Droit, libertés fondamentales et le juge constitutionnel
Créé en 1958, le Conseil constitutionnel avait à l’origine comme mission principale de veiller à ce que le Parlement respecte les limites du domaine de la loi instaurée par l’article 34 de la Constitution. Au fil de ses décisions, le contrôle de constitutionnalité se révèlera comme un instrument de protection des droits fondamentaux. C’est le juge administratif qui s’est le premier imposé en tant que garant de la protection des droits de l’homme. Par la suite, le juge constitutionnel a amplifié ce mouvement en lui apportant une garantie plus forte : le statut constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel garantit les droits fondamentaux en France via des contrôles sur les lois. Malgré des garanties comme l’indépendance des membres, des critiques persistent sur son mode de nomination et le contrôle limité des lois référendaires. Comparativement, des dispositifs étrangers tels qu’en Allemagne ou en Espagne offrent des garanties renforcées. Au niveau supranational, la CEDH et la CJUE jouent un rôle central, complété par la CPI pour les crimes graves.
&1 – En France: la protection des droits et libertés par le Conseil Constitutionnel en France
Le Conseil constitutionnel occupe une place centrale dans la garantie des droits et libertés fondamentaux. Son rôle s’articule autour des garanties institutionnelles et des modalités de contrôle qu’il exerce sur les lois et normes constitutionnelles.
- Un article sur la protection des libertés par le Conseil Constitutionnel
- Un autre article sur les armes du Conseil Constitutionnel concernant la protection des libertés fondamentales
1 – Les garanties liées à l’organisation et à la composition du Conseil constitutionnel
a) Indépendance des membres
L’indépendance des membres du Conseil constitutionnel est assurée par plusieurs dispositions, notamment :
- Le juge constitutionnel, protecteur des droits et libertés
- La justice, protectrice des droits et libertés fondamentales
- Les institutions non-juridictionnelles de protection des droits et libertés
- Le régime de protection des droits et libertés en temps normal
- Les atteintes aux libertés en temps de crise
- Les libertés fondamentales dans la hiérarchie des normes
- La classification des droits et libertés fondamentales
- Durée du mandat de neuf ans non renouvelable, ce qui limite les risques d’influence extérieure.
- Renouvellement par tiers tous les trois ans, pour éviter une homogénéité politique durable.
Cependant, des critiques subsistent concernant :
- Le mode de nomination : trois membres sont désignés par le Président de la République, trois par le Président de l’Assemblée nationale, et trois par le Président du Sénat. Ces nominations peuvent être influencées par des considérations politiques.
- Absence de critères de compétence : aucun critère juridique ou professionnel spécifique n’est requis pour intégrer le Conseil.
- Incontestabilité des nominations : les actes de nomination, qualifiés d’actes de gouvernement, échappent à tout contrôle juridictionnel.
b) Pluralisme et anciens présidents de la République
- La composition peut poser problème en matière de pluralisme si une majorité de membres provient d’une seule tendance politique.
- La présence des anciens présidents de la République comme membres de droit a été critiquée pour son caractère anachronique. Plusieurs d’entre eux se sont volontairement écartés du Conseil pour diverses raisons :
- Nicolas Sarkozy s’est retiré après le rejet de ses comptes de campagne présidentielle.
- François Hollande s’est engagé à supprimer cette disposition.
Cette catégorie n’a plus de pertinence, notamment en raison des critiques sur leur impartialité potentielle.
2 – Les garanties liées au contrôle exercé par le Conseil constitutionnel
a) Les normes contrôlées
Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle sur :
- Les lois ordinaires.
- Les lois organiques (ayant une valeur supérieure aux lois ordinaires).
- Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.
Cependant, il ne contrôle pas les lois référendaires, estimant que celles-ci émanent directement de la souveraineté populaire.
b) Les types de contrôle exercés
- Contrôle a priori :
- Exercé avant la promulgation des lois, sur saisine de :
- Le Président de la République,
- Le Premier ministre,
- Les présidents des assemblées,
- Soixante députés ou soixante sénateurs (depuis 1974).
- C’est un contrôle abstrait, visant à prévenir des atteintes aux droits et libertés.
- Exercé avant la promulgation des lois, sur saisine de :
- Contrôle a posteriori (QPC) :
- Créé par la révision constitutionnelle de 2008, le contrôle par voie d’exception, ou Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), permet à tout justiciable de contester une loi déjà promulguée si elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
- Le transfert au Conseil est soumis à un examen préalable par les juridictions suprêmes (Conseil d’État ou Cour de cassation), qui doivent vérifier :
- Que la loi contestée est applicable au litige.
- Que la question posée est sérieuse.
- La décision de refus de transmission doit être motivée.
c) Les normes de référence
Le bloc de constitutionnalité, énoncé dans la décision de 1971 dite « Liberté d’association », comprend :
- La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (1789).
- Le Préambule de la Constitution de 1946.
- Les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).
- La Charte de l’environnement (2004).
