Le droit de propriété

LE DROIT DE PROPRIÉTÉ (en droit public économique)

 

C’est le fondement même du régime d’économie libérale. Ce droit permet l’existence même du marché. De ce droit, procède celui de la liberté du commerce et de l’industrie. C’est dans le code civil qu’on a la définition suivante : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements » (article 534). La reconnaissance de la propriété privée associée au principe de la liberté d’entreprendre permet de distinguer une société de type libérale d’une société de type collectiviste où il y a une appropriation collective des biens de production. Ainsi, dans l’ex URSS, ces moyens de production étaient susceptibles d’appropriation privée car ils étaient considérés comme des moyens d’exploitation d’autrui. Le marché, où se confrontent l’offre et la demande, n’existait pas dans ce type d’économie. L’économie était régie par la planification, le plan était impératif.

Le droit de propriété privé est le fondement même de l’économie libérale. La planification, prévue dans les régimes n’ayant pas une économie libérale, prévoyait la quantité à produire par les entreprises. Le plan devait être révise selon les besoins et ressources des personnes. Il n’y a donc pas d’échange sur un marché avec un produit ayant un prix en fonction de la rencontre de l’offre et de la demande. Dans ces pays, l’économie survit en raison de l’économie souterraine car les personnes produisent elles même et échangent entre elles. Cela permet aux gens de subvenir à leurs besoins. La catastrophe économique a provoqué la chute de l’URSS. Le pays décide alors de s’ouvrir.

 

En France, c’est avec la DDHC de 1789 que ce droit de propriété privé a été proclamé comme l’un des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Le droit de propriété a été constamment reconnu et garantie par les constitutions postérieures, réserve faites de celle de 1848 qui sans le rappeler ne le remet pas en cause. Les constitutions de 1946 et 1958 vont directement renvoyer à la DDHC par le biais de leur préambule. Cependant, malgré l’affirmation dans la DDHC de son caractère absolu, le droit de propriété a connu de nombreuses limitations. La première atteinte est l’article 545 du code de procédure civile qui prévoit que personne ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique. D’autres domaines sont venus atteindre le droit de propriété dans ses droits composantes : usus, fructus et abusus.

Toutes ces considérations d’intérêt général sont au cœur du droit public économique. C’est lorsque l’on veut user de son droit de propriété que l’on s’aperçoit qu’il est limité.

 

Le problème de savoir quelle place tenait réellement le droit de propriété a fait l’objet de nombreuses controverses jusque les décisions du Conseil constitutionnel qui après la décision du 16 juillet 1971 a reconnu la DDHC comme ayant valeur constitutionnelle. La DDHC complétée en 1946 n’est pas si claire qu’il n’y parait. En effet, les principes de 1789 sont d’inspiration très libérale alors que les principes particulièrement nécessaires en notre temps de 1946 sont des droits qualifiés de droit économiques et sociaux qui portent implicitement atteinte au droit de propriété. Le problème était donc de concilier ces droits, dont l’article 2 de la DDHC reconnaissant valeur constitutionnelle au droit de propriété avec l’article 17 prévoyant que la propriété étant un droit inviolable et sacré nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. Cette conciliation du droit de propriété doit aussi se concilier avec le préambule de 1946 prévoyant que tout bien ayant ou acquérant les traits d’un service public national ou d’un monopole fait doit devenir la propriété de la collectivité.

 

Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 janvier 1982 a affirmé que les principes même énoncés par la DDHC ont pleine valeur constitutionnelle, tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mit au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression tant qu’en ce qui concerne les garanties accordées aux titulaires de ce droit. La décision de 1982 met don fin au doute sur la valeur constitutionnelle du droit de propriété. Une autre décision du 25 juillet 1989 réaffirme la valeur constitutionnelle du droit de propriété en supprimant l’adjectif « pleine ».

 

Pour ce qui est du droit européen, on notera que l’article 345 du TFUE disposer que les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les Etats membres. Cela signifie que le droit européen ne s’occupe pas du droit de propriété.

