LES RÈGLES DE COMPÉTENCE PRIVILÉGIÉES :LES ARTICLES 14 ET 15 DU CODE CIVIL
— Auparavant, ces articles avaient une importance considérable en droit international privé, puisqu’ils étaient les seuls à pouvoir fonder la compétence d’un juge français
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— Dès 1962, leur importance a commencé à décliner
— Aujourd’hui, ils n’ont qu’une utilité résiduelle : en effet, c’est seulement si aucune règle des articles 42 du Code de Procédure Civile ne permet de désigner un tribunal, que l’on a recours aux articles 14 et 15 du Code civil
— Malgré leur caractère résiduel, la doctrine est très hostile envers ces articles : elle considère que le rattachement à la nationalité des parties n’est pas un lien significatif, car il repose sur un lien trop fragile et subjectif
— L’article 14 du Code civil donne compétence aux tribunaux francais lorsqu’un Français est demandeur : « L’étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l’exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. »
— En théorie, on pourrait se contenter de ce seul lien de nationalité
— En pratique, il faut nécessairement un autre élément de rattachement : ex. si un Français saisit le tribunal francais contre un australien sur le fondement de l’article 14 du Code civil et obtient gain de cause, mais que les biens du défendeur se trouvent en Australie, la décision ne pourra être invoquée qu’en Australie ; or, les tribunaux australiens peuvent rejeter la décision francaise qui a seulement pris en compte la nationalité pour fonder la compétence du juge
— L’article 15 du Code civil donne compétence aux tribunaux francais lorsqu’un Français est défendeur : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger. »
— A priori, cet article semble favorable aux étrangers
— En réalité, la jurisprudence considère que l’article 15 du Code civil impose la seule compétence des juridictions françaises, lorsque le défendeur est francais
— Dans les années 1970 et 1980, les critiques étaient très vives
— Aujourd’hui, la doctrine s’est calmée
- A) Le champ d’application des articles 14 et 15 du Code civil
1) Le champ d’application ratione materiæ
— Les articles 14 et 15 du Code civil mentionnent chacun « les obligations » : or, il existe 2 sortes d’obliations
— L’obligation contractuelle : un contrat se crée par un engagement librement assumé par une partie envers une autre
— L’obligation délictuelle (ex. l’obligation alimentaire) : un contrat se crée à raison d’un fait
1.1) Le principe : l’interprétation large
— La jurisprudence constante considère que les articles 14 et 15 du Code civil doivent être interprétés largement quant à leur champ d’application matérielle
— 27 mai 1970 : l’arrêt « WEISS » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est considérée comme étant à l’origine de cette jurisprudence, en déclarant « les articles 14 et 15 du Code civil ont une portée générale s’étendant à toutes les matières (contractuelle, délictuelle, patrimoniale, extra-patrimoniale, etc.) »
— 9 décembre 2003 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit le plus récemment à une longue liste d’arrêts confirmatifs
1.2) Les exceptions
— Il y a 3 domaines où les juridictions françaises ne sont pas compétentes
— Les voies d’exécution pratiquées à l’étranger : les juridictions étrangères en cause en ont le monopole
— Les actions réelles immobilières concernant un immeuble situé à l’étranger : seules les juridictions du lieu de situation de l’immeuble sont compétentes, selon un principe unanimement partagé entre les États
— Les demandes en partage (dans le cadre d’une succession) portant sur des immeubles situés à l’étranger : cette jurisprudence est constante depuis 1933
2) Le champ d’application ratione personæ
— La seule condition d’application des articles 14 et 15 du Code civil, c’est que l’on soit en présence d’un Français (même domicilié à l’étranger) : on se contente d’un critère purement subjectif (càd, la nationalité), puisque le domicile n’est pas pris en compte
— 1ère nuance : sachant que les articles 14 et 15 du Code civil peuvent s’appliquer aussi aux personnes morales, la détermination de la nationalité d’une société nécessite la prise en compte de son siège social (càd, son domicile)
— Le critère de l’établissement est donc pris en compte de manière incidente
— 2e nuance : dès lors que le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État-membre, il faut appliquer les seules règles du règlement N° 44-2001 et de la Convention de Bruxelles
— Ex. l’article 14 du Code civil ne pourra jamais être appliqué à un défendeur français domicilié en Allemagne
— 3e nuance : lorsque le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État-membre, l’article 4 du règlement N° 44-2001 prévoit que « toute personne, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’il est domicilié sur le territoire d’un État-membre, pourra invoquer toutes les règles de compétence de cet État-membre »
— Ainsi, d’après cet article, la qualification d’une personne de Français n’est plus décisive : ce qui compte, c’est qu’elle soit domiciliée en France
— Un problème peut se poser sur le moment où l’on doit apprécier la nationalité : ex. si un étranger conclut un contrat, mais obtient ensuite la nationalité francaise, peut-on l’assigner devant un tribunal francais en vertu de l’article 15 du Code civil ou faut-il tenir compte de la nationalité du défendeur au moment de la naissance de la situation juridique ?