Le Conseil constitutionnel s’assure de la conformité des lois à ces textes fondamentaux. Par exemple :
- QPC 2010, Voile intégral : la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a été jugée conforme à la Constitution pour des raisons d’ordre public.
- QPC 2013, Taxe Google : le Conseil a censuré une disposition fiscale jugée non proportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques.
3 – Limitations et critiques du rôle du Conseil
- Impact limité du contrôle juridique sur des lois controversées :
- Exemple : la mobilisation contre le Contrat Première Embauche (CPE) en 2007 a démontré que les résistances populaires peuvent avoir un effet plus immédiat que le contrôle constitutionnel, le Conseil ayant validé le texte malgré l’opposition généralisée.
- Poids des considérations politiques :
- Les décisions du Conseil peuvent parfois refléter un arbitrage entre droit et politique, en raison des modalités de nomination de ses membres.
- Absence de contrôle sur les lois référendaires :
- Une loi adoptée par référendum peut porter atteinte aux libertés publiques sans être soumise au contrôle du Conseil.
Conclusion : Le Conseil constitutionnel joue un rôle clé dans la protection des droits fondamentaux en France, grâce à ses garanties d’indépendance et aux procédures de contrôle des lois. Cependant, certaines lacunes subsistent, notamment dans son mode de nomination et la portée limitée de son contrôle, ce qui invite à réfléchir à des réformes pour renforcer son impartialité et son efficacité.
&2 – Exemples de dispositifs étrangers de protection des droits fondamentaux
Les pays européens se sont dotés, à des moments charnières de leur histoire, de constitutions libérales intégrant des dispositifs spécifiques pour garantir les droits de l’Homme. Ces protections sont souvent assurées par des juridictions constitutionnelles ou des mécanismes de recours directs pour les citoyens.
1. Italie : la constitution libérale de 1947
- Contexte : L’Italie a adopté une nouvelle constitution au sortir du régime fasciste de Mussolini. Ce texte est fondamentalement libéral et met en avant la séparation des pouvoirs comme pilier du respect des droits de l’Homme.
- Dispositif de protection :
- La Cour constitutionnelle italienne, créée en 1956, veille au respect des droits fondamentaux et peut invalider toute loi non conforme à la Constitution.
- Les citoyens peuvent contester indirectement des lois violant leurs droits par l’intermédiaire des juges ordinaires, qui saisissent ensuite la Cour constitutionnelle.
- Particularité : La constitution italienne accorde une grande importance aux droits sociaux, comme le droit au travail et à l’éducation, qui figurent explicitement parmi les principes fondamentaux.
2. Allemagne : la Loi fondamentale de 1949
- Contexte : Après les atrocités du nazisme, l’Allemagne a adopté la Loi fondamentale pour garantir un régime démocratique et protéger les droits fondamentaux.
- Dispositif de protection :
- La Cour constitutionnelle fédérale, basée à Karlsruhe, est l’organe clé. Elle peut être saisie directement par les citoyens grâce au recours constitutionnel individuel pour violation d’un droit fondamental.
- Les droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale (articles 1 à 19) sont inaliénables et protégés par une jurisprudence constante. Exemples récents :
- En 2021, la Cour a déclaré inconstitutionnelle une loi climatique insuffisamment ambitieuse, arguant qu’elle portait atteinte aux droits fondamentaux des générations futures.
- En 2022, la Cour a confirmé que la reconnaissance du troisième genre dans les documents officiels était un impératif découlant de la dignité humaine.
- Particularité : La protection des droits fondamentaux prime sur toute autre considération, y compris la souveraineté parlementaire.
3. Espagne : la transition démocratique de 1979
- Contexte : L’Espagne a adopté sa Constitution démocratique en 1978, au lendemain de la dictature franquiste. Ce texte garantit une large protection des droits fondamentaux et des libertés publiques.
- Dispositif de protection :
- Le Tribunal constitutionnel espagnol joue un rôle central dans le contrôle de constitutionnalité des lois et dans la garantie des droits fondamentaux.
- Les citoyens peuvent exercer un recours individuel (recurso de amparo) devant le Tribunal constitutionnel en cas de violation de leurs droits fondamentaux par les pouvoirs publics.
- Un mécanisme de médiation spécifique est confié au défenseur du peuple (Defensor del Pueblo), une figure indépendante chargée de recevoir les plaintes des citoyens et de s’assurer que l’administration respecte les droits fondamentaux.
- Particularité : La Constitution espagnole inclut une reconnaissance explicite des droits collectifs, tels que les droits linguistiques et culturels des minorités régionales (Catalogne, Pays basque).
4. Autres exemples européens
- Royaume-Uni : Malgré l’absence de constitution écrite, le Royaume-Uni protège les droits de l’Homme via des lois spécifiques comme le Human Rights Act de 1998, qui incorpore la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans le droit britannique. Les citoyens peuvent saisir les tribunaux britanniques pour des violations avant de s’adresser à la CEDH.
