Comment réviser ou modifier la Constitution?

La révision de la constitution

La complexité croissante du droit positif est un fait établi. La nécessité d’une hiérarchie des normes demeure fondamentale pour garantir la cohérence et la prééminence des normes constitutionnelles.

La place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes a été renforcée en France par des décisions telles que l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2008. La QPC permet aux citoyens de contester une loi qui porterait atteinte à leurs droits fondamentaux garantis par la Constitution.

  • Décision Maastricht 2 (2 septembre 1992) affirme que le pouvoir constituant peut modifier la Constitution pour permettre l’adoption de dispositions contraires à une règle constitutionnelle existante. Cela illustre que, contrairement au modèle allemand, où certains principes constitutionnels (comme la dignité humaine) sont intangibles, le droit français ne reconnaît pas de supra-constitutionnalité. La Constitution française peut être révisée pour s’adapter à des évolutions nationales ou internationales, tant que la procédure de révision est respectée.

Les 2 procédures de révision constitutionnelle

Article 11 : Utilisations dérogatoires

  • Révision de 1962 : L’article 11 a été utilisé pour introduire l’élection du président de la République au suffrage universel direct, malgré les critiques sur sa conformité à l’article 89.
  • Révision de 1969 : Cette tentative d’utiliser l’article 11 pour une réforme du Sénat a échoué, conduisant à la démission de Charles de Gaulle.

Procédure normale de l’article 89 : L’article 89 reste la procédure standard pour les révisions constitutionnelles. La majorité des révisions postérieures à 1969 ont utilisé cette procédure.

 

Section 1. Une procédure encadrée et consensuelle.

La révision de la Constitution française repose sur un processus strictement encadré par des limitations formelles et substantives, et sur un mécanisme nécessitant un consensus entre les pouvoirs publics.

Paragraphe 1. Les limites au pouvoir de révision

A. Les limites circonstancielles

Trois situations encadrent le moment où la révision de la Constitution est impossible :

  1. Limites textuelles :

    • Article 89, alinéa 4 : La révision est interdite lorsqu’il existe une menace sur l’intégrité du territoire national. Cette disposition vise à garantir la stabilité institutionnelle en période de crise territoriale.
    • Article 7, alinéa 11 : Aucune révision n’est possible pendant l’intérim présidentiel. Cela vise à éviter des modifications constitutionnelles majeures en l’absence d’un Président élu.
  2. Limite jurisprudentielle :

    • Application de l’article 16 : Selon le Conseil constitutionnel, la révision est impossible lorsque le Président exerce des pouvoirs exceptionnels (crise grave). L’objectif est d’éviter qu’une situation d’urgence ne soit utilisée pour modifier la Constitution dans un sens autoritaire.
B. Les limites substantielles
  • Article 89, alinéa 5 : La forme républicaine du gouvernement est une limite absolue au pouvoir de révision. Aucune modification ne peut remettre en cause le caractère républicain des institutions, garantissant la pérennité des valeurs démocratiques fondamentales.

Paragraphe 2. Un consensus obligé

A. L’initiative de la révision

L’initiative appartient exclusivement aux pouvoirs publics, à savoir l’exécutif et le législatif. Le peuple ne peut pas initier une révision constitutionnelle.

  1. Au sein de l’exécutif :

    • Le Président de la République, sur proposition du Premier ministre (avec contreseing obligatoire), peut initier un projet de révision.
    • En période de cohabitation, cette procédure exige un consensus entre les forces politiques.
  2. Au sein du législatif :

    • Des parlementaires, qu’ils agissent seuls ou en groupe, peuvent déposer une proposition de loi constitutionnelle. Cela permet au législatif de jouer un rôle actif dans le processus.
B. L’adoption de la révision

Une fois l’initiative prise, le consensus est indispensable au sein du Parlement. Contrairement à d’autres domaines, le bicaméralisme est strictement égalitaire dans la procédure de révision.

