen ou de résultat?
On peut penser qu’il convient d’accorder une certaine immunité au corps médical. En effet, ceux ci interviennent pour le bien particulier du patient et pour le bien commun de tous. Ainsi, le médecin doit donner des soins consciencieux et dévoués (art 32 du code de déontologie médicale).
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, le médecin est de plus en plus considéré comme un prestataire de services, un technicien de la santé : contre rémunération, il lui est demandé une prestation médicale. Aussi, la population, si elle accepte relativement que le médecin ne la guérisse pas (l’ère du médecin de famille a tout de même disparu au profit d’un certain nomadisme médical sinon médicinal), elle admet moins de devenir davantage malade ou atteint d’une maladie différente à la suite des soins prodigués.
De plus, devenu plus exigeant, l’individu estime également que la réparation des dommages devient un droit. Aujourd’hui, un généraliste sur cinq, doit s’attendre à être poursuivi en justice par un de ses patients au cours de sa carrière. Il pourra l’être devant une juridiction pénale ou civile.
- Comment faire un cas pratique ou un commentaire d’arrêt?
- Convention d’assistance et loterie publicitaire : des contrats?
- L’échange des consentements (offre, acceptation, pourparlers…)
- Les vices du consentement dans les contrats
- La cause et l’objet du contrat
- L’effet obligatoire du contrat à l’égard des parties et du juge
- Principe et exception à l’effet relatif des contrats
Si aux yeux du praticien, le procès pénal est beaucoup plus terrifiant, c’est pourtant les poursuites civiles qui semblent les plus profitables aux « victimes ». Elles pourront en effet obtenir réparation sous certaines conditions. Depuis qu’il a été établit que le patient et le médecin étaient unis par un contrat, l’engagement de la responsabilité médicale doit se faire sur le fondement de l’article 1147 du code civil. Mais pour cela, encore faut-il que le médecin ait failli à ses obligations. L’aléa de l’art médical militerait pour une obligation de moyens. Mais d’un autre coté, le rôle passif du patient et son ignorance de la médecine militeraient pour une obligation de résultat. Mais un même contrat peut contenir des obligations diverses. Aussi, ne peut-on pas estimer que selon que le patient engage la responsabilité contractuelle du médecin pour échec de soin ou pour un aléa thérapeutique, les obligations du médecin seraient ou de moyen ou de résultat ?
Traditionnellement, l’échec de soin ne peut engager la responsabilité du médecin que s’il a failli à son obligation de moyens (1). Mais concernant les aléas thérapeutiques, la jurisprudence semble évoluer de manière limitée vers une responsabilité objective qui seraient la sanction d’une obligation de résultat (2).
I) L’échec des soins : l’engagement de la responsabilité médicale pour faute
La responsabilité médicale est fondée sur le contrat de soin établit entre le médecin et le patient (A). Il en découle une responsabilité contractuelle fondée sur l’obligation de moyens (B).
A) Une responsabilité médicale fondée sur le contrat
1) L’obligation d’information du médecin
Elle doit être préalable afin que le patient soit pleinement avisé et puisse comparer les avantages espérés et les risques encourus. Mais pour cela, encore faut-il que l’information soit loyale et appropriée : le patient est novice en l’art médical. Aussi, noyé par le jargon technique employé par le médecin, il ne prendra pas nécessairement conscience des propos tenus par le praticien. C’est pourquoi le médecin doit adapter son langage au niveau de compréhension de son patient.
Le manquement à cette obligation prive l’intéressé d’une chance d’échapper, par une décision peut être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé, perte qui constitue un préjudice distinct des atteintes corporelles résultant de l’intervention médicale.
Alors que depuis 1951, la charge de la preuve revenait au patient, un revirement en 1997 a transféré celle-ci au médecin qui peut néanmoins la faire par tout moyen. Se pose alors le problème de l’étendue de l’information qui aura des répercussions sur le consentement du malade.
2) Le consentement du patient
Sauf cas d’urgence, le contrat de soins est synallagmatique : le consentement des deux parties est nécessaire. Il est le plus souvent tacite. Par exemple, la venue d’un patient à son rendez- vous pour l’opération constitue une acceptation tacite.
