La naissance de la notion d’État dans la Rome antique

L’influence de Rome sur la notion d’Etat :

C’est un apport décisif, du point de vue du contenu des institutions, mais également du point de vue de la notion même de droit. On reconnait le principe de la volonté subjective, c’est-à-dire que le sujet de droit est une volonté propre en vertu de défendre ses droits. On a également hérité de Rome toutes les classifications juridiques essentielles. Notamment celle des biens, les choses appropriables, inappropriables. Parmi lesquelles des choses publiques, etc. Le droit romain va aussi théoriser le principe de recours à la force, pour le romain, la puissance juridique s’exprime par l’opération de mettre la main «manu caltum», saisir par la force. Le droit n’a aucune consistance, s’il ne peut pas être contraignant. D’ailleurs à Rome le symbole de la justice c’était l’épée et la lance. Lorsqu’on parle de lien de droit à Rome on en parle au sens propre, cela fait référence à la chaîne qui lie les individus. Ce sont des choses extrêmement pragmatiques. On retrouvera ces sources à travers le Corpus Civilis Juris, c’est grâce aux compilations de ce corpus (qui est la grande compilation faite par l’empereur Justinien de l’Empire Romain d’Orient) que les juristes postérieurs auront accès à la pensée romaine, et pourront redécouvrir des catégories politiques qui vont leur permettre de forger le concept d’Etat moderne. Concernant la forme, c’est grâce au droit romain que l’on a pu également classifier (droit civil, droit privé, etc.) les romains se sont appliqués à penser cette bipolarisation du droit, cette catégorisation.

Dès l’origine Rome n’a pas pu rester une cité, elle s’est agrandie et son pouvoir s’est considérablement étendu. On se demande si la transformation des institutions urbaines a pu être le cadre de la naissance du concept d’Etat. Chez les romains, on n’a pas de concept d’Etat au sens strict, on n’a pas le concept d’Etat moderne. Pour le romain, il y a d’abord une assimilation de l’Etat au peuple, ce qui est différent de la vision des juristes du 15e – 16e. Les citoyens tous ensembles forment l’Etat romain. Il y a une chose publique «Res Publica», mais il n’y a pas d’Etat au sens moderne qu’on lui connait. Ce droit romain, va paradoxalement servir à construire à la fin du Moyen-Âge, une forme d’organisation politique, qui sera sensiblement différente de celle du droit romain.

L’autre question importante, c’est la question théologique de la souveraineté, dans ces données culturelles qui sont à disposition des penseurs qui vont penser l’Etat moderne, on a la tradition hébraïque, grecque, mais aussi l’influence de la religion catholique. On se pose la question du lien divin et du pouvoir. A la fin de l’empire romain, une nouvelle question se pose, quelle est la place de Dieu dans la cité ? Le monothéisme acquiert une place importante, cette christianisation de l’empire romain est un mouvement assez étiré dans le temps, et on constate dans cet empire, une forte inégalité dans ce mouvement de christianisation, mais on voit dans le monde des zones assez fortement christianisées (Egypte, Moyen-Orient) et on a à la même époque des zones qui sont peu christianisés (comme la Gaulle). Dans l’Empire, cette diversité pose des problèmes, les chrétiens qui sont une minorité seront persécutés. La première question, c’est l’obéissance des chrétiens à César, la seconde question est la question de l’origine du pouvoir politique. Ce pouvoir se tient-il de Dieu ? C’est de ces débats à la fin de l’Empire Romain que naissent ces questions. Si l’on se réfère aux sources fondamentales du corpus chrétien, la réponse aux deux questions est assez ambiguë, elle peut prêter à des interprétations différentes. La première source invoquée est la réponse de Jésus dans Mathieu. Jésus selon Mathieu a été soumis à une question pernicieuse, et on lui demande s’il est permis ou non de payer un tribut à César. Jésus déclare « Rendez à César ce qui est à César, et rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». Il y a donc deux ordres distincts, l’ordre politique et l’ordre divin. Saint Paul demande aux chrétiens de se soumettre aux autorités, mais il déclare qu’il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu. A la fin de l’empire romain une polémique opposera un auteur anti-chrétien, Celse et un auteur pro-chrétien, Origène. Celse dénoncera les positions chrétiennes, et Origène écrira «Contre Celse».