  • Le texte (projet ou proposition de loi constitutionnelle) doit être adopté en termes identiques par les deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat) lors de votes séparés.
C. L’approbation finale de la révision

La méthode d’approbation dépend de l’origine de la révision, qu’il s’agisse d’un projet ou d’une proposition de loi constitutionnelle :

  1. Proposition de loi constitutionnelle :

    • Une fois adoptée par les deux assemblées en termes identiques, la proposition doit obligatoirement être approuvée par référendum. Toutefois, à ce jour, cette procédure n’a jamais été mise en œuvre.
  2. Projet de loi constitutionnelle :

    • Le Président de la République dispose d’une alternative :
      1. Référendum : Le Président peut soumettre le texte à l’approbation directe du peuple par référendum. Ce choix a été fait une seule fois, par Jacques Chirac, pour introduire le quinquennat lors du référendum du 24 septembre 2000.
      2. Congrès : Le Président peut convoquer le Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis à Versailles) pour voter sur le texte. La révision est alors adoptée si elle obtient une majorité des 3/5 des suffrages exprimés. Cette option a été privilégiée pour la majorité des révisions constitutionnelles.

 

Section 2. Une fréquence d’utilisation accélérée depuis 1992.

Depuis la promulgation de la Constitution de la Ve République en 1958, celle-ci a fait l’objet de 25 révisions jusqu’en mars 2024. Entre 1958 et 1991, seules cinq révisions ont été adoptées, reflétant une période de relative stabilité constitutionnelle. Cependant, de 1992 à 2024, le rythme s’est accéléré avec 20 révisions supplémentaires, soit une moyenne d’environ une révision tous les 1,6 ans. voir le site du Conseil constitutionnel

Cette intensification des révisions constitutionnelles depuis 1992 s’explique principalement par deux facteurs :

  1. Mise en conformité avec le droit international et européen : L’intégration européenne et les engagements internationaux ont nécessité l’adaptation de la Constitution française pour permettre la ratification de traités majeurs et l’harmonisation avec les normes supranationales. Par exemple, la révision du 25 juin 1992 a permis la ratification du traité de Maastricht, et celle du 1ᵉʳ mars 2005 a intégré la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité.

  2. Modernisation de la vie politique et approfondissement de l’État de droit : Des réformes ont été entreprises pour améliorer le fonctionnement des institutions démocratiques, renforcer la séparation des pouvoirs et garantir les droits fondamentaux. La révision du 23 juillet 2008, par exemple, a introduit la question prioritaire de constitutionnalité, offrant aux citoyens un nouveau moyen de contester la constitutionnalité des lois. voir la fiche du Conseil constitutionnel

 

&1. La mise en conformité de la constitution avec le droit international et européen.

L’article 54 de la Constitution prévoit un mécanisme permettant de vérifier la conformité des engagements internationaux avec la Constitution française. Avant la ratification d’un traité, le Conseil constitutionnel peut être saisi pour évaluer cette conformité. Si le Conseil constate une contrariété entre le traité et la Constitution, la ratification ne peut avoir lieu qu’après une révision constitutionnelle. Ce processus n’est pas obligatoire, mais sans révision, le traité ne peut être ratifié. Ce mécanisme a été activé à plusieurs reprises depuis 1958.

  1. 26 juin 1992 : Traité de Maastricht

    • Contexte : Le traité de Maastricht, créant l’Union européenne (UE), contenait des dispositions sur la citoyenneté européenne et les transferts de compétences à l’UE, jugées contraires à la Constitution.
    • Solution : Une révision constitutionnelle a été adoptée par référendum, ajoutant notamment des dispositions sur la citoyenneté européenne (titre XV).
  2. 25 janvier 1993 : Convention de Schengen sur le droit d’asile

    • Contexte : La Convention de Schengen, portant sur la libre circulation et le droit d’asile, soulevait des interrogations sur la souveraineté nationale.
    • Particularité : Bien que le Conseil constitutionnel ait donné un avis préalable favorable en août 1992, une révision constitutionnelle a été imposée pour dissiper les doutes et permettre la ratification.
  3. 25 janvier 1999 : Traité d’Amsterdam

    • Contexte : Ce traité renforçait les compétences de l’UE en matière de justice, d’affaires intérieures et de droits fondamentaux. Certains articles étaient jugés incompatibles avec la Constitution.
    • Solution : Une révision constitutionnelle a permis d’adopter le traité.
  4. 8 juillet 1999 : Traité de Rome sur la Cour pénale internationale (CPI)

