Étendue de la propriété : la délimitation verticale de la propriété
L’article 552 alinéa 1 du Code civil consacre l’idée que le droit de propriété est verticalement illimité : il s’étend en hauteur (le dessus) et en profondeur (le dessous) à partir du sol. Toutefois, cette règle de principe est tempérée par de nombreuses restrictions légales, jurisprudentielles et pratiques qui en circonscrivent l’exercice.
- Le dessus : la maîtrise du volume aérien : Le propriétaire dispose d’un droit exclusif sur le volume situé à l’aplomb de sa parcelle. Ce droit s’exprime par des pouvoirs d’usage, de jouissance et de défense contre toute intrusion. Parmi les Prérogatives du propriétaire, on peut citer le droit de construire : En vertu de l’article L.112-1 du Code de l’urbanisme, le propriétaire peut édifier des constructions dans le respect des règles d’urbanisme.
- Le dessous : la maîtrise du sous-sol (tréfonds) : Le droit de propriété s’étend également en profondeur, conférant au propriétaire des droits exclusifs sur le sous-sol. Cependant, ces droits sont eux aussi encadrés. Parmi les préroragatives du propriétaire sur le sous-sol, on peut citer le droit de creuser et d’exploiter, le droit de plantation et la protection contre les intrusions
1) Le dessus (volume aérien)
Le propriétaire dispose d’un droit sur tout le volume aérien situé au-dessus de son terrain, sans limitation initiale.
Principe : un droit vertical illimité
- Il peut choisir de ne pas occuper ce volume.
- Droit de plantation ; Il peut l’occuper en édifiant des constructions ou en plantant des végétaux (articles L.112-1 du Code de l’urbanisme et 673 du Code civil). Le propriétaire peut planter des arbres ou arbustes sur son terrain, sous réserve du respect des distances légales prévues par les articles 671 à 673 du Code civil.
- Il peut défendre ce volume contre toute intrusion de tiers, sans avoir à prouver de préjudice. L’article 673 al. 2 du Code civil autorise le propriétaire à couper les racines qui s’étendent sur son tréfonds. Les intrusions non autorisées dans le sous-sol, telles que des installations ou des fouilles, peuvent être sanctionnées.
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Droit de creuser et d’exploiter : Le propriétaire peut réaliser des fouilles ou extraire des matériaux de son sous-sol (article 552 alinéa 3 du Code civil). Par exemple, il peut exploiter une carrière ou creuser une cave.
Illustrations jurisprudentielles et légales :
- Empiètement sur le volume aérien :
- Un propriétaire peut demander la suppression d’un empiètement, même minime, comme une avancée de toit dépassant sur son fonds (Cass. 3e civ., 25 janvier 1975).
- Il peut également s’opposer à tout passage de câbles ou fils au-dessus de son terrain (CA Aix-en-Provence, 13 juin 1969).
- Branches et racines des arbres voisins :
- Le propriétaire peut contraindre son voisin à couper les branches avançant sur son fonds (article 673 al. 1 du Code civil), un droit qui est imprescriptible (article 673 al. 3).
- Il peut également couper lui-même les racines qui empiètent sur son sol.
- Chute de fruits :
- Le propriétaire du fonds peut s’approprier les fruits tombés naturellement sur son terrain (article 673 al. 2 du Code civil).
Observations : la dissociation entre sol et volume aérien
La propriété du volume aérien peut être dissociée de celle du sol. Par exemple :
- Le droit de superficie : le propriétaire peut concéder à un tiers le droit d’occuper le volume aérien de son terrain pour y édifier des constructions ou plantations. Ce droit peut être temporaire (ex. : bail à construction, bail emphytéotique) ou permanent.
Limitations au droit sur le dessus
- Exigences environnementales :Les règles de protection du paysage ou des zones sensibles (exemple : littoral, montagnes) peuvent restreindre le droit de construire.
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Règles d’urbanisme :
- Les plans locaux d’urbanisme (PLU) imposent des limites en termes de hauteur, d’implantation ou de densité des constructions.
- Certaines zones protégées (littoraux, montagnes, monuments historiques) interdisent ou restreignent fortement les constructions.
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Servitudes d’utilité publique :
- Le propriétaire doit tolérer certaines servitudes légales, telles que le survol des avions (article L.113-1 du Code de l’aviation civile) ou le passage de câbles aériens.