Certaines limites peuvent cependant être apportées au droit de propriété. Dans une décision du 13 décembre 1985, le Conseil constitutionnel précise que le droit de propriété subit une atteinte lorsque la limite imposée par les pouvoirs publics touche le propriétaire dans sa personne. Le Conseil décide en effet qu’il en serait autrement si la sujétion ainsi imposée devait aboutir à vide de son contenu le droit de propriété ou pas affectant simplement l’immeuble mais la personne de ses occupants elle devait constituer une entrave à l’exercice des droits et la liberté constitutionnellement garantie.

On est donc loin du droit de propriété comme droit inviolable et sacré. On peut toucher au droit de propriété tant qu’on ne touche pas directement la personne. De manière générale, les personnes ne sont plus autant attachées à la propriétaire. Les personnes pèsent le pour et le contre avant de devenir propriétaire. Par exemple, dans le cas d’un appartement, les personnes cherchent à savoir s’il est préférable d’être locataire ou propriétaire. Avant, les personnes voulaient systématiquement devenir propriétaires. On est aujourd’hui sur un plan de bascule. Qu’on le veuille ou non, cela relativise le droit de propriété. On considère aussi que plus on est éloigné du bien, moins on est propriétaire.

Dans cette même décision, le Conseil précise qu’on peut instituer une servitude sans indemnisation. Le Conseil déclare en effet qu’aucune règle constitutionnelle n’impose au législateur de prévoir une indemnisation en cas de limitation de la propriété. Cette conception a fait dire à certains auteurs qu’il n’y avait plus de droit de propriété mais un droit à la propriété. Dans sa décision du 15 janvier 1992, le Conseil considère que le droit pour le propriétaire d’une marque de fabrique, de commerce ou de services d’utiliser celle ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France entre dans le champ d’application des articles 2 et 17 de la DDHC. Il y a là un champ nouveau pour le droit de propriété.

L’accord sur le droit de propriété intellectuelle renvoie à des conventions internationales sur le droit de propriété. Il tend à faire respecter le droit de propriété intellectuel qui est le droit des brevets, droits d’auteur ou tout ce qui concerne les licences accordées en matière de fabrication. Il s’agit de reproduire des biens sans vraiment avoir payé les droits. C’est notamment le cas dans le domaine de la musique. Cela existe aussi au niveau industriel, au niveau des dessins et des marques surtout. Dans ce cas, le droit de propriétaire n’est pas un droit inviolable et sacré. Il suffit notamment de regarder la chute des ventes de disques de musique.

Une autre décision peut nous éclairer sur la position du Conseil, celle du 8 janvier 1991, relative à la loi contre le tabagisme et l’alcoolisme. Le Conseil a préféré faire prévaloir le droit de la santé sur le droit de propriété. Ce qui fera dire au doyen Favoreux que le droit de propriété est une liberté fondamentale à protection constitutionnelle atténuée.

De tout cela résulte qu’il reste un noyau dur du droit de propriété qui ne peut être remis en cause. Les atteintes portées au droit de propriété ne peuvent être de la part du législateur sous le contrôle du Conseil constitutionnel lorsqu’il est saisi ou lorsque est posée une QPC. On remarque aussi que le législateur peut être soumis à d’autres règles que celles du Conseil. On pense notamment aux traités internationaux donc les accords de l’OMC et la CEDH.

Autre décision, celle du 20 janvier 1993, le Conseil considère que les documents des entreprises sont couverts par le droit de propriété et juge en conséquence que le pouvoir donné au service central de prévention de la corruption de retenir des originaux pendant un temps dont le terme n’est pas fixé par la loi porte une atteinte excessive au droit de propriété. Mais dans la même décision il déclare que si la limitation des activités d’achats d’espace publicitaires représente effectivement des contraintes pour la liberté d’entreprendre, elles sont justifiées par l’objectif général de transparence économique poursuivi par la loi et ne restreigne pas la liberté d’entreprendre des agents économiques au point d’en dénaturer la portée.