    • Contexte : La création de la Cour pénale internationale (CPI) soulevait une contradiction avec l’irresponsabilité présidentielle inscrite dans la Constitution.
    • Solution : La révision a précisé que l’irresponsabilité présidentielle ne s’applique pas en cas de poursuites devant la CPI.
  5. 25 mars 2003 : Mandat d’arrêt européen

    • Contexte : L’instauration du mandat d’arrêt européen impliquait des transferts de souveraineté en matière judiciaire.
    • Solution : Une révision constitutionnelle a été adoptée pour permettre l’exécution des mandats d’arrêt européens dans le cadre de l’UE.
  6. 1er mars 2005 : Traité établissant une Constitution pour l’Europe

    • Contexte : Le traité visant à créer une Constitution pour l’Europe nécessitait des ajustements constitutionnels.
    • Particularité : Après la révision, le traité a été soumis à référendum le 29 mai 2005 et rejeté par les Français.
  7. 4 février 2008 : Traité de Lisbonne

    • Contexte : Le traité de Lisbonne, reprenant à 95 % les dispositions de la Constitution européenne rejetée en 2005, nécessitait une mise en conformité de la Constitution.
    • Solution : Une révision constitutionnelle a été adoptée avant la ratification parlementaire du traité.

 

&2. La modernisation de la vie politique et l’approfondissement de l’état de droit.

 

Depuis 1958, la Constitution française a été révisée à plusieurs reprises pour moderniser la vie politique et approfondir l’État de droit. Voici les principales révisions :

  • 29 octobre 1974 : Extension de la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou sénateurs, renforçant ainsi le contrôle de constitutionnalité.

  • Juillet 1993 :

    • Création de la Cour de justice de la République, compétente pour juger les membres du gouvernement pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions.
    • Réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour renforcer son indépendance.
  • 4 août 1995 :

    • Élargissement du champ du référendum de l’article 11 pour inclure des réformes économiques et sociales.
    • Instauration d’une session parlementaire unique pour une meilleure organisation des travaux législatifs.
  • 8 juillet 1999 :Inscription dans la Constitution du principe de parité, garantissant l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives et mandats électoraux.

  • 2 octobre 2000 : Introduction du quinquennat présidentiel pour aligner la durée du mandat présidentiel avec celle des législatives.

  • 28 mars 2003 : Renforcement de la décentralisation avec l’inscription de l’autonomie financière des collectivités territoriales et la possibilité pour celles-ci d’organiser des référendums locaux.

  • 1er mars 2005 :Intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité, reconnaissant le droit à un environnement sain et le principe de précaution.

  • 23 février 2007 : Réformes multiples :

    • Statut pénal du Président de la République, précisant son immunité pendant l’exercice de ses fonctions.
    • Abolition de la peine de mort, désormais explicitement inscrite dans la Constitution.
    • Dispositions spécifiques pour le gel électoral en Nouvelle-Calédonie.
  • 23 juillet 2008 : Révision d’envergure modifiant ou ajoutant 39 articles, visant à rééquilibrer les pouvoirs entre le Président de la République et le Parlement :

      • Instauration de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), permettant à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une loi.
      • Limitation à deux mandats consécutifs pour le Président de la République.
      • Renforcement des pouvoirs du Parlement, notamment en matière d’ordre du jour et de contrôle de l’exécutif.
  • 23 juillet 2015 : Révision constitutionnelle concernant la Nouvelle-Calédonie, précisant les modalités d’organisation des consultations d’autodétermination.

  • 8 juillet 2018 (annonce mais non aboutie) : Le président Emmanuel Macron propose une révision constitutionnelle ambitieuse visant à réduire le nombre de parlementaires, introduire une dose de proportionnelle aux législatives et limiter le cumul des mandats dans le temps. Ce projet est bloqué par la crise des Gilets jaunes et les tensions parlementaires.

  • 2021 : Projet de révision pour inscrire dans l’article 1er de la Constitution la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Cette proposition, issue de la Convention citoyenne pour le climat, n’a pas obtenu l’aval nécessaire au Congrès.

Synthèse des méthodes de révision

  • Congrès de Versailles : Tous les présidents de la Ve République ont privilégié cette méthode pour obtenir les 3/5 des suffrages des parlementaires réunis en Congrès.

  • Référendum : Utilisé une seule fois, par Jacques Chirac, pour l’adoption de la réforme sur le quinquennat en 2000.

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