Les pouvoirs du Président de la République

Quels sont les pouvoirs du Président de la République ?

Le pouvoir présidentiel repose essentiellement sur sa capacité à inciter les autres à agir en son nom, tout en s’appuyant sur une Constitution et des institutions qui mettent à sa disposition un ensemble de moyens diversifiés, permettant au chef de l’État d’influencer l’action de l’État sans toujours agir directement. Le texte constitutionnel confère au président de la République un certain nombre de prérogatives, mais celles-ci, prises isolément, ne suffiraient pas à déclencher une action cohérente et concertée de l’État. Pour maximiser son autorité et son efficacité, le président de la République dispose donc d’un arsenal de pouvoirs qui se décline en deux grandes catégories : les pouvoirs traditionnels et les pouvoirs inédits.

Les deux catégories de pouvoirs présidentiels

  1. Les pouvoirs traditionnels sont ceux qui existaient sous les précédents régimes républicains mais qui, sous la Ve République, ont pris une ampleur nouvelle. Ils incluent notamment le pouvoir de nomination aux emplois supérieurs de l’État (article 13), le droit de grâce (article 17), le commandement des armées (article 15) et la direction de la politique étrangère (article 52). Dans le cadre de la Ve République, ces pouvoirs, autrefois symboliques, sont devenus des instruments opérationnels : le président peut en user pleinement pour orienter l’action de l’État et incarner la continuité et l’autorité de l’exécutif.

  2. Les pouvoirs inédits représentent une innovation propre à la Ve République. Parmi eux, on trouve le droit de dissolution de l’Assemblée nationale (article 12), l’usage de l’article 16 pour conférer des pouvoirs exceptionnels en temps de crise, et l’article 11 permettant d’organiser des référendums. Ces attributions permettent au président d’imposer des choix stratégiques qui s’inscrivent dans la dynamique du régime, en jouant directement le rôle de décideur. De plus, ces pouvoirs, qui ne nécessitent pas de contreseing (article 19), confirment une indépendance inédite vis-à-vis du gouvernement et des ministres.

L’efficacité du pouvoir présidentiel par la diversité de son arsenal

Le président de la République ne se contente pas d’avoir des attributions isolées ; il peut en combiner l’usage pour inciter les autres à agir et pour orchestrer une action d’ensemble de l’État. Ce rôle de chef d’orchestre lui permet de coordonner et de mobiliser l’administration, le gouvernement, ainsi que les institutions parlementaires, en s’appuyant sur des pouvoirs clairement définis, tout en demeurant au centre de l’autorité exécutive. Ce modèle hybride d’un président chef de l’État et acteur direct en cas de crise, ou sur des questions majeures, est l’un des traits caractéristiques de la Ve République.

 

Section 1: l’utilisation de pouvoirs traditionnels

Dans la Ve République, de nombreux pouvoirs du Président de la République s’inscrivent dans la continuité des régimes précédents, mais avec une utilisation plus affirmée. En effet, là où ces prérogatives étaient souvent symboliques ou déléguées au Parlement sous la IIIe et la IVe République, elles deviennent effectives et significatives pour le Président, élu au suffrage universel direct. Ce renforcement confère une autorité supplémentaire aux pouvoirs traditionnels, qui se complètent par l’introduction de nouveaux pouvoirs institutionnels.

 

Sous – section 1: Les pouvoirs traditionnels

 

Les nominations aux emplois supérieurs de l’État (Article 13)

L’article 13 de la Constitution confère au président de la République le pouvoir de nomination aux emplois supérieurs de l’État, une prérogative déjà présente dans les constitutions de 1875 et 1946. Toutefois, sous la IIIe et la IVe Républiques, le président ne faisait que signer les nominations suggérées par le gouvernement, conformément à l’esprit de la « Constitution Grévy » qui le cantonnait à un rôle honorifique. Depuis la Ve République, en revanche, le président effectue ces nominations en propre, notamment pour les postes de préfets et d’ambassadeurs, même si les ministres concernés suggèrent les candidats. Ce pouvoir, exercé de manière autonome par le chef de l’État, lui permet de marquer durablement la haute administration de son influence.

Chef des armées (Article 15)

Le président de la République est le chef des armées, un titre figurant également dans les constitutions précédentes mais auparavant peu appliqué. Sous la Ve République, ce pouvoir prend une importance décisive, en particulier avec l’avènement de la dissuasion nucléaire en 1960. La dissuasion, conçue pour dissuader une attaque militaire par la menace de représailles nucléaires, requiert une chaîne de commandement centralisée, incarnée par le chef de l’État. Depuis De Gaulle, tous les présidents successifs ont exercé cette autorité, consacrant leur position de chef militaire ultime. En outre, avec les révisions constitutionnelles de 2008, le Parlement est désormais informé dès qu’une intervention militaire commence, et, si elle excède quatre mois, sa prolongation requiert une autorisation parlementaire.

