Le régime de la loi de 1985 : les dommages à la personne et les dommages aux biens
La loi du 5 juillet 1985 dite Loi Badinter porte sur l’indemnisation des victimes d’un accident de la circulation lorsqu’elles sont transportées dans un véhicule terrestre à moteur.
La loi BADINTER a instauré une « summa divisio » entre les atteintes à la personne et les atteintes au bien. Le régime de cette loi diffère selon qu’un se plaint du dommage à sa personne (où l’on distingue la victime directe et la victime par ricochet) ou ses biens. Le droit a une faveur envers le dommage corporel. Dans cette loi on parle de dommages causés à la personne, on y inclut les appareils délivrés sous protection médicale.
- 1°) Les dommages à la personne
Le législateur a élaboré un régime spécial de responsabilité qui va dans le sens d’une protection renforcée de la victime, on s’inscrit dans un droit à la garantie. La faute est présente mais elle a reculé pour certaines victimes. On distingue classiquement entre les victimes directes et les victimes par ricochet. Lorsque la loi s’applique, la victime va agir contre le conducteur ou le gardien (article 2 de la loi de 1985). Il en résulte que la victime d’un accident de la circulation dans lequel un seul véhicule est impliqué et que ce véhicule est le sien, alors dans ce cas, la victime ne peut pas agir sur le fondement de la loi de 85. L’action est toujours dirigée contre un conducteur ou un gardien.
- A) les victimes directes
Dans un accident, les victimes directes peuvent avoir des qualités différentes. La loi de 1985 opère une grande distinction. Elle distingue les victimes conductrices (pénalisé) et les victimes non conductrices (protégés). Cette différence a fait l’objet de deux QPC :
- La Responsabilité civile L2 S4
- Article 1242 al 1 du Code civil : responsabilité du fait d’autrui
- Article 1242 al. 5 du code civil : responsabilité du commettant
- Article 1242 al. 4 du Code civil : la responsabilité des parents
- Article 1242 du code civil : La garde de la chose et le gardien
- Responsabilité du fait des choses : conditions, exonérations
- Article 1242 du code civil : la responsabilité du fait des choses
La Cour de cassation a saisi à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC n° Q 10-17.096 ; QPC n° W 10-12.732 ; QPC F 10-30.175). Et le Conseil constitutionnel d’énoncer que l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 est conforme non seulement à l’article 4 de la Déclaration de 1789, mais également au principe d’égalité des citoyens devant la loi et les charges publiques malgré la différence de traitement selon la qualité ou non de conducteur (Civ. 2e, 9 septembre 2010, n° 10-12.732 ; Civ. 2e, n° 10-30.175 ; Civ. 2e, 16 décembre 2010, n° 10-17.096).
1°) les victimes conductrices
- a) la notion de conducteur
Le conducteur n’est pas défini par la loi. C’est la personne qui accomplit les actes, les gestes nécessaires à la conduite du véhicule. Cela ne veut pas dire que le véhicule doit nécessairement être en train d’avancer. En conséquence la personne a proximité du véhicule, ou qui ouvre la portière n’est pas conducteur. La personne qui est en panne d’essence et qui pousse sa voiture n’est pas conducteur.
Quid dans un accident dit complexe c’est à dire lorsqu’on a un premier choc, conducteur va être éjecté et écrasé par une seconde voiture. Est ce que le conducteur éjecté perd ou non sa qualité de conducteur ?
- Hypothèse 1 : le conducteur est éjecté, tombe sur la chaussée et se fait écraser. Le conducteur a perdu sa qualité de conducteur parce que temps entre le moment où il est éjecté et le moment où il s’est fait percuté.
- Hypothèse 2 : le conducteur a été éjecté et a directement été percuté, alors il n’a pas perdu la qualité de conducteur.
Il faut déterminer si l’accident survient ou non en un seul trait de temps. Question importante au niveau du régime d’indemnisation.
- b) le régime d’indemnisation de la victime conductrice
Ce régime est sévère et restrictif. La jurisprudence ne s’est pas nécessairement montrée favorable à la victime conductrice. Le conducteur est à l’ origine du risque, il doit donc en supporter les conséquences même d’avantage que les autres victimes. De plus, le lobby des constructeurs automobiles a insisté le législateur a adopté une position de compromis pour que la loi puisse passer, la victime en fait les frais. On privilégie les victimes non conductrices au profit des victimes conductrices.
L’article 4 de la loi de 1985 dispose que « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis.». On peut donc lui opposer sa faute → droit commun. Cette absence de protection spéciale a pour conséquence que l’assureur va moins payer et plus gagner.
- Dans un premier temps, la cour de cassation a décidée que la faute du conducteur victime excluait son droit a indemnisation lorsqu’elle était la cause exclusive de l’accident. Au regard de l’article 4 de 1985, c’est une lecture sévère.