Celse réfute l’enseignement des chrétiens, il va les accuser d’affaiblir politiquement l’empire, pour lui :

1er argument ; le monothéisme est destructeur de l’empire. Les chrétiens rejettent le polythéisme et donc rejettent les cultures qui existent au sein de cet empire et cet intransigeance ruine l’équilibre religieux de l’empire. Le problème politique que dénonce Celse c’est que jamais toutes ces cultures ne pourront s’accorder autour d’un Dieu unique. Cette idée est la ruine de l’empire.

Deuxième argument ; c’est que Celse va rappeler qu’il existait déjà par le passé une organisation politique fondée sur le monothéisme, c’était la théocratie d’Israël et ce monothéisme juif, comme le rappel Celse n’a pas permis de garantir l’unité politique et il a été détruit par les romains qui ont conquis la Judée, et pour Celse c’est un contre-exemple. Pour lui le monothéisme n’est pas forcément quelque chose qui va soutenir l’empire.

Troisième argument : Celse reproche aux chrétiens de ne pas être intégrés dans l’empire, ils refusent de servir l’empereur, refusent de se battre, etc. il n’est pas possible pour Celse d’envisager un pouvoir politique qui se fonderait sur une origine divine du pouvoir.

La question va connaitre un tournant majeur, avec l’avènement de l’Empereur Constantin il va se convertir au christianisme, et il va faire de cette volonté divine le fondement de son autorité. Il va développer un culte impérial chrétien, et ce rapport entre autorité politique et religion, va subsister jusqu’à la Révolution Française. A la suite de la chute de Rome, on pourra distinguer trois modèles classiques. Le modèle euzébien, le modèle chélasien, et le modèle conflictuel de la papauté et le l’empire romain germanique.

1) Le modèle euzébien

C’est le modèle politique de l’empire romain d’Orient, qui deviendra l’Empire Byzantin. Euzebe de Césarée est un chrétien réfugié en en Egypte, c’était un disciple d’Origène et il a été l’auteur d’une première histoire de l’Eglise, il deviendra le défenseur de l’empereur Constantin. Le modèle d’Euzèbe est celui d’un Dieu unique et le corollaire sur le plan politique de l’impérium (autorité de l’empereur) l’un sur la métaphysique et l’autre sur le plan politique. L’empereur est le représentant de Dieu sur Terre, jeu de miroir. Dans cette construction intellectuelle, le monothéisme devient un argument pour renforcer le pouvoir de l(empereur. Ils sont liés et peuvent s’auto-justifier l’un de l’autre.

L’empereur est le vicaire de Dieu sur Terre, en 325 Constantin va convoquer à Vicée, dans ce modèle l’empereur est un élu qui a également une autorité générale. En 380 le christianisme va devenir une religion officielle mais aussi le fondement de l’autorité. C’est pourquoi souvent à la fin on l’appelle Monarchie-Théocratique, dans la compilation de droit romain, on retrouve le message politique du modèle eusébien. C’est à travers ce prisme que sont compilées toutes les sources romaines. Dans le Corpus Juris Civilis, l’empereur sera qualifié comme « Gouvernant sous l’ordre de Dieu » les pouvoirs temporels et religieux. Les conflits religieux concernent désormais l’empire. C’est à cette période que toutes les grandes formules vont être crées et forgées. C’est à ce moment-là qu’on va s’en servir pour justifier un pouvoir qui dériverait de Dieu. A la fin de l’Empire ceux qui refusent de se soumettre, doivent s’attendre à une vengeance divine, mais surtout à être châtiés par l’empereur. On est dans la théorie d’une monarchie d’origine divine, et César absorbe les responsabilités spirituelles de l’Eglise et il occupe le pouvoir temporel. C’est l’origine du Césaro-papisme.