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Jurisprudence sur l’image des biens :
- Le propriétaire ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de son bien, sauf s’il démontre un trouble anormal causé par l’exploitation commerciale de cette image (Cass. Ass. plén., 7 mai 2004, n° 02-10.450).
2) Le dessous (tréfonds)
Principe : un droit absolu sous réserve de restrictions
Le propriétaire du sol dispose également d’un droit exclusif sur le sous-sol :
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- Il peut réaliser des travaux de construction ou de fouille (exemple : creuser une cave ou un tunnel).
- Il peut s’approprier les produits extraits de ces fouilles, tels que le sable ou les pierres (article 552 al. 3 du Code civil).
Limitations au droit sur le tréfonds
- Restrictions administratives :
- Les activités d’extraction (ex. : carrières de sable) sont soumises à une autorisation administrative préalable.
- Certaines substances (comme les hydrocarbures ou les minerais) sont nationalisées depuis 1946 et appartiennent à l’État, même si elles se trouvent sur une propriété privée.
- Propriété distincte du sous-sol :
- Les mines, les gisements d’hydrocarbures ou autres ressources stratégiques sont souvent séparés de la propriété de surface.
- Ces ressources font l’objet de concessions accordées par l’État à des entreprises. Le propriétaire du sol peut percevoir une redevance tréfoncière en contrepartie de l’exploitation.
- Servitudes d’utilité publique :
- Le sous-sol peut être affecté par des servitudes pour le passage de câbles souterrains, de canalisations, ou pour des infrastructures comme des métros ou des tunnels routiers.
- Dans ces cas, le propriétaire est tenu de tolérer ces installations, moyennant une indemnisation si nécessaire.
- Expropriation partielle :
- L’État ou une collectivité publique peut procéder à une expropriation du sous-sol pour des projets d’intérêt général, comme la construction de réseaux de transport ou d’énergie.
Droits du propriétaire contre les intrusions
Le propriétaire peut également défendre son sous-sol contre des intrusions, qu’elles soient :
- Volontaires (exemple : des fouilles non autorisées par un tiers).
- Accidentelles (exemple : des racines d’arbres voisins envahissant son tréfonds).
- L’article 673 al. 2 du Code civil autorise le propriétaire à couper ces racines.
Observations : dissociation du sol et du sous-sol
- La propriété du tréfonds peut être dissociée par une convention ou par la prescription acquisitive.
- L’article 553 du Code civil précise que les seules preuves admissibles de droits distincts sur le sous-sol sont une convention expresse ou la prescription acquisitive (Cass. 3e civ., 12 juillet 2000, bull. n° 144).
Résumé : Le droit de propriété sur le dessus et le dessous, bien qu’exclusif en théorie, est aujourd’hui limité par les impératifs d’intérêt général, tels que les règles d’urbanisme, la préservation des ressources naturelles, et les servitudes d’utilité publique. Si le propriétaire conserve un monopole sur l’exploitation de son sol, ce monopole est largement encadré par des règles juridiques qui visent à concilier ses intérêts privés avec ceux de la collectivité.
3) Le régime des eaux
Le régime juridique des eaux repose sur une distinction entre les eaux qui n’ont pas un caractère courant et celles qui sont courantes, avec des implications spécifiques pour les droits de propriété et d’usage.
1. Les eaux qui n’ont pas un caractère courant
Ces eaux sont considérées comme un accessoire du terrain qu’elles recouvrent. Elles appartiennent au propriétaire du sol, conformément au principe de l’accession.
a) Les eaux pluviales et les puits
- L’article 641 alinéa 1 du Code civil dispose que le propriétaire d’un terrain peut user et disposer des eaux pluviales et des eaux des puits se trouvant sur sa propriété.
- Toutefois, si les eaux d’un étang résultent du barrage d’un cours d’eau, elles suivent le régime juridique du cours d’eau.
b) Les eaux des étangs
- Les étangs naturels appartiennent au propriétaire du terrain.
- En revanche, les étangs formés par la retenue d’un cours d’eau suivent le régime des eaux courantes.
2. Les eaux courantes
Les eaux courantes ne peuvent pas être enfermées dans les limites d’une propriété privée, ce qui les distingue fondamentalement des eaux stagnantes. Elles constituent une chose commune dont l’usage est en principe ouvert à tous, sous réserve des droits des propriétaires riverains et des obligations légales.
a) Les sources
- Régime général : L’eau d’une source appartient au propriétaire du fonds où elle émerge (article 642 du Code civil). Ce dernier peut l’utiliser à sa guise, y compris en l’épuisant ou en l’ouvrant à d’autres usages.