- Pologne : Depuis 1997, la Pologne dispose d’un Tribunal constitutionnel, mais son indépendance est contestée depuis 2015 en raison de réformes controversées. La Cour européenne des droits de l’Homme reste un recours important pour les citoyens.
&3 – AU NIVEAU SUPRANATIONAL
Les droits fondamentaux bénéficient d’une reconnaissance et d’une protection croissantes à l’échelle supranationale. Cela passe par des textes normatifs, des organisations dédiées, et des juridictions spécifiques qui œuvrent pour garantir ces droits face aux atteintes nationales ou transnationales.
A) La protection européenne des droits fondamentaux
1. Le rôle renforcé de la CJUE
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) veille au respect du droit de l’Union, y compris de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette charte, adoptée en 2000 et rendue juridiquement contraignante par le Traité de Lisbonne en 2009, regroupe des droits essentiels autour de six valeurs principales :
- Dignité : droit à la vie, interdiction de la torture et de l’esclavage.
- Liberté : protection de la vie privée, liberté d’expression et de religion.
- Égalité : égalité devant la loi, droits des enfants et des personnes âgées.
- Solidarité : droits sociaux tels que les conditions de travail équitables et le droit à l’aide sociale.
- Citoyenneté : droits liés à la citoyenneté de l’UE (liberté de circulation, droit de vote aux élections européennes).
- Justice : droit à un procès équitable, présomption d’innocence.
La CJUE peut être saisie directement ou indirectement, par les juridictions nationales, via une question préjudicielle pour interpréter le droit de l’Union en matière de droits fondamentaux. Par exemple :
- Affaire Schrems II (2020) : la CJUE a invalidé le mécanisme Privacy Shield qui encadrait les transferts de données personnelles entre l’UE et les États-Unis, invoquant une protection insuffisante des données privées des citoyens européens.
2. Le rôle historique de la CEDH
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), organe du Conseil de l’Europe, garantit le respect de la Convention européenne des droits de l’Homme (1950). Elle offre un mécanisme de recours unique pour protéger les droits fondamentaux au sein des États membres du Conseil de l’Europe.
- Modalités de saisine :
- Par des États membres contre un autre État membre.
- Par des individus, après épuisement des voies de recours internes.
- Conditions de recevabilité :
- Épuisement des voies internes.
- Saisine dans un délai de six mois après la décision définitive nationale.
- Exemples récents :
- 2019, Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie : la Cour a jugé que l’interdiction d’une application mobile utilisée pour critiquer une campagne gouvernementale constituait une violation de la liberté d’expression.
- 2022, M.A. c. Danemark : la Cour a condamné le Danemark pour un traitement dégradant infligé à un demandeur d’asile, renforçant le droit à un traitement humain.
Les arrêts de la CEDH sont contraignants pour les États membres, bien qu’ils rencontrent parfois des résistances, comme en témoigne le cas du Royaume-Uni avec la question de la déportation de migrants.
B) L’émergence d’une justice internationale
1. Les juridictions pénales internationales
La reconnaissance de la responsabilité pénale internationale des individus marque une évolution majeure dans la justice mondiale.
- La Cour pénale internationale (CPI) :
- Créée par le Statut de Rome en 1998 et opérationnelle depuis 2002, la CPI siège à La Haye.
- Compétente pour juger :
- Les crimes de génocide.
- Les crimes contre l’humanité.
- Les crimes de guerre.
- Les crimes d’agression.
- Exemples de jugements :
- 2012, Thomas Lubanga Dyilo (Congo) : condamné pour l’enrôlement d’enfants soldats.
- 2023, Dominic Ongwen (Ouganda) : condamné pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en tant que commandant de l’Armée de résistance du Seigneur.
- Limites : Certains États, comme les États-Unis, Israël ou la Chine, n’ont pas ratifié le Statut de Rome.
- Tribunaux spéciaux ad hoc :
- Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) : a jugé des crimes de guerre et génocides commis pendant les conflits des Balkans.
- Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) : a condamné des responsables du génocide de 1994.
- Tribunal spécial pour le Liban : créé en 2009 pour juger l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri.
2. Rôle des ONG et autres initiatives
Les organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle crucial en matière de droits de l’homme. Elles alertent, enquêtent et exercent une pression politique sur les gouvernements et les instances internationales. Exemples notables :
- Amnesty International : rapport annuel sur l’état des droits de l’homme dans le monde.
- Human Rights Watch : dénonciation des violations graves, notamment en matière de liberté d’expression et de droits des migrants.
- Ligue des droits de l’Homme (LDH) : interventions nationales et internationales.
Conclusion : La protection des droits de l’Homme repose aujourd’hui sur un cadre supranational solide, intégrant des mécanismes judiciaires et politiques. Que ce soit à travers l’action des juridictions européennes comme la CEDH et la CJUE, ou via des instances pénales internationales comme la CPI, ces dispositifs répondent aux défis posés par les violations des droits fondamentaux. Toutefois, des résistances et des limites subsistent, nécessitant une vigilance constante de la société civile et des ONG.