Il faut avant tout que le patient ait la capacité de contracter et que l’objet du contrat ne soit pas illicite (ex : euthanasie). Mais le consentement du patient sera déterminé par l’information donné par le médecin. Quelle étendue doit-elle avoir ? L’information doit contenir les risques normalement prévisibles. Cependant, depuis un arrêt du 7 octobre 1998, la première chambre civile de la Cour de Cassation a considéré que le médecin devait informer le patient de tous les risques même exceptionnels. Cela ne peut-il pas avoir des répercussions sur la psychologie du patient en particulier son appréhension du réveil post opératoire ?
En acceptant les risques, le patient admet l’existence d’un aléa thérapeutique et par-là même est exclue toute obligation de résultat. Ainsi, suivant la division juridique entre obligation de moyens et obligation de résultat, ne semble découler de la responsabilité contractuelle du médecin qu’une obligation de moyens.
B) La responsabilité médicale découlant de l’obligation de moyens
1) Un principe reposant sur l’arrêt mercier de 1936
Il avait été déduit d’un arrêt de la chambre des requêtes du 21 août 1839 qu’il existait un lien contractuel entre le patient et son médecin permettant à celui ci d’exercer une action contractuelle contre le patient en paiement d’honoraires. Par contre, le médecin n’avait aucune obligation à sa charge, permettant au patient d’engager une action en responsabilité contractuelle contre lui. Seule une action délictuelle était possible. Ainsi, y avait-il un « défaut d’équilibre » comme l’avait remarqué le magistrat Falcimaigne.
L’arrêt Mercier de 1936 a fondé le principe selon lequel le médecin avait l’obligation de donner au malade des soins « consciencieux, attentifs, et réserve faite de circonstances exceptionnelles conformes aux données acquises de la science« . Ainsi, cet arrêt fonde-t-il d’une part la formation d’un véritable contrat entre les parties et d’autre part une obligation de moyens à la charge du médecin.
Cette obligation de moyens s’applique à tous les professionnels de la santé et à tous les actes médicaux. Sa justification réside dans le fait que le risque est consubstantiel à l’acte médical : pour reprendre les termes de la Cour d’Appel de Paris, « le praticien opère sur des tissus vivants dont les réactions ne sont jamais entièrement prévisibles« . Par conséquent, la responsabilité contractuelle du médecin pourra être engagée uniquement pour faute. Cette faute devra être personnelle, relevée et ne devra pas être une erreur non-fautive. Elle devra, d’autre part avoir causé un dommage, le lien de causalité ayant à être démontré.
2) Les fautes médicales
Il faut donner des soins conformes aux données acquises de la science. Mais, il existe un principe de précaution contre l’usage imprudent de thérapeutiques. D’autre part, cela ne nuit pas à la liberté de prescription.
L’erreur de diagnostic n’est pas fautive en elle- même, sauf si le médecin n’a pas recueilli suffisamment d’informations qui lui auraient permis d’établir le bon diagnostic. De même, il y aura faute si un fait objectif imposait le diagnostic.
Le médecin doit également procéder à tous les examens préalables, complémentaires ou de contrôle. Il devra aussi recourir à un spécialiste en cas de besoin.
Le médecin peut enfin voir sa responsabilité contractuelle engagée pour faute thérapeutique, c’est-à-dire une faute commise lors de l’acte thérapeutique. Ce sont souvent des fautes de négligence ou d’imprudence.
Il convient maintenant de regarder si l’obligation de moyens n’a pas subi des évolutions.
II) Les aléas thérapeutiques : une jurisprudence tendant à un engagement de la responsabilité sans faute
L’aléa thérapeutique s’il est non prévisible peut avoir des conséquences graves pour la victime dans sa vie. Pourtant, sa réparation pose des difficultés (A). Toutefois, la Cour de Cassation a apporté une réponse mesurée à cette injustice (B).
A) L’aléa thérapeutique
1) L’injustice de la situation d’une victime d’un aléa thérapeutique
Selon la définition retenue par la Revue de l’Assurance Française, l’aléa thérapeutique est « l’aléa lié au danger (généralement mesurable sur le plan statistique mais non individuellement prévisible) d’un acte médical ou paramédical », susceptible de causer un dommage indépendant de tout état pathologique antérieur ».