Pour ce qui est des garanties constitutionnelles du droit de propriété, elles sont définies par l’article 17 de la DDHC et reprises dans la décision de janvier 1982 du Conseil constitutionnel. En premier lieu, les privations de propriété ou les atteintes à ce droit ne peuvent être décidée que par le Parlement et au profit d’une autorité de l’Etat. Le Conseil a ainsi censuré une disposition législative prévoyant l’institution d’une servitude administrative sur des terrains privés par n établissement public Il admet cependant que l’administration ou les conseils municipaux puissent recevoir le pouvoir de décision à condition que le législateur ait déterminé les conditions de mise en œuvre des garanties, notamment du recours judiciaire des propriétaires. En second lieu, le parlement ne peut porter atteinte à la propriété privée que lorsque la nécessité publique l’exige évidemment. Le Conseil exerce un contrôle grâce à la notion d’erreur manifestation d’appréciation.

C’est donc un contrôle à minima car le Conseil en 1982 ne se prononce par sur l’opportunité de nationaliser tant qu’il n’y a pas d’atteinte au caractère libéral du régime économique. Les nationalisations de Mitterrand en 1982 n’ont pas été jugées comme un erreur par le Conseil. La seule limite que pose le Conseil est qu’il ne faut pas remettre en cause le caractère libéral du régime. Tant que cela est respecté, le parlement peut nationaliser à sa guise.

En plus de toutes les garanties tirées de l’article 17, le Conseil a ajouté la compétence de l’autorité judiciaire en matière de protection de la propriété immobilière. C’est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, conformément à la décision de 1982.

Le législateur doit prévoir ne indemnité juste et préalable à la personne expropriée. Elle est due qu’en cas de privation de propriété, expropriation et nationalisation et non dans les hypothèses dans lesquelles la loi intervient sur les conditions d’exercice du droit de propriété. L’article 17 de la DDHC n’implique nullement selon le Conseil que les lois ne puissent restreindre l’exercice du droit de propriété sans indemnisation corrélative. Ainsi, selon le Conseil, l’indemnisation prévue à l’article 17 n’a pas à s’appliquer lorsque la loi limite l’exerce du droit de propriété en donnant à l’administration le pouvoir de s’opposer à une division volontaire de propriété foncière en imposant aux actionnaires des restrictions à leurs droits de désigner les dirigeants de leur société au bénéfice et représentants élus des salariés. L’indemnisation doit être juste, caractère contrôle par le Conseil qui rentre dans le détail de la valeur d’échange des actions et peut donc sanctionner des sous estimations.

Pour indemniser les actionnaires en 1982, on a pris en compte les 6 derniers mois d’exercice. Cette évaluation est un problème. Il s’agit de la mécanique des flux financiers que le juriste maitrise assez mal.

L’indemnisation doit être aussi préalable, caractère apprécié avec souplesse par le Conseil car il l’estime satisfait dès lors qu’est versé au moment de l’échange une indemnisation suffisamment équivalente à un paiement en numéraire. Ainsi, la remise d’obligations aux actionnaires nationalisés en 1982 ou une simple provision, si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d’intérêt général, est suffisante.

Enfin, ces règles constitutionnelles sont aussi applicables aux règles de la privatisation. L’Etat, comme le propriétaire privé, a droit à une juste et préalable indemnité sur le fondement de l’article 17 de la DDHC, car, considère le Conseil constitutionnel, la protection de la propriété ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi à titre égal la propriété de l’Etat et des autres personnes publiques. Le Conseil n’interdit pas la constitution d’un droit réel durable sur le domaine public mais demande une contrepartie eu égard à la valeur réel du bien. Le Conseil vérifie que les entreprises n’ont pas été vendues au secteur privé en dessous de leur valeur réelle.

Le Conseil a censuré la disposition permettant un renouvellement d’un titre d’occupation après une période de 70 ans et selon une procédure où il n’y avait pas de perte définitive, cela au motif qu’il y avait une atteinte à la protection due à la propriété publique.

L’article 1 du protocole additionnel de la CEDH dit que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être dépourvu de sa propriété que pour utilité publique. C’est un principe général du droit communautaire (CJCE. 5 octobre 1994. RFA c/ Commission).