- Exception pour les cours d’eau : Si la source donne naissance à un véritable cours d’eau dès qu’elle quitte le fonds, le propriétaire n’en est plus qu’un usager parmi d’autres (article 643 du Code civil).
- Restrictions :
- Le propriétaire doit respecter les droits des propriétaires situés en aval, ainsi que ceux des collectivités locales qui peuvent avoir des usages établis sur la source (article 642 alinéas 2 et 3 du Code civil).
- En cas de besoin collectif (village, commune, hameau), le propriétaire ne peut priver la communauté de cette source.
b) Les cours d’eau
Les cours d’eau sont soumis à une réglementation particulière, qui distingue trois catégories :
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Les cours d’eau domaniaux
- Ce sont les cours d’eau classés dans le domaine public fluvial par décret.
- Ils appartiennent à l’État ou à d’autres collectivités publiques et relèvent du droit administratif.
- Les particuliers ne peuvent en acquérir la propriété.
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Les cours d’eau non domaniaux
- Ces cours d’eau relèvent du droit civil, bien qu’encadrés par des réglementations environnementales de plus en plus strictes.
- Ils peuvent être appropriés par les riverains, sous réserve de respecter les usages communs et les obligations légales.
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Les cours d’eau mixtes
- Cette catégorie concerne les cours d’eau dont le lit est privatif (cours d’eau non domaniaux) mais dont les eaux obéissent à un régime spécial, défini par décret.
- Les décrets établissant ce régime tiennent compte de l’utilité générale de ces eaux.
3. Les droits des riverains sur les cours d’eau non domaniaux
Les cours d’eau non domaniaux font l’objet d’un partage de droits entre les propriétaires riverains et le public.
a) Propriété privative du lit
- Les propriétaires riverains ont un droit de propriété privatif sur le lit du cours d’eau jusqu’au milieu du cours (article 644 et suivants du Code civil).
- Si le cours d’eau change de lit, les riverains peuvent occuper le terrain laissé vacant en vertu du droit d’alluvion (articles 99 et suivants du Code rural).
b) Droits d’usage des riverains
Les riverains disposent de droits spécifiques sur l’eau courante, sous réserve de respecter les obligations légales :
- Usages domestiques, agricoles ou industriels : Les riverains peuvent utiliser l’eau pour des besoins domestiques ou professionnels, à condition de la restituer à son cours ordinaire.
- Droit d’extraction : Ils peuvent extraire des matériaux comme le gravier ou le sable du lit du cours d’eau.
- Interdictions : Les riverains ne peuvent pas capter ou utiliser l’énergie des cours d’eau (énergie hydraulique), qui appartient au domaine public.
- Obligations de restitution : L’eau doit être restituée à la sortie du fonds dans son cours naturel, sans altération excessive de sa qualité ou de son débit.
c) Usage public
- Le public a un droit général d’usage sur les eaux courantes, mais ce droit est limité par l’accès aux berges, qui reste soumis au bon vouloir des propriétaires riverains.
4. Exemples jurisprudentiels
- Sources nécessaires aux collectivités : Si une source est jugée indispensable pour une collectivité (village, commune, etc.), les collectivités locales peuvent, par le biais d’une expropriation ou d’une autorisation administrative, en obtenir l’usage. Cela s’applique particulièrement dans les zones rurales où les ressources hydriques sont vitales.
- Protection environnementale des cours d’eau : Les lois environnementales ont renforcé les restrictions sur les cours d’eau, en particulier pour préserver leur qualité écologique. Les cours d’eau classés « réservoirs biologiques » ou « zones humides » font l’objet d’une protection accrue par le Code de l’environnement.
- Interdiction de l’appropriation des eaux domaniales : La jurisprudence a rappelé qu’aucun propriétaire privé ne peut revendiquer de droits exclusifs sur les cours d’eau domaniaux.
Conclusion : Le régime des eaux reflète un équilibre entre droits de propriété privés et intérêt général, notamment en ce qui concerne la préservation de la ressource en eau. Si les eaux stagnantes sont majoritairement attachées au droit de propriété du terrain qu’elles recouvrent, les eaux courantes demeurent en grande partie soumises à des régimes d’usage communs et publics, témoignant de leur rôle crucial dans les activités humaines et environnementales.