La victime d’un tel aléa subit un grave préjudice quelquefois mais aura toutes les peines à être indemnisé en engageant la responsabilité contractuelle du praticien. En effet, étant novice à l’art médical, elle aura toutes les peines à prouver une faute. D’autre part, les techniques les plus prometteuses, comme les médicaments les plus efficaces, sont généralement mal maîtrisés et présentent la possibilité d’un aléa plus important. Enfin, le consentement éclairé du patient, l’empêchera d’engager toute action en responsabilité. C’est pourquoi, monsieur Tunc a dit en substance que d’après lui, le droit des accidents médicaux devrait être fondé sur la solidarité, comme les accidents du travail.
Il ne faut néanmoins pas croire que maladresse du praticien et aléa thérapeutique peuvent se confondre : toute faute du praticien engage sa responsabilité.
Ainsi, l’aléa thérapeutique est événement dommageable survenu au patient sans qu’une maladresse et plus généralement, une faute quelconque, puisse être imputée au praticien, et sans que ce dommage se relie à l’état initial du patient ou à son évolution prévisible.
Mais alors naît une seconde injustice : la jurisprudence administrative est beaucoup plus favorable à la victime d’un aléa thérapeutique que la jurisprudence judiciaire.
2) Une position de la jurisprudence administrative favorable à la victime d’un aléa thérapeutique
Dans le cas où le patient est lié contractuellement à un médecin hospitalier, ce dernier est alors préposé d’un service public. L’action en responsabilité contractuelle sera alors portée devant la juridiction administrative. Pourtant que le médecin soit libéral ou qu’il soit hospitalier, l’acte thérapeutique et la situation de la victime seront les mêmes.
La Cour Administrative d’Appel de Lyon, dans l’affaire Gomez, du 26 décembre 1990 a effectué un premier pas vers l’indemnisation des aléas thérapeutiques en indemnisant sur la base du risque dans le cas bien précis de complications tout à fait exceptionnelles. Mais c’est dans une décision d’assemblée du 09 avril 1993 (affaire Bianchi) que le Conseil d’état a franchit le pas : le patient présente des symptômes d’une pathologie. Il se prête alors à un examen sous anesthésie. A son réveil, il est tétraplégique. Il n’y a aucune faute, la cause probable étant un effet secondaire de l’examen, rare mais connu. Nous sommes donc dans la situation de l’aléa thérapeutique. Le conseil d’état a alors admis la responsabilité sans faute de l’hôpital, se justifiant dans le considérant suivant : « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service publique hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état prévisible de cet état et présentant un caractère d’extrême gravité ».
Il ne doit néanmoins y avoir aucun lien entre le dommage et l’état ou l’évolution prévisible de l’état du patient (CE, affaire consorts Telle, 05/01/2000).
Il reste alors à considérer la position adoptée par la Cour de Cassation sur les aléas thérapeutique, qui est beaucoup plus mesurée.
B) Une réponse mesurée, une obligation de résultat cantonnée à certains domaines
La Cour de Cassation ne pouvait rester insensible face à la différence de traitement que pouvaient connaître les victimes d’aléas thérapeutiques, selon qu’elles devaient porter leur action devant une juridiction administrative ou judiciaire. Parmi les différents moyens juridiques qu’elle aurait pu utiliser, la Cour Suprême a retenu une obligation de résultat de sécurité dans des domaines définis.
1) L’obligation de résultat en matière de stérilisation et d’asepsie
L’infection nosocomiale est une infection provoquée par des micro-organismes et contractée par tout patient dans un établissement hospitalier. Le code de déontologie médicale rappelle les devoirs d’asepsie et de stérilisation du médecin. En effet, les articles 49 et 73 disposent qu’il est du devoir du médecin de tout mettre en œuvre pour assurer les règles d’hygiène et de prophylaxie et que le médecin doit veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux qu’il utilise.