— 16 juin 1928 : l’arrêt « BANQUE D’ITALIE » de la Cour d’appel de Paris déclare qu’il faut uniquement se référer à la qualification de la nationalité francaise au moment de l’assignation
— La Cour d’appel de Paris indique que les articles 14 et 15 du Code civil sont des lois de procédure : ainsi, par privilège procédural, on ne tient pas compte des droits litigieux en compte, mais seulement de la nationalité au moment de l’introduction de l’instance
— 21 mars 1966 : l’arrêt « COMPAGNIE LA MÉTROPOLE » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme cette solution, en déclarant que « la compétence des tribunaux francais est fondée sur la nationalité des parties (et non sur la nature des droits litigieux) »
— La compagnie d’assurance LA MÉTROPOLE avait indemnisé une société britannique ayant subi un dommage causé par une autre société britannique dans le cadre d’un contrat de transport ; l’assureur exerce une action en subrogation contre la société à l’origine du dommage ; la société britannique refuse de payer ; la compagnie LA MÉTROPOLE saisit alors les tribunaux francais sur le fondement de l’article 14 du Code civil ; la société britannique prétend que la compagnie d’assurance, qui est francaise, ne peut faire valoir ses propres droits, car il est subrogé dans les droits de la victime du préjudice, qui est britannique
— La Cour de cassation effectue une interprétation large de l’article 14 du Code civil, en déclarant qu’il « faut uniquement tenir compte de la nationalité du demandeur, peu importe que les droits étaient nés au profit d’une personne de nationalité étrangère »
— Cette solution est parfaitement transposable à d’autres hypothèses (liste non exhaustive)
— Même si le défunt est de nationalité étrangère, il suffit que l’un des héritiers soit de nationalité francaise pour qu’il puisse invoquer les articles 14 et 15 du Code civil
— Même si le cédant est de nationalité étrangère, il suffit que le cessionnaire soit de nationalité francaise pour qu’il puisse invoquer les articles 14 et 15 du Code civil
— Toutefois, la jurisprudence a posé 2 réserves à ce privilège procédural
— 1ère réserve : la représentation
— Le représentant est transparent, puisqu’il agit au nom et pour le compte du représenté : ainsi, même si le représentant est francais, il ne pourra pas invoquer les articles 14 et 15 du Code civil si le représenté est étranger
— 22 février 2005 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation réaffirme cette solution
— 2nde réserve : l’utilisation frauduleuse de l’article 14 du Code civil
— 24 novembre 1987 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre cette réserve
— Une société californienne intente une action devant les tribunaux californiens ; elle n’obtient pas gain de cause ; par conséquent, elle va céder la créance litigieuse à sa filiale francaise et lui ordonner de saisir les juridictions françaises ; la cession est donc fait dans le seul but de bénéficier de l’article 14 du Code civil
— La Cour de cassation déclare que la cession est frauduleuse : les juridictions françaises ne peuvent donc pas être compétentes dans une telle situation.
