De la critique à l’universalisme des Droits de l’Homme

Les Droits de l’Homme : Entre contestations, crises et évolutions

Les Droits de l’Homme, proclamés pour la première fois au XVIIIᵉ siècle, se sont considérablement enrichis au fil des siècles. Initialement abstraits et critiqués pour leur caractère illimité, ils ont traversé plusieurs crises historiques et idéologiques, donnant lieu à des vagues successives de constitutionnalisation. Les critiques traditionalistes et socialistes des droits initiaux n’ont pas empêché leur renforcement, notamment après les grandes guerres et les conflits économiques. Par ailleurs, de nouvelles générations de droits ont émergé au XXᵉ siècle, intégrant des dimensions économiques, sociales et environnementales. Aujourd’hui, ces droits dépassent le cadre national pour s’étendre à un universalisme parfois contesté, particulièrement en Asie et dans le monde musulman. Entre aspirations à l’universalité et résistances culturelles, les Droits de l’Homme continuent d’évoluer pour répondre aux besoins contemporains.

SECTION 1 : Émergence et contestation des droits proclamés

1) les droits de l’Homme face aux crises et aux contestations

Chaque grande crise des droits de l’Homme a été suivie d’une vague de constitutionnalisation de ces droits.

A- Critique des traditionalistes

En 1790, Edmund Burke publie Réflexions sur la Révolution de France, première œuvre critiquant les droits de l’Homme, jugés trop abstraits, illimités et donc irréels. Selon lui, l’individu concret pourrait croire qu’il possède tous les droits, ce qui est illusoire.

En 2018, deux philosophes ont publié des ouvrages critiquant la place et le rôle des droits de l’homme dans les sociétés modernes. Le néologisme « droit-de-l’hommisme » est désormais utilisé pour décrire une attitude perçue comme naïve et prétentieuse envers les droits de l’homme. Revue DLF

B- Critique socialiste

La critique socialiste reprend celle des traditionalistes, affirmant que les droits de l’Homme ne peuvent être mis en œuvre que par ceux disposant des moyens nécessaires, c’est-à-dire la bourgeoisie. En 1844, Karl Marx, dans La Question juive, distingue les droits de l’Homme de ceux du citoyen, y voyant une preuve de l’aliénation profonde des êtres humains dans les sociétés capitalistes. Pour lui, seule une révolution socialiste pourrait remédier à cette situation. Cependant, ces critiques ont été suivies de vagues de constitutionnalisation, notamment avec les grandes proclamations de 1848 et les mouvements sociaux et politiques qui ont émergé.

C- Troisième crise

Autour de 1930, une crise profonde, liée à la grande dépression économique, sociale et politique suivant la Première Guerre mondiale, a favorisé l’émergence de dictatures (Mussolini, Franco) qui dénonçaient les droits de l’Homme. L’individu n’existait que pour le groupe auquel il appartenait, souvent malgré lui. Pourtant, une vague de constitutionnalisation a suivi la Seconde Guerre mondiale, avec la Constitution de 1946 en France et dans d’autres pays où les démocraties ont prévalu.

D- Quatrième crise

L’affrontement Est-Ouest durant la guerre froide a conduit à des limitations des droits pour contrer l’influence soviétique. De même, les mouvements de décolonisation en Europe ont entraîné des négations des libertés fondamentales, tant dans les territoires coloniaux que dans les métropoles. Par exemple, en France, la guerre d’Algérie a conduit à des atteintes aux libertés. Les révolutions technologiques ont également compliqué la préservation des droits de l’Homme. Cependant, ces crises ont été suivies de mouvements de constitutionnalisation et d’un retour aux droits de l’Homme. Dans les années 1980, plusieurs ralliements notables ont eu lieu :

  • L’Église catholique : Jean-Paul II est apparu comme un défenseur des droits de l’Homme, fondant sa position sur le respect de la dignité de la personne, créée à l’image de Dieu. Cependant, des divergences subsistent avec les libéraux, notamment sur des sujets comme le statut du fœtus.

  • Les socialistes démocrates : Après avoir critiqué le caractère bourgeois des droits de l’Homme, ils ont intégré certaines réformes sociales en faveur de ces droits.

  • Les partis communistes : Ils sont devenus soudainement compatibles avec les droits de l’Homme.

Aujourd’hui, les contestations des droits de l’Homme sont moins fréquentes, bien que leur mise en œuvre varie. Cependant, des événements tels que les attentats du 11 septembre 2001 ont ravivé certaines remises en question.

En 2024, des discussions ont émergé sur la manière dont l’Islam appréhende les droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté de conscience et de religion. Des réticences persistent dans certains pays musulmans quant à l’application de ces droits, illustrant les défis auxquels l’universalisation des droits de l’homme est confrontée. Justice Paix

2) Les Droits de l’homme complétés

Les caractéristiques des droits de l’Homme sont restées inchangées jusqu’au début du XXᵉ siècle, avec peut-être une attention accrue pour les droits sociaux, comme l’éducation. C’est après la Seconde Guerre mondiale que les droits de la première génération ont été complétés par ceux de la deuxième génération, à caractère économique et social.