Jusqu’à présent, la jurisprudence qualifiait cette obligation d’obligation de moyen : « le médecin est tenu d’une obligation de moyens et non de résultat quelle que soit la nature de son intervention ». Il fallait donc caractériser une faute. Mais dans un des arrêts rendus le 29 juin 1999, à propos d’un préjudice causé par une infection nosocomiale, la première chambre civile de la Cour de Cassation a déterminé que l’obligation en matière de stérilisation et d’asepsie était une « obligation de sécurité et de résultat à la charge du médecin dont il ne peut s’exonérer qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère » (il faut rappeler que depuis 1996, existe une présomption de faute lorsque l’infection est contractée lors d’une intervention médicale et que la charge de la preuve revient au médecin).
Néanmoins, cette solution est en elle-même critiquable, car si cette obligation pèse sur le médecin, celui-ci n’est que « locataire » du lieu où se passe l’acte médical. Aussi est-il tiers et ne peut maîtriser l’asepsie des lieux. De plus, certaines infections nosocomiales sont très difficiles à déceler et constituent un aléa, ce qui est peu compatible avec une obligation de résultat. Enfin, la définition réglementaire de l’infection nosocomiale est très large : elle comprend des causes exogènes comme endogènes alors que les causes exonératoires sont réduites aux causes étrangères. Cette conception de la Cour est la dernière concernant l’indemnisation des aléas thérapeutiques. Elle avait été précédée d’une obligation de sécurité en matière de fournitures médicales.
2) L’obligation de résultat en matière de fournitures médicales
L’exemple le plus courant concerne les prothèses dentaires. Il est considéré depuis 1985 que le chirurgien dentiste est tenu en tant que fournisseur de la prothèse d’une obligation de résultat qui l’oblige à délivrer un appareil sans défaut, sans vice caché. Libre à lui de se retourner contre son fournisseur. Il a ensuite été rajouté qu’il est tenu d’une obligation de résultat concernant la conception de l’appareil et ses conditions d’utilisation. Mais la distinction reste, comme le rappelle un arrêt du 25 février 1997 entre la pose qui contient une obligation de moyen et la fourniture qui contient une obligation de résultat.
La cohésion avec la solution retenue par la Cour Suprême à propos du sang contaminé ne semble pas immédiate. En effet, dans un arrêt en date du 12 avril 1995, la Cour avait retenu que les Centres de Transfusion Sanguine (CTS) étaient tenus d’une obligation de résultat dans la fourniture du sang non-vicié tandis que les cliniques n’avaient qu’une obligation de prudence et de diligence. Mais en l’espèce, les juges avaient essentiellement recherché une solution à un problème grave et important par le nombre des victimes. Il a été beaucoup plus facile pour la juridiction de statuer du fait de la mise en place d’un fonds d’indemnisation.
En matière d’aléas thérapeutiques, ne peut-on pas voir la position de la Cour de Cassation comme un appel à l’intervention du législateur resté sans effets?
Conclusion : vers une obligation de résultat s’appliquant aux aléas thérapeutiques ?
L’indemnisation des aléas thérapeutiques est un problème relevant de la solidarité collective. Cette question serait donc de la compétence du législateur. Deux propositions de loi datant du début de l’année 1998 ont vu le jour, mais sont restées sans conséquences. Elles visaient toutes deux à créer un fonds d’indemnisation des accidents médicaux.
La mise en place d’une obligation de résultat pour les infections nosocomiales est un signe qui pourrait laisser entendre aux juges du fond qu’on irait vers une obligation de résultat pour l’indemnisation des aléas thérapeutiques. Déjà, la Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 15 janvier 1999 a défini une obligation de sécurité accessoire à l’obligation de moyens : « (si) la nature du contrat qui se forme entre un chirurgien et son patient ne met en principe à la charge du praticien qu’une obligation de moyens,…,le chirurgien a une obligation de sécurité qui l’oblige à réparer un dommage causé à son patient par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l’absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l’état antérieur du patient, ni avec l’évolution prévisible de cet état ».
Si confirmation de cette solution était donnée par la Cour de Cassation, est-il normal que le coût soit assumé par les médecins, qui, s’ils sont assurés, subiraient une augmentation des primes d’assurance médicale.
Vous retrouverez ici 300 pages de Dissertation et commentaire d’arrêt en droit des obligations ainsi que qu’une méthodologie : Comment faire un cas pratique ou un commentaire d’arrêt?