Le pouvoir diplomatique (Article 14)

Le président est représentant de la France à l’étranger et accrédite les ambassadeurs, un pouvoir autrefois purement protocolaire. Aujourd’hui, en tant que garant de l’indépendance nationale (article 5), le président exerce une autorité prépondérante en politique étrangère, et ce rôle s’est consolidé avec la pratique de sommets internationaux. Par ailleurs, le président négocie et ratifie les traités, mais leur ratification peut nécessiter une loi en vertu de l’article 53 de la Constitution. Bien qu’il délègue la plupart des négociations à des représentants, il incarne l’autorité diplomatique ultime et s’implique directement dans les affaires d’importance stratégique.

Le droit de grâce (Article 17)

Le droit de grâce, révisé en 2008 pour s’appliquer uniquement à des cas individuels, est un héritage de la monarchie. Avant l’abolition de la peine de mort en 1981, la grâce présidentielle représentait un recours ultime pour les condamnés. Aujourd’hui, bien que ce pouvoir ait perdu de son importance, il conserve une fonction pratique comme garantie contre les erreurs judiciaires, offrant une marge de clémence dans les cas exceptionnels.

La promulgation des lois (Article 10) et le droit de message (Article 18)

  • La promulgation des lois : L’article 10 prévoit que le président promulgue les lois dans un délai de 15 jours après leur adoption. Ce décret de promulgation rend la loi applicable, mais ne peut en aucun cas être refusé par le président.

  • Le droit de message : L’article 18 confère au président un droit de message, une prérogative qui avait pour fonction de permettre au président de s’adresser aux parlementaires sans entrer dans les hémicycles. Depuis la révision de 2008, il peut le faire directement devant le Congrès, permettant ainsi une communication plus directe avec les assemblées.

Ces pouvoirs, même s’ils existent sous des formes similaires depuis la IIIe République, prennent une dimension nouvelle sous la Ve République, en raison de la légitimité renforcée du président élu au suffrage universel direct.

 

Sous-section 2: les pouvoirs nouveaux liés aux traditionnels

 

Avant 1958, le président de la République exerçait un magistère moral et d’arbitrage, une autorité symbolique qui faisait de lui une figure au-dessus des clivages politiques, représentant la continuité de l’État. Ce rôle d’arbitre, bien qu’éloigné du quotidien politique, légitimait un certain pouvoir d’influence et d’intervention limitée. La Constitution de 1958 a approfondi cette fonction d’arbitrage en lui confiant de nouveaux pouvoirs. Ces prérogatives inédites, bien qu’innovantes, s’inscrivent dans la lignée de cette influence morale, faisant du président une figure plus directement active dans le respect de la Constitution et de la stabilité institutionnelle.

Le pouvoir de nomination au Conseil constitutionnel

Créé par la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel est conçu comme un gardien de la Constitution et un arbitre pour garantir le respect des normes fondamentales. Il se distingue par sa mission de contrôle de constitutionnalité des lois, visant à empêcher que les lois votées par le Parlement ne violent les principes constitutionnels. Le président de la République nomme trois des neuf membres du Conseil, et en désigne le président, un poste clé qui influence le fonctionnement et l’orientation de cette institution.

Cette capacité de nomination donne au président une influence indirecte mais réelle sur le Conseil constitutionnel, renforçant son autorité morale et son rôle d’arbitre. En confiant au président cette prérogative, la Constitution reconnaît la fonction suprême du président dans la garantie des équilibres institutionnels.

Le pouvoir de saisine du Conseil constitutionnel (Articles 54 et 61)

Les articles 54 et 61 de la Constitution permettent au président de saisir le Conseil constitutionnel.

  • Article 54 : En matière de traités, si le président juge qu’un traité international pourrait être contraire à la Constitution, il peut saisir le Conseil pour avis avant de procéder à la ratification.

  • Article 61 : Cet article autorise le président à saisir le Conseil pour qu’il vérifie la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation.

Ces pouvoirs de saisine, qui visent à préserver l’intégrité de l’ordre constitutionnel, sont des prérogatives essentielles qui renforcent son rôle de garant de la légalité constitutionnelle. Ils inscrivent le président comme un acteur vigilant quant au respect des normes constitutionnelles, ce qui est essentiel pour son rôle de régulateur des institutions.

En conclusion, les nouveaux pouvoirs liés aux prérogatives traditionnelles du président incarnent la fonction de garant de l’État et des institutions qui incombe au chef de l’État. Ils s’ajoutent aux responsabilités classiques en matière de défense et de diplomatie, conférant au président une autorité unique et symbolique sur la préservation des valeurs constitutionnelles.

