LE PRINCIPE DE LÉGALITÉ DES DÉLITS ET DES PEINES
Le principe de légalité des délits et des peines signifie qu’une personne ne peut pas être condamnée pour un fait qui ne constituait pas une infraction au regard du droit national ou du droit international au moment où il a été commis. Autrement dit, on ne peut être puni que si une loi le prévoit.
- 1 un principe repris dans des formulations différentes par des textes de niveau divers dans la hiérarchie des normes.
Historiquement en France, c’est dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 27 août 1789 que se trouve, à l’article 8, la formulation initiale du principe au plan de la norme. Sous l’inspiration de Montesquieu et de Beccaria, disciple de Rousseau en ce qu’il fait reposer le fondement du principe de légalité sur le fait que le pouvoir de faire les lois qui définissent les délits et les peines ne peut être détenu que par le législateur qui représente « toute la société réunie par un contrat social », l’assemblée constituante pose là un principe qui se pose comme le pilier de la résistance à l’arbitraire :
- Comment distinguer responsabilité pénale et responsabilité civile?
- L’infraction consommée
- L’élément matériel de l’infraction
- Les infractions commises hors de France
- Le principe de territorialité de la loi pénale
- L’application de la loi pénale dans l’espace
- Le caractère plus doux ou plus sévère de la loi
« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Or, le préambule de la constitution de 1958 se réfère à la déclaration des droits de l’homme, de sorte que cette déclaration et par suite le principe de légalité fait partie de ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité, notion que vous avez étudié l’an passé.
Au plan des textes internationaux, le principe figure dans trois textes importants pour nous :
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) signée à Rome le 4 novembre 1950 dans le cadre du conseil de l’Europe , ratifiée par la France le 3 mai 1974. Article 7 :« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. »
Ce texte est reproduit mot pour mot à l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 18 décembre 2000.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’assemblée générale des Nations Unies (ONU), le 16 décembre 1966 entré en vigueur à l’égard de la France le 4 février 1981. Article 15 : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises… »
Il figure enfin dans le nouveau code pénal à l’article 111-3, alors que l’ancien code pénal de 1810 n’y faisait aucune référence.
« Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention. »
- 2 Des portées différentes
Portée du principe inscrit à la DDHC, une portée constitutionnelle: si une incrimination ne respecte pas le principe de légalité, elle peut être dénoncée et sanctionnée comme contraire à la constitution. Mais, seul le Conseil constitutionnel détient le contrôle de constitutionnalité. Le contrôle est facultatif, et il est effectué a priori.
Portée supranationale et notamment du principe inscrit dans la CESDH : si une infraction ne respecte pas le principe de légalité, la Cour Européenne des droits de l’homme peut condamner la France à la demande d’un justiciable pour violation de l’article 7 de la CESDH. Mais au surplus, non seulement la CESDH a en tant que convention internationale une autorité supérieure à celle des lois mais elle est d’application directe. Elle peut être invoquée parle justiciable devant les tribunaux judiciaires français.
- 3 Des enjeux multiples à ce principe
- a) Un enjeu politique.
Historiquement, le principe tel qu’il figure à la DDHC veut en finir avec l’arbitraire des juges, imposer définitivement un droit écrit, qui ne puisse être appliqué rétroactivement et en finir aussi avec les supplices en établissant le principe de peines « nécessaires ».Cette rupture là avec le droit de l’ancien régime est acquise mais pour autant le principe présente aujourd’hui encore d’autres enjeux également importants.
La loi pénale définit les valeurs sociales protégées par l’intervention de l’Etat et de la justice lorsqu’elle punit. Elle emp orte des conséquences graves pour la liberté de ceux qui y sont soumis. Donc, enjeu autour de la définition de ces valeurs sociales qui ne sont pas dérivées d’une morale naturelle ou religieuse.
- b) Des enjeux techniques.
Le professeur Y. Mayaud résume en trois mots les enjeux techniques du principe de légalité à notre époque.
« Connaissance, mesure et égalité ».
La connaissance préalable des interdits est une sécurité pour les justiciables. C’était l’enjeu premier du principe qui obligeait à ce que la loi pénale soit écrite et ne s’applique qu’aux faits commis postérieurement à sa publication. Portalis « le législateur ne doit point frapper sans avertir ».
Encore faut-il pour que cette connaissance soit réelle, que les textes soient clairs et précis.
La mesure dans l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 vise les peines. Elle peut viser aujourd’hui autant les incriminations que les peines et le conseil constitutionnel pourrait censurer une incrimination qu’il jugerait « manifestement disproportionnée »
L’égalité est aussi un enjeu du principe de légalité. La loipénale sera la même pour tous.
- 3 un principe en déclin ?
La révolution française a très vite rompu avec une application rigide du principe. On a vite abandonné la fixité des peines,la peine de mort était largement encourue dans le code Napoléon.
Mais depuis lors, le principe de légalité a reculé encore davantage.
S’agissant de la notion même de loi, la constitution de 1958 en a élargi le sens au règlement pour ce qui est de la définition des contraventions et c’est ainsi que dans le nouveau code pénal la formulation du principe distingue entre les crimes et délits d’une part et le règlement d’autre part.