- Dans une second temps, la cour de cassation affirme que la victime conductrice fautive ne peut obtenir réparation qu’en prouvant une faute du défendeur.
- Dans un dernier temps, arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation, 28 Mars 1997 → pose les principes que l’on applique aujourd’hui. Lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident, chaque conducteur a le droit a l’indemnisation des dommages qu’il subit sauf si il a commit une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.
Cette faute peut être n’importe quelle faute depuis un arrêt de l’Assemblée Plénière du 6 Avril 2007.
- Avant cet arrêt, la jurisprudence a d’abord exigé une faute de conduite pour limiter ou exclure l’indemnisation.
- Ensuite, elle a exigé une faute de comportement. N’importe quelle faute mais seulement si elle est en relation avec le dommage subit. Une faute qui a contribué à l’accident va nécessairement contribuer au dommage. En revanche, l’inverse n’est pas vrai. Cette faute peut entraîner soit une exonération partielle, soit une exonération totale (pas lié à la force majeure). Les juges du fond vont souverainement apprécier s’il faut limiter ou exclure l’indemnisation du conducteur victime.
Désormais, pour apprécier la faute d’un conducteur, le juge n’a pas à tenir compte de celle des autres conducteurs. On va envisager la situation de chaque victime conductrice distinctement.
Pour la victime conductrice, la loi de 1985 n’est pas favorable a son égard parce qu’on va retenir la moindre faute du moment qu’elle a contribuée a son dommage.
2°) les victimes non conductrices
La loi du 5 Juillet 1985 opère une distinction au sein de cette catégorie. Elle distingue :
- D’une part, les victimes de plus de 16 ans, les victimes de moins 70 ans et les victimes atteintes de moins de 80% d’incapacité permanente ou d’invalidité → victimes privilégiées par rapport aux victimes conductrices.
- D’autre part, victime de moins 16 ans, de plus de 70 ans et de plus de 80% d’incapacité ou d’invalidité → victimes super privilégiés, on estime qu’elles sont dans un état de faiblesse plus important que les autres.
- a) les victimes privilégiées
Elles sont plus protégées par la loi de 1985 que la victime conductrice. L’article 3 de la loi Badinter dispose que ces victimes sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à la personne sans que puisse leur être opposé leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident. On ne peut pas opposer à ces victimes n’importe quelle faute. Ici on a un régime dérogatoire au droit commun.
– une faute inexcusable : le législateur ne la pas défini. La jurisprudence la fait dans une série de 11 arrêts du 20 Juillet 1987. Dans ces arrêts, la cour de cassation a défini très restrictivement la faute inexcusable. Elle a énoncé que seul est inexcusable la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur a un danger dont il aurait du avoir conscience. La faute inexcusable va être rare. La cour de cassation a cherché à fermer la voie du contentieux, éviter la multiplication des actions en justice et éviter la casuistique que la faute inexcusable.
- Hypothèse 1 : conducteur qui de nuit descend de sa voiture et se place au milieu de la route pour arrêter une voiture, se fait percuté. Pas de faute inexcusable.
- Hypothèse 2 : Un piéton traverse une route nationale de façon soudaine, se fait percuté. Pas de faute inexcusable
- Hypothèse 3 : homme ivre s’allonge sur la chaussée au moment où arrive un véhicule. Pas de faute inexcusable.
- Hypothèse 4 : hypothèse s’accroupit sur la chaussée, de nuit, par temps de brouillard, au milieu de la route. Pas de faute inexcusable.
- Hypothèse 5 : traversé brusquement une autoroute en franchissant la glissière de sécurité + terre plein avec ronces, franchir un obstacle mit là pour protéger. Faute inexcusable.
La cour de cassation se montre plus accueillant à la faute inexcusable quand la victime est sous l’emprise de l’alcool. La cour de cassation retient dans certaines circonstances une faute volontaire sous empire de l’alcool. Il faut que la faute inexcusable soit la faute exclusive de l’accident. Si la victime qui a commit une faute inexcusable rapporte la preuve qu’une autre cause a causé l’accident alors elle sera indemnisée. On retrouve l’idée de causalité.
– Les victimes ne seront pas indemnisées quand elles auront volontairement recherché le dommage
- b) les victimes super privilégiés
On les considère comme plus fragile. Le législateur a souhaité favoriser leur indemnisation. On ne peut pas leur opposé leur faute inexcusable quand bien même elle sera la cause exclusive de l’accident. Elles sont toujours indemnisées de leur préjudice corporel sauf si elles ont volontairement recherché le dommage.
- B) les victimes par ricochet
Les victimes par ricochet souffrent du fait du dommage subi par la victime directe. Dans le cadre de la loi sur les accidents de la circulation, une victime pourra avoir double ou triple casquette : être à la fois victime par ricochet, victime directe (couple dans un accident de voiture), héritier de la victime directe qui sera décédé dans l’accident de voiture.
