L’action publique : la décision du procureur de saisir une juridiction

La mise en mouvement des poursuites : la décision du procureur de saisir une juridiction

Le procureur de la république peut décider de saisir la juridiction de jugement ou d’instruction, déclenchant l’action publique. Parfois, cette possibilité apparaît comme un devoir du ministère public. Ce devoir est exceptionnel. Ce choix de mettre en mouvement l’action publique est définitif. Il ne peut pas se raviser une fois qu’il a saisi la juridiction de jugement. On a ainsi des cas où le parquet doit mettre en mouvement l’action publique et il y a des cas où il a le choix. Une fois ce choix fait, il ne peut pas se raviser, comme dans le cas de la composition pénale.

À cela s’ajoute que parfois, si le parquet estime que l’infraction en est vraiment une et qu’il s’agit d’un crime, il devra saisir une juridiction d’instruction en déclenchant l’action publique car l’instruction est obligatoire en matière criminelle. L’auteur d’un crime ne peut pas comparaître directement devant une juridiction de jugement.

Dans tous les cas de mise en mouvement de l’action publique, cela passe par un acte de procédure par lequel on va saisir la juridiction. Cet acte ne met en mouvement l’action publique que s’il est régulier.

  • 1. La saisine d’une juridiction d’instruction

Lorsque le procureur, parce qu’il a pris la décision de poursuivre, saisit une juridiction d’instruction, il doit le faire par un « réquisitoire introductif d’instance ». Il est visé par l’article 80 du Code de Procédure Pénale. Ce réquisitoire doit être daté, mention importante pour la prescriptionde l’action publique, il doit aussi être signé. À défaut, le réquisitoire est nul et n’a aucun effet. On parle aussi de réquisitoire à fin d’informer ou de soin d’informer.

On a deux grands types de réquisitoires selon la personne visée. On demande au juge d’instruction d’instruire contre toute personne que l’affaire peut connaître : c’est un « réquisitoire contre X » – hypothèse la plus courante. On peut aussi avoir un réquisitoire qui désigne une ou plusieurs personnes de façon nominative (auteur, coauteur ou complice). Il faut que le réquisitoire précise les faits dont le juge va être saisi. Assez souvent en pratique, le réquisitoire renvoie à des documents annexés, à des pièces jointes comme les procès-verbaux de l’enquête.

En pratique, le réquisitoire introductif d’instance qualifie les faits (vol, escroquerie…), alors même que la loi ne l’impose pas sauf en matière de presse. Si ces faits n’ont donc pas besoin d’être juridiquement qualifiés, il faut en revanche qu’ils soient très précis. C’est la raison pour laquelle le réquisitoire doit être le plus précis possible puisqu’ils vont déterminer l’étendue de la saisine in rem du juge.

C’est la raison pour laquelle si, au cours du déroulement de l’instruction, le juge fait apparaître des faits différents, il n’en est pas saisi et il ne peut pas s’en saisir. En conséquence, si l’on découvre des objets qui révèlent des faits différents de ceux que le juge poursuit, le juge d’instruction devra informer de la découverte de ces faits (pour lesquels le principe de l’opportunité des poursuites va reprendre son empire) le procureur, qui reprendra son office et pourra choisir de les poursuivre ou non. Il peut ainsi prendre un réquisitoire supplétif, par lequel il étend la saisine du juge d’instruction à ces faitsnouveaux.

La jurisprudence autorise le juge d’instruction, au nom de l’urgence, d’effectuer sans attendre la décision du procureur certains actes, dès lors qu’ils ne sont pas coercitifs, ne passant pas par l’exercice d’une contrainte. Par exemple, le juge peut saisir immédiatement les preuves correspondant à ces faits nouveaux.

  • 2. La saisine d’une juridiction de jugement

L’autre moyen pour le procureur de déclencher les poursuites, est de saisir tout de suite une juridiction de jugement. C’est le circuit court. Cela suppose que le procureur ait le pouvoir de le faire, a fortiori que l’instruction ne soit pas obligatoire.

Les procédés pour déclencher l’action publique directement devant une juridiction de jugement sont multiples. On a donc un contraste entre l’instruction et le jugement. On trouve la citation directe, l’avertissement, des procédures de jugement rapide comme la convocation par procès -verbal et la comparution immédiate. On trouve enfin une procédure particulière de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. L’acte procédural qui déclenche cette procédure étant une requête en homologation.