- B) La renonciation au privilège de juridiction
— La jurisprudence a toujours analysé les articles 14 et 15 du Code civil comme des privilèges auquel on peut renoncer (et non comme des sujétions imposées)
— 1ère justification : ces articles sont rédigés de manière potestative (ex. « le Français pourra »)
— 2nde justification : l’impossibilité de renoncer aux articles 14 et 15 du Code civil constituerait un handicap pour le ressortissant francais dans le domaine des affaires internationales
— Le défendeur français peut renoncer au bénéfice de l’article 14 du Code civil, mais aussi à l’article 15 du Code civil
— Toutefois, dans ce dernier cas, il faut aussi que le demandeur (qu’il soit francais ou étranger) renonce également à l’article 15 du Code civil
— 7 décembre 1971 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre cette nécessité de double renonciation
1) Le caractère d’ordre public des articles 14 et 15 du Code civil ?
— Étant donné que l’on peut renoncer aux articles 14 et 15 du Code civil, ces dispositions ne peuvent pas être d’ordre public : par conséquent, le juge francais ne peut jamais soulever d’office l’applicabilité des articles 14 et 15 du Code civil
— 21 mai 1963 : la chambre civile de la Cour de cassation consacre le caractère d’ordre public de l’article 14 du Code civil
— Le demandeur invoque la règle de compétence territoriale interne (du Code de Procédure Civile) transposée au droit international, mais les conditions posées par les textes n’étaient pas remplies ; or, la Cour d’appel va appliquer d’office l’article 14 du Code civil
— 9 octobre 1967 : la chambre commerciale de la Cour de cassation consacre le caractère d’ordre public de l’article 15 du Code civil
— Le demandeur invoque la règle de compétence territoriale interne (du Code de Procédure Civile) transposée au droit international, mais les conditions posées par les textes n’étaient pas remplies ; or, la Cour d’appel va appliquer d’office l’article 15 du Code civil
— 16 avril 1985 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, en déclarant que « le juge doit appliquer la règle de droit aux faits allégués, au besoin d’office »
— Les parties avaient visé l’article 12 du Code de Procédure Civile, mais celui-ci n’était pas applicable
— 26 mai 1999 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation opère à nouveau un revirement de jurisprudence, en déclarant que « le juge ne peut pas appliquer d’office les articles 14 et 15 du Code civil »
— 22 février 2005 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation semble à nouveau avoir opéré un revirement de jurisprudence, car il semble indiquer que les articles 14 et 15 du Code civil doivent être appliqués d’office
2) Les formes de renonciation
— La renonciation peut revêtir 2 formes principales
— 1ère forme : l’action en justice exercée à l’étranger
— En ce qui concerne l’article 14 du Code civil, la renonciation (du demandeur) est présumée : en revanche, le demandeur francais pourra prouver qu’il n’avait pas entendu renoncer à son privilège (liste non exhaustive)
— 1ère preuve : des raisons d’urgence (notamment pour suspendre la prescription) justifiaient la saisine des juridictions étrangères
— 2e preuve : le demandeur saisit les juridictions étrangères, car il pensait que son débiteur étranger n’avait aucun bien en France
— En ce qui concerne l’article 15 du Code civil, la renonciation présente une particularité, puisque 2 droits vont s’opposer : en effet, le droit du demandeur (francais ou étranger) est opposé au droit du défendeur francais
— La renonciation du demandeur est tout simplement constituée par la saisine d’un tribunal étranger
— La renonciation du défendeur va être traduite par l’attitude procédurale du défendeur à l’étranger : si le défendeur se présente à l’étranger, se défend au fond et ne conteste pas la compétence du tribunal étranger, il y aura renonciation
— 15 novembre 1983 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
— 28 janvier 2003 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
— 2e forme : la renonciation contractuelle
— 1ère possibilité (rare) : une clause précise que la partie francaise renonce aux articles 14 et 15 du Code civil
— 2e possibilité : une clause attributive de juridiction désignant une juridiction étrangère
— 18 octobre 1988 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
— 3e possibilité : une clause compromissoire désignant un tribunal arbitral
— 21 juin 1965 : l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en est une illustration