S’agissant de la connaissance de la loi pénale, le principe corollaire de celui de la légalité selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » n’a plus guère de sens lorsqu’on se dirige vers le droit pénal technique, tant l’inflation pénale y est grande et l’instabilité de la loi pénale forte. L’impératif d’une loi pénale claire et précise s’avère intenable et on parle « d’incriminations ouvertes ». Mieux, on explique, voire on justifie, ces incriminations ouvertes par le fait que le législateur est incapable de tout prévoir, que cela serait impossible et que ce ne serait d’ailleurs pas opportun. Et même la CEDH admet que «la fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne». CEDH 15 nov. 1996 Cantoni c/ France
D’où la question de l’application dans le temps des revirements de jurisprudence. La question prend alors la forme plus générale de la sécurité juridique.
Voir explications en cours et documents annexes arrêt CEDH 10 octobre 2006 Pessino c/ France
L’enjeu de l’égalité s’est beaucoup effacé au coursdu XIX et du XXème siècle avec la personnalisation des peines. D’une certaine manière, la loi récente sur les peines planchers en matière de récid ve qui vient à la suite d’autres textes visant à remettre en cause l’érosion des peines (période de sureté, peines incompressibles) marquerait un retour vers les peines fixes et une certaine égalité devant les peines.
Le déclin doit donc être apprécié avec mesure.
- 4 La signification du principe de légalité quant au rôle du juge.
Montesquieu affirmait que les juges ne devaient être que « les bouches qui prononcent la parole de la loi ». Beccaria entendait aussi réduire le rôle du juge à sa plus simple expression et Portalis déclare en 1810 « En matière criminelle, il faut des lois précises, point de jurisprudence ». Nous sommes loin de cette logique. Mais cependant, l’exercice de ses pouvoirs par le juge ne doit pas menacer ni la liberté ni la sécurité.
En conséquence,
- le juge ne peut pas punir un fait qui n’est pas prévu et réprimé par la loi pénale. Il ne peut inventer une peine, ni prononcer une peine autre que celles prévues par le texte d’incrimination pour une infraction précise. Il ne peut dépasser le maximum légal.
- le juge doit interpréter strictement la loi pénale, mais il peut l’interpréter. C’est l’article 111-4 du Code pénal. Et ce principe est affirmé depuis longtemps par la cour de cassation, dès le XIXème siècle, et repris depuis par le Conseil constitutionnel (CC n°96-377 DC du 16 juillet 1996) et la CEDH (Kokkianis c. Grèce, 25 mai 1993).
Qu’est-ce que cela veut dire, interpréter strictement la loi ? Et qu’est-ce que cela ne veut pas dire ?
Cela ne veut pas dire s’en tenir à une interprétation littérale. On va même écarter parfois une interprétation littéraleorsqu’elle conduit à priver la loi de sens : exemple célèbre, un décretde 1917 qui interdisait aux voyageurs « de monter et de descendre ailleurs que dans les gares… et lorsque le train est complètement arrêté ». Fallait-il descendre lorsque le train était en marche ? A l’évidence non et on a pu condamner une personne descendue avant l’arrêt complet du train.
Pour la CEDH, ce principe commande « de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie » (CEDH, Achour c. France 29 mars 2006).
Exemple de raisonnement par analogie qui est donc prohibé: raisonnement refusé dans l’affaire de la séquestrée de Poitiersentre la privation de soins non incriminée à l’époque et les violences. Voir autre exemples donnés en cours.
Viol (Crim 31 octobre 1998, b. n°274, homicide involontaire, Ass. Plénière 29 juin 2001BICC n°540 ou Crim 25 juin 2002 n°144).
On admettait en revanche l’interprétation par analogie lorsqu’elle est favorable à la personne poursuivie . Ex : sous l’empire de l’ancien code, article 64 sur la démence ne visait que le crime et le délit, extension de cette cause d’irresponsabilité à la matière des contraventions. La question de savoir si cette possibilité est maintenue divise la doctrine (E. Dreyer pense qu’elle n’est plus possible.).
Le juge va pouvoir en revanche se livrer à une interprétation téléologique de la loi, c’est-à-dire se référer à la volonté déclarée( ou présumée) du législateur, en s’aidant par exemple des travaux parlementaires ou en s’appuyant sur l’esprit de la loi. C’est cette interprétation téléologique qui va permettre d’appliquer une loi à des situations factuelles nouvelles notamment du fait d’inventions technologiques, qui certes n’existaient pas « au temps de l’adoption de la loi » mais qui entrent pleinement dans le type de comportement que le législateur entendait réprimer.
Ex : le vol d’électricité, la notion d’image qui englobe le cinéma et la télé, la prescription en matière de délit de presse appliquée à la diffamation sur internet, etc.
Avec des hésitations parfois sur le « forçage » des textes que cette méthode implique.
- 5 l’obligation pour le législateur de rédiger des textesclairs et précis
Posée par le conseil constitutionnel notamment en 1981 (DC n°80-127 du 19-20 janvier 1981) cette exigence est souvent rappelée même si les cas de censures sont finalement assez rares. Ex. récent : l’expression de « bande organisée » a été considérée comme étant suffisamment « claire et précise pour exclure l’arbitraire » (DC n°2004-492 2 mars 2004).
Via les textes internationaux et notamment l’article 7 de la CEDH, la chambre criminelle a aussi la possibilité de faire respecter cette exigence.
Exemple : Crim 20 février 2001 D. 2001, p. 908. Sur l’incrimination de la publication ou reproduction de « tout ou partie des circonstances d’un crime ». Le législateur avait d’ailleurs, dès la loi du 15 juin 2000, abrogé ce texte et a repris l’incrimination en ajoutant l’ exigence d’une atteinte grave à la dignité de la victime.