 

Section 2: Apparition de pouvoirs inédits

 

La Constitution de la Ve République a enrichi les pouvoirs du Président, lui conférant des capacités inédites, notamment avec le référendum et l’absence de contreseing pour certains actes. Ces prérogatives représentent une rupture nette avec les régimes précédents et visent à consolider le rôle d’arbitre et de leader du Président dans les institutions.

 

Sous – section 1: Le référendum; son extension et son utilisation

 

La Constitution de 1958 a instauré un lien direct entre le Président et le peuple par le référendum, visant à légitimer les décisions présidentielles par un choix populaire, indépendamment du Parlement. Ce choix de la Ve République est venu renforcer le couple Président-peuple, donnant au référendum un rôle majeur dans la démocratie française.

Typologie et portée du référendum

Deux types de référendums sont prévus par la Constitution : l’article 11 et l’article 89.

  • Article 11 : Ce référendum est limité à certaines matières, comme l’organisation des pouvoirs publics, la ratification de traités, et les questions concernant la Communauté (liées aux anciennes colonies).
  • Article 89 : Cet article est réservé aux révisions constitutionnelles, et impose en principe une procédure distincte de celle de l’article 11.

Très tôt, de Gaulle a utilisé le référendum pour contourner la représentation parlementaire, recourant à l’avis direct des Français, ce qui lui a valu des critiques, souvent qualifiées de « bonapartistes ». En l’absence d’élection présidentielle au suffrage universel direct avant 1962, le référendum lui permettait de s’appuyer sur la légitimité populaire pour des décisions cruciales, notamment :

  • 1958 : Adoption de la Constitution de la Ve République.
  • 1961-1962 : Pour l’autodétermination de l’Algérie et la ratification des accords d’Évian, marquant la fin de la guerre d’Algérie.
  • 1962 : Introduction de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.

En faisant usage du référendum, De Gaulle instaurait un procédé aux allures de plébiscite : en cas de rejet, il s’engageait à démissionner, donnant ainsi une dimension personnelle au vote. Cet usage a mis en lumière une confusion des enjeux puisque les électeurs se prononçaient parfois davantage sur le Président que sur la question posée.

Le tournant de 1969 : Limites et danger du référendum

Après le succès de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, De Gaulle continua à recourir au référendum pour renforcer son pouvoir. Cependant, en 1969, sa tentative de réforme du Sénat et de la régionalisation a échoué : le non l’a emporté, et De Gaulle a démissionné, établissant ainsi une forme de responsabilité présidentielle vis-à-vis du peuple.

Ses successeurs furent plus prudents avec cet outil :

  • Georges Pompidou utilisa un référendum en 1972 pour élargir la Communauté économique européenne, mais avec une faible participation et un résultat mitigé, marqué par le surnom moqueur « Monsieur Tiers » attribué par la presse.
  • Valéry Giscard d’Estaing évita le référendum, préférant s’appuyer sur le Parlement pour ses réformes majeures (légalisation de l’avortement, majorité à 18 ans).

Relance et usage modéré du référendum (1988-2005)

Le référendum réapparaît en 1988 sous François Mitterrand pour résoudre la crise en Nouvelle-Calédonie. Ce scrutin, initié avec l’accord de toutes les parties impliquées, fut un succès, renforçant les accords de paix de Matignon. En 1992, Mitterrand organisa un référendum sur le traité de Maastricht pour renforcer la légitimité de l’intégration européenne, bien que le oui ne l’emportât qu’avec une faible majorité de 51 %, illustrant les risques du référendum face à une question controversée.

En 2005, Jacques Chirac tenta de ratifier le projet de Constitution européenne par référendum, mais le non l’emporta largement (56 %), mettant un terme à ce projet. Cet échec souligna le fait que les électeurs répondent souvent en fonction du Président plutôt qu’au fond de la question posée. Ce résultat mit en évidence le danger d’instrumentaliser le référendum comme un levier politique.

Vers un référendum d’initiative partagée

Consciente des limites du référendum, la révision constitutionnelle de 2008 introduisit une forme de référendum d’initiative partagée (article 11). Il permet qu’une proposition soit initiée par 1/5 des membres du Parlement, appuyée par 1/10 des électeurs inscrits (soit environ 4,5 millions de citoyens). Ce référendum ne peut se tenir que si les assemblées n’adoptent pas la proposition de loi dans un délai de six mois.

Bien que ce référendum offre une voie démocratique plus large, il demeure contraint par des conditions très strictes, et aucune initiative de ce type n’a encore abouti.