La Constitution française de 1946 intègre une déclaration des droits et libertés, ajoutant des droits tels que le droit à l’enseignement et des droits à consonance sociale, reconnaissant également le rôle de la famille. D’autres constitutions, comme celle de l’Italie en 1947, reflètent cet état d’esprit, bien que la Loi fondamentale allemande de 1949 en contienne moins. En France, le préambule de la Constitution de 1958 renvoie à la Déclaration de 1789 et au préambule de 1946, montrant que les droits de la deuxième génération s’ajoutent à ceux de la première. Cette évolution a conduit à une relativisation du droit de propriété.

La Constitution italienne reconnaît des droits individuels, auxquels s’ajoutent des droits de l’individu vivant en société. On s’est interrogé sur la création de droits de la troisième, voire de la quatrième génération, incluant :

  • Droits sociaux précis : Droit à un niveau de vie décent, droit au logement.

  • Droits de solidarité mondiale : Droit à l’environnement, droit à la sécurité.

  • Droits plus flous : Droit au loisir, droit à l’information, droit à l’épanouissement personnel.

Ces droits de la troisième génération ont un caractère juridique plus flou que les deux premières générations, bien qu’ils expriment des aspirations légitimes.

Le 25 juin 2003, le Conseil des ministres a adopté un projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, visant à compléter le préambule de la Constitution de 1958. Ce texte prend en compte les conférences internationales sur l’environnement et proclame des droits subjectifs et objectifs, ainsi que des principes et objectifs. Les titulaires de ces droits varient de l’individu à l’humanité, et des devoirs accompagnent ces droits. Ce projet a suscité des réserves, certains craignant qu’il ne fige

SECTION 2 : Les proclamations au-delà des frontières étatiques

1) Le dépassement du cadre étatique

Le premier grand dépassement du cadre étatique s’est matérialisé par l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) le 10 décembre 1948 par les Nations Unies. Cette déclaration a eu un retentissement politique et moral immense, symbolisant le cri de « plus jamais ça » après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’inscrit dans la lignée directe de la Déclaration de 1789, se référant à la dignité inhérente à toute personne humaine, détentrice de droits égaux et inviolables, reflétant ainsi une vision héritée du XVIIIᵉ siècle.

Pour rallier les courants socialistes, la DUDH est présentée comme un idéal commun à atteindre par des mesures progressives, intégrant ainsi une perspective marxiste. Afin de ne pas froisser les États soviétiques, certains droits, tels que le droit de grève, sont omis, et le droit de propriété est reconnu individuellement ou collectivement, introduisant une certaine ambiguïté philosophique qui constitue sa faiblesse.

L’adoption de la DUDH a été largement consensuelle, sans opposition, mais avec des abstentions notables de la part des États socialistes, de l’Afrique du Sud et de l’Arabie saoudite. Bien que dépourvue de valeur juridique contraignante, elle a été complétée par des conventions internationales, un processus qui s’est avéré lent. Des efforts régionaux ont été entrepris, aboutissant à des instruments tels que la Convention européenne des droits de l’Homme, la Convention américaine des droits de l’Homme et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Ces modèles régionaux reposent sur une organisation régionale, une convention et une cour dédiées. Aujourd’hui, ces conventions régionales se révèlent plus efficaces, sans pour autant remettre en cause les droits de l’Homme au niveau mondial.

La Déclaration universelle des droits de l’homme est parfois mise en cause, car jugée comme un pur produit des Occidentaux. Les droits humains sont régulièrement violés et critiqués, et leur universalité est remise en question. RTS

2) L’universalisme des Droits de l’homme

Dans les régions dépourvues de conventions régionales des droits de l’Homme, notamment en Asie et dans le monde musulman, l’absence d’autorité régulatrice complique l’interprétation des textes sacrés en matière de droits humains. Il est délicat de déterminer comment l’Islam appréhende ces droits, bien qu’aucun obstacle majeur ne semble présent dans le Coran concernant des droits tels que la liberté, l’égalité ou la propriété.

Cependant, certains considèrent les droits de l’Homme comme une imposition des civilisations occidentales, tandis que d’autres les jugent contraires à leur interprétation du Coran. Le respect des droits de l’Homme suppose une distinction entre le temporel et le spirituel, une séparation souvent inexistante dans les pays musulmans.

La question du statut des femmes illustre ces tensions. Bien que le principe d’égalité entre hommes et femmes soit universellement reconnu, des disparités subsistent dans le monde musulman. Par exemple, un homme peut épouser une non-musulmane, mais l’inverse est généralement interdit. Les enfants issus de ces unions sont automatiquement considérés comme musulmans, limitant leur liberté religieuse.

La liberté de conscience et de religion, proclamée dans tous les documents internationaux, englobe le droit d’avoir ou non une religion, de choisir ou de changer de croyance. Dans certains pays musulmans, des réticences persistent. En Arabie saoudite, par exemple, seul le culte musulman est autorisé, les autres religions étant interdites. La conversion depuis l’islam y est sévèrement sanctionnée, pouvant aller jusqu’à la peine de mort.

En Asie, l’absence de convention régionale, hormis en Inde, complique la situation. Certains pays s’opposent à la pratique de religions autres que la leur. En Chine, les droits de l’Homme ne sont pas rejetés en tant que tels, mais les autorités estiment que le développement économique et social doit primer. Toutefois, une partie de la population revendique ces droits fondamentaux.

En résumé, l’universalisation des droits de l’Homme se heurte à des défis culturels, religieux et politiques, nécessitant une adaptation et une interprétation contextuelles pour une application effective au-delà des frontières étatiques.

Laisser un commentaire