  1. La citation directe

C’est une assignation à comparaître, à l’adresse du prévenu. Elle est faite par huissier, selon l’article 550 du Code de Procédure Pénale. Cette assignation à comparaître doit être portée directement à la connaissance de l’intéressé, selon le principe de la signification à personne.

La citation énonce le fait poursuivi, elle le qualifie en indiquant le texte applicable. On y indique le tribunal saisi, le lieu, la date et l’heure de l’audience. Un certain délai doit être respecté entre le jour de délivrance de la citation et l’audience, pour permettre à l’intéressé de préparer sa défense. Il est au moins de 10 jours. À défaut, la citation est nulle sauf si au jour de l’audience en question, bien que trop précoce, le prévenu se présente devant la juridiction, mais avec cette précision que si l’intéressé le demande, le renvoi à une audience ultérieure est obligatoire.

Le Code de Procédure Pénale prévoit une citation dite « convocation en justice » qui présente l’avantage de pouvoir être donnée à la connaissance de l’intéressé par un simple agent de police judiciaire ou par le chef de l’établissement pénitentiaire. Cette convocation équivaut à une citation à personne. C’est un moyen de se dispenser de la procédure plus lourde et plus onéreuse de la citation par huissier.

  1. L’avertissement

C’est encore un procédé qui permet de se dispenser d’une citation par huissier. L’avertissement :

  • est délivré par le parquet,
  • indique le délit poursuivi et le texte applicable,
  • entrainera la saisine de la juridiction à la condition que l’intéressé visé par cet avertissement comparaisse.
  1. La convocation par procès-verbal et la comparution immédiate

Il faut les étudier de paire car ces deux procédures sont très proches. Elles datent de 1983 et permettent toutes les deux un jugement rapide, une comparution accélérée del’intéressé devant une juridiction de jugement. C’est une procédure qui commence devant le procureur. Il faut supposer que la personne dont il s’agit a été déférée devant le procureur à l’issue d’une garde à vue. S’agissant de cette personne, le procureur estime qu’il est inutile d’ouvrir une instruction, car il y a dans le dossier de l’enquête policière tous les documents pour statuer.

Le procureur ne souhaite pas non plus une comparution directe, mais veut une réponse immédiate ou rapide à l’infraction. Il préfère alors les procédures de jugement rapide. Entre le moment où l’intéressé reçoit la convocation et est jugé, il est libre de ses faits et gestes, sa liberté est complète. C’est là une situation à laquelle le procureur peut répugner. Il aimerait donc que d’ici à la comparution destinée à intervenir rapidement, l’intéressé soit contrôlé dans ses déplacements ou soit placé en détention provisoire.

1) La convocation par PV

C’est une procédure par jugement rapide, organisée par l’article 394 du Code de Procédure Pénale. Lorsque le procureur choisit cette procédure, qui présuppose que l’intéressé est devant lui, il invite la personne déférée à comparaître devant un tribunal dans un délai qui peut être de 10 jours à deux mois maximum . Le procureur notifie à l’intéressé les faits, lui indique la juridiction, la date et l’heure de l’audience. L’avocat de l’intéressé est avisé de cette procédure et peut accéder au dossier.

S’agissant de la liberté de la personne quant à la comparution, le procureur a le choix entre deux solutions. Soit il considère que l’intéressé peut être laissé libre de déplacement, soit il peut considérer que le déplacement de l’intéressé doit être contrôlé. Si c’est le cas, il peut demander que l’intéressé, jusqu’à sa comparution, soit soumis à un contrôle judiciaire ou à une assignation à résidence. C’est un des intérêts de la procédure par rapport à une comparution directe.

Si le procureur veut obtenir cette restriction à la liberté, il va traduire l’intéressé devant le juge des libertés et de la détention. C’est à ce juge qu’il va demander un placement sous contrôle judiciaire jusqu’à la comparution devant la juridiction de jugement. C’est donc le juge des libertés et de la détention qui acceptera ou refusera.