La jurisprudence de 2005 et le rôle du Conseil constitutionnel

Depuis 2005, le Conseil constitutionnel a le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité d’une proposition de référendum. En cas de conflit entre les articles 11 et 89 (notamment si une réforme constitutionnelle est soumise via l’article 11), le Conseil peut annuler le décret de convocation.

Ce contrôle marque un tournant dans la sécurité constitutionnelle des référendums, empêchant le Président de détourner les articles pour contourner la révision constitutionnelle traditionnelle.

En conclusion, le référendum a été un puissant outil présidentiel, mais il s’est révélé risqué et imprévisible, conduisant à des échecs notables. La révision de 2008 introduit une option d’initiative partagée pour rendre le référendum moins politisé et plus démocratique. Toutefois, la prudence reste de mise, et les Présidents sont désormais peu enclins à en user pour des enjeux cruciaux, préférant souvent d’autres voies institutionnelles pour préserver leur stabilité politique.

 

Sous-section 2: Les pouvoirs sans contreseing de l’article 19 de la Constitution.

 

L’article 19 de la Constitution crée une situation singulière et, en apparence, paradoxale : il confie au président de la République plusieurs pouvoirs d’importance qu’il peut exercer sans contreseing ministériel. Cette dérogation est d’autant plus frappante que, traditionnellement, le contreseing est censé assurer un contrôle : en signant aux côtés du Président, le Premier ministre ou un ministre assume la responsabilité politique des actes présidentiels, puisque le chef de l’État lui-même est irresponsable politiquement.

Le contreseing, principe de responsabilité et limite au pouvoir

En théorie, le contreseing permet au ministre concerné de refuser d’apposer sa signature, et ainsi d’exercer un contrôle sur les décisions présidentielles. Ce dispositif, issu de la tradition parlementaire, était en vigueur sous les IIIe et IVe Républiques. Il permettait d’éviter qu’un chef de l’État, irresponsable politiquement, puisse engager seul l’État dans des décisions majeures.

Cependant, l’article 19 exclut cette règle pour certains actes spécifiques. Cette absence de contreseing signifie que le Président peut signer ces actes de manière autonome, sans qu’aucun ministre ne puisse s’y opposer ni en assumer la responsabilité devant le Parlement.

Les pouvoirs sans contreseing et leur justification

L’article 19 ne retire pas le contreseing sans discernement, et cette absence répond souvent à une logique particulière. En effet, pour la plupart des décisions concernées, il existe des contreparties institutionnelles ou politiques :

  • Article 8 alinéa 1 : Nomination du Premier ministre. Le contreseing est inutile ici, car le Parlement peut censurer le Premier ministre par une motion de censure, assurant ainsi un contrôle indirect sur ce choix.

  • Article 11 : Référendum. Bien qu’il n’exige aucun contreseing, le référendum peut être lancé uniquement sur proposition du gouvernement, qui joue alors un rôle de filtre en amont.

  • Article 12 : Dissolution de l’Assemblée nationale. Le contreseing n’aurait pas de sens dans ce cas, car la dissolution donne directement la parole aux citoyens lors de nouvelles élections, annulant ainsi le besoin d’un contrôle ministériel.

  • Article 16 : Plein pouvoirs en cas de crise. L’usage de cet article est encadré par des conditions précises, incluant la consultation préalable des institutions, mais une fois activé, le président agit seul en situation d’urgence extrême.

  • Article 18 : Message au Parlement. Le président de la République peut adresser un message aux Assemblées sans contreseing. Cette communication, essentiellement informative, n’entraîne aucune prise de décision contraignante.

  • Saisine du Conseil constitutionnel et nomination de ses membres. La saisine et la nomination de trois des membres du Conseil constitutionnel relèvent du président sans contreseing. Ce pouvoir s’inscrit dans la dimension d’arbitrage et de garant des institutions impartie au chef de l’État.

Ces pouvoirs autonomes du président de la République représentent une rupture marquante par rapport aux Républiques précédentes. En retirant le contreseing pour ces actes, la Constitution de 1958 confie directement à la fonction présidentielle des prérogatives qui n’étaient pas accessibles auparavant sans intervention du gouvernement.

Une révolution dans le pouvoir exécutif

L’absence de contreseing pour ces pouvoirs est un signe de la centralité du président dans le système politique de la Ve République. Ce « pouvoir sans contreseing » représente une révolution institutionnelle qui consacre l’autorité personnelle du chef de l’État sur des domaines clés de la gouvernance, comme les relations avec le Parlement, le recours au référendum, la dissolution de l’Assemblée ou encore la direction des forces armées.

Ainsi, l’article 19 traduit cette transformation profonde : le président de la République, qui concentre à la fois une forte légitimité démocratique et une autorité sans précédent, peut agir de manière autonome dans des domaines essentiels pour l’équilibre et la stabilité des institutions françaises.

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