— 3e cession : la cession de droit
— Le cessionnaire français n’est pas impliqué dans le rapport de droit originaire : il n’intervient que de manière subséquente
— 25 novembre 1986 : l’arrêt le plus significatif de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
— Un contrat classique est conclu entre 2 personnes de nationalité étrangère ; ce contrat comporte une clause attributive de juridiction désignant un tribunal étranger ; ensuite, un assureur francais est subrogé dans les droits de l’une des parties au contrat
— 1ère interprétation : puisque l’assureur francais n’a pas consenti à la clause attributive de juridiction, il n’y a pas de renonciation
— 2nde interprétation : la clause attributive de juridiction fait partie de l’ensemble contractuel que le l’assureur francais doit nécessairement tenir compte lorsqu’il accepte la cession
— La Cour de cassation opte pour la 2nde interprétation, en déclarant que le l’assureur francais doit se soumettre à la clause attributive de juridiction
— 24 novembre 1987 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
— Une cession de créance est opérée au profit d’une personne francaise, alors qu’une instance relative à la créance est déjà en cours
— La Cour de cassation considère que dès lors que le titulaire à l’origine de la créance a saisi un tribunal étranger, le cessionnaire ne peut plus se prévaloir de l’article 14 du Code civil
— NB : la décision était aussi fondée sur la fraude
- C) Le tribunal spécialement compétent
— Jusqu’en 1985, le problème ne s’est pas posé, puisqu’il y avait 2 systèmes de compétence complètement indépendants qui cohabitaient : ainsi, lorsque l’on appliquait les articles 14 et 15 du Code civil, on consultait le droit interne (aux articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile) pour connaître quel tribunal était spécialement compétent
— Après 1985, une hiérarchie apparaît entre les 2 systèmes de compétence : en effet, les articles 14 et 15 du Code civil ne peuvent jouer que s’il n’y a pas de rattachement objectif (aux articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile)
— Par définition, on ne peut donc plus appliquer les articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile pour déterminer le tribunal spécialement compétent, puisque même au niveau interne, il faudrait un lien de rattachement objectif : il a donc fallu trouver un nouveau système
— D’abord, 2 systèmes avaient été préconisés
— 1ère possibilité (la plus rationnelle) : le demandeur devrait saisir le tribunal de son propre domicile ou de sa propre résidence en France
— 1er inconvénient : on donne systématiquement compétence au tribunal du demandeur
— 2nd inconvénient : le demandeur francais n’a pas nécessairement de domicile en France
— 23 avril 1959 : l’arrêt « WEILLER » de la chambre civile de la Cour de cassation déclare que, dans ce cas, « le demandeur doit saisir le tribunal de son choix, sous réserve de ne pas opérer ce choix de manière frauduleuse »
— Le défendeur est domicilié en Belgique et le demandeur saisit le tribunal de Perpignan
— La Cour de cassation relève la fraude, en ce que rien ne justifiait le demandeur de saisir un tribunal aussi éloigné du défendeur
— 2nde possibilité : le demandeur peut saisir le tribunal de son choix, sous condition qu’il soit éclairé par les nécessités d’une bonne administration de la justice
— 9 février 1960 : l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation consacre cette ce système
— En matière patrimoniale, le demandeur devra saisir la juridiction dans le ressort dans laquelle se trouvent des biens du défendeur
— Au fil du temps, le principe de la bonne administration de la justice de la 2nde possibilité s’est généralisé
— 19 juin 1978 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
— Le décret du 12 mai 1981 a rajouté un alinéa à l’article 42 (alinéa 3) du Code de Procédure Civile : « Si le défendeur n’a ni domicile, ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où lui-même demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger. »
— Ce texte était prévu à des litiges purement internes, mais une partie de la doctrine avait voulu transposer cette solution à l’ordre international
— Toutefois, l’article 42 (alinéa 3) du Code de Procédure Civile ne mentionne pas la bonne administration de la justice : or, il semble, aujourd’hui, qu’il faut toujours prendre en compte le principe de la bonne administration de la justice
— De plus, aucun arrêt ne vise expressément l’article 42 (alinéa 3) du Code de Procédure Civile