Le régime d’indemnisation est prévu par l’article 6 loi 1985=
Le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causé à la victime directe est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages, les victimes par ricochet doivent être indemnisés comme le sera la victime directe.
Que se passe-t-il si la victime directe a commis une faute ? ou si c’est la victime par ricochet qui comment une faute ?
- si la victime directe a commis une faute qu’on peut lui opposer, on opposera la même à la victime par ricochet. AP 19/06/1981=lie le sort de la victime par ricochet à celui de la victime immédiat, leurs actions n’ont pas le même objet mais procèdent du même fait originaire (ex : victime directe est une victime protégé et va avoir commis une faute inexcusable, les victimes par ricochet vont se voir opposer cette faute, le sort de la victime par ricochet influencé par celui de la victime immédiate).
- Au regard de l’article 6 on ne s’interroge pas sur une éventuelle faute de la victime par ricochet. Pourtant cette question s’est posée de savoir si on devait prendre en compte une éventuelle faute de la victime par ricochet, si la victime par ricochet n’est pas présente dans l’accident on pourra ne pas prendre en compte son comportement pour se le voir attribuer.
Peut-on opposer à la victime par ricochet son autre statut (victime conductrice, victime non conductrice protégée, victime non conductrice super protégée) et l’éventuelle faute qui peut lui être opposé dans le cadre de son statut ?
Ex : Un conducteur fautif qui a grillé un feu rouge percute la voiture qui avait tourné, le conducteur fautif blessé, transportait ses 2 enfants de 7 et 8 ans. Il est victime directe mais aussi victime par ricochet.
– Si on applique l’article 6 entant que victime par ricochet on va regarder si la victime directe a commis une faute. Les enfants ont-ils recherchés le dommage ? Non, le père victime par ricochet obtiendra la réparation de l’entier dommage. Solution très critiqué car ce conducteur victime par ricochet a commis une faute et on se rend compte qu’entant que victime directe il n’obtiendra pas réparation du préjudice car il a commis une faute qui a contribué à son dommage. Donc, entant que victime directe le conducteur n’a droit à aucune indemnisation mais entant que victime par ricochet il aura droit à l’entière réparation de son dommage.
– Divergence de jurisprudence entre les chambres civile (indemnisaient le conducteur victime par ricochet sans recherché s’il avait commis une faute entant que conducteur) et la ch.crim (recherchait si le conducteur victime par ricochet avait commis une faute si oui elle la lui opposait pour réduire ou supprimer son droit à indemnisation). La 2ème civ de la cour de cassation a fini par se rallier à la ch.crim. 28/03/1997 ch.mixte Cour de cassation entérine cette décision= lorsque Plusieurs véhicules sont impliqués, dans un accident de la circulation chaque conducteur a droit à indemnisation des dommages qu’il a subis directement par ricochet sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.
- 2°) Les atteintes aux biens
La réparation des dommages causés aux biens est régie par l’article 5. Cette loi indemnise moins bien les dommages causés aux Biens qu’aux personnes. Le Législateur fait donc preuve de faveur au profit des dommages corporels.
L’article 5 al 1 de la Badinter énonce que la faute commise par la victime va avoir pour effet de limiter ou exclure l’indemnisation des dommages aux Biens qu’elle a subis. Cette règle comprend une exception = « Toutefois, les fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale donnent lieu à indemnisation selon les règles applicables à la réparation des atteintes à la personne ».
Pour les dommages causés aux Biens, on ne distingue pas les victimes, elles sont sur un pied d’égalité.
L’article 5 évoque la faute de la victime sans aucune précision, il faudra un lien de causalité avec le dommage pour invoquer la faute. Les juges du fond vont apprécier si cette faute est de nature à limiter ou exclure le droit à indemnisation du préjudice matériel.
Concernant les Fournitures et appareils délivrés sur ordonnance, ils échappent à ce régime, ils vont obéir aux dommages causés aux personnes, pour ces appareils on applique soit l’article 3 soit l’article 4 :
- l’article 3 de la loi Badinter si l’appareil appartient à une victime qui n’est pas conductrice,
- – l’article 4 de la loi Badinter si l’appareil appartient à une victime conductrice.
L’alinéa 2 de l’article 5 de la loi Badinter évoque le dommage causé à un véhicule quand le conducteur n’en était pas propriétaire. Le propriétaire peut demander réparation du préjudice matériel. Mais dans cette hypothèse on pourra lui opposer la faute du conducteur. « Lorsque le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur n’en est pas le propriétaire, la faute de ce conducteur peut être opposée au propriétaire pour l’indemnisation des dommages causés à son véhicule. Le propriétaire dispose d’un recours contre le conducteur »