2) La comparution immédiate

Elle est prévue à l’article 395 du Code de Procédure Pénale. Elle est l’héritière de la procédure de jugement en flagrant-délit qui a été supprimée en 1983 par la majorité politique de l’époque, pour être remplacée par l’équivalent dont seule la dénomination change. Cette procédure n’est possible que pour certains délits. Il s’agit des délits pour lesquels la peine d’emprisonnement prévue est au moins égale à deux ans (on ne fixe pas de maximum). Si l’infraction a été commise en situation de flagrance, la procédure de comparution immédiate est possible si la peine d’emprisonnement est d’au moins 6 mois.

Parfois, cette saisine immédiate n’est pas possible, et il faut remettre la comparution à plus tard avec la possibilité de placer le suspect en détention provisoire, cette décision étant toujours prise par le juge des libertés et de la détention. Il peut accepter un contrôle judiciaire ou s’il l’estime non justifiée, il peut prononcer un placement sous contrôle judiciaire ou en assignation à résidence.

  1. La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Elle fait suite à une requête en homologation et se retrouve aux articles 495-7 et suivants. La procédure a été créée en 2004. C’est une procédure de jugement particulière pourcertains délits punis d’une peine d’amende ou encore pour les délits qui exposent à un emprisonnement inférieur ou égal à 5 ans. Ce sont donc les conditions de la composition pénale, malgré le fait que les deux procédures soient opposées. Pendant la composition pénale, l’action publique n’est pas déclenchée, contrairement au cas de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Cette procédure suppose une initiative en ce sens du procureur de la république, mais peut aussi être réclamée par le prévenu car cela présente pour lui des avantages. Elle suppose que l’intéressé a reconnu les faits qu’on lui reproche. C’est donc une procédure qui repose sur un aveu de culpabilité. Cet aveu doit être formulé obligatoirement en présence d’un avocat. Fort de cet aveu, le procureur qui a pris la décision de poursuivre, va proposer à celui qui vient d’avouer, d’exécuter une ou plusieurs peines principales ou complémentaires prévues par la loi pour les faits considérés.

S’agissant de l’emprisonnement, la peine proposée par le procureur doit nécessairement être d’une durée minorée par rapport au maximum prévu par la loi : la peine doit nécessairement être au maximum la moitié de la peine encourue et ne peut excéder un an. Il n’y a pas de minoration prévue pour l’amende même si cela a lieu dans les faits. Dans les deux cas, le procureur peut assister la proposition d’un sursis.

Cette proposition doit être faite à l’intéressé en présence d’un avocat qui peut s’entretenir avec son client. C’est à l’issue de cet entretien avec l’avocat que l’intéressé acceptera ou refusera cette proposition. Il a, par souci du respect des droits de la défense, la possibilité de demander un délai de réflexion de 10 jours avec la possibilité, si le procureur de la république estime qu’il le faut, de saisir le juge des libertés et de la détention et de demander que l’individu soit placé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, ou assigné à résidence.

Si l’intéressé accepte la proposition qui lui est faite, il sera présenté au président du tribunal de grande instance, ou à un juge délégué du siège. Ce qui déclenche l’action publique est ce document appelé la « requête en homologation » par laquelle le procureur saisit le président du tribunal de grande instance ou son délégué. Le juge va entendre l’intéressé et son avocat au cours d’une audience publique, au terme de laquelle il pourra accepter cette proposition, ce qui, le cas échéant, aura pour effet d’homologuer la proposition. Il pourra aussi refuser d’homologuer. En pratique, les refus sont rares, car ceci est fait pour désengorger les juridictions ; et parce qu’entre le ministère public et la juridiction, on convient d’un barème de peines.

Si le magistrat homologue la proposition, cette décision d’homologation a les mêmes effets qu’un jugement de condamnation. En dépit du fait que ceci est intervenu avec l’accord de l’intéressé, un appel est possible. Si le président du tribunal de grande instance ou le délégué refuse l’homologation, on aura une ordonnance qui supposera que l’on réoriente l’affaire.

Cette procédure est donc révolutionnaire, car permet au parquet d’empiéter sur des fonctions juridictionnelles. Bien sûr, on peut sacrifier aux apparences le fait que le juge du siège accepte ou non l’homologation. En réalité, c’est comme si le ministère public prononçait la peine, ce qui marque un empiètement grave sur des fonctions dont il devrait être exclu.