2) Le modèle gélasien

Après les chutes de l’empire romain d’occident, des royaumes sont apparus. Ces rois de tous ces petits royaumes, le sont toujours par la grâce de Dieu, et ils auront tendance à vouloir se faire reconnaitre par le Pape au nom de Dieu. Dans cette partie occidentale c’est l’espace de l’Eglise qui va l’emporter sur l’Empire qui a disparu, et à la chute de l’empire romain d’Occident c’est l’Eglise qui sera le pouvoir englobant, et non plus l’Empire. C’est le pape qui va reconnaitre à chacun de ces rois le statut de souverain. C’est lui qui va donner la légitimité royale d’origine divine. Le pape Léon 1er et le pape Gelas, ce dernier considère qu’il y a l’autorité sacrée des pontifes d’une part et le pouvoir royal d’autre part. Dans ce modèle, il y a deux pouvoirs qui sont séparés. Chaque pouvoir a sa propre sphère de compétence, même si chacun doit être reconnu par Dieu, on a un premier domaine qui va concerner les choses divines, et un second qui va concerner les choses plutôt politiques. On ne peut pas les mettre sur un même plan. D’une part le pouvoir temporel est autonome, qui constitue un ordre distinct de l’ordre religieux, mais ce pouvoir doit être soumis au pouvoir spirituel qui conserve toujours une primauté sur le temporal. On appelle cela à l’époque le gouvernement des âmes. Gelas dira qu’il faut toujours pour ces rois courber la tête devant les ministres des choses divines. Cette affirmation va emporter des conséquences en occident, c’est que les juristes vont considérer le pape comme celui qui est l’arbitre au de-là des rois. Le pape aura des armes, celle de l’excommunication et pour pouvoir trouver une trace d’autonomie de ces rois par rapport à la papauté, il faudra attendre le 12e – 13e siècle.

Les deux modèles, le modèle euzébien et gélasien vont se trouver confronter à travers le modèle du SERG et de la papauté. Il y a d’une part un projet qui nait de l’idée de rétablir l’unité de l’empire sous l’autorité d’un empereur temporaire sera notamment porté par la dynastie carolingienne, Charlemagne c’est la «rénovatio in peri». A côté de cela on a un autre projet concurrent, qui est le projet du Saint-Siège et de la papauté qui va considérer que l’empire romain se perpétue à travers la papauté, et que les empereurs auraient finalement transmis leur compétence à la papauté qui s’appelle la «translatio in peri». Cette situation va créer une situation de concurrence entre ces deux modèles, qui auront la même fin celle de créer une monarchie de type universaliste globalisante.

Au cours du 7e siècle, on va voir apparaitre de nouveau une figure d’empereur en Occident, face à l’empereur à Byzance, et c’est la dynastie Carolingienne qui va parvenir à reconstituer une autorité qui pourrait ressembler à une autorité impériale. Suite à de nombreux succès qui les rendent de facto maitre d’une bonne moitié de l’Europe, Charlemagne va créer le sigle «renovatio in peri» Charlemagne se considérera à la tête de l’Occident. Trois zones, qui ne vont pas subsister longtemps, et la Lotharingie sera absorbée par le Francia Orientalis. De cela apparaitre une nouvelle dynastie, la dynastie Ottonienne, qui va reprendre le projet de rénovatio in peri, et ira plus loin en voulant créer le SERG. Il s’agit de se faire l’équivalent de l’Eglise, les Ottoniens vont prétendre reconstituer l’Empire Romain et contrôler l’existence de tous les territoires en Europe occidentale. Cette prétention des Ottoniens, va s’inscrire dans une prétention universelle, et il s’inscrit dans une démarche proche de celle du modèle d’Euzébien, puisque certains empereurs vont se considérer comme les Césars de l’Europe. Le pape va trouver face à lui un concurrent et les juristes de la papauté vont essayer de trouver un contre modèle, la translatio in peri, en s’inspirant d’un document complètement faux qu’on appelle la « donation de Constantin ». Ce document énonce que Constantin aurait donné au Pape le gouvernement de Rome et de tout l’Occident, qui est censé être daté de 317, et dans ce document il y a cette formule «Il n’est pas bon que l’empereur terrestre exerce le pouvoir».

C’est dans ce contexte que vont apparaitre les premiers Etats, les premiers Etats vont tenter de s’émanciper de ces monarchies à prétentions universalistes. Les premiers prototypes de l’Etat vont toujours, s’organiser autour de la critique de cette domination soit de l’empire soit de l’Eglise. Pour ces Etats qui viennent de naître il s’agit de contester cette idéologie impérialiste.